Devenirs policiers. Pleine actualité !

London Bridge

Plus que jamais – après le troisième attentat meurtrier, en moins de trois mois au Royaume-Uni, ce 3 juin passé sur le London Bridge* – il est nécessaire d’incarner nos valeurs démocratiques et d’expertiser nos résistances morales et structurelles le long de la chaîne sécuritaire civile suisse.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

La moitié des maillons de cette chaîne sécuritaire concernent des services de polices. Dans notre pays, on en dénombre une vingtaine. Ils sont logés au sein d’environ 80 institutions (fédéralisme) et animés par plus de 120 métiers ou perfectionnements professionnels (de l’enquêteur-îlotier au spécialiste explosifs en passant par l’inspecteur judiciaire). J’entends par “services” aussi bien ceux des renseignements fédéraux que ceux réunis dans les réseautages de proximité de nos polices municipales.

Les services sécuritaires militaires, quant à eux, en temps de paix, ne sont que partiellement mobilisés pour des tâches auxiliaires et de soutien aux forces de l’ordre.

D’un bout à l’autre de la chaîne

J’ajouterais que cette chaîne, aussi solide que puisse offrir son apparence, reste vulnérable. Notamment lorsque ses tous premiers maillons en charge du recrutement et de la formation des aspirants policiers présentent de sérieuses lacunes. Car auprès de ces derniers seront déléguées nos capacités exécutives de prévention de nouveaux attentats mais aussi de protection et de lutte contre leurs méfaits.

Un long et patient travail de proximité physique dans les quartiers d’habitation et sur les réseaux sociaux câblés permet le démantèlement des groupuscules terroristes en Europe. Il est donc crucial que nos futurs policiers puissent acquérir les aptitudes et les outils nécessaires à la détection de toute radicalisation meurtrière durant leurs formations de base.

Un livre vient de paraître et nous offre l’occasion de nous pencher sur la formation de base du policier.

Devenirs policiers : un livre qui éclaire !

L’ouvrage Devenirs policiers aux éditions Antipodes du sociologue David Pichonnaz, issu de sa thèse de doctorat, apparaît comme une oasis de verdure dans le désert de la littérature policière scientifique de Suisse romande. L’auteur décrypte la formation et le parcours de celles et ceux qui rejoignent la force publique en Suisse romande. L’étude de terrain est basée sur une immersion dans une école de police et sur des entretiens approfondis menés avec des policières et des policiers fraîchement entrés dans le métier.

Extrait du communiqué de presse du 10 mai 2017 à Lausanne :

“…

Une profession en tensions

Dans le monde policier romand, les matières traditionnelles d’exercer le métier se trouvent mises en questions par des policiers que l’on peut qualifier de “réformateurs”. Ils ont pour projet de changer la police, se servant de la formation comme outil de réforme. Ces acteurs défendent une vision large des objectifs et compétences des policières et policiers…

Une formation marquée par la violence

Grâce à des séjours répétés effectués au sein de l’Académie de police de Savatan et des entretiens menés avec des formateurs dans toute la Suisse romande, l’auteur montre que ces efforts réformateurs se trouvent face à de nombreux obstacles, à commencer par la présence d’autres formateurs enseignant des modèles professionnels largement plus traditionalistes.

…”

Trois questions à David Pichonnaz

Rencontre de visu effectuée en date du 1er juin 2017 à Lausanne :

1. Monsieur Pichonnaz ; comment la parution de votre livre – au titre évocateur – est-elle accueillie et perçue ?

– Je me suis rendu compte que les activités policières et leurs enjeux soulevaient un intérêt important de la part du public. Mais, par ailleurs, je regrette que beaucoup d’études qui traitent des polices et de leurs activités restent confidentielles. Les chercheurs devraient davantage communiquer et diffuser plus largement leurs résultats, entre universités et institutions de police notamment.

2. Dans votre travail, vous relevez une nette différence entre les matières traditionnelles (ex. actions tactiques, maintien d’ordre, etc.) et réformatrices (ex. psychologie, éthique relationnelle, etc.). Quelle est donc cette différence ?

– Les matières que j’appelle réformatrices sont moins valorisées, moins légitimées dans la formation. Leur enseignement est essentiellement assuré par des femmes, des intervenants de l’extérieur et quelques hauts gradés. Aux yeux des aspirants, ce sont les membres des unités spéciales, par exemple, qui sont la référence. Je me questionne donc sur la pertinence d’une formation qui est si éloignée de la réalité du métier, avec une place si faible allouée aux savoir-faire relationnels.

3. Vous affirmez donc que la formation du policier romand est en décalage avec la pratique du métier ?

– En effet, elle est très centrée sur les usages de la force et de la contrainte. Alors que les études empiriques sur le travail policier montrent que l’essentiel des tâches policières sont d’ordre relationnel. De plus, comme certains cadres policiers le défendent, on peut penser que plus on est formé à l’usage des outils coercitifs, plus on risque de s’en servir souvent. Ainsi, de nombreux outils alternatifs, comme la médiation, la négociation ou la persuasion, sont rendus peu visibles par une formation qui se concentre sur la coercition.

 

Compléments écrits et audio-visuels

à lire :

Devenirs policiers communiqué de presse du 10 mai 2017

Article de Sylvie Arsever Le Temps du 28 mai 2017

à écouter :

Émission radio RTS Espace2 « Versus penser » du 10 mai 2017 ou/et émission radio RTS La Première « Tribu » du 2 juin 2017 sur RTS ou fredericmaillard.com

 

*Attentats au Royaume-Uni en 2017

Le 22 mars 2017, un homme à bord d’une voiture fonce sur des passants sur le pont de Westminster à proximité du Parlement Britannique à Londres, avant de poignarder un policier à l’intérieur du Parlement Britannique. Cinq morts (dont le policier) et au moins cinquante blessés. Cette attaque a eu lieu un an jour pour jour après les attentats de Bruxelles qui ont provoqué la mort de trente-deux personnes.

Le 22 mai 2017, un attentat-suicide fait au moins vingt-deux morts et cent seize blessés à la sortie du concert de la chanteuse américaine Ariana Grande dans la ville de Manchester. Les victimes sont pour la plupart des jeunes femmes, des adolescentes ou des enfants.

 

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

2 réponses à “Devenirs policiers. Pleine actualité !

  1. Une erreur lors de la maîtrise d’un individu peut blesser bien plus qu’un mot malheureux. Si les techniques d’intervention forment une part prépondérante de la formation c’est qu’elles ne sont pas enseignées ailleurs et que la sécurité des intervenants en dépend dès le premier jour de travail. Le relationnel professionnel s’apprend au contact de la population et des collègues plus expérimentés. On peut dès lors attendre que le policier affine ses compétences sociales dans ses premières années de pratique.

    L’accent à mettre sur le relationnel aurait certainement sa place dans une refonte de la formation avec une augmentation de la durée de cette dernière. Jusqu’à la mise en place du brevet « fédéral », le certificat cantonal vaudois d’agent de police était délivré après deux années de formation, une théorique et une pratique, sanctionnées toutes deux par un examen. Si une formation « Bachelor » en sciences policières, comme c’est le cas dans de nombreux pays (Suède, Norvège, certains Lands allemands) est intéressante, surtout afin de revaloriser la profession, il n’en reste pas moins que cela provoquerait un changement quant au bassin de recrutement, éloignant un peu plus certaines catégories de la population.

    1. Bonjour Monsieur,
      je vous remercie pour votre commentaire de qualité.
      Je ne suis pas sûr, selon mes constats, que les mots blessent moins car ils sont beaucoup plus nombreux que les gestes. Vous avez raison de préciser que les techniques de contrainte proportionnées nécessitent un grand nombre d’heures d’apprentissage. Je déploie aussi beaucoup d’énergie afin que les policières et policiers puissent bénéficier des meilleures techniques et tactiques et des moyens armés les plus sophistiqués. Cela n’empêche pas que le relationnel soit valorisé et augmenté en heures de formations de base et continues. Je suis persuadé qu’un agent doté d’un grand bagage comportemental et relationnel est avantagé sur sur le plan tactique. Qu’entend-on par relationnel ? Selon moi, et à l’exemple des polices scandinaves et du nord de l’Europe, le relationnel comprend l’apprentissage méthodologique de la construction d’un réseau de proximité, de la détection des radicalismes, implique d’aborder les questions de négociation (alors même que la plupart des corporations de police européennes bénéficient de négociateurs spécialisés). Le relationnel c’est aussi acquérir des compétences d’enquête et d’argumentaire pour présenter et défendre un dossier devant d’autres enquêteurs ou des juges, selon les circonscriptions et juridictions.
      Je me méfie des conseils transmis par les anciens les premières années. Leurs expériences sont précieuses et doivent être partagées avec les nouveaux. Mais, si l’on a le désir de renouveler les pratiques, il y est nécessaire de contourner les nostalgies et les “on a toujours fait comme ça…” qui écrasent les institutions et les empêchent bien souvent d’évoluer.
      Le Bachelor en sciences policières c’est l’avenir. Je suis d’avis que nous devons élargir le bassin de recrutement à de nouvelles compétences et quitter la prédominance des exigences physiques et des aptitudes à se soumettre aux docilités d’un corps par trop hiérarchisé. Je rêve de policiers aux profils variés, autonomes, praticiens réflexifs, capables de résister aux pressions internes et capables de dénoncer les affaires complaisantes quelles qu’elles soient. Toutefois, et vous avez encore raison, tout en maintenant des passerelles et des validations d’acquis pour permettre à toutes les “catégories” de la population d’y accéder (du détenteur CFC à l’universitaire). Aujourd’hui, par exemple, la Police Judiciaire de la République et canton de Genève peine à recruter des diplômés universitaires – qui composaient environ le 50% des aspirants auparavant – car ces derniers ne veulent pas, avec raison, se soumettre aux parades infantiles de l’Académie de Savatan.

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