Policiers et journalistes : les frères ennemis

En marge des manifestations des gilets jaunes à Paris, des confrontations violentes entre certains manifestants et certains policiers et du recours par les forces de l’ordre aux LBD (lanceurs de balles de défense), nombre d’interrogations subsistent dans le traitement de cette actualité par les médias et du rapport de force entre journalistes et policiers.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

Policiers et journalistes : les frères ennemis

Telles ont été les questions – entre autres – abordées dans l’émission Médialogues d’Antoine Droux sur RTS La 1ère ce samedi passé 2 février 2019.

Policiers – journalistes, de nombreuses similitudes…

Deux professions qui présentent des similitudes mais aussi des dissonances et quelques hostilités.

En effet, toutes deux sont existentielles à la démocratie active, l’une dans le domaine de la sécurité publique et l’autre dans celui de l’information publique. Toutes deux sont légitimées par des reconnaissances professionnelles officielles (Assermentation et Registre Professionnel) et toutes deux se nourrissent d’investigations. La première sert le résultat de ses recherches au pouvoir judiciaire, séparé et indépendant ; la deuxième au tout-public (premier organe de démocratie semi-directe) via les médias – médiums.

Les deux professions sont médiums dans leur domaine d’activité.

Des médiums ou filtres que l’une et l’autre des professions incarnent dans le but d’objectiver l’établissement des faits pour les policiers et le traitement de l’actualité pour les journalistes.

Cette cohabitation dans le médium public et démocratique est source de tensions.

Les policiers ayant tendance à cultiver le secret et les journalistes à promouvoir à tout prix la transparence.

Policiers – journalistes, de la défiance…

Le policier, détenteur, représentant et répondant public de nos droits et devoirs peine à rendre compte de ses actes. Peu de policiers sont réellement conscientisés à leur obligation de justification. Dans la plupart de leurs formations initiales, les instructeurs cultivent, au contraire, l’exception, la force virile, une forme de suprématie avec cette propension, fort bien diagnostiquée par le sociologue David Pichonnaz (Dr.) dans son ouvrage “Devenirs policiers” aux éditions Antipodes, voir ici l’interview qu’il accorde à Migros Magazine le 09.08.2017, à vouloir se persuader d’être supérieurs (et irréprochables) aux autres citoyens, résidents, touristes ou migrants.

Les notions intrinsèques de service public avec tout ce que cela représente sont trop peu étudiées en formation de base de policier.

Si cette prise de conscience, cet honneur et cette fierté qu’incombe le service public, en parfaite conformité avec la devise “Servir et protéger”, présideraient les séances d’admission, bien des postulants revisiteraient, voire renonceraient, à leur engagement alors que d’autres, s’étant sentis peu concernés jusque-là ou ayant été écartés lors des recrutements, rejoindraient la police. Probablement qu’une meilleure adéquation s’instaurerait alors entre la personne et sa fonction pour moins de désillusions et de dépit, tels qu’enregistrés actuellement dans les rangs policiers.

Policiers – journalistes, certaines conséquences néfastes…

Notamment lorsqu’il s’agit pour le journaliste de publier son travail. Parfois, ce dernier encourt le risque de jeter l’opprobre sur des personnes innocentes et de violer leurs sphères privées dans le rendu d’une actualité par trop immédiate et vulgarisée. Et, pour le policier, le risque existe de couvrir des affaires ou de travestir des rapports afin de surprotéger ses pairs ou quelques accointances.

Lire aussi l’excellente analyse de Richard Werly, correspondant à Paris pour Le Temps, du 31 janvier 2019.

Lié aux questions de rapports entre journalistes et policiers, voir mon Avis d’expert du 13.10.2015 publié par Le Temps.

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

8 réponses à “Policiers et journalistes : les frères ennemis

  1. Le policier, à l’instar du journaliste, n’est que tributaire de son employeur, l’état (ou plutôt le politique) dans le premier cas, l’employeur dans le deuxième.
    Quand l’intérêt des employeurs se rejoignent, c’est la gabegie
    cqfd

    1. Je vous remercie pour votre réaction. Le journaliste n’engage pas l’État raison pour laquelle il n’est pas assermenté et qu’il ne dispose pas de pouvoirs exceptionnels comme celui de l’usage de la force.

      1. merci de votre réponse aussi.
        Ne pensez-vous pas que les gilets jaunes qui ont perdu un oeil (car franchement, avec une visée laser et un fusil “suisse”… dire que l’on a pas visé expressément!) ont plus de pouvoir “exceptionnel” grâce aux médias, même sans être assermentés?

        C’est dans ce sens que je parlais de l'”employeur”. Le policier n’étant que l’exécutant de celui qui lui donne les ordres et pour les français, le ministre de l’intérieur.

        Alors, des brebis noires, il y en a partout et il y en aura toujours, même dans les gouvernements las 🙂

        1. Merci Monsieur Wihlem,
          Il est vrai, et vous avez raison de le préciser, que ce pouvoir de la rue porté par les médias est assez exceptionnel, notamment en France où il est – d’une certaine façon – la compensation de notre démocratie semi-directe. Quant à nous, nous manifestons dans les urnes.
          Mais, n’oublions pas que les policiers disposent aussi de cette expression amplifiée par les médias lorsqu’ils s’expriment à travers leurs syndicats ou même dans leur citoyenneté quotidienne. Les policiers sont aussi – surtout – des citoyens.

          1. Non, rien contre les policiers que l’on peut comprendre, exténués d’être mobilisés, sans arrêt et hors du tachigraphe.
            Alors on n’en voudra pas à nos amis français, sauf une crise qui me semble mal gérée!
            Mais il est toujours facile de juger de l’extérieur, balayons à notre porte
            🙂

  2. Merci d’avoir traité le sujet Policiers-Journalistes, car si je m’intéressais déjà à chacun, j’ignorais tout des rapports entretenus entre ces deux fonctions…
    Vous posez clairement ce que l’on attendrait du couple policier – journaliste : Établissement des faits – Traitement de l’actualité.
    Vous énumérez ainsi les qualités qui peuvent manquer chez le premier, qui pourra « couvrir des affaires ou travestir des rapports » dans un but intentionnel. Il est donc assez clairement fautif plutôt que négligent… Le second bénéficie à mon avis de votre indulgence lorsque vous mentionnez les risques qu’il prend en raison « d’une actualité par trop immédiate et vulgarisée » Mon opinion est que souvent le journaliste ne se soucie pas trop des dégâts qu’il occasionne, et cela me semble manifeste dans la presse d’informations gratuites au propre comme au figuré, qui repeint les faits de l’actualité sérieuse pour lui donner la couleur fluo des faits divers. Vous lui offrez de bonnes circonstances atténuantes, à cet homme dont je ne doute pas de l’image sérieuse donnée le jour de son assermentation, beaucoup moins ensuite. Ce que vous semblez assimiler à de la négligence due à l’empressement et à la vulgarisation de l’actualité, je l’attribue au peu de soucis de respect de la personne jetée en public, parfois comme un chien pas encore écrasé. Tous les jours, dans la presse à grand tirage que j’ai désignée de manière indirecte, cette maltraitance flagrante et crasse saute aux yeux, déjà dans le titre. Pour ceux-ci la « conscientisation de leurs obligations » d’honnêteté intellectuelle, de fiabilité, et de respect n’existe pas ou est inefficace.
    Mon point de vue ne vise pas à déguiser en inoffensif caniche de salon le berger allemand à l’instinct profond latent, ni à noircir le blanc pigeon qui file à grande vitesse pour livrer à temps son article accroché à la patte. Je souhaiterais simplement une vision moins orientée, qui à mon avis tend plus à mettre en avant le mauvais policier que le mauvais public, dans lequel j’inclus la grande majorité des journalistes de la presse romande que je ne veux plus prendre au sérieux. Mais la fonction pour laquelle vous êtes désigné, qu’au fond j’ignore dans ses détails, réclame peut-être cette orientation : Avez-vous la fonction officielle d’observateur de la police, chargé de prévenir ou garantir que celle-ci serve et protège le public. Exclusivement cette fonction bien définie ? Je comprendrais alors mieux que vous soyez l’avocat qui n’a pas le rôle du juge que l’on veut impartial…

    1. Bonjour Monsieur,
      je commence par la fin. J’agis officiellement lorsque j’effectue une analyse de pratique, par exemple, pour le compte d’une police d’un canton ou d’une commune. Lorsque je participe à une émission radio comme Médialogues, je suis libre de mes commentaires. Cela est possible car je préserve en toutes circonstances un statut d’indépendant. Je suis soumis au secret de fonction que dans les limites du dicastère de mon mandat. À la différence du policier, je n’établis pas les faits le long d’une enquête à destination du pouvoir judiciaire. En conséquence, je peux – je dois même selon la volonté du Conseil fédéral exprimée lors de l’introduction du Brevet fédéral de policier en 2003. Conseil fédéral qui suggérait que des intervenants extérieurs et critiques forment et agissent pour le compte de nos polices – être critique tout en étant rigoureux.

      Si vous avez discerné dans mes propos et mon texte une sévérité accrue à l’encontre des policiers, c’est qu’effectivement ceux-ci disposent de pouvoirs bien supérieurs à ceux des journalistes : (je le répète volontiers car c’est important) la coercition incluant l’usage de la force, de la contrainte et de la privation momentanée de liberté ainsi que le pouvoir discrétionnaire leur permettant d’interpeller, par exemple, n’importe qui n’importe où dès lors que des soupçons ou indices professionnels sont apparus.
      En résumé, les journalistes peuvent provoquer des dégâts d’image et de notoriété. Je le concède avec vous, c’est grave.
      Mais, les policiers peuvent provoquer des exactions, et vous conviendrez avec moi, c’est encore plus grave.
      À bon entendeur, Frédéric Maillard

      1. Merci de votre réponse où vous m’expliquez en détail votre fonction. Votre équivalent n’existe pas dans le domaine du journalisme qui ne présente pas des risques potentiels de même nature, moins graves (en rapport des conséquences) dites-vous. J’estime que les conséquences d’un journalisme tel que l’offre le quotidien lu en moins de 20 minutes seront mesurables à plus long terme. Et là je parle de la forme sous laquelle est donnée l’information, qui dans ce journal vise à satisfaire un intérêt d’un autre ordre que ce que procure Le Temps. C’est un autre lectorat, que je ne juge pas dans son ensemble parce qu’il serait difficile d’y évaluer la proportion de « casseurs ». Bien moins difficile de se représenter cette proportion dans la salle de rédaction, ils apparaissent en bon nombre sous leur plume. Des voyous dans l’âme ou de simples imbéciles qui exercent la profession de journaliste… Si je cite des titres tels que « Pan dans l’oeil ! », ou « Il se prend le poteau en pleine poire », dans le contexte d’un grave accident, vous me répondrez que ce ne sont que des images, cela ne justifierait pas d’emmener le rédacteur au poste de police : Ni dégâts réels ajoutés au malheur, ni injures, rien de répréhensible parce qu’inclassable. Mais entrons maintenant à un degré supérieur dans le blog de ce journal, qui prévoit une charte à l’intention des commentateurs, ainsi qu’un bouton « Dénoncer ce commentaire » : Cela fonctionne bien, oui, il faut compter entre une dizaine de minutes et… trois jours pour voir le message effacé, c’est selon. Trois jours, par exemple, après que j’ai dénoncé un commentaire ayant pour titre : « Un bon flic est un flic mort ». Rien de grave, il n’y a pas eu meurtre, on a déjà entendu ce dicton ailleurs, alors pourquoi pas dans un journal ?.. Ces trois jours ont permis la publication de deux réponses au commentateur, la mienne d’abord : « Vous pourriez faire l’objet d’une plainte pour incitation à la haine, même si le policier n’est pas considéré comme d’un genre particulier ». La deuxième réponse a été celle d’un policier : « Voudriez-vous que l’on vienne annoncer à mon fils de 5 ans que son père est mort ?.. » Trois jours qui ont permis ce petit débat afin de distraire les lecteurs, autant de Likes-up que de downs, comme au foot, sauf qu’au foot la casse c’est juste après. Pour les flics ce sera dans une semaine, un mois, toujours… « Les journalistes peuvent provoquer des dégâts d’image et de notoriété, c’est grave. Les policiers peuvent provoquer des exactions (dont mauvais traitements, sévices), et vous en conviendrez avec moi, c’est encore plus grave ». Je n’en conviens pas entièrement, parce que le journaliste, qui a offert d’entrée une tribune à l’incitateur à la haine (il sait lire la charte), je lui attribue une part de responsabilité dans les phénomènes de violence gratuite (sévices) en groupe contre les forces de l’ordre. Mais celui-ci n’a pas, il est vrai, exercé de maltraitance de ses propres mains. Il n’a qu’assuré la transparence totale dans ce blog en ne censurant pas immédiatement le voyou qui lui ressemble. « Les policiers disposent de pouvoirs bien supérieurs à ceux des journalistes », mais le pouvoir d’influencer toute une partie faible de la population ils ne l’ont pas, sinon avec quelques affiches (destinées à tous) du genre « La police est avec vous ». C’est ainsi bien à-propos que nous pouvons nous poser la question : « Avec qui sont ces journalistes ? » Les policiers sauraient nous répondre : « Avec leurs frères amis ».
        En conclusion, Monsieur Maillard, les articles que vous nous fournissez ont une portée dans un sens positif, ne sont pas purement informatifs, génèrent des opinions et peuvent mener à un meilleur climat auquel vous participez en travaillant pour que « La police soit avec nous ». Et pour que nous ne soyons pas avec elle le journalisme que je dénonce n’a pas une portée moindre, en laissant passer dans ses blogs des commentaires que vous effaceriez dans les vôtres (car je ne pense pas que votre notion de liberté d’expression est celle d’un Dieudonné). Ce que vous évaluez « grave » ou «bien plus grave » ne l’est pas sur le même terrain. Songez au terrain de vos blogs, en rapport au terrain où vous êtes observateur, au travail que vous faites entre le premier et le second, et au travail que font ces journalistes qui ont le pouvoir de générer la violence à effet retard sans mettre le nez dehors…

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