Représailles contre la Suisse: Didier Queloz, vous avez tellement raison

Adapté d’un échange de tweets avec le Nobel de physique, découvreur d’exoplanètes, qui va quitter l’Université de Genève pour rejoindre une équipe dédiée aux recherches sur les origines de la vie à l’Ecole polytechnique de Zurich.

A kill of perspectives? Vous exagérez. Les chercheurs et innovateurs peuvent participer dans la plupart des cas. Le financement viendra de Berne directement au lieu de passer par Bruxelles (1). Comme en 2014-2016.    

L’association à Horizon Europe est officiellement suspendue tant que le parlement bloque la participation de la contribution suisse de plus d’un milliard de francs à l’élargissement (?!) de l’UE.

Cette contribution a été suspendue tant que l’UE continuait de son côté de ne pas reconnaître l’équivalence boursière avec la Suisse. Une représaille de l’époque Juncker par rapport aux lenteurs de ratification de l’Accord-cadre institutionnel subordonnant progressivement le droit suisse au droit européen, aujourd’hui abandonné.

Il n’y a pourtant aucun lien juridique entre l’Accord sur la recherche de 1999 (Bilatérales I) et le projet avorté d’Accord cadre institutionnel, comme le confirmait en décembre 2019 le commissaire européen Johannes Hahn, ancien ministre des sciences et de la recherche de la République d’Autriche (2).

Cette mauvaise nouvelle pour la recherche subventionnée et l’innovation en Suisse relève donc de la pure rétorsion politique. Il faudra attendre la désescalade pour sortir de ces comportements de grande puissance ombrageuse. Ou plutôt de cour d’école.

Parallèlement, un accord d’association d’application transitoire immédiate a été conclu par Bruxelles avec le Royaume-Uni, Israël, la Turquie, l’Ukraine, l’Albanie, l’Arménie, la Bosnie, les îles Féroé, la Géorgie, le Kosovo, la Moldavie, la Serbie, la Tunisie, le Monténégro, le Maroc ou encore la Macédoine du Nord.

La science et les scientifiques suisses sont de toute apparence pris en otage. Bruxelles les instrumentalise pour qu’ils appellent au secours, émeuvent l’opinion publique et fasse évoluer la politique européenne de la Suisse dans le sens souhaité par l’Union.  

Vous avez raison, Monsieur Queloz, l’attitude de Bruxelles est déprimante.

—————

(1)https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/06/25/la-suisse-ejectee-dhorizon-europe-recherche-cinq-idees-fausses/

(2) https://www.srf.ch/news/schweiz/neues-zu-horizon-europe-die-schweiz-soll-kuenftig-zahlen-was-ihre-forscher-erhalten

 

Suisse-EU : l’heure du reset à Berne

Voie bilatérale barrée, bilatéralisme à relancer. L’Union Européenne ne veut plus d’un cas particulier suisse dans son intégration. La Suisse doit revoir sa politique européenne. Le moment de s’intéresser davantage à un accord sur l’électricité?

Est-ce la fin du bilatéralisme ? Certainement pas. Le bilatéralisme ne désigne que des relations bilatérales sectorielles et pragmatiques, qui peuvent exister parfois sous forme de simples arrangements. Ce serait plutôt la fin de la voie bilatérale vers l’intégration (1). Sous l’angle de la politique intérieure en Suisse, le Niet de Bruxelles représente un obstacle difficilement contournable sur cet autoroute.

Le voyage du président de la Confédération a accouché d’une souris beaucoup plus grosse que prévu. Sous l’influence probable de la France, de ses alliés latins et des Etats de l’Est de l’Europe, l’Union a suspendu la voie bilatérale. Par souci de clarté, on devrait dire qu’elle a tiré la prise, mais l’expression est encore trop lourde d’émotions et de malentendus.

Le projet d’approfondissement des Accords bilatéraux I est quand même stoppé. Contenus dans la Déclaration commune en annexe de l’Accord, les engagements sur l’élargissement de l’institutionnel sont a fortiori remis en cause. Ne s’agit-il pas précisément d’étendre le modèle institutionnel à d’autres accords? Si les Suisses veulent relancer cette voie bilatérale d’intégration, un nouveau projet d’Accord institutionnel sera nécessaire. Il faudra toutefois beaucoup de temps pour convaincre les Européens d’entrer en matière. Seul un projet qui voudrait encore aller plus loin pourrait les intéresser.

Ce qui va peut-être se passer sur le plan politique.

Une période de règlements de compte et de confusion, des tentatives peut-être de rattrapage au Parlement et devant le peuple. Verts libéraux en tête, des voix vont demander que l’Accord institutionnel soit débattu tel quel, puis tranché. Au risque de faire ressortir davantage de lourdes divisions dans les partis gouvernementaux. Le Conseil fédéral pourrait lui-même souhaiter le référendum, de manière que l’échec soit acté sur le plan politique, et qu’il devienne plus légitime et plus aisé de passer à autre chose.

En cas de débat national, les argumentaires tourneraient en rond en se focalisant sans surprise sur la stabilité et les intérêts économiques, comme lors des étapes précédentes de la voie bilatérale (Accords bilatéraux I et II). Il n’est pas acquis à ce stade que le référendum serait un échec pour l’accord institutionnel. Il n’y a pas eu de sondage depuis deux ans. Les Suisse y étaient alors favorables à 60%, mais c’était avant que les positions de la gauche syndicale soient prises au sérieux.

Dans un second temps, le Conseil fédéral et le Parlement devront revoir la politique européenne de la Suisse. L’horizon temps pourrait d’ailleurs s’avérer assez vague. Le référendum sur le Brexit en 2016 avait sensiblement ralenti les processus décisionnels côté suisse. Berne sera maintenant tenté d’attendre d’y voir plus clair sur l’évolution des relations euro-britanniques avant de reconstruire sur le court et le long terme.

Il s’agira surtout d’observer ce qui se passe sur le plan très politique de la recherche subventionnée (2), des échanges d’étudiants, ou des homologations industrielles facilitées, prévues dans l’accord EU-UK (3). Personne ne peut ignorer que cet accord EU-UK fait 1400 pages, alors que l’accord de 1972 EU-CH n’en fait que 15. Affirmer que l’absence d’Accord institutionnel relègue les relations commerciales au niveau de 1972 est absurde. Le Royaume-Uni a d’ailleurs obtenu des facilitations d’homologation dans des domaines simplement qualifiés “d’intérêt mutuel”:  industrie pharmaceutique, chimie, produits organiques, automobile, vins… (4)

Faute d’accord institutionnel, on peut deviner que Bruxelles et les Etats membres sont maintenant disposés à considérer la Suisse sur le même plan que la Grande-Bretagne, sachant tout de même que celle-ci ne donne rien en matière de libre circulation des personnes, de Schengen… ou de transit alpin. Tout deviendrait beaucoup plus simple du point de vue de Bruxelles.

En Suisse, un changement d’orientation dans la politique européenne irait sans doute dans le sens d’un accord global de partenariat. Et non d’intégration législative et de “participation” au marché, la notion “d’accès” étant alors considérée comme suffisante. Un partenariat dit “de nouvelle génération”, plus ou moins inspiré de l’accord EU-Canada (la référence des Britanniques). Une approche de partenariat à la place de l’institutionnel ne remettrait pas forcément en cause les Accords bilatéraux I et II.

Il semble nécessaire également de mettre un nouveau chef à la tête des Affaires étrangères. Une forte personnalité, le DFAE apparaissant comme le département le plus important depuis trois décennies. De préférence alémanique, plus proche de la majorité des Suisses sous l’angle de la politique européenne. Les tandems latin Burkhalter/Rossier et Cassis/Balzaretti n’ont pas réussi à finaliser ce qu’ils ont entrepris. Parce qu’ils ont mal emmanché leur affaire probablement. Le fait que l’Accord institutionnel ait été porté au plus haut niveau par ces Romands et Tessinois a probablement fragilisé ses chances. Pour des raisons évidentes de loyautés, il était peut-être plus facile pour les Alémaniques de renier ce long travail. 

Ce qui va peut-être se passer sur le plan économique.

Il y aura probablement beaucoup de bruit, des regrets, des appels à ne pas renoncer, à un plan B vigoureux, etc. Il y aura aussi quelques dégâts minutieusement chroniqués sur le plan des homologations industrielles, seul véritable élément d’accès privilégié au marché européen (avec le transport aérien) (5). Il n’y aura toutefois pas d’effets catastrophiques, comme redoutés en cas de refus lors de chaque étape problématique d’intégration. Le marché suisse des actions n’a pas sur-réagi vendredi à la nouvelle de l’échec des négociations. Les entreprises ont, dans leur grande diversité, des capacités d’adaptation considérables. Elle l’ont abondamment démontré dans un passé récent. 90% des homologations dans les technologies médicales ont lieu aujourd’hui directement en Europe, en passant par des agences privées. Les procédures sont en général plus rapides et moins coûteuses (6). Les petites entreprises elles-mêmes savent s’organiser, individuellement ou collectivement.

Des investissements iront peut-être vers l’UE plutôt que vers la Suisse. Des emplois vont probablement disparaître ou ne plus être créés, mais dans des proportions qui n’apparaîtront pratiquement pas dans les chiffres macroéconomiques. Le Parti populaire (UDC) est d’ailleurs à l’aise sur ce terrain: selon la doctrine officielle en Suisse, l’immigration est une variable d’ajustement du marché de l’emploi. Moins d’emplois devrait donc signifier moins d’immigration européenne.

Dans le domaine financier, accord institutionnel ou pas, l’UE n’a jamais manifesté son intention d’accorder l’équivalence des services à la Suisse (ni à la City). Dans celui de la recherche subventionnée, l’Accord n’est plus l’élément déterminant que la libre circulation des personnes a été à l’époque du programme européen Horizon 2020. Une éventuelle association complète de la Suisse au programme Horizon 2027 est aujourd’hui considérée à Bruxelles sur le même plan qu’avec le Royaume-Uni et Israël. Ce n’aurait pas été différent avec l’Accord institutionnel (7).  

L’incertitude économique ne va pas disparaître. Elle n’a en fait jamais disparu. La voie bilatérale d’intégration complète, par étapes, qui rendent chaque fois les étapes suivantes indispensables, est aussi source d’incertitudes continuelles. Ratifié, l’accord aurait ouvert un champ conflictuel nouveau, sur la question de l’élargissement de l’institutionnel, avec des difficultés d’acceptation et de nouvelles tensions.

Recentrage de la politique de souveraineté sur l’électricité

Dans cette nouvelle configuration de statu quo, le projet d’Accord sur l’électricité devient de toute évidence un enjeu crucial pour la Suisse. N’est-il pas vital qu’un petit pays enclavé puisse au moins obtenir des garanties d’approvisionnement en énergie ? Sans devoir attendre sans fin que l’UE, qui instrumentalise cette menace, ait obtenu tout ce qu’elle voulait avant d’entrer en matière?

Cette sécurité de première nécessité ne relève pas seulement de la politique européenne de la Suisse. Il s’agit aussi d’un droit en quelque sorte naturel, facilement défendable dans le cadre des Nations Unies par exemple. L’approvisionnement en électricité d’hiver, en échange d’électricité suisse en été, est opéré aujourd’hui à flux très tendus, avec des risques continuels de black out. Une proposition suisse légitime et réaliste sur l’énergie, sans libéralisation radicale du marché suisse de l’électricité – le projet serait sinon voué à l’échec – pourrait relancer les relations sur une base sensiblement différente.  

Les Suisses ne devraient-ils pas placer cette exigence de sécurité énergétique avant tout autre nouvelle discussion sectorielle ou institutionnelle ? Et avant toute autre concession dans d’autres domaines ? En faisant valoir encore une fois les contreparties accordées à l’avance: la libre circulation, qui a été plébiscitée, les transversales alpines, beaucoup de bonne volonté dans Schengen/Dublin, l’adoption unilatérale du principe du Cassis de Dijon, ou encore le libre accès à sens unique des produits financiers européens en Suisse.

————

(1) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/13/genealogie-de-la-voie-bilaterale/

(2) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/04/28/acces-au-marche-europeen-4-ce-que-vaut-laccord-sur-la-recherche/

(3) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/02/02/acces-au-marche-europeen-3-les-derisoires-privileges-de-larm/

(4) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/12/28/brexit-deal-lourde-humiliation-pour-les-suisses/

(5) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/01/13/ce-que-veut-dire-acces-au-marche-europeen-1-une-voie-royale-vers-le-marche-suisse/

(6) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/02/28/swiss-medtech-exportations-ok-importations-danger/

(7) https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2021/03/30/alleingang-dans-la-recherche-lallemagne-fait-de-la-resistance/

 

Swiss Medtech – Exportations: OK. Importations: DANGER!

ACCORD INSTITUTIONNEL SUISSE-UE, RETORSIONS ET CONTRE-RETORSIONS. Entretien avec Daniel Delfosse, Head of Regulatory Affairs de Swiss Medtech. Le risque s’éloigne de ne plus pouvoir homologuer en Suisse les technologies médicales destinées au marché européen. En revanche, l’association sectorielle vient d’alerter le Conseil fédéral sur de sérieuses conséquences concernant les importations, l’accès aux meilleures pratiques et les coûts de la santé en Suisse. Le gouvernement n’a-t-il pas pris une décision hâtive sans consultation préalable? (1)     

Sauf nouveau report dû à la crise sanitaire, le changement de régime en matière d’homologation des dispositifs médicaux dans l’Union Européenne sera effectif dans trois mois (26 mai). La directive européenne MDD sera alors remplacée par une « régulation » (Medical Device Regulation, MDR). Les exigences de conformité seront sensiblement plus élevées dans les instruments, comme dans les appareils ou les implants (les médicaments ne sont pas concernés). Des résultats cliniques devront en particulier être systématiquement fournis par les producteurs.

Ces nouvelles contraintes ne portent pas seulement sur les nouveaux dispositifs médicaux. Elles s’appliquent à l’ensemble du parc existant, qui sera soumis à de nouvelles expertises, sans parler des changements dans l’étiquetage et les documents.

Dans le système actuel (MDD), et dans toute l’Union Européenne, une cinquantaine d’agences privées (Notified Bodies) sont autorisées à traiter les demandes de certification de leurs entreprises clientes. D’où qu’elles viennent dans le monde. Les nouveaux Notified Bodies sous le système MDR ne sont pour l’instant qu’une vingtaine (2). Il s’agit en général d’anciennes entités ayant réussi leur passage de la MDD à la MDR.

Dans la cinquantaine de Notified Bodies européens actuellement autorisés (sous l’ancien régime MDD), deux sont suisses et basés en Suisse. SQS à Berne-Zollikofen, 160 collaborateurs, société sans but lucratif créée en 1983 par des utilisateurs de tous les secteurs : alimentaire, aéronautique, numérique, tourisme, etc. QS par ailleurs, comme Quality-Service, à Zurich et Bâle. Ces deux entreprises ont octroyé un grand nombre de certifications européennes à des produits et systèmes dans le médical, qu’ils viennent de Suisse ou d’ailleurs dans le monde.

Les opérateurs suisses des technologies médicales, comme ceux d’Amérique ou d’Asie, peuvent aussi obtenir « directement » leurs certifications européennes auprès des entités autorisées basées dans l’UE. Des filiales européennes d’entreprises suisses de toutes tailles en avaient déjà l’habitude avant les événements de ces dernières années : souvent moins cher dans l’UE qu’en Suisse, parfois plus rapide et plus pratique.

Depuis 2017 et les tensions politiques permanentes sur l’Accord institutionnel Suisse-UE, la tendance à s’adresser aux Notified Bodies européens s’est clairement accentuée. Il n’était pas certain en effet que SQS et QS allaient être agréés à Bruxelles comme nouveaux certificateurs MDR. L’organisation sectorielle Swiss Medtech à Berne a d’ailleurs recommandé de se tourner sans tarder vers les certificateurs européens. C’était il y a un an. QS avait déjà renoncé à se convertir à la nouvelle MDR, mais SQS était bel et bien candidat, dans un environnement toutefois très incertain.  

Où en est-on avec la reconnaissance de SQS à Berne comme certificateur medtech dans la nouvelle régulation de l’Union Européenne ?

Daniel Delfosse. Les Etats membres de l’UE avaient jusqu’à vendredi dernier (26 février) pour s’opposer à ce que l’agence de certification suisse SQS ait le statut européen dans le nouveau régime. Ce n’était de loin pas gagné d’avance dans le climat politique actuel. Or aucun Etat ne s’est manifesté à notre connaissance. Sauf retournement de dernière minute du côté de Bruxelles, on peut donc dire qu’il sera encore possible à l’avenir de certifier en Suisse des technologies médicales conformes aux normes européennes.

Avec ou sans Accord-cadre institutionnel ?

Oui. Et sauf élément politique nouveau, évidemment.   

C’est une nouvelle importante après trois ans d’incertitude, et pour un secteur qui compte aujourd’hui quelque 350 fabricants en Suisse, avec un nombre à peu près semblable de sous-traitants. Le pessimisme régnait jusqu’ici. Quelle est la part des certifications du medtech suisse qui ont « émigré » vers l’UE, souvent par précaution ?

Il s’agit d’une part importante, de plus de 90%, mais elle n’est pas forcément récente. Certaines entreprises suisses ont toujours engagé leurs procédures d’homologation en Europe plutôt qu’en Suisse. En particulier lorsqu’elles ont une ou plusieurs filiales en Europe, ce qui est fréquent.  

Ces certifications « perdues » vont-elles revenir en Suisse ?

Il est difficile de prévoir à ce stade comment va évoluer la proportion de certifications européennes réalisées en Europe plutôt qu’en Suisse. D’autant qu’il y aura une assez longue période d’adaptation au nouveau régime, avec des rattrapages, des goulets d’étranglement et des délais peu prévisibles. Ce qui est certain, c’est que des habitudes ont été prises en Suisse avec des certificateurs allemands, français, ou encore néerlandais. Il faut parfois de solides raisons pour changer d’habitude.  

Il en va donc aussi de l’avenir du certificateur suisse SQS.   

Une entreprise comme SQS est bien diversifiée dans des secteurs moins sensibles politiquement. Il n’est pas sûr que le medtech restera toujours une priorité pour elle. Mais il était important que certaines entreprises, en démarrage par exemple, puissent compter sur ce genre de service en Suisse même. Il y a aussi un enjeu d’image et de promotion économique. Il peut être plus facile d’enraciner des start-ups, ou de capter des investissements si vous pouvez faire valoir qu’il est possible d’obtenir des certifications européennes en Suisse.

Les entreprises exportatrices de technologies médicales des Etats tiers doivent avoir un mandataire dans l’UE. Une entreprise européenne qui les représente, dans les litiges en particulier. Où en est-on avec cette nouvelle complication ?

C’est de loin ce qui nous préoccupe le plus actuellement, mais pas seulement par rapport aux exportations. Nous pensons qu’un grave problème va surgir du côté des importations et du marché intérieur. Avec de lourdes répercussions potentielles sur la santé et les coûts de la santé en Suisse.

Nous allons y venir, mais terminons avec le marché européen : ces représentants légaux sont une nouveauté. Quel rapport avec l’Accord institutionnel en suspens ?

Le système des mandataires s’applique aux Etats tiers. Or l’Union Européenne a décidé que la Suisse devenait un Etat tiers dès l’entrée en vigueur de la MDR. Il n’y a pas en effet de reprise automatique des nouvelles dispositions MDR dans l’Accord de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM, Accords bilatéraux I). Tant qu’un Accord institutionnel ne sera pas ratifié, prévoyant ce genre de reprise automatique, la Suisse sera considérée comme un Etat tiers en termes de MDR. Et ce problème ne peut pas faire l’objet de négociations spécifiques: la Commission Européenne a déclaré en 2018 déjà qu’aucune nouvelle entente bilatérale ne serait envisageable tant que l’Accord institutionnel ne serait pas ratifié en Suisse.

Quels seront les coûts supplémentaires de cette exigence de représentation légale ? 

Nous avons calculé qu’il s’agira d’un surcoût global de 115 millions de francs pour la mise en place, puis 75 millions par an. Plus de 300 entreprises européennes des medtechs ont déjà été mandatées par des entreprises suisses. C’est évidemment dommage de devoir payer cette somme juste pour de l’administration, au lieu de l’utiliser pour des investissements et de l’innovation. Mais c’est nécessaire, et les exportations suisses de technologies médicales représentent à peu près dix milliards de francs par an, dont la moitié vers l’Europe.   

Alors venons-en aux importations, pratiquement absentes du débat public sur le dossier medtech depuis le début de la crise.

Nous avons envoyé la semaine dernière des courriers personnels aux conseillers fédéraux Berset, Parmelin et Cassis. Il s’agit de les sensibiliser à une situation assez invraisemblable, qui s’annonce périlleuse pour le secteur de la santé. La réciprocité en matière de représentation légale va augmenter les efforts et les coûts pour les importations en Suisse. Ce n’est pas le surcoût lui-même qui pose un problème, mais surtout son effet prévisible sur la décision de couvrir ou non un petit Etat comme la Suisse. Il y aura certainement de nombreux exportateurs vers la Suisse qui vont décider de renoncer à ce marché déjà compliqué pour des raisons linguistiques. Des situations de pénurie et d’obsolescence sont à prévoir dans les dispositifs médicaux. Moins de concurrence va aussi avoir un effet pervers sur les prix. Ce n’est pas souhaitable pour les patients, ni pour l’image de la place médicale suisse.

Vous avez des estimations chiffrées ?  

Nous craignons en gros de perdre un quart des produits et systèmes importés. Sachant que la moitié des dispositifs actuels sont importés, c’est un huitième des équipements qui ne seront plus accessibles. Et ce sera probablement davantage le cas pour les équipements destinés à traiter des maladies rares. S’agissant des coûts, nous prévoyons une augmentation de 10%, dont 8% pour les demandes de la MDR et 2% pour les mandataires.

Comment en est-on arrivé là ? La réciprocité n’était nullement nécessaire dans cette affaire.

Les autorités ont la tâche délicate de trouver un équilibre entre sécurité des produits, sécurité d’approvisionnement, ca­ractère contraignant et équivalence avec l’UE. Que la Suisse ait été reléguée parmi les Etats tiers dans le nouveau régime MDR a été considéré par le Conseil fédéral comme une mesure de rétorsion de la part de Bruxelles (au même titre et à la même époque que la perte d’équivalence boursière, qui a fait l’objet d’une contre-rétorsion de la part de la Suisse, ndlr). Le Conseil fédéral a donc demandé que la réglementation suisse soit également réorganisée en imposant le principe du mandataire pour les importations européennes.

On peut imaginer qu’un transfert de provenances aura lieu au bénéfice des technologies américaines et asiatiques. Importants fournisseurs de la place médicale suisse qui, elles, ne seront pas soumises à l’obligation d’un représentant légal en Suisse.  

Non, parce que ce serait une discrimination au sens de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour imposer le mandataire aux importations européennes, à titre de contre-rétorsion, il a fallu l’imposer aux importations de tous les pays du monde!

Vous n’avez pas été consultés ?

Pour le décret modificatif du règlement, il n’y a pas eu de consultation publique. Seule une « petite » consultation a été réalisée à l’intérieur de l’administration fédérale. Les milieux de la santé n’ont pas été consultés non plus. C’est évidemment très regrettable. Nous espérons qu’il est encore possible de trouver un accord avec les autorités afin de ne pas mettre en péril les patients suisses.

Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Le Conseil fédéral établit les règles d’importation. Il peut les fixer unilatéralement et indépendamment de l’UE, par le biais de l’Ordonnance suisse sur les dispositifs médicaux (ODim). Nous attendons du Conseil fédéral qu’avec l’ODim prévue, il ne crée pas de barrières à l’importation, qui mettraient en danger les soins de santé pour notre propre population.

—————-

(1) Sur l’importance des technologies médicales en Suisse: https://www.swiss-medtech.ch/sites/default/files/2020-09/SMTI_2020_DE_low_0.pdf

Sur l’importance des technologies médicales en Europe: https://www.swiss-medtech.ch/sites/default/files/2020-08/MTE_EN_2020.pdf

(2) 19 précisément, dont 6  en Allemagne, 3 aux Pays-Bas (qui n’est paradoxalement pas un grand producteur de medtechs), et 2 en Italie. https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/nando/index.cfm?fuseaction=directive.notifiedbody&dir_id=34