Quand les Suisses se réveillent

YVES ZUMWALD. Les rapports de l’autorité fédérale de régulation du marché de l’électricité (Elcom), et les déclarations récentes du président de la Confédération sur les risques de pénurie ont marqué les esprits. Entretien de background avec le président exécutif de Swissgrid*. (Paru sur le site de Paris-Match Suisse le 19 nov.)

La directive européenne Clean Energy Package (2019) sera intégrée dans les
législations nationales le 1er janvier 2025. Au moins 70% des capacités d’exportation de courant de chaque pays devront être réservées aux autres Etats membres. Quel problème l’Union Européenne cherche-t-elle au juste à résoudre ?

Les objectifs de réduction des émissions de CO2 sont en train de modifier la géographie de la production d’électricité. En Allemagne par exemple : jusqu’ici, la production avait principalement lieu au sud. Avec les immenses parcs d’éoliennes de plaine, et surtout offshore, elle est en train de se déplacer vers le nord. Elle sera de plus en plus décentralisée sur l’ensemble du continent, avec des connexions plus nombreuses pour fluidifier les transits. Il s’agit toujours de transférer les surplus temporaires entre régions momentanément excédentaires, et d’autres qui sont demandeuses selon les heures, les jours et les saisons. C’est surtout la gestion en temps réel qui est en cause, minute par minute. Elle s’ajoute à la planification des capacités du réseau, avec des exigences de transport plus élevées.

Des Etats historiquement exportateurs comme la France et l’Allemagne vont probablement devenir importateurs nets, avec des échanges toujours plus considérables. Or il y a actuellement des effets de congestion importants dans les réseaux de transport, qui n’ont pas été dimensionnés pour ces changements. La Commission européenne cherche à inciter les membres de l’UE à investir rapidement, non seulement dans la production propre, dans tous les sens du terme, mais aussi dans les infrastructures de transport. Parce que l’on sait que les nouvelles réalisations peuvent prendre beaucoup de temps. Il s’agit de sécuriser l’approvisionnement dans cette longue transition. On ne peut guère reprocher à l’Union de vouloir accorder la priorité à ses Etats membres. A ses yeux, sans accords avec la Suisse, le Portugal ou la Finlande devront pouvoir se servir avant elle dans les surplus européens.    

30% d’exportations éventuellement disponibles pour les Etats tiers…  s’agit-il d’un plancher global, sur un an par exemple, dont le dépassement serait constatable à posteriori ? Ou cette limite sera-t-elle infranchissable ?

Il est important de mentionner que le calcul de type «carnet du lait», 100% moins 70% égal 30%, n’a pas de sens en l’occurrence. Le critère des 70% du Clean Energy Package prévoit que les gestionnaires de réseaux devront mettre à disposition au moins 70% de leur capacité d’interconnexion pour les échanges transfrontaliers. Des mesures de redispatching seront désormais mises en place pour palier à d’éventuelles surcharges des réseaux nationaux.

Les capacités frontalières ne sont pas toujours utilisées selon les échanges planifiés. Prenons un exemple : un producteur français d’électricité vend en Allemagne. Il fixera un chemin direct en utilisant une capacité de réseau entre la France et l’Allemagne. Dans la réalité, une partie du courant cherche un chemin via les pays voisins, y compris la Suisse. Ces flux pèsent sur les capacités frontalières, sans apparaître dans la transaction commerciale prévue. Si ces flux d’électricité deviennent trop importants, ils « bouchent » les lignes frontalières et réduisent ainsi la capacité disponible pour le commerce. De plus, en Suisse, nous devons dans certaines circonstances utiliser de l’énergie de réglage pour maintenir la stabilité du réseau. Il y aura donc de facto moins de 30% à disposition pour la Suisse. 

En ordre de grandeur, que représentent aujourd’hui les importations suisses en provenance d’Europe par rapport aux capacités d’exportation de l’Union ?

La Suisse exporte normalement du courant en été et dépend des importations en hiver. Durant la période hivernale, la nuit, la Suisse importe jusqu’à 40% de ses besoins en électricité. Le rapport entre cela et les capacités d’exportation de l’UE ne dépend pas seulement de l’infrastructure du réseau, mais aussi des capacités de production. Lorsqu’il n’est pas possible de produire suffisamment d’énergie électrique, parce qu’il n’y a pas de vent et que le rayonnement solaire est trop faible par exemple, la question se pose de savoir si un pays voisin exporte encore vers la Suisse, ou s’il couvre d’abord la demande nationale. C’est pourquoi nous devrions pouvoir produire plus d’énergie en Suisse en hiver.  

D’après les contacts que vous avez, quel est l’état d’esprit des opérateurs des Etats limitrophes de la Suisse par rapport à cette directive ?

Nous travaillons très bien avec nos partenaires européens. Dans notre métier comme dans bien d’autres, nous cherchons l’efficacité hors de la politique. Mais si elle intervient, alors nous faisons au mieux avec cette contrainte. La politique européenne a ses raisons.

Et quel est l’état d’esprit de vos interlocuteurs hors Union Européenne ? Au Royaume-Uni par exemple, qui se retrouve sur le même plan que la Suisse ? Bien que l’Accord de commerce et de coopération EU-UK, signé en fin d’année dernière, prévoit l’ouverture de discussions en vue d’éviter des pénuries en Grande-Bretagne.

Le Royaume-Uni n’est pas enclavé comme la Suisse, ni au centre du dispositif de transport continental, en particulier Nord-Sud. La Suisse a quarante-et-une interconnexions avec ses voisins, et c’est un pays de transits. La Grande-Bretagne en a cinq avec l’UE, la Turquie trois. La pression n’est pas du tout la même. Les Britanniques travaillent aussi actuellement sur une connexion sous-marine avec la Norvège. Ils ont surtout un potentiel énorme d’éoliennes offshore que la Suisse n’a pas du tout. Notez que les connexions extérieures de l’UE ont aussi tendance à se développer. Bruxelles les encourage. L’Italie a par exemple un projet avec l’Afrique du Nord, la Grèce avec Israël.

Quelle différence entre l’Accord Suisse-UE sur l’électricité, dont la finalisation a été suspendue par la Commission en 2018, et les accords « techniques » que vous négociez avec les Etats limitrophes ?

Swissgrid ne négocie pas avec des Etats, mais avec des gestionnaires de réseaux de transport. Nous sommes le seul opérateur en Suisse, mais il y en quatre rien qu’en Allemagne. Nous avons d’ailleurs finalisé récemment un accord avec les Italiens, nos premiers partenaires, avec lesquels nous discutons depuis deux ans. Ces contrats de droit privé doivent ensuite être validés par les entités nationales de régulation, puis par l’UE. C’est long, complexe et parfois aléatoire. Les accords techniques ne sont pas une alternative à l’accord suspendu sur l’électricité. Il s’agit d’éléments partiels, qui ne concernent pas la solidarité européenne générale dans l’approvisionnement en cas de pénuries. Ni l’accès aux données européennes centrales permettant de planifier et d’anticiper dans les meilleures conditions. L’UE nous a aussi privés de cet accès en nous excluant du couplage des marchés.

Le Conseil fédéral a annoncé cet été un futur nouveau projet de libéralisation plus avancée du marché de l’électricité en Suisse, dont le principe avait été refusé en vote populaire (2002). Est-ce en vue d’une relance de l’accord avec l’UE ? La structure actuelle du marché suisse n’avait pourtant pas empêché cet accord lorsqu’il a été suspendu en 2018 pour d’autres raisons.

Je ne peux pas répondre à cette question. La politique de l’UE cherche à faire en sorte qu’il n’y ait plus de différences de prix de l’électricité sur le continent. Qu’il n’y ait plus qu’un prix de marché pour les utilisateurs finaux, d’où la libéralisation de ce marché à l’échelle européenne. Je dirais que la directive de 2019, dont nous parlons ici, cherche surtout à faire en sorte que les surcoûts dus à des problèmes de transport ou de production soient payés par les Etats qui ont des insuffisances dans leurs infrastructures. De manière à les inciter à investir.

La Suisse n’est pas vraiment concernée par cet objectif.

Non, mais la situation actuelle montre qu’il est quand même urgent d’investir. Surtout dans la production. Les incertitudes de la politique européenne sont clairement une incitation à augmenter notre autonomie par rapport à l’UE. Je crois d’ailleurs que la prise de conscience a enfin eu lieu. On sait toutefois que si la Suisse n’a qu’un unique transporteur, l’une des difficultés vient de ce qu’elle compte 650 sociétés de distribution et de production! Tout cela ne change rien au fait que nous avons absolument besoin d’un accord rapide sur les questions de transport.

*Swissgrid est le gestionnaire du réseau suisse de transport d’électricité (environ 7000 kilomètres de lignes à très haute tension). Ses actionnaires sont les opérateurs de la distribution et de la production d’électricité, détenus essentiellement par des collectivités publiques (cantons et villes). 

 

Suisse-UE : les limites de la résistance légale

ANDREAS ZIEGLER. Le professeur de droit international à l’Université de Lausanne évalue les différentes voies judiciaires parfois évoquées s’agissant de la crise et des différends entre Suisse et Union Européenne. Les options sont restreintes, risquées et difficiles à pratiquer. Swissgrid s’est pourtant lancée, et Swissmedtech l’envisage sérieusement. C’est ce que l’on appelle « résistance légale » du côté de Zurich et de Berne. Que faut-il en penser ?(D’abord paru sur le site de Paris-Match Suisse)

FS –  La Direction générale de l’énergie à Bruxelles a ordonné aux exploitants de réseaux européens d’électricité d’exclure la Suisse de la plateforme d’échange permettant d’assurer la stabilité des réseaux. Swissgrid, gestionnaire du réseau suisse, contrôlé indirectement par les cantons et grandes communes, a introduit un recours auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Il s’agit de faire annuler cette décision. Pourquoi ne pas réagir de cette manière aux autres mesures de rétorsion venant de l’UE depuis 2018 ?

AZ – Il s’agit d’un cas très particulier. Swissgrid tente de faire reconnaître que son éviction dans ces circonstances va à l’encontre de dispositions législatives européennes. Cette plainte de Swissgrid se référe exclusivement au droit européen, elle n’aurait aucun sens autrement. Elle a pour but de faire annuler une décision qui n’aurait pas respecté le droit européen. Saisir ainsi la CJUE est à la portée des Etats tiers, et même des entités ou personnes privées.

Quelles sont les chances d’obtenir gain de cause ?

Elles ne sont pas nulles, mais tout de même assez faibles. Le marché de l’électricité est libéralisé en Europe, ce qui en fait une matière plutôt économique. Or, sur les questions économiques, la Cour européenne a tendance à laisser des marges d’interprétation et de manœuvre assez larges à la Commission.

Peut-on imaginer d’autres recours auprès la CJUE, dans d’autres domaines sensibles actuellement ? Non-association au programme de recherche Horizon Europe par exemple, alors que quinze Etats tiers sont associés ? Non-renouvellement de l’Accord sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM), ou encore non-adhésion à l’Agence de l’UE pour les chemins de fer ? Autant de partenariats mis à jour à plusieurs reprises jusqu’ici, puis menacés par rétorsion à partir de 2018 ?

La problématique des chemins de fer ressemble à celle de l’électricité, mais dans un domaine moins libéralisé. Quoi qu’il en soit, il faudrait encore une fois que la Suisse ou ses opérateurs ferroviaires puissent agir par rapport à une disposition du droit européen qu’ils estimeraient ne pas être respectée. Ce serait forcément technique, avec un résultat qui pourrait aussi indisposer la Suisse en réduisant ses marges de manœuvre dans de futures discussions.

Quant à la recherche, Erasmus+ et l’ARM, il s’agit de partenariats et de coopérations sans éléments juridiques par rapport auxquels il serait possible d’agir par voie judiciaire. Ce qui n’exclut pas qu’un juriste trouve quand même un lien par la suite. Mais il s’agit vraiment de politique. Proclamer que ces mesures de rétorsion, suite à l’abandon du projet d’Accord institutionnel, vont à l’encontre des règles et intérêts de l’UE, n’est guère recevable. Sur le plan du droit international, l’UE peut librement prendre des mesures politiques qui lui pèsent dans l’immédiat, mais qu’elle considère comme positives à plus long terme.

L’European Medtech Association a demandé un avis de droit au cabinet international Sidley, et les conclusions sont claires : la Commission ne peut pas se contenter de notes informelles pour vider un traité international de son contenu (l’ARM en l’occurrence). La manière dont les choses se passent sont aussi contraires à certaines règles de droit international à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pourquoi ne pas le faire valoir dans des procédures ordinaires de règlement des différends ?

C’est effectivement envisageable, mais l’OMC ne va se prononcer que sur le respect de ses propres règles. Alors que les ARM n’y sont pas explicitement soumis. Et contrairement à la CJUE, son organisme de règlement des différends ne peut être saisi que par des Etats membres de l’OMC. Il faudrait donc que ce soit la Confédération qui agisse. Sur un plan forcément très technique là encore, comme le fait ressortir le rapport Sidley.

Or, si la Suisse a certainement eu des différends commerciaux dans le passé, elle n’a pratiquement jamais jugé qu’il était opportun de recourir à l’OMC pour les trancher. Engager des poursuites judiciaires dans des conflits diplomatiques n’est apparemment pas dans la mentalité suisse. Même si l’option existe en réserve, comme un possible recours ultime. Là encore, il s’agit de maintenir un climat de confiance, de conserver toutes ses marges de manœuvres dans la discussion.

Les îles Féroé, qui ne font pas partie de l’UE, ont pourtant recouru à l’OMC sur des questions de quotas de pêche. Avec un certain succès pour l’instant.   

Il y a aussi une question de proportionnalité. Lorsque les Iles Féroé se tournent vers l’OMC, tout le monde comprend tout de suite l’importance de l’enjeu pour les Féroïens. C’est moins évident pour l’instant s’agissant de l’industrie medtech en Suisse. Les entreprises suisses devront simplement homologuer leurs produits en Europe plutôt qu’en Suisse, ce qu’elles font déjà largement si l’on en croit leur organisation sectorielle. Il faudra voir comment les choses évolueront par la suite dans l’industrie des machines en général.

La Suisse est un Etat enclavé dans l’UE, sans accès à la mer. Elle a des relations commerciales, mais aussi et surtout des problèmes de voisinage, les deux étant souvent imbriqués (transports terrestres, énergie, etc). Cette situation crée un profond déséquilibre dans les rapports de force. Les Nations Unies ne sont-elles pas là pour intervenir en cas d’abus de position dominante ? Pourquoi la Suisse ne porterait-elle pas devant l’Assemblée générale ou la Cour internationale la manière dont elle est traitée actuellement par l’Union Européenne ?

Soyons clairs : il s’agit à ce stade d’une question purement théorique, pour ne pas dire académique ! Et il y a là encore un problème de proportionnalité. Les Nations Unies sont très complexes et éminemment politiques. L’Assemblée générale est une tribune sans portée juridique. Ce n’est pas non plus l’endroit idéal pour que la Suisse aille se plaindre des mauvais traitements de Bruxelles. Il en faudrait beaucoup plus. Il en est de même de la Cour internationale de justice à La Haye. Elle traite surtout de cas bien plus lourds, de questions de frontières en particulier. Et puis n’oublions pas que l’Union Européenne ne fait pas partie en tant que telle des Nations Unies. La Suisse devrait d’abord s’assurer de la volonté de vingt-sept Etats membres de l’UE de s’en aller discuter devant la Cour. Ce ne serrait guère praticable.

L’UE discrimine la Suisse par rapport à d’autres Etats tiers. Ne sont-ils pas une quinzaine à avoir le statut d’associé dans Horizon Europe ? Ou encore plusieurs à avoir des ARM avec l’UE ? N’y a-t-il pas en droit international un principe d’égalité donnant le droit d’obtenir ce que les autres obtiennent dans des conditions plus ou moins semblables ?

Vous pensez à la clause de la nation la plus favorisée. En tant que principe, ce n’est pas vraiment déterminant, et rarement évoqué. Il s’agit bien d’une clause, c’est-à-dire qu’elle n’est effective que si elle explicitée dans des traités. Ce qui n’est pas le cas dans les accords dont nous parlons ici. L’UE pourra toujours traiter ses partenaires de manière différenciée, en faisant simplement valoir que les conditions cadres ne sont pas tout à fait les mêmes dans chaque cas.

Milliard de cohésion : la Suisse et son problème de ligne rouge

Les débats parlementaires sur le déblocage de la contribution suisse à la cohésion européenne vont reprendre jeudi (30 septembre). Pressé par le lobby scientifique, le Conseil fédéral veut aller vite. Il a des arguments. Et ensuite, si la désescalade ne se produit pas sur d’autres dossiers? Où se trouve le seuil de « résistance légale » ? Explication de texte.

“Prendre la science en otage n’est pas une bonne idée.”
Guy Parmelin, HandelsZeitung 27 sept. 2021

Dans son message du 11 août dernier, le Conseil fédéral précisait les raisons pour lesquelles il souhaitait que le parlement renonce au blocage de la deuxième contribution de quelque 1,3 milliard de francs à la cohésion européenne (“milliard de cohésion”) : « Par la mise en œuvre rapide de la contribution, le Conseil fédéral entend relancer la dynamique des relations avec l’UE après la cessation des négociations sur un accord institutionnel. Il souhaite ainsi engager un processus devant permettre des avancées dans d’autres dossiers en cours avec l’UE, dans l’optique d’une poursuite de la voie bilatérale. Enfin, le déblocage de la contribution souligne que la Suisse reste un partenaire fiable de l’UE. Dans le même temps, le Conseil fédéral continuera de veiller à ce que la Suisse ne fasse pas l’objet de discriminations de la part de l’UE et ne soit pas traitée différemment d’autres pays tiers, notamment dans les procédures d’équivalence. (1)» 

“Relancer la dynamique des relations avec l’UE”

Mieux vaut être deux pour cela, et la Commission européenne ne donne aucune espèce de garantie par rapport à une tentative de désescalade venant de Berne. Elle y met même une certaine mauvaise volonté. Avec le Brexit, la volte-face institutionnelle des Suisses le 26 mai dernier est perçue comme une double humiliation. Côté suisse, sensible aux rapports de force et aux menaces, on comprend surtout qu’il s’agit en première urgence du processus d’association au programme de recherche subventionnée Horizon Europe (2021-2027). Il faut renoncer à l’embargo sur ces fonds pour espérer débloquer le dossier de la recherche, ultra-sensible sur le plan intérieur. Voilà pour le premier degré.

Le statut d’associé dans la recherche publique a pourtant a été accordé à une quinzaine d’autres Etats tiers. On voit mal que la Suisse ne puisse pas l’obtenir une fois levé l’obstacle du milliard de cohésion. Ce contretemps ne procède-t-il pas surtout d’un mauvais concours de circonstances? Avec deux questions de principe qui s’affrontent : bloqués à Berne par le parlement, suite aux premières représailles européennes en 2019, ces fonds unilatéraux de solidarité sont considérés à Bruxelles comme un dû (2). Or les Suisses estiment aussi que leur association à Horizon Europe est un dû : la clause de la nation la plus favorisée en droit international parle pour Berne. Il n’y a aucune raison que le Royaume-Uni, Israël, la Turquie, la Géorgie ou encore le Montenegro puissent être associés, mais pas la Suisse.

C’est dire si le premier à faire une concession dans cette affaire pourrait en retirer un léger avantage stratégique. C’est ce sur quoi table le Conseil fédéral. En droit international, il y a les méchants et les gentils. Les Suisses veulent faire partie des gentils, et être reconnus comme tels. C’est un peu dans leur génétique. Le problème, c’est que les élèves modèles sont rarement appréciés du reste de la classe.

“Après la cessation des négociations sur un accord cadre”

Le Conseil fédéral a certainement pesé et soupesé ses mots. Il ne dit pas « que la Suisse a abandonné » les négociations sur l’Accord cadre institutionnel (InstA), comme le formule en général l’opinion publique. On comprend la nuance : bien avant le 26 mai dernier, tout ce que Bruxelles et les capitales européennes comptaient de dignitaires interrogés à ce sujet affirmaient que l’InstA était bouclé, et qu’il ne pouvait être question côté européen de reprendre des négociations. C’est la raison pour laquelle le Conseil fédéral s’est contenté de demander des « éclaircissements » en 2019, et non une « renégociation » de certains points (3). Moins encore une prolongement des négociations.

Les éclaircissements ont été obtenus : après le Brexit, l’UE ne veut plus faire d’ exceptions (opting out) dans l’application du droit européen pertinent par des Etats tiers associés (les membres de l’EEE ou la Suisse dans le cadre d’un accord institutionnel bilatéral). Seule une petite marge d’interprétation semblait possible s’agissant des aides d’Etat, ce qui n’impliquait pas une réouverture des négociations (4).

Ce genre de reniement historique s’avère évidemment problématique par rapport
au système et à la culture politique suisse.

Il est donc exact que les négociations ont « cessé ». En 2018 précisément (et définitivement), avant que le Conseil fédéral ouvre une procédure de consultation sur leur résultat. Il est juste également d’affirmer que le gouvernement a « abandonné ». Il n’a toutefois pas abandonné les négociations, comme on l’entend ou le lit chaque jour, mais l’InstA lui-même (5).

Cette nuance est de taille en politique intérieure, parce que l’abandon de l’InstA revient à désavouer rétrospectivement les mandats de négociation et les négociateurs des périodes Burkhalter (chef des Affaires étrangères de 2012 à 2017) et précédentes. Les Conseils fédéraux successifs depuis 1993 en d’autres termes, dominés par la démocrate-chrétienne Doris Leuthard sur ce dossier entre 2006 et 2018. La présence de la libérale-radicale Karin Keller-Sutter depuis 2018 a largement contribué à modifier la trajectoire. Ce genre de « reniement » historique correspond peut-être aussi à une évolution des mentalités. Suite aux premières représailles de l’UE en particulier (2018), ce qui s’avère évidemment problématique par rapport au système et à la culture politique suisse.

A noter aussi, dans le registre des clichés inamovibles, qu’il est faux d’affirmer que le Conseil fédéral a souverainement « ignoré » le parlement en ne lui soumettant pas l’InstA avant de l’abandonner. Ce sont les partis gouvernementaux, abruptement divisés sur la question, qui n’ont pas voulu d’un débat politique redouté sur le plan de leur cohésion interne (6).

“Permettre des avancées dans d’autres dossiers en cours”

Comprendre : d’autres dossiers que la mise en place d’un éventuel cadre institutionnel. Au-delà du déblocage d’urgence du processus d’association à Horizon Europe, on pense :
– à l’accord gelé sur l’électricité (qui doit sécuriser les importations suisses en hiver);
– aux homologations industrielles, faisant également l’objet de représailles de la part de l’UE;
– à certaines urgences sanitaires.

Le choix de la Suisse pour l’avion de combat américain F-35 et les événements
de ces derniers jours dans le Pacifique (alliance AUKUS avec le Royaume-Uni mais sans la France) ne vont pas contribuer pas à détendre l’atmosphère.

Sous ces différents angles, le déblocage du « milliard de cohésion » est de toute évidence nécessaire, mais il ne suffira pas. L’Union Européenne veut d’abord des engagements sur l’institutionnel de la part des Suisses, comme ce fut le cas avec le Royaume-Uni pour un éventuel Brexit deal : subordinations du droit suisse au droit européen en premier lieu, puis Cour de justice européenne dans le règlement des différends. Elle ne les a finalement pas obtenus de la part des Britanniques. Un échec personnel considérable pour le négociateur français Michel Barnier, dont l’UE a dû s’accommoder. La Suisse fait un peu les frais de cette déconvenue. Son choix pour l’avion de combat américain F-35, et les événements géopolitiques de ces derniers jours dans le Pacifique (alliance AUKUS avec la Grande-Bretagne mais sans la France) ne vont pas contribuer pas à détendre l’atmosphère.

” Dans l’optique d’une poursuite de la voie bilatérale”

Le Conseil fédéral ne ferme aucune porte en jouant de manière un peu caricaturale sur l’ambivalence de cette « voie » bilatérale » en tant que formulation rigidifiée et passe-partout. Au sens strict, celui des années 1990, il s’agit de la voie bilatérale menant progressivement à la subordination juridique contraignante de niveau Espace économique européen (EEE = UE + Norvège, Islande, Liechtenstein). Puis à l’adhésion complète à l’Union par la suite.

La Norvège ayant entre-temps abandonné toute perspective d’adhésion, une extension sémantique s’est produite en Suisse (beaucoup moins en Europe) vers l’équivalence entre « voie bilatérale » (bilaterale Weg) et simple « bilatéralisme ».  On parle encore de « voie » aujourd’hui, pour donner l’illusion d’une continuité apaisante par rapport aux années 1990, mais cette voie ne mène plus nulle part depuis longtemps. Elle est au contraire présentée comme servant à ne jamais devoir s’intégrer à des niveaux comparables à l’EEE ou à l’UE. Les Européens ont d’ailleurs fini par barrer cette fausse « voie » si énervante, consistant à leurs yeux à engranger le beurre et l’argent du beurre. Ils exigent aujourd’hui la ligne directe et sans alternative vers la subordination du droit. Comme ils l’ont vainement exigé du Royaume-Uni pendant près de quatre ans.

Le milliard de cohésion n’est pas déterminant aux yeux des Européens.
Le vrai préalable à tout “progrès” dans la relation, c’est la subordination du droit.
Comme ils l’ont vainement exigé du Royaume-Uni pendant plus de quatre ans. 

Faut-il au contraire que la Suisse se contente de « bilatéralisme » (sans orientation idéologique ni “voie”), négociant au coup par coup des accords sectoriels, sans parallélisme non plus (clauses guillotine) ? Ou qu’elle envisage et revendique d’emblée un accord plus global de coopération et de partenariat, sur un pied d’égalité juridique, dans le registre de ce que l’UE a finalement conclu avec le Royaume-Uni (son quatrième partenaire économique après la Suisse), le Canada ou encore l’Australie ? Telle est la question. On voit mal le Conseil fédéral la trancher seul dans son coin, avant de communiquer ses états d’âme, comme semblent pourtant le demander des parlementaires estimant sinon ne pouvoir se prononcer en connaissance de cause sur le déblocage ou non du foutu milliard (7).

Il s’agit en tout état de cause d’une simple « optique », d’une « vision », mais elle est cruciale. C’est à elle que les Européens renvoient régulièrement, et fort à propos lorsqu’ils affirment « que la Suisse doit maintenant décider et dire ce qu’elle veut » (8). Les choses ont pu paraître relativement simples et évidentes au début des années 1990, dans l’euphorie et l’urgence européistes de la fin de la Guerre froide, mais elles le sont beaucoup moins aujourd’hui. Surtout après le Brexit. Les Suisses ont de quoi se sentir un peu moins seuls et un peu plus libres. Et si l’intégration devait quand même se poursuivre en mode institutionnel, alors pourquoi ne pas adhérer tout de suite à l’EEE ?

On voit tout aussi mal que ce dilemme puisse être dissipé sans une, ou plusieurs consultations populaires. Référendums, initiatives, comment tout cela va-t-il se mettre en place ? Les considérations partisanes pèseront certainement sur l’issue du processus. Hors SVP/UDC, souverainiste avec constance, le premier parti gouvernemental parvenant éventuellement à trouver une unité sur ce dossier jouera à coup sûr un rôle déterminant.

On voit tout aussi mal que ce dilemme puisse être dissipé sans une,
ou plusieurs consultations populaires.

Référendums, initiatives, comment tout cela va-t-il se mettre en place ?

En attendant, le statu quo bilatéral donnera ces prochaines années des indications sur la capacité de résilience de l’économie et du système social dans un environnement de probable érosion des accords Bilatéraux I. Ces sept traités n’avaient pas du tout été acceptés en mai 2000 dans cette perspective. Toute mauvaise nouvelle à court terme sera interprétée par les soumissionnistes comme une démonstration de l’incapacité à survivre hors cadre juridique européen, comme ce fut le cas de 1993 à 2003 par rapport aux accords bilatéraux en préparation (9).

“Le déblocage de la contribution souligne que la Suisse reste un partenaire fiable de l’UE.”

C’est sans doute le plus important aux yeux du Conseil fédéral, saisi d’ailleurs dans la phrase la plus courte de ce paragraphe programmatique. Avant de « rester » un partenaire fiable, encore faut-il l’avoir été. La Suisse a-t-elle manqué de fiabilité jusqu’ici ? On pourrait le penser sachant que le gouvernement a abandonné, unilatéralement et sur le plan formel, un projet d’accord que ses négociateurs avaient pourtant finalisé sur mandat impératif. Mais n’est-ce pas un risque inhérent aux étapes de ratification de tous les traités internationaux entre Etats à régimes parlementaires ? Cette confirmation politique revient en principe aux législatifs. Puis au corps électoral en Suisse. On peut dire en ce sens que le Conseil fédéral a refusé de signer, au sens de « ratifier » un accord dont les députés ne voulaient pas débattre. Un rare procédé qui n’a pratiquement pas été contesté en termes de constitutionnalité.

Ce genre de situation n’est d’ailleurs pas exceptionnel à l’échelle du monde. Toutes proportions gardées, et bien que comparaison ne soit pas raison, l’Union Européenne et les Etats-Unis ont abandonné plusieurs fois unilatéralement d’interminables négociations pour un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), dont certains aspects importants étaient pourtant bouclés. Signé en 2016, l’Accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada est en partie seulement appliqué depuis 2017, sans jamais avoir été pleinement ratifié côté européen. La question de la fiabilité de ces partenaires a sans doute été soulevée dans la littérature juridique, mais on ne peut pas dire qu’elle ait été un sujet d’actualité.

S’agissant de la « contribution » de cohésion elle-même, considérée comme un geste de solidarité lorsqu’elle fut approuvée par le corps électoral en 2006, on peut évidemment se demander quel est encore son sens dans la politique européenne de la Suisse. La balance commerciale bénéficiaire de plus ou moins vingt milliards de francs par an en faveur de l’UE n’est-elle pas une compensation suffisante au simple droit de commercer avec le continent? Ce à quoi elle semble servir aujourd’hui dans l’esprit du public ? Cette deuxième contribution a cependant été validée par le parlement en 2016, et la possibilité d’un référendum n’a pas été saisie. La question de fond est donc réglée.

Il s’agit d’un pesant pari sur l’avenir.
D’un déplacement peut-être habile du fardeau de la bonne foi vers Bruxelles.

Autre question par rapport à la fiabilité : la libération du milliard aurait-elle lieu sans l’espoir d’un déblocage réciproque et urgent de la procédure d’association à Horizon Europe ? Certainement pas, ou en tout cas pas maintenant. Cette contribution se profile du coup comme un droit d’entrée dans les programmes publics de recherche. Le montant peut paraître en ce sens exorbitant, sachant qu’il viendra s’ajouter à fonds perdus à une contribution ordinaire probable de quelque six milliards de francs. Sachant également que les hautes écoles peuvent déjà participer à la plupart des programmes sans statut d’association. Il ne faudra pas s’attendre non plus à des témoignages de gratitude de la part du lobby académique.

On comprend que le Conseil fédéral cherche à positiver une position arrêtée dans des circonstances aussi chaotiques, sans aucun concours du partenaire européen dont la propre fiabilité est devenue sérieusement problématique depuis 2018 (voir plus bas). Il s’agit d’un pesant pari sur l’avenir. D’un déplacement peut-être habile du fardeau de la bonne foi vers Bruxelles. Il serait simplement moins aisé pour la Commission européenne, et pour ses importants relais sur le plan intérieur, de faire passer la Suisse pour un partenaire non fiable. Le Conseil fédéral estime donc que ce transfert de mauvaise conscience et d’image négative vaut bien un milliard. En plus des autres avantages évoqués, non divisibles ni chiffrables individuellement.

Dans le même temps, le Conseil fédéral continuera de veiller à ce que la Suisse ne fasse pas l’objet de discriminations de la part de l’UE et ne soit pas traitée différemment d’autres pays tiers, notamment dans les procédures d’équivalence”

Le gouvernement évoque ici le problème de ligne rouge que la Suisse a depuis 2018 face à l’Union Européenne, à ses comportements ombrageux et à son manque de crédibilité. L’équivalence boursière était-elle conditionnée à la finalisation de l’InstA ? Et appliquée à titre provisoire, comme on a pu le lire plus tard ? Difficile à dire. Cette « faveur » a en tout cas été accordée à d’autres Etats tiers. Sa résiliation fut clairement une rétorsion, un moyen de pression sur la Suisse, comme le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker l’a lui-même présentée. Que la Suisse riposte semblait dès lors dans assez naturel. Bruxelles ne s’y attendait certainement pas, n’ayant jamais discerné quelque chose ressemblant à une ligne rouge du côté de Berne (10).

Que peut faire le gouvernement pour « veiller à ce que la Suisse ne fasse pas l’objet de discrimination de la part de l’UE » ? Qu’a-t-il fait, que fait-il aujourd’hui face aux représailles plus récentes ? A part débloquer la contribution suisse à la cohésion européenne ? Pour que l’UE, comme le suggère délicatement les persifleurs, soit plus unie et plus forte au moment de discriminer les Suisses ?

L’association refusée des chercheurs à Horizon Europe, alors qu’une quinzaine d’autres Etats tiers l’ont obtenue, est aussi contraire à l’esprit du traité bilatéral sur la recherche (Bilatérales I). Avant cela, le blocage par la Commission européenne des négociations sur un Accord sur l’électricité, commencées en 2007 sans aucun rapport avec un éventuel volet institutionnel ultérieur, était également un pur abus de position dominante. La Suisse n’a pas réagi. A-t-elle seulement protesté ? Personne ne s’en souvient.

Abandon par Bruxelles des négociations sur l’énergie électrique:
la Suisse n’a pas réagi. A-t-elle seulement protesté? Personne ne s’en souvient.

Sans doute moins dommageable, la non-accréditation de la société suisse SQS s’agissant d’homologation européenne dans les technologies médicales, alors qu’aucun Etat membre européen ne s’y était opposé à l’issue d’une consultation de Bruxelles (11), ne correspond non plus à l’esprit, ni à la lettre de l’Accord sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM, Bilatérales I). Une simple mise à jour de cet ARM par rapport au nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux eût été possible. Ou se fût même imposé, sachant que les Accords bilatéraux I et II ont subi des dizaines de mises à jour de ce genre depuis leur application (dont la somme représente en fait les mystérieux « cent-vingt accords bilatéraux » dont il est souvent questions dans les débats politiques) (12).

Alors que feront le Conseil fédéral et le parlement si l’Union Européenne ne s’en tient pas à ces rétorsions déjà cumulatives ? Que la tentative de désescalade échoue ? A quoi le gouvernement aura-t-il « veillé » au juste ? Telle est l’autre question. C’est sur terrain-là que l’on attend maintenant des clarifications. Mais les autorités suisses peuvent-elles raisonnablement dévoiler leurs intentions ?

ANNEXE

A quand la résistance légale ?

Dans son édition du 1er août dernier, la NZZ am Sonntag thématisait le caractère notoirement illégal, sur le plan du droit international public, des mesures de rétorsion prises après le 26 mai dans le domaine des technologies médicales. Les autres représailles s’avèrent également problématiques sous cet angle.

L’administration fédérale, qui regorge de juristes, en est évidemment consciente. Il s’agit toutefois d’une sorte de tabou en Suisse. « Il n’est pas dans notre tradition d’engager des poursuites judiciaires en cas de conflit diplomatique », a précisé un haut fonctionnaire à la NZZ. Bien que l’option reste ouvert en tant que dernier recours. L’Union européenne le sait également. L’éventualité d’une « résistance légale » de la part de la Confédération figure certainement parmi les éléments soumis aux Etats membres s’agissant d’adopter la bonne attitude envers les Suisses.

Alors pourquoi ne pas saisir l’Organisation mondiale du commerce (OMC),
avec son mécanisme de règlement des différends ?

L’industrie des machines (Swissmem) s’est déjà adressée au Conseil fédéral pour l’enjoindre de ne pas laisser faire sur le dossier des medtechs. Le précédent pourrait de toute évidence inciter l’UE à élargir ses discriminations. Pourquoi ne pas saisir l’Organisation mondiale du commerce à Genève (OMC), et son mécanisme de règlement des différends ? La NZZ rappelle le cas des îles Féroé, qui ont des accords bilatéraux avec l’Union. Elles ont été malmenées par Bruxelles sur des questions de pêche en 2013, avec sanctions à l’appui. Les Féroïens ont aussitôt porté le cas devant l’OMC. L’UE ne s’est-elle pas tout de suite ouverte à un compromis ?

La Suisse n’est évidemment pas un petit archipel volcanique autonome par rapport à la couronne danoise. Mais à quoi sert d’être membre des Nations-Unie et de l’OMC, si c’est pour subir des traitements basés sur de purs rapports de force, contre lesquels ces organisations multilatérales ont précisément été conçues ? Sans même se permettre de protester publiquement ?

Ne pas saisir ces voies de recours, qui sont aussi des caisses de résonnance, laisse en plus tout le terrain de la communication aux dignitaires et aux médias européens. Un suivi un peu attentif des dossiers permet de se rendre compte à quel point ils ne ratent aucune occasion de faire passer les Suisses pour des concurrents déloyaux, avec des arguments reposant la plupart du temps sur des informations très partielles et partiales.

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(1) https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-84668.html

(2) Voir ATS, ou par ex.: https://www.rts.ch/info/suisse/12228427-le-conseil-federal-enterre-laccordcadre-avec-lunion-europeenne.html

(3) Voir ATS, ou par ex.: https://www.letemps.ch/suisse/accord-institutionnel-suisse-demande-clarifications-lue

(4) Voir par ex.: https://www.letemps.ch/suisse/accordcadre-suisseue-trois-points-poussent-limpasse

(5) https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-83705.html

(6) Voir par ex.: https://www.swissinfo.ch/fre/relations-bilatérales_l-accord-cadre-entre-la-suisse-et-l-ue-se-hâte-lentement/46237932
ou: https://www.lenouvelliste.ch/articles/suisse/europe-les-partis-font-l-autruche-408680 sur l’ancienneté du problème.

(7) Voir par ex.: https://www.24heures.ch/le-milliard-de-cohesion-est-lobjet-dun-chantage-politique-121707462046

(8) Voir par ex.: https://www.24heures.ch/dialoguer-avec-lue-ne-resoudra-pas-les-problemes-selon-leffler-708023264997

(9) Le think tank libéral proche des multinationales “Avenir Suisse” a aussitôt commencé avec un “Observatoire de l’érosion”: https://www.avenir-suisse.ch/fr/publication/monitoring-erosion/

(10) Plutôt que de fixer de claires limites à l’intégration, les Suisses ont plutôt eu tendance à accorder aux Européens des avantages unilatéralement, dont ils se sont ainsi privés en tant que contreparties possibles dans des négociations. Voir le libre accès des produits financiers européens au marché suisse, sans perspective de réciprocité actuellement. Ou encore l’adoption unilatérale du principe du Cassis de Dijon en 2009, sous l’impulsion de la conseillère fédérale Doris Leuthard.

(11) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/02/28/swiss-medtech-exportations-ok-importations-danger/

(12) https://www.eda.admin.ch/dam/europa/fr/documents/publikationen_dea/accords-liste_fr.pdf

(13) https://nzzas.nzz.ch/wirtschaft/die-schweiz-traut-sich-nicht-gegen-eu-zu-klagen-ld.1638300

Suisse-UE: en attendant la fin des représailles

La publication trimestrielle UBS Outlook Suisse consacre son édition de juillet à la politique européenne (*). Très instructif sur la manière dont les Alémaniques ressentent l’après-Accord institutionnel avorté (InstA) : plus problématique dans le sens importation qu’exportation. Tout semble fait à Bruxelles pour que la libre circulation des personnes revienne au premier plan. Sans parler d’électricité.

( D’après l’article paru le lundi 19 juillet sur le site allnews.ch )

L’édition est titrée La Suisse a-t-elle besoin de l’Union européenne ? Ce qui en fait a priori une caricature de tautologie rhétorique. La Suisse a évidemment besoin de l’UE, ce que personne ne conteste. A part peut-être une fraction de moins de 0,5% de citoyens portés sur des délires autarciques. La formulation renvoie cependant au cœur même d’une vulgate argumentative invoquant la subordination du droit suisse au droit européen : à quoi bon y résister, connaissant les rapports de force et sachant que la Suisse ne peut se passer de son voisinage ? Poser la question, c’est donc y répondre.

Ce titre semble conçu pour dissuader la lecture, ce que le contenu ne mérite certainement pas. Il n’y a pas d’élément factuel nouveau, mais la version française donne une idée de la manière dont les Alémaniques perçoivent actuellement la question européenne : beaucoup plus ouverte et moins émotionnelle qu’en Suisse romande. Sous la signature du bâlois Alessandro Bee, les économistes d’UBS font un petit point de situation distancé. Alors que la relation avec l’UE, précisent-ils, « semble indéterminée comme rarement auparavant ». 

Premier constat : les risques par rapport à l’accès des exportations au marché européen, archi-dominants dans les débats paroxystiques de ces dernières années, sont à peine évoqués. Oui, le marché européen restera la première destination des exportations suisses. Même si elle est en déclin par rapport aux autres (Asie -Amérique). L’économie suisse d’exportation aura toujours besoin de clients européens. Voilà.

Homologations industrielles: surmontable

Il n’est plus question nulle part d’accès « privilégié » au marché européen. Tout au plus de « sécurité d’accès » en phase de protectionnisme croissant dans le monde développé. Disons qu’il aura fallu du temps, avec quelques démonstrations précises et chiffrées, pour se rendre enfin compte que l’accès dit « privilégié » est proprement dérisoire rapporté au PIB. Il ne porte pratiquement que sur les lieux et procédures d’homologation industrielle.

Tout se passe à la lecture de cette note comme s’il apparaissait aujourd’hui que les entreprises dont l’ambition est d’exporter vers le marché unique doivent être capables d’homologuer leurs produits et systèmes dans le marché unique. Surtout si c’est moins cher et plus rapide qu’en Suisse. On s’en rendra peut-être mieux compte lorsque la phase de ressentiment et de rétorsions sera passée.

De son côté, l’Union semble en passe d’intégrer le nouvel environnement. A l’issue de la rencontre d’hier entre Johannes Hahn et le conseiller fédéral Ignazio Cassis, le commissaire européen a précisé dans un tweet que la relation Suisse-UE restait importante. Il n’est plus question de relation privilégiée. On peut supposer que Cassis aura parlé avec Hahn de la fin des rétorsions européennes initiées en 2014, et de la nécessité de sortir de cette dynamique destructrice avant d’envisager l’avenir sur de nouvelles bases. La Commission et le Parlement européens devraient rédiger un rapport au second semestre à l’attention du Conseil européen (des Etats).      

Si la Suisse reste sur sa ligne de fermeté, Bruxelles va bien finir par renoncer aux représailles pour normaliser ses relations avec le troisième partenaire économique de l’UE (avant le Royaume-Uni). Situé de surcroît au cœur de sa géographie, ce qui requiert de distinguer politique commerciale et « simple » politique de voisinage. L’UE l’a fait avec le Royaume-Uni précisément, en accordant même des facilités d’homologation dans la pharma, les biotechs ou encore les spécialités chimiques.            

Les deux thèmes sensibles retenus par UBS vont plutôt dans le sens inverse. Ils renvoient en fait à des problèmes d’importation. La libre circulation des personnes en premier lieu, salariés et indépendants. C’est-à-dire l’immigration européenne active et le travail frontalier. Puis la sécurité d’approvisionnement dans le domaine énergétique. En relation avec l’Accord sur l’électricité, que les Européens ont bloqué en décrétant qu’il était subordonné à l’InstA. Ce n’était d’ailleurs pas le cas au départ, c’est-à-dire en 2007 lorsque les négociations se sont engagées. Si les Suisses ont créé de l’insécurité juridique en abandonnant l’InstA, après deux ans de consultations, on peut dire que l’UE ne s’en est pas privé dans la séquence précédente. En beaucoup plus précipité.

Libre circulation du travail: le retour

A propos de libre circulation des personnes (LCP), indépendants et salariés en premier lieu, plébiscitée l’an dernier en vote populaire: les économistes d’UBS ont certainement raison de mentionner ce qui apparaît à ce stade comme une discrète évidence : « Pour le moment, la LCP reste en vigueur dans le cadre des accords bilatéraux ; cependant, on peut douter que l’électorat continuera de la soutenir si de son côté l’UE laisse expirer d’autres pans des accords.» Comme elle a affirmé vouloir le faire, peut-on ajouter. Référence à l’ « érosion » programmée d’accords que l’UE affirme ne plus vouloir mettre à jour. Là encore, il n’y a guère d’enjeu économique que sur l’Accord sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM). Dans le domaine des technologies médicales en particulier. Ce n’est pas anecdotique, mais pour le moins gérable.

Ajoutons encore au raisonnement d’UBS que l’équation est transposable sur le plan juridique. Les Suisses soutiennent la LCP pour avoir l’ARM. L’un étant lié à l’autre par un parallélisme juridique nommé « guillotine » dans les Accords bilatéraux I. Si l’ARM est vidé de sa substance par Bruxelles, la Suisse est légitimée à vider de sa substance la LCP (à défaut de résilier formellement l’accord).

L’élément déclencheur pourrait évidemment venir d’une initiative du parti populaire UDC. Il pourrait aussi s’agir de mesures de sauvegarde plus ou moins partielles, ou complètes, décidées unilatéralement à Berne. En cas de ralentissement économique durable par exemple. Si la variable d’ajustement de l’immigration européenne s’adaptait trop lentement à un marché du travail devenu récessif.

S’agissant des effets économiques d’une réduction ou suspension de la libre circulation du travail, UBS tombe assez facilement dans les travers préférés du plus vieux débat de politique européenne en Suisse. En particulier l’idée que les entreprises ne pourraient plus « importer » de compétences en provenance d’Europe. Comme si les Suisses allaient cesser de pouvoir « déporter » des Européens dans des camps de travail. En réalité, la Suisse n’a absolument pas besoin de LCP pour accueillir toutes les compétences et talents dont elle a besoin. Les risques de pénurie de personnes actives à l’échelle du continent, dus au vieillissement en particulier, ont le même poids avec ou sans LCP.    

Il est dès lors possible de voir les choses autrement. Sans LCP, et toutes choses égales par ailleurs, l’immigration européenne ne cesserait pas. Le marché du travail serait simplement régulé par une politique d’immigration plus autonome, comme dans cent soixante Etats dans le monde (très compétitifs et prospères pour certains).  

Cette autonomie aurait à coup sûr un coût administratif pour les entreprises, avec quelques lenteurs dans l’attribution des permis de travail. Ce qui finirait par paraître globalement aussi gérables que les privilèges perdus de l’ARM. On peut aussi imaginer un nouvel accord de régulation réciproque par métier, sur le modèle des Etats-Unis, du Mexique et du Canada par exemple (ALENA et ACEUM).

Il est vrai qu’une politique migratoire autonome et moins contrainte, c’est-à-dire plus « libérale » selon la terminologie d’UBS, n’offrirait pas le niveau de stabilité juridique de la LCP. Serait-ce si dramatique? Pour mémoire, le principe de libre circulation avait été plébiscité dans les années 1990 par les partenaires sociaux dans la perspective d’une future intégration économique et sociale dans l’UE. Mais également en fonction d’intérêts bien compris :
– la droite économique y voyait un moyen de surmonter les réticences de la droite conservatrice s’agissant de supprimer les contingents d’immigration européenne (pourtant jamais atteints depuis les années 1980) ;
– la gauche syndicale un moyen de relancer ses adhésions (de nouveaux résidents ou frontaliers).
Non exclusive, cette  motivation de la gauche n’a pas changé aujourd’hui. La droite économique ne devrait plus avoir de craintes non plus : l’idée que l’immigration est une bonne chose tant qu’elle n’agit pas durablement sur les taux de chômage est très largement, et profondément implantée dans l’opinion publique (voir le vote de septembre 2020). Elle n’a plus besoin de LCP. Seule une petite partie de l’UDC et certains microcosmes décroissants sont susceptibles de s’y opposer sérieusement.

La régulation plus autonome de l’immigration européenne ne sonnerait pas forcément la fin des mesures d’accompagnement, auxquelles la gauche est à juste titre très attachée.    Elle présenterait même un avantage économique et social non négligeable. L’immigration globale (Europe-monde) étant de toute manière limitée tacitement pour raisons politiques, avec un effet de substitution, la provenance européenne pourrait être cette fois modulée à la baisse et à l’avantage du monde. L’immigration extra-européenne est aujourd’hui sévèrement restreinte. N’a-t-elle pas diminué de 20% en moyenne annuelle depuis l’application complète de la LCP en 2007 ? Il s’agit certainement d’un appauvrissement sur le plan des cultures du travail.

Cette tendance est en contradiction avec la globalisation des entreprises suisses, hautes écoles et autres entités internationalisées. Autant d’institutions requérant idéalement une diversité linguistique et culturelle étendue bien au-delà des limites du continent. L’élargissement au monde accentuerait les avantages comparatifs de la place industrielle et de services.

Contrairement à ce que suggère Alessandro Bee, il est rarement nécessaire de maîtriser tout de suite une langue nationale pour travailler en anglais ou dans des activités à faibles qualifications. Aucun pays au monde n’a d’ailleurs investi autant dans l’acculturation des nouveaux arrivants de toutes provenances et conditions sociales. A noter par surabondance que des requérants d’asile en état statutaire de travailler ne le peuvent pas, parce que les Européens en ont le droit et doivent être servis en premier sur le marché de l’emploi. Ce n’est pas optimal sous l’angle des budgets sociaux.

Revenons à UBS, qui évoque aussi le potentiel inexploité des filières domestiques sur le marché du travail. Il y est question de l’employabilité des femmes, envisagée comme l’une des alternatives possibles à une pénurie de ressources humaines européennes. Mentionnée comme solution incitative, le développement des garderies a pourtant atteint aujourd’hui un niveau relativement élevé. Le stade suivant porterait sur leur gratuité, ce qui ne figure pas vraiment à l’agenda politique. Les partis gouvernementaux n’ont pas l’air d’estimer qu’un alourdissement des budgets publics produirait les effets économique et sociaux souhaités.

Autre alternative partielle évoquée : le relèvement de l’âge de la retraite. Cette mesure figure dans des programmes politiques depuis plus de quinze ans. Une initiative populaire a été déposée pour le relever à soixante-six ans. Les oppositions seront largement réparties sur l’éventail politique. Un sondage M.I.S Trend parmi les entreprises suisses avait d’ailleurs montré, dans les années 2010, que les directions d’entreprise y étaient elles-mêmes opposées à près de 70%.

Le piège de l’électricité

La révolution énergétique dans laquelle le monde et la Suisse se sont engagés cherche à combiner au mieux pragmatisme et grands objectifs idéologiques. UBS fait un point clair et panoramique de la situation et des scénarios envisageables localement. Le propos aboutit à ce constat que l’on peut qualifier de consensuel : la fin programmée du nucléaire et des sources d’énergies fossiles, trop rapide par rapport à la montée en puissance du tout électrique renouvelable, va en principe créer de graves pénuries de courant dans les années 2030. En Europe comme en Suisse. On peut cependant prévoir que la dépendance au marché européen sera plus élevée qu’aujourd’hui. De l’ordre de 30% de la consommation d’énergie brute, avec des pointes de 40% en hiver. La Suisse aura besoin de l’Union Européenne, ce qu’il fallait démontrer.   

Le développement s’arrête là, mais il n’est pas difficile de prolonger. Des accords techniques sur l’interconnexion des réseaux seront toujours possibles au nom des politiques de voisinage. Ce ne sera toutefois pas le cas dans la gestion et le partage de la pénurie. Britanniques et suisses ne seront approvisionnés que lorsque les Etats membres l’auront été. Il faut se faire à l’idée que cette réalité communautaire ne va pas évoluer avant longtemps. Il n’y aura probablement pas d’accord sur l’électricité en ce sens-là.

La Suisse est en quelque sorte condamnée à devoir augmenter son autonomie énergétique. La consommation devrait diminuer de 30%, ce qui n’effraie pas grand-monde, mais c’est la production d’électricité d’origine solaire qui représente la clé du succès. Il faut de toute évidence que la politique énergétique de la Suisse soit redéfinie en tenant compte de cette urgence. Les politiques publiques basées sur le binôme « taxes et interdictions » n’obtiennent plus d’adhésion. Les orienter davantage sur la voie de l’investissement et de l’endettement, en mode beaucoup plus volontariste, offrirait peut-être de nouvelles perspectives. En tout état de cause, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et le conseiller fédéral Ueli Maurer ne semblent plus être les bonnes personnes à la tête des deux départements de l’Energie et des Finances.

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(*) https://www.ubs.com/global/en/wealth-management/chief-investment-office/market-insights/regional-outlook/2021/ubs-outlook-switzerland-july-fr.html

 

 

 

           

Représailles contre la Suisse: Didier Queloz, vous avez tellement raison

Adapté d’un échange de tweets avec le Nobel de physique, découvreur d’exoplanètes, qui va quitter l’Université de Genève pour rejoindre une équipe dédiée aux recherches sur les origines de la vie à l’Ecole polytechnique de Zurich.

A kill of perspectives? Vous exagérez. Les chercheurs et innovateurs peuvent participer dans la plupart des cas. Le financement viendra de Berne directement au lieu de passer par Bruxelles (1). Comme en 2014-2016.    

L’association à Horizon Europe est officiellement suspendue tant que le parlement bloque la participation de la contribution suisse de plus d’un milliard de francs à l’élargissement (?!) de l’UE.

Cette contribution a été suspendue tant que l’UE continuait de son côté de ne pas reconnaître l’équivalence boursière avec la Suisse. Une représaille de l’époque Juncker par rapport aux lenteurs de ratification de l’Accord-cadre institutionnel subordonnant progressivement le droit suisse au droit européen, aujourd’hui abandonné.

Il n’y a pourtant aucun lien juridique entre l’Accord sur la recherche de 1999 (Bilatérales I) et le projet avorté d’Accord cadre institutionnel, comme le confirmait en décembre 2019 le commissaire européen Johannes Hahn, ancien ministre des sciences et de la recherche de la République d’Autriche (2).

Cette mauvaise nouvelle pour la recherche subventionnée et l’innovation en Suisse relève donc de la pure rétorsion politique. Il faudra attendre la désescalade pour sortir de ces comportements de grande puissance ombrageuse. Ou plutôt de cour d’école.

Parallèlement, un accord d’association d’application transitoire immédiate a été conclu par Bruxelles avec le Royaume-Uni, Israël, la Turquie, l’Ukraine, l’Albanie, l’Arménie, la Bosnie, les îles Féroé, la Géorgie, le Kosovo, la Moldavie, la Serbie, la Tunisie, le Monténégro, le Maroc ou encore la Macédoine du Nord.

La science et les scientifiques suisses sont de toute apparence pris en otage. Bruxelles les instrumentalise pour qu’ils appellent au secours, émeuvent l’opinion publique et fasse évoluer la politique européenne de la Suisse dans le sens souhaité par l’Union.  

Vous avez raison, Monsieur Queloz, l’attitude de Bruxelles est déprimante.

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(1)https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/06/25/la-suisse-ejectee-dhorizon-europe-recherche-cinq-idees-fausses/

(2) https://www.srf.ch/news/schweiz/neues-zu-horizon-europe-die-schweiz-soll-kuenftig-zahlen-was-ihre-forscher-erhalten

 

Suisse-EU : l’heure du reset à Berne

Voie bilatérale barrée, bilatéralisme à relancer. L’Union Européenne ne veut plus d’un cas particulier suisse dans son intégration. La Suisse doit revoir sa politique européenne. Le moment de s’intéresser davantage à un accord sur l’électricité?

Est-ce la fin du bilatéralisme ? Certainement pas. Le bilatéralisme ne désigne que des relations bilatérales sectorielles et pragmatiques, qui peuvent exister parfois sous forme de simples arrangements. Ce serait plutôt la fin de la voie bilatérale vers l’intégration (1). Sous l’angle de la politique intérieure en Suisse, le Niet de Bruxelles représente un obstacle difficilement contournable sur cet autoroute.

Le voyage du président de la Confédération a accouché d’une souris beaucoup plus grosse que prévu. Sous l’influence probable de la France, de ses alliés latins et des Etats de l’Est de l’Europe, l’Union a suspendu la voie bilatérale. Par souci de clarté, on devrait dire qu’elle a tiré la prise, mais l’expression est encore trop lourde d’émotions et de malentendus.

Le projet d’approfondissement des Accords bilatéraux I est quand même stoppé. Contenus dans la Déclaration commune en annexe de l’Accord, les engagements sur l’élargissement de l’institutionnel sont a fortiori remis en cause. Ne s’agit-il pas précisément d’étendre le modèle institutionnel à d’autres accords? Si les Suisses veulent relancer cette voie bilatérale d’intégration, un nouveau projet d’Accord institutionnel sera nécessaire. Il faudra toutefois beaucoup de temps pour convaincre les Européens d’entrer en matière. Seul un projet qui voudrait encore aller plus loin pourrait les intéresser.

Ce qui va peut-être se passer sur le plan politique.

Une période de règlements de compte et de confusion, des tentatives peut-être de rattrapage au Parlement et devant le peuple. Verts libéraux en tête, des voix vont demander que l’Accord institutionnel soit débattu tel quel, puis tranché. Au risque de faire ressortir davantage de lourdes divisions dans les partis gouvernementaux. Le Conseil fédéral pourrait lui-même souhaiter le référendum, de manière que l’échec soit acté sur le plan politique, et qu’il devienne plus légitime et plus aisé de passer à autre chose.

En cas de débat national, les argumentaires tourneraient en rond en se focalisant sans surprise sur la stabilité et les intérêts économiques, comme lors des étapes précédentes de la voie bilatérale (Accords bilatéraux I et II). Il n’est pas acquis à ce stade que le référendum serait un échec pour l’accord institutionnel. Il n’y a pas eu de sondage depuis deux ans. Les Suisse y étaient alors favorables à 60%, mais c’était avant que les positions de la gauche syndicale soient prises au sérieux.

Dans un second temps, le Conseil fédéral et le Parlement devront revoir la politique européenne de la Suisse. L’horizon temps pourrait d’ailleurs s’avérer assez vague. Le référendum sur le Brexit en 2016 avait sensiblement ralenti les processus décisionnels côté suisse. Berne sera maintenant tenté d’attendre d’y voir plus clair sur l’évolution des relations euro-britanniques avant de reconstruire sur le court et le long terme.

Il s’agira surtout d’observer ce qui se passe sur le plan très politique de la recherche subventionnée (2), des échanges d’étudiants, ou des homologations industrielles facilitées, prévues dans l’accord EU-UK (3). Personne ne peut ignorer que cet accord EU-UK fait 1400 pages, alors que l’accord de 1972 EU-CH n’en fait que 15. Affirmer que l’absence d’Accord institutionnel relègue les relations commerciales au niveau de 1972 est absurde. Le Royaume-Uni a d’ailleurs obtenu des facilitations d’homologation dans des domaines simplement qualifiés “d’intérêt mutuel”:  industrie pharmaceutique, chimie, produits organiques, automobile, vins… (4)

Faute d’accord institutionnel, on peut deviner que Bruxelles et les Etats membres sont maintenant disposés à considérer la Suisse sur le même plan que la Grande-Bretagne, sachant tout de même que celle-ci ne donne rien en matière de libre circulation des personnes, de Schengen… ou de transit alpin. Tout deviendrait beaucoup plus simple du point de vue de Bruxelles.

En Suisse, un changement d’orientation dans la politique européenne irait sans doute dans le sens d’un accord global de partenariat. Et non d’intégration législative et de “participation” au marché, la notion “d’accès” étant alors considérée comme suffisante. Un partenariat dit “de nouvelle génération”, plus ou moins inspiré de l’accord EU-Canada (la référence des Britanniques). Une approche de partenariat à la place de l’institutionnel ne remettrait pas forcément en cause les Accords bilatéraux I et II.

Il semble nécessaire également de mettre un nouveau chef à la tête des Affaires étrangères. Une forte personnalité, le DFAE apparaissant comme le département le plus important depuis trois décennies. De préférence alémanique, plus proche de la majorité des Suisses sous l’angle de la politique européenne. Les tandems latin Burkhalter/Rossier et Cassis/Balzaretti n’ont pas réussi à finaliser ce qu’ils ont entrepris. Parce qu’ils ont mal emmanché leur affaire probablement. Le fait que l’Accord institutionnel ait été porté au plus haut niveau par ces Romands et Tessinois a probablement fragilisé ses chances. Pour des raisons évidentes de loyautés, il était peut-être plus facile pour les Alémaniques de renier ce long travail. 

Ce qui va peut-être se passer sur le plan économique.

Il y aura probablement beaucoup de bruit, des regrets, des appels à ne pas renoncer, à un plan B vigoureux, etc. Il y aura aussi quelques dégâts minutieusement chroniqués sur le plan des homologations industrielles, seul véritable élément d’accès privilégié au marché européen (avec le transport aérien) (5). Il n’y aura toutefois pas d’effets catastrophiques, comme redoutés en cas de refus lors de chaque étape problématique d’intégration. Le marché suisse des actions n’a pas sur-réagi vendredi à la nouvelle de l’échec des négociations. Les entreprises ont, dans leur grande diversité, des capacités d’adaptation considérables. Elle l’ont abondamment démontré dans un passé récent. 90% des homologations dans les technologies médicales ont lieu aujourd’hui directement en Europe, en passant par des agences privées. Les procédures sont en général plus rapides et moins coûteuses (6). Les petites entreprises elles-mêmes savent s’organiser, individuellement ou collectivement.

Des investissements iront peut-être vers l’UE plutôt que vers la Suisse. Des emplois vont probablement disparaître ou ne plus être créés, mais dans des proportions qui n’apparaîtront pratiquement pas dans les chiffres macroéconomiques. Le Parti populaire (UDC) est d’ailleurs à l’aise sur ce terrain: selon la doctrine officielle en Suisse, l’immigration est une variable d’ajustement du marché de l’emploi. Moins d’emplois devrait donc signifier moins d’immigration européenne.

Dans le domaine financier, accord institutionnel ou pas, l’UE n’a jamais manifesté son intention d’accorder l’équivalence des services à la Suisse (ni à la City). Dans celui de la recherche subventionnée, l’Accord n’est plus l’élément déterminant que la libre circulation des personnes a été à l’époque du programme européen Horizon 2020. Une éventuelle association complète de la Suisse au programme Horizon 2027 est aujourd’hui considérée à Bruxelles sur le même plan qu’avec le Royaume-Uni et Israël. Ce n’aurait pas été différent avec l’Accord institutionnel (7).  

L’incertitude économique ne va pas disparaître. Elle n’a en fait jamais disparu. La voie bilatérale d’intégration complète, par étapes, qui rendent chaque fois les étapes suivantes indispensables, est aussi source d’incertitudes continuelles. Ratifié, l’accord aurait ouvert un champ conflictuel nouveau, sur la question de l’élargissement de l’institutionnel, avec des difficultés d’acceptation et de nouvelles tensions.

Recentrage de la politique de souveraineté sur l’électricité

Dans cette nouvelle configuration de statu quo, le projet d’Accord sur l’électricité devient de toute évidence un enjeu crucial pour la Suisse. N’est-il pas vital qu’un petit pays enclavé puisse au moins obtenir des garanties d’approvisionnement en énergie ? Sans devoir attendre sans fin que l’UE, qui instrumentalise cette menace, ait obtenu tout ce qu’elle voulait avant d’entrer en matière?

Cette sécurité de première nécessité ne relève pas seulement de la politique européenne de la Suisse. Il s’agit aussi d’un droit en quelque sorte naturel, facilement défendable dans le cadre des Nations Unies par exemple. L’approvisionnement en électricité d’hiver, en échange d’électricité suisse en été, est opéré aujourd’hui à flux très tendus, avec des risques continuels de black out. Une proposition suisse légitime et réaliste sur l’énergie, sans libéralisation radicale du marché suisse de l’électricité – le projet serait sinon voué à l’échec – pourrait relancer les relations sur une base sensiblement différente.  

Les Suisses ne devraient-ils pas placer cette exigence de sécurité énergétique avant tout autre nouvelle discussion sectorielle ou institutionnelle ? Et avant toute autre concession dans d’autres domaines ? En faisant valoir encore une fois les contreparties accordées à l’avance: la libre circulation, qui a été plébiscitée, les transversales alpines, beaucoup de bonne volonté dans Schengen/Dublin, l’adoption unilatérale du principe du Cassis de Dijon, ou encore le libre accès à sens unique des produits financiers européens en Suisse.

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(1) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/13/genealogie-de-la-voie-bilaterale/

(2) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/04/28/acces-au-marche-europeen-4-ce-que-vaut-laccord-sur-la-recherche/

(3) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/02/02/acces-au-marche-europeen-3-les-derisoires-privileges-de-larm/

(4) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/12/28/brexit-deal-lourde-humiliation-pour-les-suisses/

(5) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/01/13/ce-que-veut-dire-acces-au-marche-europeen-1-une-voie-royale-vers-le-marche-suisse/

(6) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/02/28/swiss-medtech-exportations-ok-importations-danger/

(7) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/03/30/alleingang-dans-la-recherche-lallemagne-fait-de-la-resistance/

 

Swiss Medtech – Exportations: OK. Importations: DANGER!

ACCORD INSTITUTIONNEL SUISSE-UE, RETORSIONS ET CONTRE-RETORSIONS. Entretien avec Daniel Delfosse, Head of Regulatory Affairs de Swiss Medtech. Le risque s’éloigne de ne plus pouvoir homologuer en Suisse les technologies médicales destinées au marché européen. En revanche, l’association sectorielle vient d’alerter le Conseil fédéral sur de sérieuses conséquences concernant les importations, l’accès aux meilleures pratiques et les coûts de la santé en Suisse. Le gouvernement n’a-t-il pas pris une décision hâtive sans consultation préalable? (1)     

Sauf nouveau report dû à la crise sanitaire, le changement de régime en matière d’homologation des dispositifs médicaux dans l’Union Européenne sera effectif dans trois mois (26 mai). La directive européenne MDD sera alors remplacée par une « régulation » (Medical Device Regulation, MDR). Les exigences de conformité seront sensiblement plus élevées dans les instruments, comme dans les appareils ou les implants (les médicaments ne sont pas concernés). Des résultats cliniques devront en particulier être systématiquement fournis par les producteurs.

Ces nouvelles contraintes ne portent pas seulement sur les nouveaux dispositifs médicaux. Elles s’appliquent à l’ensemble du parc existant, qui sera soumis à de nouvelles expertises, sans parler des changements dans l’étiquetage et les documents.

Dans le système actuel (MDD), et dans toute l’Union Européenne, une cinquantaine d’agences privées (Notified Bodies) sont autorisées à traiter les demandes de certification de leurs entreprises clientes. D’où qu’elles viennent dans le monde. Les nouveaux Notified Bodies sous le système MDR ne sont pour l’instant qu’une vingtaine (2). Il s’agit en général d’anciennes entités ayant réussi leur passage de la MDD à la MDR.

Dans la cinquantaine de Notified Bodies européens actuellement autorisés (sous l’ancien régime MDD), deux sont suisses et basés en Suisse. SQS à Berne-Zollikofen, 160 collaborateurs, société sans but lucratif créée en 1983 par des utilisateurs de tous les secteurs : alimentaire, aéronautique, numérique, tourisme, etc. QS par ailleurs, comme Quality-Service, à Zurich et Bâle. Ces deux entreprises ont octroyé un grand nombre de certifications européennes à des produits et systèmes dans le médical, qu’ils viennent de Suisse ou d’ailleurs dans le monde.

Les opérateurs suisses des technologies médicales, comme ceux d’Amérique ou d’Asie, peuvent aussi obtenir « directement » leurs certifications européennes auprès des entités autorisées basées dans l’UE. Des filiales européennes d’entreprises suisses de toutes tailles en avaient déjà l’habitude avant les événements de ces dernières années : souvent moins cher dans l’UE qu’en Suisse, parfois plus rapide et plus pratique.

Depuis 2017 et les tensions politiques permanentes sur l’Accord institutionnel Suisse-UE, la tendance à s’adresser aux Notified Bodies européens s’est clairement accentuée. Il n’était pas certain en effet que SQS et QS allaient être agréés à Bruxelles comme nouveaux certificateurs MDR. L’organisation sectorielle Swiss Medtech à Berne a d’ailleurs recommandé de se tourner sans tarder vers les certificateurs européens. C’était il y a un an. QS avait déjà renoncé à se convertir à la nouvelle MDR, mais SQS était bel et bien candidat, dans un environnement toutefois très incertain.  

Où en est-on avec la reconnaissance de SQS à Berne comme certificateur medtech dans la nouvelle régulation de l’Union Européenne ?

Daniel Delfosse. Les Etats membres de l’UE avaient jusqu’à vendredi dernier (26 février) pour s’opposer à ce que l’agence de certification suisse SQS ait le statut européen dans le nouveau régime. Ce n’était de loin pas gagné d’avance dans le climat politique actuel. Or aucun Etat ne s’est manifesté à notre connaissance. Sauf retournement de dernière minute du côté de Bruxelles, on peut donc dire qu’il sera encore possible à l’avenir de certifier en Suisse des technologies médicales conformes aux normes européennes.

Avec ou sans Accord-cadre institutionnel ?

Oui. Et sauf élément politique nouveau, évidemment.   

C’est une nouvelle importante après trois ans d’incertitude, et pour un secteur qui compte aujourd’hui quelque 350 fabricants en Suisse, avec un nombre à peu près semblable de sous-traitants. Le pessimisme régnait jusqu’ici. Quelle est la part des certifications du medtech suisse qui ont « émigré » vers l’UE, souvent par précaution ?

Il s’agit d’une part importante, de plus de 90%, mais elle n’est pas forcément récente. Certaines entreprises suisses ont toujours engagé leurs procédures d’homologation en Europe plutôt qu’en Suisse. En particulier lorsqu’elles ont une ou plusieurs filiales en Europe, ce qui est fréquent.  

Ces certifications « perdues » vont-elles revenir en Suisse ?

Il est difficile de prévoir à ce stade comment va évoluer la proportion de certifications européennes réalisées en Europe plutôt qu’en Suisse. D’autant qu’il y aura une assez longue période d’adaptation au nouveau régime, avec des rattrapages, des goulets d’étranglement et des délais peu prévisibles. Ce qui est certain, c’est que des habitudes ont été prises en Suisse avec des certificateurs allemands, français, ou encore néerlandais. Il faut parfois de solides raisons pour changer d’habitude.  

Il en va donc aussi de l’avenir du certificateur suisse SQS.   

Une entreprise comme SQS est bien diversifiée dans des secteurs moins sensibles politiquement. Il n’est pas sûr que le medtech restera toujours une priorité pour elle. Mais il était important que certaines entreprises, en démarrage par exemple, puissent compter sur ce genre de service en Suisse même. Il y a aussi un enjeu d’image et de promotion économique. Il peut être plus facile d’enraciner des start-ups, ou de capter des investissements si vous pouvez faire valoir qu’il est possible d’obtenir des certifications européennes en Suisse.

Les entreprises exportatrices de technologies médicales des Etats tiers doivent avoir un mandataire dans l’UE. Une entreprise européenne qui les représente, dans les litiges en particulier. Où en est-on avec cette nouvelle complication ?

C’est de loin ce qui nous préoccupe le plus actuellement, mais pas seulement par rapport aux exportations. Nous pensons qu’un grave problème va surgir du côté des importations et du marché intérieur. Avec de lourdes répercussions potentielles sur la santé et les coûts de la santé en Suisse.

Nous allons y venir, mais terminons avec le marché européen : ces représentants légaux sont une nouveauté. Quel rapport avec l’Accord institutionnel en suspens ?

Le système des mandataires s’applique aux Etats tiers. Or l’Union Européenne a décidé que la Suisse devenait un Etat tiers dès l’entrée en vigueur de la MDR. Il n’y a pas en effet de reprise automatique des nouvelles dispositions MDR dans l’Accord de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM, Accords bilatéraux I). Tant qu’un Accord institutionnel ne sera pas ratifié, prévoyant ce genre de reprise automatique, la Suisse sera considérée comme un Etat tiers en termes de MDR. Et ce problème ne peut pas faire l’objet de négociations spécifiques: la Commission Européenne a déclaré en 2018 déjà qu’aucune nouvelle entente bilatérale ne serait envisageable tant que l’Accord institutionnel ne serait pas ratifié en Suisse.

Quels seront les coûts supplémentaires de cette exigence de représentation légale ? 

Nous avons calculé qu’il s’agira d’un surcoût global de 115 millions de francs pour la mise en place, puis 75 millions par an. Plus de 300 entreprises européennes des medtechs ont déjà été mandatées par des entreprises suisses. C’est évidemment dommage de devoir payer cette somme juste pour de l’administration, au lieu de l’utiliser pour des investissements et de l’innovation. Mais c’est nécessaire, et les exportations suisses de technologies médicales représentent à peu près dix milliards de francs par an, dont la moitié vers l’Europe.   

Alors venons-en aux importations, pratiquement absentes du débat public sur le dossier medtech depuis le début de la crise.

Nous avons envoyé la semaine dernière des courriers personnels aux conseillers fédéraux Berset, Parmelin et Cassis. Il s’agit de les sensibiliser à une situation assez invraisemblable, qui s’annonce périlleuse pour le secteur de la santé. La réciprocité en matière de représentation légale va augmenter les efforts et les coûts pour les importations en Suisse. Ce n’est pas le surcoût lui-même qui pose un problème, mais surtout son effet prévisible sur la décision de couvrir ou non un petit Etat comme la Suisse. Il y aura certainement de nombreux exportateurs vers la Suisse qui vont décider de renoncer à ce marché déjà compliqué pour des raisons linguistiques. Des situations de pénurie et d’obsolescence sont à prévoir dans les dispositifs médicaux. Moins de concurrence va aussi avoir un effet pervers sur les prix. Ce n’est pas souhaitable pour les patients, ni pour l’image de la place médicale suisse.

Vous avez des estimations chiffrées ?  

Nous craignons en gros de perdre un quart des produits et systèmes importés. Sachant que la moitié des dispositifs actuels sont importés, c’est un huitième des équipements qui ne seront plus accessibles. Et ce sera probablement davantage le cas pour les équipements destinés à traiter des maladies rares. S’agissant des coûts, nous prévoyons une augmentation de 10%, dont 8% pour les demandes de la MDR et 2% pour les mandataires.

Comment en est-on arrivé là ? La réciprocité n’était nullement nécessaire dans cette affaire.

Les autorités ont la tâche délicate de trouver un équilibre entre sécurité des produits, sécurité d’approvisionnement, ca­ractère contraignant et équivalence avec l’UE. Que la Suisse ait été reléguée parmi les Etats tiers dans le nouveau régime MDR a été considéré par le Conseil fédéral comme une mesure de rétorsion de la part de Bruxelles (au même titre et à la même époque que la perte d’équivalence boursière, qui a fait l’objet d’une contre-rétorsion de la part de la Suisse, ndlr). Le Conseil fédéral a donc demandé que la réglementation suisse soit également réorganisée en imposant le principe du mandataire pour les importations européennes.

On peut imaginer qu’un transfert de provenances aura lieu au bénéfice des technologies américaines et asiatiques. Importants fournisseurs de la place médicale suisse qui, elles, ne seront pas soumises à l’obligation d’un représentant légal en Suisse.  

Non, parce que ce serait une discrimination au sens de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour imposer le mandataire aux importations européennes, à titre de contre-rétorsion, il a fallu l’imposer aux importations de tous les pays du monde!

Vous n’avez pas été consultés ?

Pour le décret modificatif du règlement, il n’y a pas eu de consultation publique. Seule une « petite » consultation a été réalisée à l’intérieur de l’administration fédérale. Les milieux de la santé n’ont pas été consultés non plus. C’est évidemment très regrettable. Nous espérons qu’il est encore possible de trouver un accord avec les autorités afin de ne pas mettre en péril les patients suisses.

Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Le Conseil fédéral établit les règles d’importation. Il peut les fixer unilatéralement et indépendamment de l’UE, par le biais de l’Ordonnance suisse sur les dispositifs médicaux (ODim). Nous attendons du Conseil fédéral qu’avec l’ODim prévue, il ne crée pas de barrières à l’importation, qui mettraient en danger les soins de santé pour notre propre population.

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(1) Sur l’importance des technologies médicales en Suisse: https://www.swiss-medtech.ch/sites/default/files/2020-09/SMTI_2020_DE_low_0.pdf

Sur l’importance des technologies médicales en Europe: https://www.swiss-medtech.ch/sites/default/files/2020-08/MTE_EN_2020.pdf

(2) 19 précisément, dont 6  en Allemagne, 3 aux Pays-Bas (qui n’est paradoxalement pas un grand producteur de medtechs), et 2 en Italie. https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/nando/index.cfm?fuseaction=directive.notifiedbody&dir_id=34

 

 

 

 

 

 

Baudenbacher, la hantise des soumissionnistes

Accord institutionnel : l’expert le plus coté en la matière est intarissable sur ce que signifierait la Cour européenne de justice en Suisse: une mainmise progressive de Bruxelles dans un gant de velours intitulé Cour arbitrale paritaire. Extraits.

Il passe sans conteste pour la première référence en Suisse s’agissant de traités d’ordre économique avec l’Union Européenne. Juriste, enseignant à l’Université de Saint-Gall pendant vingt-cinq ans, invité aujourd’hui encore dans les plus hautes écoles d’Europe, Carl Baudenbacher s’est surtout frotté à la pratique : juge à la Cour de l’AELE de 1995 à 2018 (représentant le Liechtestein), en rapport avec l’Espace économique européen, président de 2003 à 2017, consulté personnellement par des Etats et sollicité pour des arbitrages.

Carl Baudenbacher a publié des ceux dernières années plusieurs articles dans la presse alémanique (NZZ, SonntagsZeitung, Weltwoche), mettant en garde contre l’idée que la Cour européenne de justice (CJUE), qui chapeaute l’Accord institutionnel en attente de ratification (InstA), pourrait être autre chose qu’un instrument au service exclusif de l’UE pour soumettre progressivement la Suisse au droit européen. Alertant également sur la nouvelle clause guillotine (super-guillotine), qui rendrait cette nouvelle étape majeure d’intégration aussi irréversible que la précédente (Accords bilatéraux I).

Sa critique de l’InstA porte donc principalement sur le règlement des différends. A ces yeux, l’instauration d’un tribunal arbitral paritaire (1), c’est-à-dire composé d’un nombre égal de membres suisses et européens, est un artifice purement formel et factice destiné à rendre le traité acceptable dans l’opinion publique suisse.

Il suffit de lire attentivement le texte pour se rendre compte que l’UE pourrait saisir souverainement sa propre instance suprême pour briser les résistances législatives en Suisse. La manière dont ces futures procédures se sont mises en place en témoigne par ailleurs : la Cour de Justice de l’Union Européenne est vouée à devenir rapidement la Cour constitutionnelle dont les Suisses n’ont jamais voulu. Elle viderait de facto les droits populaires de leur substance.

« Le principal problème de l’accord-cadre, c’est bien sûr que la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE), qui par définition manque de neutralité, doit être habilitée à trancher les litiges entre l’UE et la Suisse de manière contraignante. Le tribunal arbitral paritaire en amont ne sert qu’à camoufler cet énorme transfert de souveraineté.

« Ce tribunal doit faire appel à la CJUE non seulement lorsque le droit de l’UE est réellement concerné, mais aussi lorsqu’il s’agit du droit des traités dérivé du droit de l’UE. Cela signifie que les cas dans lesquels le tribunal arbitral paritaire serait seul compétent sont difficiles à imaginer. Même les partisans de l’accord-cadre en conviennent. Ils se consolent en affirmant que la CJUE est une juridiction respectée, dont la Suisse n’a rien à craindre. En revanche, le président de l’Union syndicale suisse Pierre-Yves Maillard a déclaré, lors d’un colloque organisé par la Société suisse de public affairs (SSPA) le 11 juin 2019, que la Suisse aurait en fait une Cour constitutionnelle qui réexaminerait sa législation. La seule chose à ajouter est que cela ne s’appliquerait pas uniquement à la protection des salaires.

(…) « Il faut plutôt regarder vers l’avenir et se rendre compte que les conflits découlant d’un accord sur l’électricité, d’un accord de services ou de l’accord de libre-échange de 1972 actualisé relèveraient également de la compétence de la CJUE. Le Conseil fédéral agit comme si ce tribunal arbitral n’était pas un problème, et refuse d’en discuter. Cette attitude ne peut vraiment s’expliquer que par le fait qu’il n’a pas d’argument valable. Du point de vue du Département des affaires étrangères, chef de file sur ce dossier, la Suisse gagnerait même en souveraineté avec ce tribunal.

(…) « Immédiatement avant et après le Brexit, qui a eu lieu le 31 janvier 2020, le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, proclamait que le mécanisme de règlement des différends, envisagé pour un futur accord commercial avec la Grande-Bretagne, donnerait à la Cour de justice européenne le seul pouvoir d’interprétation. Le Guardian du 3 février 2020 a cité M. Barnier, affirmant que la CJUE devrait, comme auparavant (avant le Brexit), continuer de jouer pleinement son rôle.

« Cette continuité est du plus grand intérêt pour la Suisse, car le même mécanisme est ancré dans l’accord-cadre. Dans les deux cas, la CJUE serait précédée d’un tribunal arbitral. Chaque partie devrait avoir le droit de faire appel unilatéralement à cette instance paritaire. C’est-à-dire indépendamment du consentement de la partie adverse. En ce qui concerne l’interprétation du droit de l’UE, ou du droit des traités ayant le même contenu que le droit de l’UE, c’est-à-dire dans presque tous les cas imaginables, le tribunal arbitral devrait cependant être obligé de demander à la CJUE une décision contraignante. Avec cette procédure, la Commission européenne serait devenue l’autorité de contrôle de facto pour la Grande-Bretagne (et la Suisse), avec la CJUE comme tribunal de facto. C’est pourquoi le négociateur en chef de l’UE Michel Barnier ne mentionnait même pas le tribunal arbitral.

(…) « Le tribunal arbitral serait structurellement faible, et ne pourrait pas rejeter une demande de renvoi bien fondée de l’UE devant la CJUE. L’auteur britannique Martin Howe a fort justement décrit ce tribunal comme une « boîte aux lettres pour soumettre le différend à la CJUE », et comme un « amortisseur quand la réponse reviendra.

Précédent démonstratif

« Rien ne permet d’affirmer que les affaires jugées jusqu’ici par la CJUE, en rapport avec les accords bilatéraux, n’ont guère posé de problèmes à la Suisse. (…) Le seul cas significatif à ce jour – celui de l’aéroport de Zurich (2) – a en fait été tranché au détriment de la Suisse. Les hauts responsables politiques zurichois étaient pourtant convaincus que la Suisse gagnerait.

« Les partisans de l’InstA ignorent largement la question de la souveraineté. Le Conseil fédéral tente de s’en sortir en affirmant qu’il en a toujours tenu compte. Tout le reste est en fait subordonné à la volonté d’un accès sans obstacle au marché intérieur de l’UE, grâce à la reconnaissance mutuelle des normes techniques (3). L’industrie de l’électricité a également des arguments assez unidimensionnels. La stratégie énergétique suisse était dès le départ une stratégie d’importation. Après être consciemment devenu dépendant des importations d’électricité en provenance de l’UE, il y a une demande pour un accord sur l’électricité. Il ne pourra être obtenu à son tour qu’avec un accord institutionnel.

Comment en est-on arrivé là ?

« Il n’est pas exact de dire que l’UE a demandé que la Suisse fût soumise à la CJUE. L’UE a d’abord proposé une deuxième approche de type Espace économique européen (EEE), ou un rapprochement avec les institutions du pilier AELE (autorité de surveillance AELE et tribunal AELE). C’est la Suisse qui, à la surprise de l’UE, a insisté sur la CJUE. Lorsqu’il est devenu clair que cela n’aurait aucune chance de passer dans l’opinion publique, l’UE est venue avec le tribunal arbitral paritaire. (3)

« L’affirmation selon laquelle l’adoption du modèle de règlement des différends de l’UE avec l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie représente un «succès de négociation» peut être qualifiée d’aventureuse. La participation de la Suisse au marché intérieur de l’UE étant beaucoup plus « intégrative » que celle de ces Etats, on pourrait se dire que la CJUE serait en elle-même la juridiction appropriée pour la Suisse.

« En fait, ces trois pays sont des candidats à l’adhésion, ce que la Suisse n’est pas. La littérature internationale – j’ai cité des auteurs éminents de Belgique, de Norvège et du Royaume-Uni – admet que le modèle ukrainien ne convient pas à un pays économiquement leader, avec une tradition démocratique et un Etat de droit établi.

« L’orientation dans la résolution des litiges a été mal définie en 2013/2014. La nouvelle direction des Affaires étrangères, qui a pris la relève fin 2017/début 2018, était dans une situation difficile (4). Néanmoins, il y aurait eu une opportunité pour un nouveau départ. Elle n’a pas été saisie.

« L’avis des Affaires étrangères du 1er avril 2019 n’est pas susceptible de dissiper les doutes les plus légitimes sur l’indépendance du tribunal arbitral. Si l’on voulait s’en tenir à la voie qui a été choisie au départ (qui me semble fausse), il ne resterait dans le fond qu’une chose à faire: admettre que l’on est prêt à subir la juridiction de la Cour européenne de justice comme prix d’accès marché. Il serait cependant plus honnête dans ce cas de revenir au modèle «pur» de CJUE de l’ère Burkhalter / Rossier.

L’effet Brexit

« Jusqu’à maintenant, le Conseil fédéral a agi comme si sa stratégie d’accord institutionnel n’avait rien à voir avec le Brexit. Cette attitude a toujours été fausse, et elle est aujourd’hui devenue absolument intenable. (…) Le gouvernement doit aussi revoir sa copie parce que l’UE de 2021 n’est plus l’UE de 2012. Comme chacun sait, le conseiller fédéral Didier Burkhalter, conduit par le secrétaire d’État Yves Rossier, a entamé sa course vers l’UE en décembre 2012. Elle a mené dans une impasse, et le moment est venu de descendre de cheval.

(…) « Dans l’ensemble, les partisans de l’Accord institutionnel se sont mis sur la défensive lorsque l’Accord de commerce et de coopération (TCA) entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne a été rendu public. (…) Les nouvelles critiques non partisanes venant de l’économie argumentent différemment de l’UDC. C’est ce qui les rend dangereuses aux yeux des défenseurs de l’accord.

« Les efforts pour instrumentaliser les problèmes à la frontière entre le Royaume-Uni et l’UE, au bénéfice du Conseil fédéral et de son accord institutionnel, deviennent cependant embarrassants. La situation dans le sud de l’Angleterre n’est pas bonne, mais les blocages ne sont pas aussi graves que le gouvernement de Londres le prévoyait. Les entreprises, les transitaires et les fonctionnaires n’ont tout simplement pas été en mesure de s’adapter aux nouvelles règles en si peu de temps (5). L’UE a également intérêt à ne pas surcharger inutilement le trafic frontalier. Et les sentiments de vengeance de certains cercles bruxellois contre les «Britanniques infidèles» se calmeront avec le temps.

(…) « Le fait que l’accord euro-britannique se débrouille sans la CJUE, avec un véritable tribunal arbitral paritaire, est maintenant présenté comme une évidence par les adeptes de l’InstA. N’est-ce pas tout simplement la conséquence «logique» de la sortie des Britanniques du marché intérieur européen ? Cette affirmation s’avère pourtant erronée. Ce n’est en aucun cas une question de logique. Ce succès est le résultat de négociations difficiles au cours desquelles Boris Johnson, sous pression permanente des Européens, a montré sa volonté de quitter la table des négociations et de se contenter d’un no deal.

« On peut aisément imaginer quelles jubilations les supporters suisses de l’InstA auraient exprimé si l’UE l’avait emporté. (…) Leur ingéniosité pour faire apparaître le tribunal arbitral comme une institution indépendante, à l’aide de toutes sortes d’artifices sémantiques, n’ont jamais été convaincants. Ils ne le sont toujours pas.

(…) « La circulation des marchandises entre le Royaume-Uni et l’UE est importante. Mais ce n’est pas la seule liberté qui est en jeu. Le fait que le deal euro-britannique a exclu la libre circulation des personnes est un grand succès du point de vue britannique, ce que les partisans de l’InstA ne mentionnent guère en Suisse. Cette liberté fondamentale a principalement une justification politique dans l’UE.  Elle est en revanche assez controversée parmi les principaux économistes. Il est douteux qu’elle soit nécessaire au fonctionnement d’un marché intérieur.

« Soit les partisans de l’InstA ignorent également l’absence d’accord sur les services financiers, soit ils la décrivent comme une défaite pour les Britanniques. En réalité, la situation est loin d’être aussi claire. Pieter Cleppe, le responsable belge du groupe de réflexion bruxellois Open Europe, a récemment souligné que seuls 25% des revenus de la City de Londres dépendaient de l’UE, et que la place financière britannique ne devait pas sa réputation à l’accès au marché intérieur européen. Ce que l’on appelle le passeport européen pour les prestataires de services financiers n’est donc pas considéré comme vital à Londres. Au contraire, certains signes indiquent que les Britanniques sont heureux de s’être soustraits aux efforts de l’UE pour affaiblir la City, sous l’influence de la France et l’Allemagne.

Le siècle d’humiliation

« Les accords que les puissances impériales occidentales ont imposés à la Chine, après sa défaite dans la guerre dite de l’opium en 1842, sont généralement qualifiés de traités inégaux. En plus de l’ouverture du marché chinois, un élément essentiel était le droit des vainqueurs de faire fonctionner des tribunaux extraterritoriaux. Les plus connus étaient la Cour suprême britannique pour la Chine et la Cour des États-Unis pour la Chine, toutes deux à Shanghai.

« Ces traités ont conditionné ce que les Chinois surnommèrent plus tard le «siècle d’humiliation». Les tribunaux extraterritoriaux avaient tendance à élargir leurs compétences pour inclure des affaires mixtes impliquant des Occidentaux et des Chinois. Il y eut des développements parallèles dans l’Empire ottoman.

« Bien que le droit des traités internationaux emprunte souvent au droit privé, il n’y a pas de théorie générale des contrats inégaux. L’impérialisme a empêché ce genre de doctrine d’émerger. La notion de contrats inégaux est donc généralement réservée à l’identification de ces exemples historiques. Il existe cependant certaines approches de théorie générale.

(…) « L’accord institutionnel comporte des éléments allant clairement dans le sens d’un traité inégal. Depuis une vingtaine d’années, il existe un réseau d’accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE qui sont gérés par des commissions mixtes. En cas de conflit, vous vous asseyez et vous essayez de trouver une solution négociée. Il n’est pas contesté des deux côtés que cette coopération est très réussie.

« L’UE tente néanmoins de modifier l’équilibre qui a jusqu’ici caractérisé les relations bilatérales en faveur des deux parties. Jusqu’à il y a quelques années, elle le faisait avec réticence. Depuis le référendum sur le Brexit, en 2016, elle a néanmoins eu recours à des moyens auxquels la «communauté juridique» n’était pas habituée: l’annulation de l’équivalence boursière en 2019 était discriminatoire. (…) Quelles que fussent les chances de succès, elle aurait dû être contesté à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).  

« Les menaces constantes, et les désavantages politiques liés à la non-signature de l’InstA ne sont pas acceptables. Un point culminant a été atteint avec un tweet du président du Conseil de l’UE, Charles Michel, le 25 septembre dernier. Il annonçait que la Suisse (et la Grande-Bretagne) seraient exclues du marché intérieur. Deux jours plus tard, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen demandait au Conseil fédéral de signer l’accord «rapidement», et de veiller à sa ratification.

« L’UE demande que les « accords d’accès au marché » les plus importants, actuels et futurs, soient reconsidérés au moyen d’un accord-cadre. L’accord de libre-échange de 1972 sera également soumis à ce régime à l’avenir. Afin d’appuyer sa demande, l’UE a suspendu la conclusion de nouveaux accords bilatéraux, et refuse parfois de mettre à jour les accords existants.

« La conception de l’InstA est tout sauf équilibrée. Ceux qui font des affaires avec l’UE, ou souhaitent rester en affaires, ne peuvent éviter une adoption juridique dynamique. Les éléments inégaux, en revanche, sont d’une part la compétence de la Cour européenne de justice, qui en tant que tribunal manque d’impartialité. Ce problème pour la Suisse n’est que mal camouflé par l’implication d’un tribunal arbitral pro forma. Il y a d’autre part la compétence de contrôle de facto de la Commission européenne, qui peut saisir son propre tribunal à tout moment.

(…) « La super guillotine prévoit qu’en cas de résiliation de l’InstA, non seulement les accords bilatéraux I, mais aussi les futurs accords bilatéraux, en particulier l’accord de libre-échange modernisé de 1972, devraient expirer. Il s’agit là encore d’un règlement extrêmement unilatéral, dont l’effet est bâillonnant. C’est dire si l’InstA pourrait certainement fournir du matériel pour approfondir la question de savoir s’il existe une théorie générale des contrats inégaux. »

ANNEXE

Carl Baudenbacher sur EULawLive, fin janvier, avec cette conclusion: 

“Par rapport à l’accord euro-britannique de commerce et de coopération (TCA), les adeptes suisses de l’Accord institutionnel avec l’UE (InstA) font valoir que la Suisse a un accès plus large au marché européen que les Britanniques. Il est “logique”, disent-ils, qu’ils doivent accepter la Cour européenne de justice. Ce n’est guère convaincant. Les républiques d’Europe de l’Est ont un accès très restreint au marché unique, mais l’UE voulait quand même imposer aux Britanniques le mécanisme ukrainien.

“Il y a actuellement beaucoup d’incantations en Suisse, selon lesquelles il est nécessaire d’accepter la perte de souveraineté qui accompagne le mécanisme ukrainien si l’on veut maintenir à un niveau modeste les coûts de transaction dans certains secteurs d’exportation. Le publiciste Beat Kappeler a comparé cela à l’histoire d’Esaü dans l’Ancien Testament, qui avait troqué ses droits contre un plat de lentilles.

“Il semble néanmoins que le Conseil fédéral ait l’intention d’honorer l’InstA, pour autant qu’il obtienne quelques concessions cosmétiques de la part de l’UE sur trois questions secondaires. Ils transmettrait ensuite la patate chaude au Parlement et, en fin de compte, au peuple et aux cantons dans le cadre du référendum obligatoire. Apparemment, les Sept (ou une majorité d’entre eux) pensent qu’ils pourraient ainsi sauver la face par rapport à leurs interlocuteurs européens. Tout cela semble un peu naïf: pour Bruxelles, peu importe qui, en Suisse, aura finalement eu raison de l’InstA. Personne ne peut blâmer l’UE de cette situation confuse – si ce n’est qu’elle s’est trop appuyée sur Département fédéral des affaires étrangères. Sous la conduite du DFAE, la Suisse s’est enlisée dans un véritable bourbier politique. Entre bons voisins, le pays devrait néanmoins pouvoir retrouver une issue. Quoi qu’il en soit, la politique consistant à fourvoyer les gens avec des campagnes délibérément trompeuses doit cesser.”

 

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(1) https://www.eda.admin.ch/dam/dea/fr/documents/abkommen/InstA-Wichtigste-in-Kuerze_fr.pdf

(…) « Chaque partie peut saisir le comité mixte concerné par un différend. Si celui-ci ne trouve pas de solution dans un délai de trois mois, chaque partie peut demander la constitution d’un tribunal arbitral paritaire. Celui-ci est composé, en nombre égal, d’arbitres nommés par la Suisse et par l’UE. Si le différend soulève une question concernant l’interprétation ou l’application du droit de l’UE, dont la clarification est nécessaire pour régler le différend, le tribunal arbitral saisit la CJUE. Sur la base de cette interprétation, le tribunal arbitral règle le différend. La décision du tribunal arbitral lie les parties. Si une partie décide toutefois de ne pas mettre en œuvre la décision, ou si les mesures requises sont considérées comme non conformes à la décision par l’autre partie, celle-ci peut prendre des mesures de compensation. Elles doivent cependant être proportionnées. Si les opinions divergent à ce propos, un tribunal arbitral peut examiner la proportionnalité de ces mesures sur demande de la partie affectée par les mesures de compensation. Une telle procédure de règlement des différends pourrait durer plusieurs années. » (trad: DFAE)

(2) https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-14007.html

Il s’agit d’un épisode de 2004, dans le cadre de l’Accord bilatéral I sur le transport aérien, le seul à avoir reconnu dès le départ la juridiction la Cour européenne de justice.

(3) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/02/02/acces-au-marche-europeen-3-les-derisoires-privileges-de-larm/

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/01/22/ce-que-veut-dire-acces-au-marche-europeen-2-quatre-accords-en-faveur-de-lue/

Carl Baudenbacher mentionne ici la réalité sur laquelle nous tentons depuis des années d’attirer l’attention (sans jamais être contredit avec des faits) : dans le cadre de la voie bilatérale d’intégration, le seul élément significatif d’accès « privilégié » au marché européen est l’Accord de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM, Bilatérales I). Il ne change rien à la possibilité d’exporter vers l’UE, mais augmente légèrement les coûts. Dans des proportions qui paraissent effectivement insignifiantes si l’on songe par exemple que l’augmentation du coût des exportations suisses vers l’UE pour des raisons monétaires a été de plus 30% pendant la même période.

(4) Pour mémoire, la première partie de la négociation a été menée sous l’ère Burkhalter/Rossier à Berne, jusqu’à la fin de 2017. La seconde sous l’ère Cassis/Balzaretti. Le conseiller fédéral Ignazio Cassis ayant parlé avant son élection de « reset » des discussions avec Bruxelles.

Le Conseil fédéral affirme que l’accord-cadre a été réalisé sur mesure pour la Suisse. Il s’agit en réalité d’un produit prêt à l’emploi qui a été développé pour les trois pays candidats à l’adhésion que sont l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. Ce que l’on appelle le « modèle ukrainien », tenant compte des retards historiques dans le développement démocratique et économique de ces Etats. Transposé ensuite par l’UE dans le cas du Royaume-Uni et de la Suisse.

(5) A noter que l’image des files de camions au sud de l’Angleterre est en général mal interprétée en Suisse. Le Royaume-Uni a quitté l’Union douanière européenne, d’où la réintroduction chaotique de contrôles aux frontières. La Suisse, elle, n’a jamais fait partie de l’Union douanière. Les contrôles de marchandises aux frontières n’ont donc jamais disparu. Les partisans du Brexit ont parfois utilisé l’argument selon lequel l’exemple suisse montrait que les contrôles aux frontières n’étaient pas synonymes d’encombrements durables.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Accord institutionnel : sous le silence, la fronde.

Un professeur de l’Université de Saint-Gall et conseiller aux Etats libéral-radical argovien dit pourquoi le Conseil fédéral devrait se retirer des négociations plutôt que d’attendre de simples clarifications. Le président de l’Union syndicale suisse Pierre-Yves Maillard est sur la même ligne. (Photo: Livia Leu, négociatrice en chef suisse à Bruxelles)

L’association Autonomiesuisse.ch* a diffusé hier un communiqué renvoyant à deux articles parus sur CH-Media (joint venture AZ Medien et NZZ Media Group). Le premier est signé du conseiller aux Etats Thierry Burkart. Le second vient des rédactions.   

Le Conseil fédéral doit faire preuve

d’honnêteté envers l’Union Européenne

Thierry Burkart

Avocat, conseiller aux Etats libéral-radical du canton d’Argovie, professeur associé de l’Université de Saint-Gall (Law and Economics). (Paru dans les titres locaux de CH-Media le 14 janvier 2021, traduction autonomiesuisse et FS). (Photo: avec Karin Keller-Sutter)

Depuis près de sept ans, la Suisse négocie avec l’Union Européenne sur le développement ultérieur de leurs relations. Le résultat est connu depuis deux ans. Suite à la signature de l’accord de libre-échange entre la Grande-Bretagne et l’UE, il est temps d’évaluer cet accord-cadre sans œillères.

La version actuelle de l’accord présente bien plus d’inconvénients que d’avantages pour la Suisse. Aux yeux des principaux acteurs du microcosme politique, il ne trouvera pas de majorité populaire sous cette forme. Le Conseil fédéral veut donc « préciser » avec l’UE des questions portant sur la protection des salaires, la directive sur la citoyenneté et sur les d’aides d’État. Il s’agit en effet d’aspects importants.

Le sujet sensible qu’on refuse d’aborder

Pour l’appréciation globale de cet accord, le plus décisif se trouve pourtant ailleurs : le droit européen concerné n’est-il pas censé s’appliquer en Suisse de manière beaucoup plus large à l’avenir ? Le terme consacré est le suivant: « reprise dynamique du droit européen ». Ce mécanisme ne vaut pas seulement pour la mise à jour d’accords d’accès existants (libre circulation des personnes, entraves techniques au commerce, agriculture, transport aérien et transport terrestre), mais pour tous les nouveaux et futurs accords.

Même si la nouvelle négociatrice en chef obtenait des concessions sur les points mentionnés, l’accord-cadre ne pourrait pas convaincre la population.

En fait, le débat de politique intérieure sur le véritable « sujet criant » n’a quasiment pas eu lieu jusqu’à présent. Il s’agit de la reprise dynamique du droit, ajoutée au rôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le cadre de la résolution des litiges entre Suisse et UE. Ces deux éléments réduisent considérablement notre souveraineté.

Un accord-cadre à sens unique

Avec le projet d’accord-cadre, la Suisse s’engage à appliquer les développements juridiques européens dans les cinq domaines d’accès au marché. Cet subordination s’applique cependant d’ores et déjà à tous les éventuels accords dans le futur. En cas de litige, le dernier mot reviendrait à la Cour européenne. Cette dernière pourrait ainsi statuer sur des décisions politiques importantes du parlement ou du peuple, même si elles étaient affectées ne serait-ce qu’accessoirement par le droit européen, ou par un droit conventionnel en découlant.

Étant donné la tendance de la CJUE à constitutionnaliser le droit européen en continu, elle ferait certainement usage de cette prérogative de manière extensive. Cette inclination aurait des conséquences dramatiques pour notre système de démocratie directe. L’accord-cadre ne représente donc pas un développement supplémentaire de la voie bilatérale. Il s’agit d’une nouvelle voie dans laquelle notre pays s’engagerait de manière beaucoup plus étroite dans ses relations avec l’UE.

Une voie qui s’avérerait en plus irréversible: une «clause guillotine» élargie est également prévue dans l’accord. Elle aurait pour conséquence que la Suisse ne pourrait, de fait, sortir de l’accord-cadre à moins d’adhérer à l’UE.  

Les autorités suisses deviendraient des « auxiliaires » de l’UE

Le vrai problème de l’accord-cadre est donc une perte significative de souveraineté et de marges de manoeuvre. Il modifierait, dans tous les domaines politiques essentiels, des dispositions suisses qui ont fait leurs preuves. Droit du travail, droit commercial, immigration… Les décisions importantes seraient en fin de compte prises à Bruxelles ou, en cas de litige, par les juges de l’UE.

L’accord fixerait le cadre dans lequel les Suisses pourraient faire de la politique. Les autorités élues en Suisse – et pouvant être destituées – deviendraient de facto des «auxiliaires» tenus d’intégrer le droit européen au droit suisse.

Cette perte de souveraineté revient finalement à une participation moindre aux décisions pour chaque citoyenne et citoyen. L’accord-cadre affaiblit la démocratie et les institutions de la Suisse.

L’UE comme législatrice et la CJUE comme tribunal constitutionnel

La Suisse pourrait certes décider de chaque modification individuelle, puisque le droit de référendum reste acquis. Elle resterait donc fondamentalement libre de ne pas appliquer un nouveau droit européen, mais serait tenue de proposer à l’UE des « mesures de compensation proportionnelles ».

Le fait est que la Suisse n’en aurait sans doute guère le courage, et qu’il ne serait pas approprié de s’engager souvent sur cette voie s’agissant de conserver de bonnes relations avec l’UE. L’UE deviendrait de facto notre législatrice dans des domaines majeurs. Et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) notre tribunal constitutionnel, validant ou invalidant nos lois, avec de possibles amendes.

Un prix nettement trop élevé

Le «prix total» que nous aurions à payer pour la mise à jour des accords d’accès au marché existants, ainsi que pour les nouveaux accords, est nettement trop élevé du point de vue d’un État souverain dans lequel les électeurs ont l’habitude d’avoir le dernier mot. Dans ces cirsconstances, le Conseil fédéral devrait faire preuve d’honnêteté envers notre principal partenaire de politique étrangère, en rompant les négociations pour les raisons de souveraineté évoquées.

C’est aussi une question d’intégrité. Plus nous laissons l’UE dans l’ignorance du manque de perspectives sur le plan de la politique intérieure, plus les dommages sur le plan de la politique étrangère seront élevés. Une rupture des négociations nuirait moins à la crédibilité du Conseil fédéral que de laisser sa délégation continuer de négocier comme si l’accord était juste, bon, et susceptible d’être accepté par le peuple et les cantons.

Une rupture des négociations ne serait pas synonyme d’isolationnisme, ni ne changerait rien à la grande ouverture de la Suisse et de son économie sur le monde.

La Suisse a un accord de libre-échange qui fonctionne avec l’UE, et nous garantit un libre accès au marché. Les accord bilatéraux existants peuvent en outre continuer d’être développés sans qu’une érosion de nos relations bilatérales ne menace.

Une rupture des négociations reviendrait simplement à admettre que de nouveaux accords commerciaux, avec leurs avantages, ne peuvent être conclus au détriment des droits de participation dans nos institutions démocratiques. Nous devrions à l’avenir considérer dès le départ la question de la souveraineté.

Ne serait-il pas bien préférable dans ces conditions de proposer à l’UE un renouvellement et un élargissement de l’accord de libre-échange de 1972 ? N’a-t-on pas vu, dans le cas de la Grande-Bretagne et de l’UE, qu’il n’était besoin ni d’une dynamique unilatérale du droit, ni de Cour de justice européenne ? Ce qui est nécessaire, c’est surtout la volonté réciproque d’avoir de bonnes relations commerciales.

* * *

Accord-cadre: les syndicats en appellent à la rupture des négociations

(Aargauer Zeitung et CH-Media, 15 janvier 2021, extraits traduits par FS) Photo: Pierre-Yves Maillard.

Le Conseil fédéral devrait se retirer des négociations avec l’Union européenne sur l’accord-cadre. C’est ce que demandait le conseiller aux Etats PLR Thierry Burkart mercredi dans un article publié sur CH- Media. Le président de l’Union syndicale suisse et conseiller national socialiste Pierre-Yves Maillard ne dit pas autre chose (…). Il vaudrait mieux selon lui que le Conseil fédéral rompe les négociations. «Nous voulons maintenir une protection salariale autonome et la fonction publique. L’accord met ces acquis en péril. C’est pourquoi nous avons toujours dit que l’accord avait peu de chance devant le peuple. Nous affirmons qu’il serait plus clair et plus honnête de lutter pour un redémarrage complet des négociations. »

Le président de l’USS ajoute que la question de la souveraineté dans l’accord est « très difficile ». Il veut aussi empêcher le Parti populaire suisse (UDC) de gagner en force lors du vote sur le traité. Cela ne saurait être dans l’intérêt de ceux qui sont en faveur d’une relation bonne et ordonnée avec l’UE. La Grande-Bretagne a conclu un accord sur le Brexit avec l’UE, dans lequel la Cour de justice européenne ne joue aucun rôle. Cela montre que « d’autres logiques sont possibles ».

Côté libéraux-radicaux et socialistes, les sceptiques et libres penseurs se sont aussi sentis encouragés par un texte que Johann Schneider-Ammann a publié dans la NZZ en septembre dernier. L’ancien conseiller fédéral PLR, ancien dirigeant d’entreprise également, disait que les clarifications que le Conseil fédéral s’efforçait d’obtenir ne seraient pas suffisantes, parce que le problème de la perte de souveraineté était négligé.

Gerhard Pfister, président du Parti démocrate-chrétien (PDC), partage ce point de vue. «Nous devons enfin parler du problème fondamental: la souveraineté. Le rôle de la Cour européenne de justice dans l’accord-cadre est toxique », a-t-il déclaré au Tages-Anzeiger fin septembre.

Interrogé sur le point de savoir si le Conseil fédéral devait mettre fin aux négociations avec Bruxelles, Pfister répond désormais: «Depuis la réunion du groupe parlementaire de janvier 2019, le PDC a pointé à plusieurs reprises l’adoption dynamique des droits et les questions de souveraineté qui y sont associées. Dans ce contexte, nous examinerons en temps voulu le résultat des discussions en cours avec l’UE. »

Recul pour les partisans de l’accord

En juin 2019, le Conseil fédéral avait annoncé qu’il signerait l’accord-cadre si l’UE était prête à « clarifier » trois domaines: la protection des salaires, les aides d’État et la directive citoyenne de l’Union. Le rôle de la Cour européenne de justice n’a pas été mentionné. En novembre, le gouvernement a donné un mandat à la nouvelle négociatrice en chef Livia Leu, mais est resté silencieux sur le contenu. Il n’est pas exclu que Livia Leu soulève de nouveau la question du règlement des différends. Les observateurs estiment cependant que la Suisse aurait dû le faire plus tôt, et que l’UE n’est pas disposée à négocier sur cette question.

Et que dit la présidente du PLR Petra Gössi sur le fait que le conseiller aux États Burkart a une opinion différente de celle de son parti? « M. Burkart ne représente pas l’opinion majoritaire du groupe. Je l’aurais bien accueilli s’il avait d’abord demandé une discussion interne. » 

En attendant, les partis gouvernementaux et les Verts pensent en gros qu’il faut attendre ce que le Conseil fédéral ramènera de Bruxelles. Les partis se détermineront à ce moment-là. Un nombre croissant de parlementaires voient toutefois les choses différemment: à quoi bon attendre, alors que le Conseil fédéral ne parle même pas à l’UE de la question la plus importante ? Le fait que les syndicats se joignent désormais à la rupture des négociations n’est certainement pas une bonne nouvelle pour les partisans de l’accord.

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*Créée l’an dernier, l’association Autonomiesuisse.ch (dont je fais partie) regroupe des personnalités à profil plutôt économique, de plusieurs partis politiques. Elles sont favorables à l’abandon de l’Accord institutionnel avec l’UE, et à une renégociation sans Cour européenne de justice. Des responsables de plusieurs entreprises exportatrices et/ou multinationales, dont certaines cotées, en font partie. Jean-Pascal Bobst, de l’entreprise du même nom à Lausanne-Mex (industrie des machines), est au comité. Autonomiesuisse promeut une coopération à long terme et sur pied d’égalité avec l’UE, débouchant sur une situation gagnant-gagnant. En élargissant les accords bilatéraux ou l’accord de libre-échange, avec un autre type d’accord-cadre. Il s’agit de reconsidérer les relations avec l’UE sous un autre angle .

 

 

 

Brexit deal : lourde humiliation pour la Suisse

Le Royaume-Uni obtient à peu près le même accès au marché européen que la Suisse. Sans subordination du droit britannique au droit européen, ni Cour européenne de justice. De quoi attiser la confrontation permanente entre souverainistes et soumissionnistes en Suisse. L’attitude de Bruxelles va certainement se durcir.   

L’Accord de commerce et de coopération finalisé juste avant les fêtes entre la Commission européenne et le gouvernement britannique n’est à ce stade qu’un traité « de principe ». C’est-à-dire une sorte de déclaration politique. Il est présenté à Bruxelles comme un draft, provisoire jusqu’à fin février. Il devra être ratifié individuellement par les Etats membres de l’Union, par le Parlement, puis le Conseil européen en tant que tel.

Des résistances sont probables, qui pourraient retarder encore le processus de normalisation des relations euro-britanniques. Elles ne remettront toutefois pas le deal en question, dans la mesure où la France et l’Allemagne l’ont approuvé. L’affaire devrait passer encore plus aisément devant le parlement britannique. Mesuré à l’intransigeance et aux injonctions européennes depuis 2016, dont la morgue de Michel Barnier est devenue le symbole (1), ce Brexit deal est tout de suite passé au Royaume-Uni pour une importante victoire de la Couronne. 

La consultation des quelque mille deux cent pages de l’accord, verbeuses et technocratiques au possible, est sans appel pour la Suisse : Bruxelles a finalement renoncé à l’ « incontournable » subordination du droit britannique au droit européen, de même qu’au rôle interprétatoire dévolu à la Cour de justice de l’UE (interprétation du droit européen au Royaume-Uni).

L’écart est énorme si l’on se réfère au dogmatisme de dominance mille fois proclamé pendant plus de quatre ans du côté de Paris, de Berlin et de Bruxelles. Les différends se régleront finalement en comité, sur pied d’égalité, avec possibilité très classique d’exercer des rétorsions. En réintroduisant par exemple certaines barrières douanières compensatoires. Cette approche pragmatique, respectueuse de la souveraineté britannique malgré le rapport de force démonstratif, était également présentée comme impossible et fantaisiste par les soumissionnistes en Suisse.     

L’écart est énorme si l’on se réfère au dogmatisme de dominance mille fois proclamé pendant plus de quatre ans du côté de Paris, de Berlin et de Bruxelles.

La subordination des Britanniques à laquelle l’Union a renoncé est précisément ce qu’elle exige des Suisses depuis plus de cinq ans, de manière toute aussi intransigeante : un premier accord institutionnel de reprise automatique du droit européen, sous contrôle de la Cour européenne de justice. Ramené au « simple » accord de commerce et de coopération, sans parallélisme (clauses guillotines) ni volet institutionnel, le Brexit deal apparaît en ce sens comme une véritable humiliation pour la Suisse.    

Surdoté en dispositions restreignant la souveraineté dans des domaines de plus en plus larges, l’Accord cadre institutionnel Suisse-UE est de son côté en attente de ratification à Berne. Pour mémoire, le gouvernement lui-même refuse de l’approuver tant que des garanties (“clarifications”) n’auront pas été obtenues contre certains développements juridiques ultérieurs. Les retards pris dans la procédure ont déjà fait l’objet de représailles et de contre-représailles (dénonciation par Bruxelles de l’équivalence boursière depuis 2019). Une ratification en vote populaire semble peu envisageable dans ces conditions.

Position officielle depuis quatre ans à ce sujet à Berne : il n’y a pas de rapport entre Brexit et voie bilatérale d’intégration, dans laquelle la Suisse s’est engagée il y a trente ans. Cette voie est en effet gérée à Bruxelles dans le cadre de la politique d’élargissement de l’UE, en vue d’une probable future adhésion de la Suisse. Alors que le Brexit va dans le sens inverse, et qu’une ré-adhésion n’est plus du tout envisagée. Cette non-comparabilité est au centre d’innombrables analyses et commentaires, en Suisse et en Europe, adoptant en général le point de vue de Paris, Berlin et Bruxelles.

Si rien n’est comparable, il semble en revanche assez probable que l’attitude de l’Union européenne franco-allemande vis-à-vis de la Suisse va se durcir. Le Royaume-Uni ayant été abandonné en quelque sorte dans la périphérie, il s’agira pour les Européens de consolider l’intégration de la Suisse, dont les frontières sont entièrement européennes. Une fois au même niveau que la Norvège et l’Islande, de nouvelles étapes intégratoires pourraient alors être franchies sur une base multilatérale.        

Obstacles techniques au commerce (ARM)

Bien qu’il s’agisse d’une évidence tautologique, le texte de l’Accord de commerce et de coopération insiste beaucoup sur le fait que les exportations britanniques sur le continent devront continuer de se conformer aux normes techniques européennes (sécurité, environnement, etc.). Tous les exportateurs du monde conçoivent et développent en fait leurs produits en fonction des normes en vigueur sur les marchés de destination. A noter en revanche, par rapport aux débats de politique européenne en Suisse, que le Royaume-Uni n’a pas obtenu d’Accord mutuel de reconnaissance des normes techniques (ARM)

Le fait que les parties n’aient pas (encore) convenu d’un ARM, contrairement à d’autres accords récents finalisés par l’UE dans le monde (avec la Suisse en 1999 déjà), signifie que le Royaume-Uni est discriminé sur ce plan par rapport à des Etats plus lointains comme le Canada ou les Etats-Unis. Les exportateurs britanniques devront faire homologuer leurs produits par une éventuelle filiale sur le continent, ou par une agence spécialisée. Dans le domaine des machines ou (plus sensible encore en Suisse) des technologies médicales par exemple.

L’absence d’ARM est perçu comme rédhibitoire en Suisse. Ce n’est apparemment guère le cas en Grande-Bretagne.

Cet inconvénient, perçu comme rédhibitoire en Suisse, n’a pas l’air d’être vécu comme un grand problème en Grande-Bretagne. Il n’a pratiquement pas été mentionné dans les analyses et commentaires depuis une semaine (même dans les médias économiques). Ne s’agit-il pas d’abord de dispositions transitoires ? En attendant un éventuel ARM par la suite, la situation de départ permettra de se faire une idée par le vide de l’importance de cet instrument largement fantasmé quant à ses effets macro-économiques.

Certains secteurs « d’intérêt mutuel » feront d’ailleurs d’emblée l’objet de « facilitations » en matière d’homologation : automobile, industrie pharmaceutique, chimie,  produits organiques et… vin. Dans les domaines les moins risqués, une simple auto-déclaration de conformité suffira pour exporter sur le marché européen. Il y a toujours moyen de s’entendre lorsque l’on se glisse au-dessous des idéologies.     

A noter aussi que la notion même d’ARM, qui représente la quasi-totalité de l’accès « privilégié » des exportateurs suisses au marché européen, n’occupe plus du tout la même place centrale qu’il y a vingt ou trente ans dans les préoccupations de commerce international. On s’en rend compte depuis les projets de partenariat européen avec les Etats-Unis (2013) et le Canada (2016) (2).

Les échanges de technologies avec la Chine ont d’ailleurs lieu dans le monde sans ARM. Tout un réseau d’agences spécialisées homologuent les exportations des PME vers le marché chinois, et réciproquement. On ne s’étonnera pas que ces « obstacles techniques au commerce », en général instrumentalisés dans une perspective protectionniste, soient rarement évoqués pour expliquer des contre-performances en matière d’exportations.  

Programmes de recherche Horizon Europe (2021-2027) 

Les documents publiés la veille de Noël sont loquaces sur la participation du Royaume-Uni aux programmes de recherche subventionnée Horizon Europe (2021-2027). Les Britanniques ont cédé sur le principe de financement forfaitaire, auquel ils avaient longtemps envisagé de renoncer. Tout semble donc rentré dans l’ordre aux yeux du lobby de la recherche publique en Grande-Bretagne. Les choses s’embrouillent cependant dès que l’on sort des généralités. Avec des enjeux concernant directement la Suisse.   

Des déclarations conjointes annexées permettent de se rendre compte que le Royaume-Uni ne siégera pas au récent Conseil européen de l’innovation (2017), nouveau pilier des programmes-cadres (finançant des projets en phase de commercialisation dans une optique protectionniste). Les entreprises britanniques ne doivent-elles pas être considérées comme rivales des européennes sur le plan industriel (3) ?

Le Brexit sort en plus la Grande-Bretagne de la Banque européenne d’investissement, qui participe à ces financements. La Suisse, qui n’est pas davantage actionnaire de la BEI, ne participant pas non plus aux délibérations et décisions du Conseil européen de l’innovation, ne doit pas s’attendre à bénéficier pleinement de financements considérés comme stratégiques. 

En tout état de cause, les modalités d’association du Royaume-Uni à Horizon Europe 2027 sont loin d’être fixées. Elles détermineront certainement le (ou les) statut(s) de la vingtaine d’autres Etats en attente d’accords d’association.

Ce qui est certain à ce stade s’agissant de la Grande-Bretagne l’est donc aussi pour la Suisse. Le statut de pleine association aux programmes-cadres précédents ne sera pas reconduit sans que l’Union ajoute de nouvelles conditions allant dans le sens d’une plus grande intégration institutionnelle et contributive. C’est aussi ce qui ressort des dernières nouvelles de la Commission européenne à Bruxelles, interrogée par les agences ATS et AWP (22 décembre), sur un dossier toujours très discret à Berne (4).

La pleine association aux programmes cadres Horizon ne sera pas reconduite en Suisse sans un nouvel accord sur la recherche. Plus institutionnel et plus contributif. 

Les négociations en vue de la participation de la Suisse à Horizon Europe (qui débute le 1er janvier 2021) peuvent commencer parallèlement aux discussions avec le Royaume-Uni. Un nouvel accord-cadre sur la recherche va donc devenir nécessaire, en plus des traités des années 1980 et 1990. On ne sait pas à quoi les discussions pourraient être liées en Grande-Bretagne. En Suisse, il paraît clair que l’avancement des travaux sera subordonné à celui de l’Accord institutionnel. Le rythme risque donc d’être beaucoup plus lent.

Bruxelles a déjà prévenu que ces nouveaux accords bilatéraux sur la recherche devront inclure des dispositions par rapport aux programmes d’échange Erasmus. Ce n’est pas le cas aujourd’hui: Erasmus n’a rien à voir avec les Accords bilatéraux I ni avec la libre circulation des personnes. La Suisse a adopté les programmes Erasmus sur une base très favorable aux Européens, mais les Britanniques ont décidé d’y renoncer: trop d’étudiants européens dans les écoles britanniques. Ils ont aussi renoncé à la reconnaissance mutuelle automatique des diplômes.

ANNEXE

D’autres comparaisons possibles

Si l’on se réfère aux sept Accords bilatéraux I de 1999 entre Suisse et Union Européenne, constituant l’essentiel de la voie bilatérale d’intégration :

Les deux points sensibles sont et restent l’ARM et la recherche (voir plus haut). Instrumentalisés par Bruxelles et les soumissionnistes en Suisse lors des grands débats de politique européenne (dans le registre de la peur en général).  Comme nous l’avons fait ressortir précédemment, le poids de ces deux accords dans l’emploi et la production de valeur ajoutée en Suisse (PIB) est toutefois insignifiant (5).

Le Royaume-Uni a obtenu par ailleurs l’accès au marché européen sans barrières douanières, ni libre accès des Européens au marché britannique du travail en contrepartie (circulation des personnes). Difficile de ne pas penser qu’il s’agit également d’une humiliation pour les Suisses, qui ont largement revalidé la libre circulation en vote populaire (septembre dernier) sous différentes menaces d’ordre économique.

Marchés publics infra OMC : il s’agit d’un arrangement de proximité ne fonctionnant à peu près qu’au bénéfice des Européens. Pas retenu en tant que tel entre Union et Royaume-Uni, malgré des niveaux de coûts assez comparables.

Transports terrestres : situations de voisinage peu comparables, et dispositions plutôt transitoires s’agissant du Royaume-Uni. Des arrangements s’avèrent déjà possibles malgré les démonstrations de force de la France pour asphixier le Royaume-Uni. A noter que les contrôles douaniers plus ou moins facilités (selon les secteurs) sont pratiqués en Suisse (qui ne fait pas partie non plus de l’Union douanière que les Britanniques ont quitté).

Transport aérien : pas de changement apparemment, le Royaume-Uni continuant de participer au « ciel européen unique ». Des ajustements institutionnels paraissent envisageables par la suite. Les écologistes auraient préféré que le transport aérien du continent soit interdit d’accès au hub de Heahtrow. Les grandes compagnies européennes ne semblent pas souhaiter en revanche affaiblir le groupe British Airways, qui contrôle aussi Iberia et Aer Lingus (Irlande). De même que Swiss est liée au groupe Allemand Lufthansa, ce qui réduit le risque de rétorsions européennes sur le transport aérien. A noter que la navigation aérienne en Suisse fait depuis longtemps l’objet de reprises automatiques et volontaires de droit européen, sans qu’un accord institutionnel contraignant ait été nécessaire.

Agriculture : indifférent. Les Britanniques ont une agriculture moins protégée qu’en Suisse, ce qui ne va pas changer. Les financements non liés à des prestations environnementales de la Politique agricole commune en Europe (PAC) cesseront. Le Royaume-Uni soutiendra son agriculture selon un modèle plus proche de celui de la Suisse (paiements directs pour prestations qualitatives et environnementales).

Schengen/Dublin (Accords bilatéraux II en Suisse) : la Grande-Bretagne n’a jamais fait partie des Espaces Schengen et Dublin. Elle a néanmoins accès aux bases de données justice et police permettant de lutter plus efficacement contre la criminalité. Pas de changement majeur prévu.

Pas d’accord sur les services financiers (“passeport européen des produits financiers”) 

Le Royaume-Uni sera privé de cet accès, tout comme la Suisse depuis toujours. La Suisse va-t-elle demander d’être associée à de futures discussions tripartites ? Il n’est pas certain que le Royaume-Uni le souhaite, la place financière suisse étant considérée à Londres comme concurrente de la City (3eme et 4eme places à l’échelle mondiale).

A noter que la Suisse s’en sort plutôt bien sans libre accès au marché européen des services et produits financiers. Les banques, assurances et autres institutions financières compensent en ayant au moins une filiale homologuée dans l’UE. Elles peuvent aussi passer par des intermédiaires. Cette situation aujourd’hui « naturalisée » a abondamment été présentée dans le passé comme invivable et insoutenable par les soumissionnistes. De la même manière qu’une éventuelle et menaçante absence d’ARM dans le domaine industriel est souvent présentée comme une difficulté insurmontable pour les exportateurs.

A noter que les Européens (surtout les Français) veulent ouvertement affaiblir la City et accueillir ses activités délocalisées. La France rêve d’une place financière de substitution et d’importance mondiale à Paris. Luxembourg, Francfort et Amsterdam sont aussi sur les rangs dans la captation de morceaux de City. Lors du référendum de 2016, les prévisions des opposants tournaient autour des 35 000 emplois délocalisés, la plupart immédiatement. Elles sont plutôt de l’ordre de 10 000 actuellement, moins de 1500 transferts étant déjà effectifs.

En Suisse, l’importance des pertes sur l’emploi financier depuis 2008 est aujourd’hui davantage attribuée à la disparition du secret bancaire fiscal qu’à la faiblesse d’accès au marché européen.

Pas d’accord sur l’énergie (électricité, gaz, pétrole).

Le Royaume Uni se retrouve sur le même plan que la Suisse. Des négociations à trois sont également imaginables sur l’électricité, mais les contreparties que les Européens voudront obtenir seront certainement très différentes s’agissant de la Suisse et du Royaume-Uni. On sait de surcroît que les résistances à la libéralisation du marché de l’électricité peuvent être déterminantes (au Royaume-Uni aussi bien qu’en Suisse).     

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NOTES

(1) Le négociateur en chef Michel Barnier n’a cessé de proclamer pendant trois ans qu’il ne pouvait être question d’ « accorder » un accès au marché continental sans reprise automatique de droit européen ni interventions de la Cour européenne de justice dans les affaires britanniques. Tous les officiels européens ont campé sur la même position. Sans parvenir à expliquer pourquoi cette exigence était valable pour un Etat géographiquement proche, mais pas pour le Canada (ce principe de proximité renvoyant en fait à une mentalité impérialiste caricaturale).

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Barnier s’affirme aujourd’hui peu satisfait de négociations ayant eu lieu sur un mode perdant-perdant, se posant sans rire en maître loser face au « clown » Boris Johnson. L’expérience aura en tout cas laissé l’impression que choisir un chef français vindicatif, rigide et arrogant pour négocier avec les Britanniques n’était pas une bonne idée.

(2) https://cutt.ly/Bh5MFju

(3) https://cutt.ly/Wh6q3Fb

(4) https://cutt.ly/Nh50CDM

(5) https://cutt.ly/3h6ugus   https://cutt.ly/zh6umRw