Libérons les policiers de tout maintien d’ordre !

(3 minutes de lecture)

(Le féminin est compris dans le texte)

Une activité chronophage

Le maintien d’ordre engloutit des milliers d’heures d’entraînement et de présence, fort onéreuses. Ce, au détriment des urgentes et complexes investigations des milieux et réseaux pédophiles, terroristes et extrémistes de tous bords.

Le maintien d’ordre éloigne le policier de ses missions essentielles que sont la prévention, la protection des personnes, l’accueil des plaintes, l’enquête, l’interpellation et la garde à vue (appelée aussi arrestation provisoire ou de courte durée). Voir Habilité du policier suisse.

Le maintien d’ordre n’est pas une nécessité policière

A l’examen des principales compétences de police, notamment celles nécessitant un solide secret de fonction, le maintien de l’ordre est bel et bien une des tâches que l’on pourrait soustraire sans conséquences néfastes. La prestation du maintien d’ordre est étrangère à l’intrinsèque vocation des polices de bien public. Elle se réfère à des tactiques militaires et fait appel, dans les situations extrêmes, à des modes opératoires qui s’apparentent à une forme de guérilla urbaine.

Qui pourrait s’en charger alors ?

Des agents d’Etat assermentés, autres que policiers, pourraient se charger des opérations de maintien d’ordre, accompagnés qu’ils seraient de quelques policiers judiciaires ou tacticiens.

Par exemple, en Suisse, les Assistants de Sécurité Publique Niveau 3. (ASP3), moyennant un complément de formation, seraient tout à fait aptes au maintien d’ordre lors de manifestations publiques ou sportives. Ils seraient encadrés par des policiers expérimentés qui, le cas échéant, procéderaient aux contrôles, fouilles ou interpellations. Ces ASP3 sont des auxiliaires de police aux compétences variées (voir l’exemple genevois). Il sont uniformés et armés.

Quatre avantages d’intérêt public

Je vois quatre avantages à libérer nos policiers de terrain de tout maintien d’ordre lors des manifestations publiques.

  1. Soulager les ressources humaines et les dépenses publiques. Transférer le maintien d’ordre préserverait les forces policières judiciaires, d’enquête, de proximité, de prévention des violences et déprédations, de sensibilisation et de protection de l’environnement.
  2. Encourager et faciliter l’entraide intercantonale. Les différentes directions et corporations de polices pourraient plus facilement mettre à la disposition de leurs pairs et voisins le personnel non policier affecté au maintien de l’ordre sans obliger les policiers en exercice à interrompre le fil des enquêtes et des procédures en cours.
  3. Élargir le rayon dissuasif. Confier le maintien de l’ordre à des agents professionnels (exemple : les ASP3 – voir plus haut) et/ou à des miliciens de sécurité publique formés et assermentés permettrait encore de diversifier l’identité des interlocuteurs de sanction et par là même de renforcer la dissuasion.
  4. Maintenir l’autorité de l’État de Droit. Ces agents d’État s’investiraient, en dehors des mobilisations de maintien d’ordre, dans diverses tâches de surveillance, de protection et de rétention. Les Assistants de Sécurité Publique le font déjà dans plusieurs cantons. Ainsi, la parenté policière d’une commune ou d’un canton s’en trouverait enrichie.

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

4 réponses à “Libérons les policiers de tout maintien d’ordre !

  1. Bonjour,
    Le maintien de l’ordre suppose d’employer la violence, si nécessaire, pour, précisément, maintenir l’ordre et cela, jusqu’au stade ultime : tuer.
    Il est donc impossible d’envisager de transférer ce pouvoir absolu hors de la stricte sphère publique, même avec des serments.
    Ce n’est ni une question de coût, ni une question d’efficacité mais de morale.
    En revanche, il est facile de déléguer à des agents assermentés des enquêtes internet pour, par exemple, la chasse aux réseaux pédophiles, ou encore : la prévention, la protection des personnes, l’accueil des plaintes.
    La question du secret de fonction peut être résolue elle aussi aisément et me parait , en outre, un problème trivial au regard du pouvoir de tuer.
    Cordialement,

    Jérôme Emerich

    1. Bonjour Jérôme,

      je vous remercie pour votre contribution.
      Vous avez raison, la morale prime.
      La majorité des maintiens d’ordre se déroulent sans heurts. Le lien au public s’assimile donc à celui que nous avons lorsque nous présentons notre titre de transport au contrôleur ou notre billet d’entrée à l’agent de sécurité d’une manifestation publique. Si la manifestation dégénère – et là vous avez aussi raison – l’usage de certaines forces de contrainte serait réservé aux policiers. Le stade ultime que vous évoquez, lors des manifestations publiques, sous nos contrées, est quasiment exclu. Toutefois, je vous l’accorde, nous devons estimer ce risque. C’est la raison pour laquelle je préconise que le maintien d’ordre délégué à des Assistant publics assermentés, par exemple, soit encadré par des policiers.

      S’agissant maintenant des enquêtes internet ou des actions préventives. Je n’ai rien contre la collaboration de tiers autres que policiers. Bien au contraire et cela se fait déjà dans plusieurs polices. Pour moi, ce qui compte, c’est l’étude des ramifications et la bonne juxtaposition des filières criminelles qui ne doivent pas échapper au policier; car à la fin, c’est lui qui défendra le dossier auprès du juge et qui, le cas échéant, interviendra sur le terrain. Dans plusieurs pays nordiques et scandinaves, de telles enquêtes sont déjà en mains de psychologues et autres experts sociaux. Néanmoins, ils entretiennent un lien permanent et étroit avec leurs collègues policiers. Une telle pluridisciplinarité est essentielle et performante. C’est l’avenir. Enfin, l’accueil des plaintes est déjà, dans de nombreuses polices, effectué par des assistant-e-s.

      Cordialement,

      Frédéric Maillard

  2. Sans aucun doute une bonne idée. Malheureusement, celle-ci n’a quasiment aucune chance d’être appliquée dans nos contrées, car le chef de l’Académie de Savatan est un fan du maintien de l’ordre et plus particulièrement des méthodes françaises avec des collaboration avec St-Astier, haut lieu du maintien de l’ordre.

    Tant que l’Académie de police, de Savatan sera aussi militaire, avec toutes les dérives que cela comporte, toute réforme de fond dans le sens que vous préconisez sera impossible.

    Puissent les Cantons de Fribourg, Neuchâtel et du Jura ne pas répondre aux sirènes d’une globalisation romande de la formation : la leur est de bien meilleure qualité et est, qui plus est, bien moins onéreuse pour leurs contribuables !

    1. Bonjour Antoine,

      je partage pleinement votre opinion.

      L’intendance – j’use de ce terme car pour moi il n’y pas de direction dans cette académie – de l’Académie de Police de Savatan (APS) est de mauvaise augure. Son instruction encourage la confrontation plutôt que la résolution. Cet état de fait est, en effet, très grave et fort préjudiciable pour l’avenir de nos policiers. Vous évoquez le lien avec Saint-Astier en France. Ce partenariat est gênant et contrarie nombre de nos élus politiques à Berne et des commandants et chefs politiques et exécutifs de polices alémaniques. Les trajectoires de nos polices et les références géopolitiques entre la France et notre pays sont très différentes. Selon moi et d’autres experts policiers et non policiers, l’APS devrait d’abord faciliter les collaborations avec les sept autres centre de formation de police de notre pays. Y-a-t-il des problèmes de compréhension linguistique ou de crédibilité ou des exigences de sobriété qui ne conviennent pas à l’intendant de l’APS ? En Suisse, nous ne décorons pas nos meneurs d’hommes… Au contraire, nous privilégions la sobriété et la discrétion.
      Enfin, j’aimerais vous rassurer – partiellement -. L’intendant de cette académie n’a plus de pouvoir opérationnel. Depuis qu’il a été démis de ses fonctions de chef de fraction en police cantonale, son influence dans le paysage lémanique est très limitée. Dans les autres cantons et principales villes suisses ses options comme ses actions font sourire… mais aussi… je dois l’avouer… parfois frémir.

      Frédéric Maillard, le 2 septembre 2016 à Berne

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