Infantilisation à l’Académie de Savatan ?

Telle est la question que l’on se pose à la lecture – surréaliste – du Guide de l’aspirant de l’Académie de Police de Savatan.

(Le féminin est compris dans le texte – 2 minutes de lecture)

Des aspirants immatures ?

– Sait-on là-haut sur le rocher que les apprenants sont adultes et ont été éduqués avant leur entrée en cursus ? Dans le doute, pourquoi les aurait-on engagés ?

– Sait-on qu’ils ont été auditionnés, sélectionnés tout au long du processus d’admission par des corporations étatiques municipales, régionales et cantonales vaudoises, valaisannes et genevoise ? Ceci, bien avant que ces mêmes corporations les confient à l’Académie.

– Sait-on que ces aspirants bénéficient de contrats de travail les liant exclusivement à leurs Corps et Départements respectifs (par exemple celui de l’État de Vaud avec sa loi sur le personnel) avant, pendant et après (en cas de réussite) leur formation d’adulte ?

Ces questions ne sont pas anodines. L’Académie de Savatan n’est pas une entité policière en soi et n’a pas pour vocation de mener des actions coercitives, elle n’a pas l’autorité ni ne dispose de capacités opérationnelles.

Ce « guide » continue de faire parler de lui, comme dimanche passé 30 octobre (2016) sous la plume de Raphaël Leroy dans Le Matin Dimanche. Depuis 2013, il est aussi l’objet iconique des retrouvailles et des carnavals des anciens aspirants.

Je vous invite à vous le procurer et à lire ces 20 pages (sans compter la somme des annexes). Dans le menu détail, il explique à la mère et au père de famille comment se moucher, comment serrer une main, comment marcher… Bref, comment subir dans la plus minable des positions humaines les innombrables conventions dogmatiques de ladite académie… conventions qui, pour le coup… de grâce, ne collent absolument pas aux exigences des employeurs responsables du recrutement des aspirants…

Le contre-exemple parfait !

Un “guide” qui pourrait bien induire auprès des futurs agents du service public l’inverse de ce que nous sommes en droit d’attendre d’eux.

Il trompe l’aspiration policière et brise son évolution. Je ne sais pas vous ? Mais moi, j’aspire à forger une assermentation de policiers qui puissent interroger la légitimité des grades qui les entourent et auxquels ils seront naturellement conviés un jour. Je rêve de policiers qui puissent s’opposer, et le cas échéant, dénoncer ou corriger sur le champ le comportement indigne et immoral de plusieurs instructeurs et intervenants de cette même Académie. Je rêve de policiers qui puissent initier leur développement personnel en toute responsabilité – tel que le prévoit légalement leur pouvoir discrétionnaire -, marcher à contre-courant, au nom du Droit, s’il le faut. Autant de qualités et de caractéristiques intrinsèques à la nature du policier qui ne démord pas face aux crimes puissants, mobiles et maléfiques.

Je crains que les ressortissants de Savatan s’écraseront, encore et toujours, devant les injustices auxquelles ils sont parfois confrontés dans le cadre de leur formation. Continueront-ils de se murer dans un silence de plomb jusqu’à l’obtention de leur Brevet fédéral ?

Pour terminer, j’aimerais rappeler la faille cruciale qui ressort de toutes les analyses de pratique professionnelles et comportementales effectuées auprès de policiers suisses en exercice, et ce, depuis neuf ans : une majorité d’entre eux nous signale souffrir d’un manque de reconnaissance et de considération.

Ce guide n’aide pas.

Deux courts extraits du Guide de l’aspirant :

7.1 L’entretien

… Ne faites rien de votre propre chef sauf oubli manifeste de votre interlocuteur… ne vous balancez pas d’une jambe sur l’autre, ne triturez pas d’objet pour vous donner une contenance,…

7.2 Attitude à l’extérieur

Lors de déplacements à pied en compagnie d’un supérieur vous devez vous placer à sa gauche. Si vous êtes deux, le plus gradé se place à sa gauche et le second à sa droite ou à quelques pas en arrière.

 

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

7 réponses à “Infantilisation à l’Académie de Savatan ?

  1. Quand l’attitude d’une minorité laisse à désirer, il est peut-être utile de rappeler un peu de savoir-vivre!

    1. Bonjour Monsieur Fumeaux,

      je vous remercie de réagir. Je vois bien ce que vous voulez dire mais ne faites-vous pas de confusion entre éducation et discipline ? La vie collective exige une discipline. Par contre, doit-on éduquer des candidat-e-s de police ? Si oui, je considère qu’il y a des lacunes graves au niveau du recrutement. D’autre part, il y a lieu de contextualiser. Dans le cas précis nous nous trouvons en formation continue d’adultes niveau brevet fédéral tout de même… Enfin, ne confondons pas l’instruction militaire – dépendante d’autres juridictions – de celle de la police civile.

    2. N’importe quoi (réponse de Thierry à M. Fumeaux ndlr). Savatan tue dans l’œuf toute forme d’initiative. Un bon flic est un flic qui prend des initiatives, le jour où il sera dans le terrain à résoudre une intervention compliquée le guide ne lui servira à rien!
      Les nouveaux agents arrivant sur le terrain n’osent plus prendre de décision alors que cela peut s’avérer crucial parfois, ils attendent toujours qu’on leur dise quand et comment…

  2. Très cher ami, avant tout je te remercie d’être toujours si bienveillant envers les Corps de police de nos sociétés démocratiques, tu es une fois encore si pertinent, ancien policier l’article qui fait mention de ce manuel d’instruction m’a rendu malade, tant par la l’immaturité de la direction de l’Académie, que par la soumission endogène des Corps de police, de leurs États-majors, qui acceptent sans sourciller les flétrissures infligées à l’honneur professionnel, pour ma part j’ai cotoyé ces gens à en vomir et peine à ( re ) trouver un sens au service public, si ce n’est idéologique… Comment les Cantons suisses concernés par l’Académie de Savatan peuvent-ils laisser faire ?

    1. Cher Yves Patrick,

      Merci pour ton retour.
      Je n’y peux rien.
      Je ne m’oppose pas à l’existence d’un centre de formation à Savatan. Ce sont les bénéficiaires eux-mêmes (les plus courageux – hic!) et nombre de collaborateurs parmi lesquels des officiers et sous-officiers expérimentés et respectés, qui, année après année, m’ont alerté sur leurs conditions d’apprentissage, de travail et de vie indignes et dégradantes. C’est ainsi que Savatan est venu à moi et que j’ai alors découvert, avec force d’éléments factuels, que la gouvernance de ce centre était inadéquate. Quant aux politiques, notamment les organes exécutifs, elles et ils sont informés mais choisissent manifestement de diluer les valeurs de notre Constitution dans une marmite régionale au fort accent économique… Le recyclage de fonctionnaires dont on ne souhaite plus la présence dans les corporations opérationnelles de police est une autre explication à la non résolution des problèmes constatés.

  3. J’ai une quinzaine d’années de service sur le terrain et dans la formation. Discipline, obéissance et rigueur sont des qualités indispensables à l’exercice du métier de policier. Celui qui n’a pas une haute estime de ces valeurs, doit véritablement songer à faire une autre profession. Ceci étant dit, je ne peux que valider l’analyse lucide et pertinente de M. Maillard.

    Hélas, je crains que ces vérités ne soient inaudibles pour la hiérarchie policière, bien trop souvent recroquevillée sur elle-même dans un réflexe conditionné de protection. Pour une telle hiérarchie, la moindre remarque, peu importe qu’elle soit valable ou non, a l’effet de la goute de citron sur l’huitre. La remise en question ne fait pas partie des prérequis pour exercer cette profession, ni des compétences nécessaires pour accéder à une fonction dirigeante. Ce qui dans les entreprises florissantes est perçu comme une valeur à encourager et à développer, à la police la remise en question semble faire peur. Surtout lorsque c’est, comme M. Maillard, un non-policier qui nous y invite.

    À mon avis, une police qui fait preuve de maturité va oser encourager les individus à remplir leur uniforme ; une police immature va préférer que ce soit l’uniforme qui remplisse l’individu. La bonne nouvelle, si je puis dire, c’est qu’un certain nombre de stagiaires, une fois en poste, osent dénoncer ce qui ressemble à leurs yeux plus à du formatage qu’à une formation d’adultes.

    Peut-être est-il donc temps qu’un membre du pouvoir politique se penche sur cette question avec sérieux et indépendance (!), pour ne plus laisser la police faire sa « petite cuisine » comme elle l’entend, sous prétexte que seuls ceux du sérail sauraient ce qui doit être fait et comment. Mais on le sait, la hiérarchie policière n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite. C’est d’ailleurs cocasse cette hiérarchie policière qui sait se montrer si prompte à dicter à autrui sa conduite, au nom de l’obéissance et de la discipline, et qui peut être soudainement si rétive, voire indisciplinée, lorsque c’est à elle de se soumettre à des directives qui lui déplaisent. Peut-être que finalement la question de la discipline des aspirants n’est qu’un révélateur de la nature des cadres et de leur capacité à exercer le pouvoir adéquatement ?

  4. Ce qui me rassure, c’est que malgré cet abrutissement parfois surréaliste, où les individus comptent moins que les gens de pouvoir, la plupart des aspirants savent faire la différence entre le théâtre et la « vraie vie ». Après quelques heures ou quelques jours pour les plus balourds, ils redeviennent des policiers responsables et respectables.

    Malheureusement, ceux qui les accueillent et les affranchissent dans la « vraie vie » sont généralement des anciens, parfois des crétins patentés. Certains sont même connus comme tels au sein des hiérarchies, mais pour autant toujours chefs. L’Académie n’est donc pas seule responsable de cette infantilisation. Pour les plus fragiles, pour ceux qui ont le moins de caractère, ou encore pour celui qui veut « réussir », c’est le système institutionnel sclérosé qui est la cause de bien des maux.

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