220 000 demandeurs d’emploi en Suisse: neuf Etats européens font mieux. Dont 81 000 de longue durée (dix-sept font mieux). 365 000 personnes en sous-emploi involontaire. Ce taux de sous-emploi est le plus élevé d’Europe, mais le taux d’emploi… également. Que peut-on en déduire par rapport à l’immigration ? Tentative de clarification. (Photo: Jeremy Dunham)
Les Suisses sont fiers de leurs taux de chômage depuis des décennies, perçus comme très bas en comparaison européenne (1) : 2,3% seulement de la population active en 2019, avant la crise sanitaire. Un record. En réalité, il n’est possible de comparer que ce qui est comparable : soit le taux de chômage selon les critères du Bureau international du travail (BIT). Etabli par l’Office fédéral de la statistique par sondages (OFS), repris par l’OCDE sous la dénomination « taux de chômage harmonisé » (2).
Il s’agit en fait de demandeurs d’emploi tout de suite disponibles, qui ne sont pas forcément inscrits dans les offices régionaux de placement. Cet indicateur passe encore relativement inaperçu, mais de moins en moins. Il est pleinement pris en compte depuis plusieurs années dans les rapports annuels de l’Observatoire de la libre circulation des personnes (coordonné par le Secrétariat à l’économie, Seco).
Performances nationales médiocres
Ce taux de chômage BIT-OCDE en Suisse a été de 4,4% en moyenne en 2019. Ce qui correspond à environ 220 000 personnes. Davantage que la population de la ville de Genève. La Suisse n’est qu’en dixième position à l’échelle européenne : neuf Etats font mieux qu’elle avec un taux de chômage mieux maîtrisé : la République tchèque (2%), l’Allemagne (3,1%), la Pologne (3,3%), les Pays-Bas (3,4%), la Hongrie (3,5%), l’Islande (3,5%), la Norvège (3,7%), le Royaume-Uni (3,8%) et l’Estonie (4,4%). (Moyenne UE : 6,3%. Moyenne zone euro : 7,5%.). Au premier semestre de l’année dernière, la Suisse était même reléguée au treizième rang (3).
Ces Etats sont soumis comme la Suisse à la libre circulation des indépendants et salariés en Europe (le Royaume-Uni jusqu’à fin 2019). D’où cette question, non abordée à ma connaissance dans la littérature fédérale et académique : pour quelles raisons la Suisse ne parvient-elle pas à faire mieux qu’eux ? Ou comment se fait-il que d’autres Etats font sensiblement mieux qu’elle ?
Réponses intuitives possibles : la République tchèque, la Pologne et la Hongrie ont des niveaux salariaux particulièrement peu attractifs pour l’immigration européenne. L’Allemagne a également un salaire net médian plus de deux fois inférieur à celui de la Suisse. Les Pays-Bas sont à peu près au même niveau que l’Allemagne (comme la France, voir les comparaisons de l’INSEE).
Le problème de la libre circulation des salariés européens en Suisse vient d’abord de ce que la Suisse a le marché du travail le plus attractif d’Europe
La Norvège bat tous les records salariaux, mais elle est décentrée et peu attractive sur le plan linguistique. Le Royaume-Uni est faible sur les salaires, mais très attractif sous l’angle linguistique. Sur la base des chiffres, on peut dire que c’est de loin le marché du travail le plus attractif d’Europe, derrière la Suisse et le Luxembourg. On comprend aussi que la fin de la libre circulation ait été l’une des grandes motivations du Brexit.
La Suisse et le Luxembourg cumulent salaires élevés, langues de travail et de vie quotidienne relativement importantes, accessibles et valorisantes. Le Luxembourg, qui est soumis à la libre circulation, a surtout un taux élevé de frontaliers. Le taux de chômage y est pourtant plus élevé qu’en Suisse (5,6%).
A noter que la Suisse figure dans ce tableau de l’OCDE depuis 2010 seulement. Or en 2010, trois ans après l’application complète de la libre circulation des personnes, en pleine crise financière et économique, deux Etats européens seulement faisaient mieux qu’elle en matière de chômage : la Norvège et le Luxembourg. En 2013, en plein débat sur la première initiative populaire contre la libre circulation, il n’y en avait même aucun. Puis il y en eut cinq en 2016, six en 2017, huit en 2018 et neuf en 2019. Cette évolution alarmante n’a pas suscité d’analyses ni de commentaires à ma connaissance.
Chômage record de longue durée
Sur les quelque 220 000 chômeurs de 2019, 37,8% l’étaient sur longue durée (4). Soit 81 000 personnes (la population de Lucerne). Sur le plan des chômeurs de longue durée, la Suisse se place très au-dessus de la moyenne OCDE (25,8%). Dix-sept Etats européens font mieux qu’elle.
Mesurée par l’OFS, la part des chômeurs suisses de longue durée a tendance à augmenter dans les tableaux de l’OCDE. En pente douce toutefois depuis dix ans. On peut même parler de stabilisation. En 2002, début de l’application progressive du libre accès des Européens au marché suisse du travail, cette part n’était que de 21,8% (8ème position). Mais elle était déjà de 35,5% en 2010 (13ème position).
Dix-sept Etats peuvent s’accommoder de la libre circulation en faisant mieux que la Suisse dans le chômage de longue durée. Parce qu’ils sont bien moins attractifs.
Dans son rapport annuel sur le chômage de 2019, qui ignore malheureusement le chômage BIT-OCDE, le Seco réduit implicitement cette problématique à celle des chômeurs inscrits en fin de droit : 31000 personnes environ, dont 10 000 de plus de cinquante ans.
C’est aussi sur ces valeurs sommaires que s’est basée la création de la rente-pont aux plus de soixante ans, finalisée en juin par le Parlement, et à laquelle le parti UDC s’est opposé au motif qu’elle encourageait les entreprises à se séparer des séniors. Par ailleurs, les demandeurs d’emploi de longue durée au sens du BIT couvrent évidemment une population bien plus large que les plus de 60 ans.
Chômage des jeunes: pas mal
La Suisse occupe en revanche une position relativement enviable dans les tableaux de l’OCDE s’agissant de chômage des jeunes (5). 7,2% des chômeurs en 2019, soit 15 000 personnes (la population de Morges). Quatre Etats seulement font mieux en Europe. En 2010 pourtant (première mention dans les tableaux), l’économie suisse passait fièrement pour la plus inclusive de l’OCDE s’agissant des 15 à 24 ans.
Sous-emploi record
Dans ses « Indicateurs complémentaires au chômage» de juillet 2019 (Enquête sur la population active), l’Office fédéral de la statistique rappelle que le taux de sous-emploi en Suisse est le plus élevé d’Europe (6). Cette thématique est récurrente, et relativement bien médiatisée dans la mesure (probablement) où elle renvoie aussi à un problème de genre : les femmes ont plus de peine que les hommes à trouver un emploi à plein temps ou à temps moins partiel qui leur convienne. Surtout si elles ont des enfants.
365 000 personnes étaient en sous-emploi en 2018 (les populations de Genève et Bâle), tout de suite disponibles pour augmenter leur temps de travail. Le manque de travail correspond à 108 000 équivalents plein temps (299 000 en incluant les chômeurs au sens du BIT). Le rapport précise qu’«une analyse des taux de sous-emploi fondée sur des critères socio-démographiques révèle que le phénomène touche avant tout les femmes (11,4%), les personnes de nationalité étrangère (8,1%), les 40 à 54 ans (8,4%), les 65 ans et plus (10,3%) et les personnes sans formation post-obligatoire (8,2%). Dans l’ensemble, le taux de sous-emploi se situait à 7,3% de la population active en 2018. » Parmi ces personnes en sous-emploi, 76,3% étaient des femmes.
Le sous-emploi en Suisse ne se réduit de loin pas au problème de genre et de garderies dans lequel il se retrouve en général confiné.
Les partenaires sociaux divergent sur les solutions à ce problème d’inégalité de genres, auquel le sous-emploi a tendance à être réduit aux yeux des leaders d’opinion et de l’opinion publique. Les organisations d’employeurs demandent des améliorations administratives dans la conciliation vie privée – vie professionnelle, pour augmenter l’employabilité des femmes (création de crèches, déduction fiscale des frais de garde, etc). Les syndicats préfèrent réduire l’écart entre hommes et femmes en encourageant l’accès des hommes au temps partiel (7).
Il existe aussi dans la nomenclature d’Eurostat, sur laquelle se base l’OFS, une notion de « réserve de travail inexprimée » : personnes non actives présentant certains liens avec le marché du travail. « Il s’agit, d’une part, de personnes à la recherche d’un emploi qui ne sont toutefois pas disponibles à court terme pour en occuper un (PRE-ND; 58 000 personnes). Et, d’autre part, de personnes qui exerceraient volontiers une activité professionnelle et seraient disponibles pour occuper un emploi, mais n’en cherchent pas un activement (PD-SRE; 185 000 personnes, des étudiants sans job d’appoint, des indépendants en dormance, salariés en transition ou en stand by, fins de droit désespérés hors aide sociale, etc., ndlr ). Ces personnes correspondent à la force de travail potentielle supplémentaire, également appelée réserve inexprimée de travail. »
Il est donc possible de chiffrer la réserve globale de travail en Suisse en termes de personnes. En additionnant les demandeurs d’emploi au sens du BIT (220 000), les personnes en sous-emploi exprimé (365 000) et en sous-emploi inexprimé (243 000). Soit un total de 828 000 personnes (16% environ de la population active).
En tout état de cause, les quelque 300 000 équivalents plein temps (EPT) à créer selon le Seco en Suisse pour résorber le non et le sous-emploi (exprimés) sont à mettre en relation avec les quelque 700 000 EPT créés dans le secteur public et l’économie depuis 2002 (année d’application progressive de la libre circulation des personnes) : dans quelle mesure les nouveaux emplois reviennent aux nouveaux arrivés sur le marché du travail, immigrés ou frontaliers, au détriment (ou pas) des résidents ? Résidents suisses, européens ou extra-communautaires ? C’est toute la question des effets de concurrence et d’éviction (qui s’étendent par ailleurs aux postes à repourvoir, mais cette routine n’entre pas dans les démonstrations de la littérature fédérale).
Pas d’effets d’éviction
Dans leurs travaux récents, l’OFS et le Seco ne parlent pas de concurrence par rapport aux candidatures européennes sur le marché suisse du travail. Qu’il s’agisse d’immigration ou de travail frontalier. On les comprend : la notion de concurrence ne fait guère de doute quant à sa réalité, mais elle est difficile à mesurer. Il en est de même des motivations de la part des résidents en sous-emploi. Dans quelle mesure ne veulent-ils pas s’engager dans des travaux jugés trop peu valorisés et valorisants ? Voire dégradants, juste bons à exciter de pauvres Européens ? On sait que le phénomène existe, mais son importance relève peut-être davantage du fantasme que de la vague de fond.
Quelle devrait être la rémunération de ces métiers et travaux pour que les résidents changent d’avis ? Ou encore : quelle est la part de sous-qualification et de motivations insuffisantes dans cette vaste réserve de travail, par rapport aux besoins de l’économie et des services publics ? Les enquêtes statistiques peinent à saisir ces mobiles, le plus souvent surdéterminés.
La littérature préfère parler de complémentarité. Il y a apparemment complémentarité lorsque les Européens augmentent leur participation au marché suisse du travail, sans que la présence des résidents ne soit en recul. Si leur présence ne recule pas en termes absolus, même sur un marché en croissance sensible, c’est qu’il n’y a pas d’éviction.
L’effet de complémentarité devient en ce sens l’inverse de l’effet d’éviction. Il n’est pas envisagé non plus qu’il puisse y avoir à la fois complémentarité et éviction. Encore une fois, la part marginale prépondérante des Européens sur le marché du travail en croissance ne provoque pas à priori d’effet d’éviction. Absent des démonstrations, le travail frontalier, dans les métiers élémentaires en particulier, n’induit pas non plus de problématique particulière d’éviction. Ce serait sinon mentionné.
Tout se passe même aux yeux des lecteurs peu attentifs du Seco comme si cette part européenne prépondérante exerçait automatiquement un effet d’entraînement sur l’emploi des résidents. Ce qui est probablement vrai dans certains cas, lorsque de nouveaux emplois dans l’industrie d’exportation génèrent des emplois « d’intendance » moins qualifiés sur le marché intérieur par exemple (schéma classique dans la rhétorique de la libre circulation, ne tenant toutefois pas compte des effets de déclassement) (8).
La participation des ressortissants de l’UE au marché du travail progresse deux à trois fois plus vite celle des résidents et extra-communautaires.
Dans son rapport annuel de 2019, l’Observatoire fédéral de la libre circulation des personnes peut ainsi proclamer « qu’aucun élément n’indique que l’immigration aurait évincé la population indigène du marché du travail ». L’assertion tient toute seule comme une évidence, qui se répète d’année en année et de rapport en rapport.
« L’intégration réussie des immigrés de l’UE-28/AELE sur le marché du travail ne s’est pas faite aux dépens du reste de la population, commente encore l’édition de 2020. En dépit de l’immigration, la population suisse, mais également les ressortissants des Etats tiers, sont parvenus à accroître leur taux d’activité entre 2010 et 2018, ce qui souligne l’excellente complémentarité de l’immigration en provenance de l’UE/AELE. Le risque de chômage des Suisses est resté à un niveau durablement bas (selon les critères du Seco et non du BIT, ndlr), tandis que celui des ressortissants des Etats tiers se rapprochait légèrement de la moyenne, à partir d’un très haut niveau. Cet état de fait concerne toutes les régions linguistiques. »
« En dépit d’un environnement économique difficile, lit-on plus bas, la population indigène suisse est parvenue à consolider sa participation au marché du travail durant ces dernières années. Entre 2010 et 2019, le taux d’activité des 15-64 ans est passé de 81,3 % à 84,3 % (+3 points de pourcentage). C’est notamment la participation au marché du travail des ressortissants de l’UE/AELE qui a fortement progressé, passant de 82,1 % à 87,7 % (+5,6 points de pourcentage). Celle des Suisses a augmenté de 2,5 points de pourcentage à partir du même niveau. Les ressortissants des États tiers ont également renforcé leur participation au marché du travail, de 72,8 % à 74,7 % (1,9 point de pourcentage). »
Ou encore : « Si l’on observe l’évolution de la participation au marché du travail des personnes résidentes, aucun élément n’indique que l’immigration aurait entraîné des répercussions négatives sur les perspectives d’emploi de la population indigène. »
Le cas d’école (de haut de gamme) d’un ingénieur de production postulant avec les bonnes compétences et la bonne expérience, pour se retrouver relégué comme technico-commercial assistant dans une équipe de vente à 60% et sur appel, n’entre pas dans le modèle. L’ingénieur n’est pas au chômage, il ne fait pas baisser le taux d’emploi des ingénieurs dans son secteur d’activité. C’est en ce sens apparemment qu’il n’y a pas d’effet d’éviction. Même dans l’hypothèse où l’ascenseur professionnel fonctionnerait de plus en plus mal, et que les damnés du premier étage s’entasseraient dans la précarité.
Taux d’emploi record
Peu en phase avec la réalité du marché du travail « observée » ou « vécue » dans des registres plus personnels et intuitifs, ces interprétations statistiques ne résisteraient pas vingt secondes sans la clé de voûte du taux d’emploi. Il s’agit là encore d’un indicateur comparatif de l’OCDE, établi à partir de données fournies par les Etats membres (9) : le taux d’emploi est le degré de participation au marché du travail. Il mesure l’utilisation des ressources de main d’œuvre disponibles. Il est calculé en rapportant le nombre de personnes actives et occupées à la population active et passive en âge de travailler (15 à 64 ans). Cet indicateur est censé refléter à quel point une économie est inclusive ou non.
A noter, par rapport à ce qui précède, que le taux d’emploi (“d’activité” ou “de participation” selon l’Observatoire de la LCP) se rapporte à la population en âge de travailler, alors que le taux de chômage (demandeurs d’emploi) est mesuré par rapport à la population active. Le taux d’emploi peut donc être très élevé, et le taux de chômage très mauvais (ou l’inverse). Le taux d’emploi peut être influencé par des paramètres socio-démographiques comme l’âge moyen ou médian, le niveau de fortune par résident, etc. Ou par des éléments culturels. Il ne dit rien de la performance du marché du travail, ni de l’inclusivité de l’économie et des services publics.
En tout état de cause, la Suisse, depuis plusieurs années, est avec l’Islande en tête des meilleurs taux d’emploi dans l’univers OCDE : en Suisse, près de 80% de la population en âge de travailler travaille. La France, au hasard, n’atteint pas 65%.
N’est-ce pas la preuve que la force d’attraction du marché suisse du travail ne pénalise en rien les résidents ? Que veut-on, que peut-on faire de plus au juste ? La réponse pourrait être : que la réserve de travail de 828 000 personnes, dont 220 000 chômeurs et 365 000 personnes en sous-emploi (voir plus haut), soit mieux utilisée.
A propos : si les femmes avec enfants, clairement surreprésentées dans le sous-emploi, avaient un accès plus aisé, moins disputé au marché du travail, dans les métiers élémentaires et intermédiaires en particulier, il y aurait peut-être davantage de motivation politique et financière s’agissant de résoudre leurs difficultés d’intendance (garderies, déductions fiscales des frais de garde, etc).
Le taux d’emploi record en Suisse fonctionne comme un suprême alibi. Il pose toutefois de sérieux problèmes de méthodologie
Le taux d’emploi record de la Suisse pose d’ailleurs un sérieux problème de méthodologie, signalé par un singulier paradoxe : le taux de sous-emploi en Suisse, nous l’avons vu, est aussi le plus élevé d’Europe ! Sous-emploi au sens étroit et au sens large, équivalant à la réserve de travail. Ce qui revient à dire tout de même – et le Seco ne se l’interdit pas toujours dans ses formulations – que la Suisse a en même temps (que son taux d’emploi exemplaire) une (très) importante réserve de travail exploitable et inexploitée.
On s’étonnera moins de cette apparente contradiction sachant que le taux d’emploi, qui exprime la participation record des Suisses à leur marché du travail, est en fait mesuré à partir d’un critère d’une heure d’activité rémunérée par semaine. Une personne interrogée n’ayant travaillé qu’une heure dans la semaine de référence du sondage est réputée avoir accès au marché du travail !
Les taux d’emploi comparatifs de l’OCDE, dans ces conditions, ne disent évidemment pas grand-chose de la participation effective au marché du travail. Tout au plus indiquent-t-ils, s’agissant de la Suisse, qu’il y a peu d’exclusion personnelle complète. Le taux de sous-emploi record fait cruellement ressortir, de son côté, que l’économie semble bien peu inclusive avec les personnes restées dehors, ou n’ayant qu’un ou deux pieds dans la porte.
Rien n’empêche de penser dès lors que la facilité avec laquelle les entreprises et administrations publiques peuvent se servir dans le vaste réservoir de demandeurs d’emploi européens ne compte pas pour rien dans le sous-emploi record et le lourd chômage en Suisse. Demandeurs d’emploi transfrontaliers issus des six millions de demandeurs d’emploi en France par exemple. Ne suffit-il pas qu’une petite fraction seulement s’intéresse au marché suisse pour changer complètement sa configuration? (voir plus bas: Concurrence et éviction – L’autre réalité sur le marché du travail)
Le changement d’époque
A noter enfin que le seuil si étrange d’une heure par semaine, institutionnalisé par l’OCDE en 1994 déjà, s’explique aisément : il s’agissait à l’époque d’assurer le suivi des fameuses et controversées « Recommandations pour l’emploi ». Flexibilité des marchés du travail en était le maître-mot, à une époque très néo-libérale de lourdes pressions sur les prix et les salaires.
Objectifs : augmenter la compétitivité des entreprises et des économies nationales. Mieux maîtriser les taux de chômage en réduisant à la fois la protection de l’emploi et les incitations à ne pas travailler (prestations sociales). Il s’agissait en fait de créer une zone intermédiaire entre emploi et non-emploi. Considérer que l’emploi commence avec une heure de travail par semaine fait encore partie aujourd’hui de la doctrine de l’OCDE. Et les taux surréalistes d’emploi par pays servent de référence dans toutes sortes de débats politiques.
En Suisse par exemple. Contrairement à la plupart des Etats européens, la Suisse n’a pas eu besoin de beaucoup se forcer. Son marché du travail bénéficiait déjà d’une grande flexibilité, avec un taux élevé d’emplois à temps partiel. Aujourd’hui, son taux d’emploi record, avec un taux de sous-emploi également record, permet apparemment de diluer statistiquement les effets de concurrence et d’éviction produits par une immigration continentale que le pays a souverainement décidé de ne plus réguler lui-même.
ANNEXE
Concurrence et éviction: l’autre réalité sur le marché du travail
Profils européens diversifiés, surqualifiés, hyper-motivés par des rémunérations de super-winners sur toute l’échelle salariale (demeurée presque intacte grâce aux mesures d’accompagnement). A Paris, l’INSEE a calculé que les salaires nets étaient en Suisse plus élevés qu’en France de 111%.
Lors d’un débat récent dans le canton du Jura, un dirigeant de petite entreprise de l’industrie du bois (adepte apparemment d’une certaine préférence nationale bien comprise) précisait qu’il recevait une douzaine de candidatures françaises par offre d’emploi.
Ces candidatures sont encouragées loin à la ronde par de nombreux sites web dédiés. Eures.org par exemple, site officiel de l’Union Européenne en 26 langues (« Portail européen sur la mobilité de l’emploi »). Il est possible pour les entreprises du continent d’y publier des offres d’emploi de manière anonyme (ou non). 8711 annonces en provenance de Suisse y figuraient le 2 septembre (jour de ce débat dans le Jura).
6 millions de demandeurs d’emploi en France sont vivement encouragés à passer jusqu’à une année en Suisse pour y trouver un job.
Les dix premiers emplois offerts (ordre chronologique inversé) ne semblaient pas particulièrement spécialisés, ni très rares : façadier-peintre (à Bulle), plâtrier, chauffeur de taxi et camionnette, conseiller en assurance (clientèle), électricien, accompagnant pour les seniors, laveur de vitre (pour une agence de travail temporaire), responsable de structure d’accueil de l’enfance, opérateur sur machine à commande numérique, serveur en restauration (dans une pizzeria à Saint-Imier).
Pour ne s’en tenir qu’à eux, les extra-communautaires résidant en Suisse sans emploi sont-ils si peu aptes à prendre ce genre de travail ? Moyennant une petite formation peut-être? Regroupements familiaux, ou requérants d’asile déboutés, que l’on ne peut pas renvoyer, pour des raisons humanitaires évidentes? Est-ce normal et nécessaire que les ressortissants européens soient privilégiés et servis en premier?
D’autres portails comme travailler-en-Suisse.ch, actualisé par des Français pour les Français, insistent en général sur le fait que le marché suisse du travail est très concurrentiel. Beaucoup d’Européens en rêvent. Il s’agit donc d’être combatif, formé, compétent, renseigné et préparé… Face à cette concurrence entre Européens, mieux vaut se retrouver en Suisse du bon côté de la courbe de Gauss. Et si possible tout au bout. Même s’il n’y a pas d’effets d’éviction sur le plan statistique.
A noter aussi que les ressortissants Européens, contrairement aux extra-communautaires discriminés sur le marché du travail, ont aisément obtenu l’application en Suisse d’une règle générale de la libre circulation en Europe (Bruxelles ayant refusé d’accorder une exception): ils ont le droit d’y résider une année entière pour trouver un job (et non trois mois seulement). Il peuvent aussi être financés pendant six mois par les entités de chômage de leur Etat d’origine (10).
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NOTES
(1) Il s’agit des chômeurs dits « Seco », inscrits dans les Offices régionaux de placement, bénéficiaires ou non de prestations de chômage (pendant 18 mois en général avant de devenir des « chômeurs en fin de droit »). De nombreux Etats ont aussi leurs propres critères pour établir un taux de chômage de référence. Les taux de chômage se calculent en général par rapport à la population active (indépendants + salariés + demandeurs d’emploi).
(2) Taux de chômage harmonisé (HUR), d’après le taux de chômage BIT. « Dans les taux de chômage harmonisés, les chômeurs sont les individus en âge de travailler sans travail, disponibles sur le marché du travail et qui ont accompli des démarches spécifiques pour trouver du travail. L’application uniforme de cette définition produit des estimations des taux de chômage plus facilement comparables entre les pays que les estimations qui reposent sur des définitions nationales du chômage. Cet indicateur est mesuré en nombre de personnes au chômage en pourcentage de la population active et est désaisonnalisé. La population active est définie comme le nombre total de personnes au chômage plus la population active civile occupée. » (OCDE)
(3) https://www.bilan.ch/economie/chomage-la-suisse-seulement-13eme-sur-30
(4) « Le chômage de longue durée recense les personnes au chômage depuis 12 mois ou plus. Le taux de chômage de longue durée illustre la proportion des chômeurs de longue durée dans le total des chômeurs. Le chômage est généralement mesuré à l’aide d’enquêtes nationales sur la population active et couvre les personnes qui déclarent avoir travaillé contre rémunération moins d’une heure au cours de la semaine de référence, être disponibles pour travailler et avoir activement cherché un emploi au cours des quatre semaines précédentes. Le chômage de longue durée génère de fortes tensions psychologiques et matérielles à la fois pour les chômeurs et pour leurs familles. Il est aussi source de préoccupation pour les décideurs, puisqu’un taux de chômage de longue durée élevé est le signe d’un mauvais fonctionnement du marché du travail. Cet indicateur est exprimé en pourcentage des chômeurs.» (OCDE)
(5) Le taux de chômage des jeunes correspond au nombre de chômeurs parmi les 15-24 ans rapporté à l’ensemble de cette tranche d’âge. Un chômeur est une personne qui déclare ne pas occuper d’emploi, être disponible pour travailler et avoir recherché activement un emploi au cours des quatre dernières semaines. (OCDE)
(6) Personnes en sous-emploi: personnes actives occupées à temps partiel qui aimeraient travailler davantage et seraient disponibles pour prendre un travail impliquant un taux d’occupation plus élevé (y compris au-delà de l’âge de la retraite).
(7) https://www.agefi.com/home/acteurs/detail/edition/online/article/sous-emploi-des-femmes-que-faire-489929.html
https://www.unia.ch/fr/monde-du-travail/de-a-a-z/egalite/travail-a-temps-partiel
(8) Dans une perspective mercantiliste classique pour laquelle l’exportation est le front, et le marché intérieur l’intendance.
(9) Le taux d’emploi mesure l’utilisation des ressources de main-d’œuvre disponibles. Il est calculé en divisant le nombre d’actifs occupés par la population en âge de travailler. S’il est soumis aux fluctuations du cycle économique, il est aussi, à plus long terme, influencé par les politiques publiques en matière d’enseignement supérieur et de garantie de ressources, ainsi que par les mesures qui facilitent l’emploi des femmes et des catégories défavorisées. Les actifs occupés sont les personnes de 15 ans et plus qui, durant la semaine de référence, déclarent avoir effectué un travail rémunéré pendant une heure au moins ou avoir occupé un emploi dont elles étaient temporairement absentes. On considère comme étant en âge de travailler les personnes âgées de 15 à 64 ans. Cet indicateur est désaisonnalisé et est mesuré en milliers de personnes âgées de 15 ans et plus; et en nombre de personnes âgées de 15 à 64 ans en pourcentage de la population en âge de travailler. (OCDE)
(10) https://europa.eu/youreurope/citizens/work/unemployment-and-benefits/transferring-unemployment-benefits/index_fr.htm#shortcut-3