Polices du futur

En marge de mes interventions en milieux policiers, nombreuses sont les interrogations concernant l’avenir de la profession.

Plus précisément, l’avenir des 120 spécialisations (ou métiers) exercées au sein des 330 corporations de polices suisses (dont 80 principales environ) comme autant d’orientations et de mutations sous-jacentes.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris)

Prévision météo des polices

Cinq orientations *

Police numérique

Composée de techniciens en navigation virtuelle, eux-mêmes accompagnés d’informaticiens et de spécialistes en Droit numérique, cette police est active sur les réseaux sociaux et le darknet.

Police environnementale

Garante de la protection des milieux naturels, de la faune et de la flore, cette police veille, selon les cantons, au respect du patrimoine et des aménagements territoriaux. Exemple : Police cantonale bernoise.

Police comportementale

Très active dans les pays anglo-saxons, s’émancipe à Zurich (Ville et canton) et en France avec de nouvelles prestations comme l’attention portée aux LGBT. Exemple français : l’association FLAG.

Police de résolution

Appelée police de proximité en Suisse latine ou communautaire dans les pays nordiques, tantôt valorisée, tantôt jugulée par certains gouvernements, cette orientation se restaure peu à peu en une police de maillage socioculturel et de prévention, notamment des radicalisations religieuses ou ultra-politisées.

Police investigatrice

Relais des polices judiciaires (ou de sûreté – les dénominations varient), cette police (en civil et non uniformée) est déjà multifonctionnelle et composée de diverses brigades (finances, mœurs, mineurs, scientifique & laborantine, etc.). Elle ouvre ses portes aux compétences extérieures et se prédestine à une forte pluridisciplinarité. C’est déjà le cas en Europe de l’Ouest et dans les pays scandinaves où experts-comptables, travailleurs sociaux et psychologues comportementalistes, entre autres, sont intégrés à part entière dans les effectifs. Ces spécialistes disposent de pouvoirs de police sans être ressortissants d’écoles ou d’académies policières classiques.

Une constance et cinq mutations *

Cette constance est singulièrement helvétique. Les cinq mutations sous-tendent et influencent les orientations précitées.

Constance fédéraliste

Le système fédéral est plutôt plébiscité dans les milieux policiers suisses que je fréquente. Sous le regard “policier-prati-quotidien” notre fédéralisme présente néanmoins quelques lourdeurs dans la coordination intercantonale et les subdivisions régionales ou municipales mais offre l’avantage d’une grande diversité linguistique et socioculturelle ainsi que d’une certaine marge de manoeuvre dans l’application des règlements communaux. Ce fédéralisme, tel que nous le pratiquons, renforce l’employabilité des agents brevetés et favorise des politiques managériales différentes, plus ou moins audacieuses, d’une région à l’autre, d’une direction politique à l’autre, d’un commandement exécutif à l’autre.

Ne pas oublier, ici, l’apport essentiel du Réseau national de sécurité qui réunit la Confédération et les cantons.

Mutations technologiques…

L’évolution est tellement rapide, les moyens financiers des groupes économiques tellement puissants que les polices ont peine à combler le retard du point de vue technologique, expertises et effectifs.

… prédictives…

C’est la nouvelle tendance nord-américaine qui se développe en tous sens.

Dans cette vaste mutation impliquant les nouvelles technologies, les limites provoquent de grands débats démocratiques comme tout récemment à San Francisco au sujet de la reconnaissance faciale.

Voir aussi Temps Présent RTS du 29 mars 2018.

… de force compensée…

L’arrivée des exosquelettes (photo) dans plusieurs unités d’interventions en Asie du Sud-Est ou aux USA représente sans doute la facette la plus spectaculaire. Mais l’usage des body-caméras et autres outils de reconnaissance ou de localisation confèrent également au pouvoir policier de nouvelles étendues pratiques. Les confusions sont nombreuses entre les outils dits d’extension et ceux dits de substitution (j’ai déjà abordé cette ambivalence dans de précédents blogs).

… de coopération (policière) internationale…

Les acquis de Schengen, l’accord et la convention offrent depuis quelques années des opportunités de collaboration étroite sur un vaste espace réunissant 26 États membres. Pour la Suisse, l’entrée en vigueur date du 1er mars 2008. 

… de transversalité et d’interchangeabilité.

Il s’agit, ici, pour cette cinquième mutation, de considérer toutes les polices dites “d’ordre thématique”. La police (fédérale) des transports, les polices pénitentiaires (les agents ou surveillants pénitentiaires ne sont pas considérés comme policiers à part entière et pourtant leurs prérogatives territoriales, coercitives et discrétionnaires sont pleinement policières), les techniciens de prévention et lutte contre les incendies ou inondations (services du feu / pompiers), les sanitaires urgentistes, ambulanciers secouristes (exemple : Ville de Berne) et autres interventionnistes “feux bleus” sont aujourd’hui inscrits dans des filières professionnelles supérieures dont les contours et les matières sont très proches du statut policier.

Par incidence, et on l’a vu plus haut dans l’orientation Police investigatrice, les complexités sociétales obligent les polices à coopérer avec des professionnels aux compétences de plus en plus éclatées. Est-il fini le temps où le policier cuisinait, réparait son véhicule en plus de remettre de main à main les courriers judiciaires au sein de sa commune ? En Ville de Fribourg, par exemple, c’est un policier local – un Sergent de Ville –, représentant les autorités, qui se déplace à domicile ou dans les homes pour prononcer un discours et remettre le cadeau officiel aux huitantenaires et autres citoyens jubilaires.

Autant d’orientations et de mutations qui influenceront mes prochains blogs.

* non exhaustives, sans ordre de priorité, telles que recensées chronologiquement aux côtés des cent vingts policiers, agents pénitentiaires, centralistes et urgentistes suisses romands et alémaniques avec lesquels je suis intervenu, au moins un jour entier, ces trois derniers mois de mars, avril et mai 2019. Ces orientations complètent les champs conventionnels des polices territoriales, mobiles et secours de Suisse. En France, d’autres polices conventionnelles ou “familles” sont à l’oeuvre.

Voir mon blog – police du XXIème siècle – du 6 janvier 2016

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

4 réponses à “Polices du futur

  1. Quand vous mentionnez que les interventionnistes « feux bleus », dont les pompiers, bénéficient actuellement d’une formation leur conférant un statut très proche à celui du policier, j’ai eu l’occasion de me poser sur la marge d’action légale dont ils disposent pour mener à bien leur mission. Et là je n’ai pas conclu à un statut très proche de celui du policier… Je donne ici l’événement vécu, dans l’ordre chronologique :

    1. Je vois couler l’eau dans mon appartement, par les jointures du plafond, les lustres, les conduits électriques des interrupteurs.
    2. Mon diagnostic est rapide. Le débit est le plus fort à la salle de bains, à toutes les jointures des conduits d’écoulement apparents sous le plafond : Mon voisin, régulièrement ivre, s’est endormi en laissant les robinets complètement ouverts.
    3. J’alerte les pompiers.
    4. Je vais taper à la porte du voisin, sans succès.
    5. Je cours dehors où je vois le Service des eaux à 200 m, occupé à des travaux au bord de la route : « Est-ce que vous pouvez arrêter l’eau ? C’est urgent ! J’ai chez moi une inondation, je n’ai pas les clés pour accéder au local du robinet principal d’arrivée d’eau !… » Réponse : « Non, dans ce cas vous devez appeler les pompiers… »
    6. Je cours chez moi pour les appeler, lance des couvertures par terre dans les chambres sur la nappe d’eau, place un pauvre seau sous un lustre. Puis retourne dehors.
    7. Les pompiers arrivent en 10 minutes, déploient leur matériel, en même temps que l’un d’entre eux s’adresse de bonne voix aux ouvriers du Service des eaux : « Vous avez accès à la vanne ? Vous pouvez couper l’eau ? » Réponse : « Oui bien-sûr… »
    8. L’eau a donc coulé des robinets à plein débit jusque-là, et allait continuer à inonder mon appartement en raison de la rétention sous les faux plafonds.
    9. Les pompiers souhaitent malgré tout couper l’alimentation principale de la maison, faute d’être certains sur la configuration du réseau, mais ils n’ont pas le droit d’enfoncer la porte…
    10. Puis ils veulent accéder à l’appartement du voisin qui est absent ou dort. Ils n’ont pas le droit non plus de forcer la porte, il faudrait faire venir la police…
    11. Concernant le risque d’électrocution, le tableau de fusibles des trois appartements de la maison est accessible dans l’ancien bistrot loué par la Commune de Lausanne à une association de jeunes, dont le président ne voulait déjà pas dans le passé me donner le code du petit coffre extérieur où est cette clé : « Nous avons des biens à protéger… »

    Conclusion : Trois ouvriers du Service des eaux menteurs et irresponsables, mais je ne les juge pas trop, ce sont des « feux blancs ». Les pompiers en revanche ont soulevé mon admiration : Rapidité, efficacité, organisation et coordination parfaite dans le calme.

    Des ouvriers peu formés, pas appelés directement à prendre des décisions relevant de la sécurité, sont autorisés à couper l’eau sans se référer à une autorité supérieure si le temps presse (d’autant plus un dimanche), mais dans le cas particulier ils se sont abstenus… Les pompiers c’est l’inverse, ils ont la formation, le savoir-faire, la capacité d’appréciation de la situation urgente, mais doivent attendre la venue de la police qui seule peut évaluer et agir dans le respect de la personne privée. En attendant mon voisin a pu dormir sous un plafond sec avec sa bouteille de vin au pied du lit, et l’association n’a pas eu à craindre pour « ses biens ».

    Que peut-on penser, dans des événements de plus grande gravité, de ces contradictions où les feux blancs, bleus, et anciennement rouges, agissent chacun dans un domaine qui est le leur, tout en étant obligés de se donner rendez-vous ?.. Il n’y a donc qu’à un enterrement qu’on autorise le curé à prendre une pelle si le fossoyeur n’est pas là, et à la famille de déplacer le cercueil si les croque-morts n’ont pas été sollicités à temps…

    Excusez-moi de n’avoir pas réussi à donner un commentaire moins long, pour une question d’une seule phrase !

    1. Ouf, oui la surabondance de loi et de règlements crée, un peu comme dans la justice ou la Constitution, des situations toujours plus ubuesques!

      Mais on aura sans doute droit au chapitre deux: le combat pour obtenir réparation des dommages, chacun se renvoyant la patate chaude ?

      Un peu comme la météo policière de Monsieur Maillard, excellente, mais quel est le lien coordinateur entre ces 5 branches pour ne pas, soit savourer seul la frite, soit refiler la patate chaude à une autre des 5 entités?

      1. Non, pas de chapitre deux, les problèmes administratifs me tuent, j’ai préféré payer moi-même…
        Tout autre chose : Dans le blog où vous me répondiez en rapport de la retraite anticipée, le Commandant de bord avait éteint le bouton rouge pour bloquer la communication entre passagers… Alors avec un peu de chance, ma réponse paraît ici : Nous avons “fait connaissance” seulement dans les blogs de ce journal… Excusez-moi de n’avoir pas toujours été des plus agréable. Je me présente moi aussi : Trop vieux pour avoir envie de continuer à travailler « chez moi dans mon pays » malgré la belle vue sur le lac Léman et les montagnes, pas encore assez pour renoncer à filer en mer pour y vivre sur mon voilier…

        Bonne chance chez vous dans votre maison, pour continuer à créer. C’est ainsi que je souhaiterai vivre dans ma maison étanche sur les vagues, c’est un plaisir qui n’a pas de prix.

        1. Ah bon l’ami, et qui sait, si je vends ici, on va s’associer un jour pour un vieux buque-atelier, et vogue la Méditérrannée, qui sait, les sales tronches ont parfois de belles vertus!

          Enfin sans rancune, l’ami

          🙂

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