(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)
En complément de l’interview accordée au Migros Magazine, rubrique L’expert, du lundi 6 août 2018.
Y a-t-il un profil d’agresseurs de policiers ?
Non, pas à ma connaissance. Dans les témoignages que je réceptionne lors de mes analyses de pratique, me sont cités aussi bien le conducteur d’un certain âge, apparemment aisé, au volant d’une voiture de sport, soudain contrarié lors d’un contrôle routier ordinaire… que des auteurs présumés de violences conjugales. C’est pourquoi chaque témoignage doit être contextualisé.
J’encourage les policiers à dénoncer systématiquement toutes les agressions qu’ils subissent. Ainsi, auditions et enquête permettront d’établir les causes.
Le sentiment de peur est-il en hausse chez les policiers ?
Le policier négocie souvent avec la peur. Pas plus hier qu’aujourd’hui. La peur et à contrario le courage sont pour moi les pièces de voûte des matières à traiter en profondeur lors des formations de police. Je “bataille” avec certains policiers qui brandissent leurs gabarits musclés mais qui n’osent pas dénoncer l’infraction qui se produit dans leur corporation et sous leurs yeux ou qui se taisent devant les discriminations sexistes que subissent leurs collègues féminines parce que les auteurs sont des pairs, des “frères d’armes”. Ils craignent l’exclusion du groupe professionnel. Alors que tout au contraire, lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables, sans autorisation de séjour par exemple, ils débordent d’ardeur. On a le devoir, face à de telles ambivalences, de repenser la fonction de police civile en situation de paix.
Toute police qui renie ses failles et ses erreurs se mutile et s’enferme dans un cercle infernal alimenté par trois illusions : la surpuissance, l’intouchabilité et la redevabilité.
Quelles résolutions ?
La première : améliorer et augmenter le contenu et la durée de la formation initiale du policier généraliste.
Toujours en lien avec la question précédente, nous devons renforcer les cours ayant trait aux valeurs constitutives de notre État de Droit, les cours de sociologie des foules, de prévention et de proximité. Cela nécessite de tripler la durée de formation de base (actuellement neuf mois ou 1’800 leçons/périodes d’environ 45 minutres pour la formation initiale de policier généraliste en Suisse ndlr.) et de l’agencer dans des centres de compétences pluridisciplinaires à l’exemple des Hautes écoles spécialisées. Ainsi, la durée de formation initiale pour un policier accéderait à celles des professions du social ou de la santé.
Une formation plus large, documentée, impliquant davantage de ressources et de compétences extérieures et pluridisciplinaires offre une couverture de protection plus importante au policier victime d’agression. Ce dernier peut alors recourir à des références et des soutiens distanciés, bien plus variés que ceux qu’ils trouvent conventionnellement dans son corps et sa chaîne de commandement.
La deuxième : élargir les conditions d’admission dans les corporations.
Et non plus privilégier, comme c’est toujours le cas actuellement, les conditions physiques. Susciter des talents policiers implique de se pencher sur des candidats qui sont capables d’objecter, de critiquer et de proposer des innovations permanentes. Je rencontre encore trop de policiers de terrain qui subissent, se taisent et souffrent dans leur personne. Ils craignent d’incommoder leur carrière et de se faire mal voir par leur hiérarchie, écrasés qu’ils sont par les ordres de service et la crainte d’être disqualifiés. On en revient à la fameuse redevabilité, évoquée plus haut, qui survient comme une désillusion après avoir cru durant les premières années d’exercice aux sentiments de surpuissance et d’intouchabilité.
Témoignages de policiers dans le dernier Migros Magazine du 6 août 2018
Blog du 4 décembre 2017 traitant des violences à l’encontre les policiers
Selon moi, dans les résolutions proposées, il manque le volet « justice ». Si les magistrats appliquaient tout simplement le droit avec le même zèle que quand il s’agit de sanctionner un policier défaillant, ça permettrait de réduire ce sentiment d’impunité qui solidifie les délinquants.
Notre législation permet de punir déjà les violences contre les fonctionnaires : « Art. 285 Violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires : 1. Celui qui, en usant de violence ou de menace, aura empêché une autorité, un membre d’une autorité ou un fonctionnaire de faire un acte entrant dans ses fonctions, les aura contraints à faire un tel acte ou se sera livré à des voies de fait sur eux pendant qu’ils y procédaient, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »
Tout le monde a pu voir avec effroi des affiches de la FSFP de policiers blessés sur les murs de nos villes. Je me désolidarise complètement de cette campagne désastreuse. Comment peut-on incarner la force publique et se plaindre ostensiblement de violence ?
Ce genre d’ineptie n’est pas faite pour sécuriser le citoyen alors que le premier rôle de la police est de rassurer la population, de garder la paix !
Ce qui m’inquiète le plus, ça n’est pas tant les agressions contre les policiers qui ont les armes pour agir et qui sont entraînés en conséquence, mais c’est la violence gratuite qui se généralise contre les simples citoyens.
Premier témoin de ces violences, chaque policier a constaté dans sa carrière combien de victimes restent dans la douleur, affligées et tourmentées pour longtemps à la suite d’une agression.
Nous sommes trop attachés au passé. Nous écoutons ce qui a toujours été fait. Autrefois, on pouvait penser que les hommes étaient moins féroces quand ils étaient moins misérables. Aujourd’hui les temps ont changé. Le temps d’un week-end, des personnes bien intégrées socialement se transforment en hooligans assoiffés de bestialité et de violence. À Genève, de sales types tabassent presque à mort des jeunes femmes qui refusent leur harcèlement de rue (etc).
Notre État de droit s’est doté de tous les outils pour lutter contre ce phénomène. Le seul problème c’est que les magistrats accordent beaucoup trop d’importance aux états d’âme des délinquants. Si la justice se montrait d’une plus grande sévérité envers les criminels qui s’attaquent aux personnes, je suis convaincu qu’il y aurait un effet dissuasif. Nul doute qu’un employé de banque qui aime faire le coup de poing chaque week-end avec ses amis casseurs serait moins enclin à passer à l’acte s’il savait qu’il allait passer plusieurs mois en prison en cas d’interpellation.
La violence est une dette à l’égard de la victime. Seule la justice a la légitimité de réparer cette dette. Qu’elle prenne ses responsabilités et qu’elle cesse de se montrer trop clémente, voire indulgente, envers ceux qui gâchent la vie de personnes qui n’aspirent qu’à vivre dans la sérénité !
PS : nom connu de l’auteur du blog (devoir de réserve oblige)
Cher “un policier romand”,
je vous remercie pour votre contribution. Je me suis contenté d’exposer des résolutions policières propres au pouvoir exécutif, respectant en cela la séparation des pouvoirs au sein de notre État de Droit. Je n’ai, par conséquent, pas présenter les résolutions du pouvoir judiciaire auquel vous faites allusion.
Ceci dit, pour m’être entretenu à plusieurs reprises avec des magistrats (et des avocats) je constate que ceux-ci disposent de considérants qui échappent au tout public.
Peut-être et en raison de ce que vous affirmez vaudrait-il la peine d’échanger davantage entre les professions. Est-ce que des policiers interviennent en école de magistrature ? Est-ce que d’anciennes victimes témoignent dans les écoles de polices ?
Je souhaite accroître les échanges pluridisciplinaires critiques dans nos formations pour combler les lacunes.
Je n’oublie pas vos propos et serai tout particulièrement attentif lors de mes prochaines interventions.
Bien à vous,
Frédéric Maillard