Michael Ambühl et son erreur de 180 degrés

L’ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et actuelle figure de l’EPF de Zurich suggère que le gouvernement devrait désavouer maintenant l’Accord institutionnel avec l’Union Européenne. Pour mieux sécuriser la libre circulation des personnes le 27 septembre prochain. Un peu de recul convainc toutefois du contraire : n’est-ce pas plutôt l’abandon de la libre circulation qui favorisera en Suisse l’acceptation d’un bon accord institutionnel sur tout le reste ? Cet accord actuellement en suspens ne pose-t-il pas que des problèmes par rapport à la libre circulation ? (photo ETH Zürich)

Dans un article paru lundi dernier dans la Neue Zurcher Zeitung, l’ancien secrétaire d’Etat Michael Ambühl met en garde contre ce qu’il considère comme un risque par rapport au vote populaire du 27 septembre prochain sur la libre circulation des personnes (Initiative de limitation).

Actuel directeur du Département de management, de technologies et d’économie de l’Ecole polytechnique de Zurich, Ambühl compare la situation politique de cet été avec celle de 1992. Il se réfère à l’hypothèse courante selon laquelle le Conseil fédéral, à l’époque, aurait fait capoter le projet d’adhésion à l’Espace économique européen en formulant de manière tragiquement intempestive un objectif d’adhésion complète à l’Union. Et en déposant une demande officielle à Bruxelles, quelques mois avant le vote sur l’EEE (1).

De nombreux Suisses auraient ainsi désavoué l’establishment pour des raisons tactiques : il s’agissait pour eux d’être bien sûrs que le gouvernement et le parlement, une fois l’EEE liquidée, retireraient aussitôt la demande d’adhésion (2).

Qui peut dire aujourd’hui que des citoyens ne voteront pas contre la libre circulation des personnes pour être bien certains que l’Accord institutionnel en suspens finisse sans tarder dans les poubelles de l’histoire ?    

« Pour éviter un tel comportement de vote, écrit Michael Ambühl, le Conseil fédéral devrait déclarer avant le scrutin qu’il n’interprètera pas un résultat positif en septembre (pour la libre circulation, ndlr) comme un feu vert pour le projet d’accord institutionnel. Mais qu’il s’efforcera au contraire de clarifier toutes les questions importantes. »

Et Ambühl de joindre généreusement le geste à la parole : à ses yeux, l’Accord institutionnel doit tout simplement être renégocié. En y enlevant toute référence à la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) comme instance ultime de recours dans la procédure de règlement des différends. Ce à quoi Bruxelles s’est fermement refusée jusqu’ici.

Une fois l’opinion publique rassurée, une claire majorité en faveur de la libre circulation serait en plus un signe fort de solidarité avec l’Europe. « Cela devrait aider le Conseil fédéral dans ses futures négociations.» Sur le plan intérieur, ce genre de résultat signifierait aussi que la libre circulation a besoin de mesures d’accompagnement efficaces. « Vu sous cet angle, ce serait même un mandat démocratique quasi direct donné au Conseil fédéral pour qu’il travaille en faveur d’une protection salariale efficace. »

Ces belles certitudes stratégiques laissent évidemment songeur, tout comme les manipulations d’opinion qu’elles encouragent ouvertement. Mais le raisonnement de l’ancien secrétaire d’Etat mérite à coup sûr d’être inversé : l’abandon de la libre circulation n’est-elle pas au contraire le meilleur moyen d’obtenir rapidement un bon accord institutionnel sur tout le reste ?

L’analogie avec le cas britannique semble d’ailleurs incontournable, comme le proclame Ambühl lui-même avec beaucoup de discernement : « L’UE offre aux Britanniques un mécanisme de règlement des différends similaire à celui de la Suisse dans l’Accord institutionnel. Londres l’a déjà rejeté. » Très au fait de ce qui s’y passe (3), il ajoute : « En raison de nouveaux développements, des mesures compensatoires appropriées sans la participation de la CJUE seraient envisageables dans le cas de règles de concurrence qui fausseraient un marché censé être équitable. Tant que l’issue des négociations entre Bruxelles et Londres ne pourra être mieux évaluée, la Suisse ne pourra pas avancer sur cette question. » (4)

La Suisse risque bien de se retrouver sur le même plan relationnel que les Britanniques, mais avec les contraintes de la libre circulation des personnes en plus.

Alors prenons les choses dans l’ordre. Avec le Brexit, les Britanniques ont résolument rejeté le principe de libre circulation des personnes au sens migratoire du terme. Les Européens l’ont tout de suite compris et accepté. Depuis quatre ans, cette question fondamentale n’est jamais réapparue dans tout ce qui a été dit d’un côté comme de l’autre des futures relations entre l’Union et le Royaume. Le principe de libre accès réciproque aux marchés du travail peut être considéré comme mort et enterré (5).

Comme chacun sait (et Michael Ambühl le rappelle), cette abolition de la libre circulation n’a nullement empêché Bruxelles de demander aux Britanniques de conclure un accord institutionnel régulant les reprises de droit et de normes européennes. Londres n’y est pas opposé, pour autant qu’il ne soit question ni de CJUE dans le règlement des différends, ni de parallélisme global (sur le modèle des Accords bilatéraux I avec la Suisse et de leur sinistre clause guillotine).

Si l’Initiative de limitation du Parti populaire était acceptée en Suisse le 27 septembre, la Suisse se retrouverait donc en ce sens sur le même plan que le Royaume-Uni actuellement : à pouvoir négocier un (ou des) accord(s) institutionnel(s) avec l’Union, sans libre circulation des personnes. Avec quelques bonnes longueurs d’avance toutefois, puisque des accords sectoriels existent déjà entre l’UE et la Suisse (Londres doit en principe les négocier entièrement).

C’est dire si la tâche s’en trouverait facilitée sur le front intérieur. Plus encore que la Cour européenne de Justice, les plus grands obstacles à l’institutionnel évolutif ne se trouvent-ils pas précisément du côté des questions de travail, de concurrence salariale, sociale, et de citoyenneté européenne en Suisse ? Toutes reliées au principe de libre circulation ? A côté desquelles certaines restrictions mineures dans les aides d’Etat par rapport aux exportations, jugées jusqu’ici problématiques, paraîtraient tout d’un coup bien dérisoires.

Sans libre circulation, l’accord institutionnel portant sur des reprises dynamiques (automatiques) de droit européen cesserait d’être un problème en Suisse. Cet automatisme n’existe-t-il pas déjà dans plusieurs domaines des accords bilatéraux (Schengen, transports aériens, ARM, etc.)? Puisqu’il faut toujours se concilier les dignitaires européens, Berne pourrait même leur proposer d’emblée d’étendre l’institutionnel à d’autres domaines.

Concernant les Britanniques, il en est déjà question bien au-delà des transports terrestres et aériens, de l’agriculture ou des accords de reconnaissance mutuelle des normes techniques. Sans libre circulation encore une fois. S’agissant de la Suisse, les Européens ont d’ailleurs déjà annoncé que l’extension de l’institutionnel serait l’étape suivante. Les Suisses en ont pris note dans une déclaration conjointe liée à l’accord cadre actuellement en suspens.

Au final, si la libre circulation n’est pas remise en cause maintenant, et que l’Accord institutionnel est ratifié, la Suisse va à coup sûr se retrouver au même niveau relationnel que les Britanniques, mais avec les contraintes de la libre circulation en plus. Sans parler de ce qui l’attend par la suite, auquel elle ne pourra toujours pas dire non sous peine de rétorsions. 

Pour justifier un pareil échec politique de la voie bilatérale d’intégration devant l’opinion, il faudra vraiment que les performances économiques de la Suisse soient durablement très supérieures à celles de la Grande-Bretagne. Sans parler des effets non économiques de l’immigration européenne négligemment auto-régulée par le marché.    

Le monde politique ne peut pas se contenter d’attendre passivement cette configuration insensée, simplement parce que ce serait chronophage et stressant de remettre en cause un système bilatéral de toute évidence dépassé. Les temps ont vraiment changé. Les relations avec l’UE doivent se renouveler. Repartir sur des bases durables et assumables politiquement, qui ne donnent pas juste l’impression de subir en continu.

A moins que les partis politiques aient décidé de laisser pourrir une situation apparemment sans perspective (« ou pas », selon l’expression du moment), sauf celle de se trouver un jour et miraculeusement dans une meilleure position pour discuter avec Bruxelles. Comment pourrait est-ce pire qu’aujourd’hui en effet? C’est à vrai dire clairement l’impression que la politique européenne de la Suisse donne depuis des années.     

—-

(1) Très vraisemblable, cette thèse a longtemps été portée, et est encore défendue aujourd’hui par l’ancien secrétaire d’Etat Franz Blanckart, négociateur suisse auprès de la Communauté européenne dans le dossier de l’EEE (très déçu du comportement du Conseil fédéral et de l’issue du vote populaire). Aucun sondage d’opinion n’a tenté de la vérifier à notre connaissance. On ne peut guère reprocher toutefois au Conseil fédéral et au Parlement d’avoir eu l’honnêteté politique d’annoncer la couleur. L’EEE avait d’ailleurs été présenté dès le début des négociations, tant à Bruxelles qu’à Berne, comme un processus de transition vers l’adhésion complète.

(2) La demande d’adhésion a finalement été retirée en 2016 seulement, peu de temps après le référendum britannique sur le Brexit. Le Conseil fédéral n’avait abandonné l’objectif d’adhésion qu’en 2005. La Commission européenne, elle, ne l’a toujours pas abandonné : la Suisse fait toujours partie de la Politique européenne d’élargissement plutôt que de la Politique européenne de voisinage (PEV).         

(3) C’est une information de première main. Michael Ambühl a apparemment un précieux réseau à Londres. Il a par exemple été sollicité dans une commission informelle pour conseiller le gouvernement de Theresa Maye dans ses négociations avec l’Union Européenne.      

(4) Au lendemain du référendum britannique, je signais dans L’Agefi un éditorial rêvant que la politique européenne de la Suisse attende une visibilité suffisante dans les négociations entre l’Union et le Royaume-Uni pour avancer dans ses propres relations avec Bruxelles. La position officielle du monde politique à Berne a au contraire été jusqu’ici de faire comme si le Brexit n’existait pas. A ma connaissance, la seule personnalité à avoir suggéré (dans une interview quelques jours après le référendum britannique) que le Conseil fédéral attende de voir ce que Londres allait obtenir de Bruxelles a été l’ancienne cheffe du Département des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey… Or aujourd’hui, la première certitude est précisément que les Britanniques ont obtenu des Européens la possibilité de négocier des accords sectoriels et institutionnels sans libre circulation des personnes.  

(5) Bruxelles continue toutefois d’attendre de Londres des garanties de non-dumping salarial, de manière que la concurrence ne soit pas faussée dans le commerce international entre le Royaume et l’Union (pourtant très favorable à l’Union en termes de balance commerciale). Cette situation est évidemment différente du cas suisse, pour ne pas dire inverse. Ici, c’est l’Union Européenne qui cherche continuellement à obtenir des Suisses de pouvoir exercer une concurrence à la baisse, jugée tout à fait loyale sur les rémunérations. Dans le travail détaché, les achats transfrontaliers de consommation. Ou plus indirectement et généralement dans le niveau général de prix des importations européennes en Suisse, très favorable aux Européens grâce au facteur travail.

Immigration européenne en Suisse, croissance, chômage : ce que disent les chiffres

Le vote du 27 septembre portera sur la politique suisse d’immigration européenne. Avec son principe de libre établissement et de libre accès au marché du travail. De quoi parle-t-on au juste? Avec quelles marges d’interprétation?

Soumise au vote le 27 septembre prochain, l’initiative populaire fédérale « Pour une immigration modérée » (dite initiative « de limitation ») ne prévoit en réalité aucune modération ni limitation de l’immigration.

Le texte demande seulement que la Suisse règle l’immigration « de manière autonome (…), sans régime de libre circulation des personnes ». C’est-à-dire sans libre circulation avec l’Union Européenne. La libre circulation étant entendue au sens migratoire du terme (et non de la surveillance des frontières).

Ce serait ensuite au Parlement de décider souverainement, d’année en année, s’il veut limiter ou non l’immigration européenne. Or, le Parti populaire suisse (UDC), qui a lancé l’initiative et est à peu près seul à la soutenir à Berne, ne représente que 25% du Conseil national et 13% du Conseil des Etats.

Ce n’est donc pas l’UDC toute seule qui va faire la politique migratoire du pays après le 27 septembre. Ce ne fut déjà pas elle après l’acceptation en vote populaire de sa première initiative contre la libre circulation en 2014 (non appliquée). Elle demandait à l’époque l’introduction de contingents d’immigration européenne, mais sans préciser non plus à quel niveau.

C’est dire si ces questions concernent toutes les sensibilités politiques. Ne mériteraient-elles pas d’être actualisées en continu sous forme de tableau de bord accessible en deux clics? A défaut, il y aura toujours le soupçon que l’on cherche à dissimuler des réalités chiffrables. Rien de tel pour pourrir un débat encore bien loin d’être clos. Sachant par ailleurs que les chiffres résultent en général d’un choix méthodologique, et qu’ils sont toujours sujet à interprétation. Sans oublier que là où il y a des chiffres, il y a des risques d’erreur…

Sauf indication contraire, les données mentionnées ici sont dispersées sur le vaste site web de la Confédération (OFS, SECO, etc), ou reçus directement de ses services. Les données brutes disponibles, agrégées et comparées sont surabondantes. Elles sont rarement organisées en fonction de débats actuels de politique (migratoire en particulier). Ce qui ne permet pas toujours d’obtenir les bonnes réponses sans recoupements ni arithmétique.

L’immigration européenne elle-même

L’an dernier, l’immigration nette des Européens résidant en Suisse a été de 32 000 personnes environ (arrivées moins départs). C’était 3.5% de plus que l’année précédente. Cet indicateur est en baisse depuis 2014, et à peu près stable depuis 2017.

Entre 1983 et 2001, l’augmentation annuelle moyenne des résidents européens avait été de 9800 personnes. Dans la période transitoire 2002-2006 (application progressive de la libre circulation), l’augmentation a été de 23 000 personnes par an. A partir de 2007 (application complète) et jusqu’à aujourd’hui (2019) : 48 000 Européens en moyenne annuelle, soit les populations de Fribourg et Payerne cumulées. Le record a été atteint en pleine crise financière et bancaire : 73 000 personnes (2008).

De son côté, l’immigration non européenne, régulée de manière autonome, est à peu près stable depuis 2007, à plus ou moins 22 000 personnes par an. Elle était de quelque 27 000 de 1990 à 2006. On peut dire en ce sens que la libre circulation avec l’UE (préférence européenne sur le marché suisse du travail) a fait reculer l’immigration extra-européenne en Suisse de 20% environ. C’est significatif sans être spectaculaire.

Depuis l’application progressive de la libre circulation en 2002, l’immigration totale en Suisse (Europe et monde) a été de 1,15 million de personnes. Soit 67 000 en moyenne annuelle, croissance se situant chaque année entre les populations de Lugano et de Saint-Gall (8e et 9e villes de Suisse). Si l’on s’en tient à une extrapolation théorique dans le futur (toutes choses égales par ailleurs), le cap des dix millions de résidents en Suisse devrait être atteint en 2040 environ.  

Lors du vote populaire ayant validé la libre circulation des personnes avec l’Union sur le plan migratoire en 2000 (Accords bilatéraux I), les projections officielles d’immigration supplémentaire allaient de 8000 (organisations économiques) à 10 000 (Conseil fédéral). L’énorme écart avec ce qui s’est passé n’est pas vraiment surprenant : les prévisions sont réputées très aléatoires dans le domaine des migrations.

Frontaliers et population active

Les initiatives de l’UDC concernent également le libre accès des frontaliers au marché suisse du travail. Ils sont aujourd’hui au nombre de 330 000. Soit à peu près le double qu’en 2001 (168 000). La progression moyenne a été de 9000 nouveaux frontaliers par an. Les résidents français viennent en tête avec 180 000 salariés et indépendants environ. Les Allemands sont 80 000, les Italiens 60 000 et les Autrichiens 10 000.

Le travail frontalier avec la France a davantage progressé, ce qui peut avoir plusieurs raisons. Ce n’est peut-être pas sans rapport avec la surpondération du développement économique en Suisse romande relativement à l’ensemble du pays pendant cette période.

Des recoupements dans l’enquête de l’OFS sur la population active (2e trimestre 2019) permettaient d’établir que les ressortissants de l’Union étaient au nombre 1,285 million sur le marché du travail (5,1 millions d’actifs au total). Dont 866 000 Italiens, Français, Allemands, Autrichiens et frontaliers. Soit 25% environ, l’ensemble des étrangers sur le marché du travail se situant à 31%.

Croissance et immigration européenne

Est-ce la croissance économique qui attire les immigrés européens en Suisse, ou les immigrés qui créent de la croissance ? Par rapport à cette controverse récurrente et très idéologique (les deux explications peuvent être vraies en même temps), on ne peut pas dire qu’il y ait une corrélation claire entre croissance et immigration. 2019 a été une année d’immigration en hausse, mais de relativement faible croissance : 0,9%. L’année précédente, l’immigration nette avait été plus faible, mais la croissance trois fois plus élevée (2.8%).

Les différences de croissance moyenne du produit intérieur (PIB) entre les trois périodes migratoires mentionnées plus haut ne sont d’ailleurs pas très significatives : 1,9% (1983-2001), 2,25% (2002-2006, transition) et 2,1% (2007-2019). On ne peut pas vraiment dire que l’immigration européenne et les Accords bilatéraux I ont favorisé la croissance.

Productivité

Quand à l’augmentation moyenne de la productivité du travail (en gros le PIB par résident au sens simplifié de l’OCDE), elle a été de 1,5% entre 1991 et 2006. Et de 0,5% seulement entre 2007 et 2018. Que la croissance soit considérée comme un objectif sous l’angle de l’emploi, ou vue comme permettant de financer le système social et la transition énergétique, il est donc difficile de penser que l’immigration y contribue significativement depuis le début des années 2000.

L’immigration en Suisse étant solvable dans presque tous les cas, elle participe toutefois de manière « mécanique » et incontestable au soutien de la consommation et de l’immobilier (marché du logement). Dans des proportions non mesurables cependant.

Chômage et immigration

Il y a trois indicateurs courants du phénomène en Suisse, qui évoluent plus ou moins conjointement :

– les chômeurs inscrits dans les offices régionaux de placement, recevant en général des indemnités de l’assurance chômage. Ils sont enregistrés par le SECO. Le taux était de 2.5% fin 2019, un niveau historiquement très bas mais non durable (crise économique actuelle).

– les demandeurs d’emplois inscrits, chômeurs ou non (SECO) : 3,3% environ fin 2019.

– les chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT), pour les comparaisons internationales : chômeurs et demandeurs d’emplois inscrits ou non, disponibles tout de suite pour un emploi, et mesurés par sondages (OFS) : 4% environ fin 2019.

Une douzaine d’Etats européens ont fait mieux que la Suisse sur l’ensemble de l’année. Dont l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, Malte et la Norvège. Et des Etats à très faible immigration européenne comme la République tchèque, l’Islande, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, l’Estonie et la Slovénie (Bilan). A noter que la Pologne, l’un des grands « ateliers » d’Europe, est l’Etat du continent qui a accueilli le plus grand nombre d’immigrés économiques venant du reste du monde en 2019, devant l’Allemagne : plus de 600 000 personnes, qui ne sont pas censées rester en cas de perte d’emploi ou de retournement conjoncturel (Eurostat, voir aussi notre article du 30 octobre : Les péripéties du pragmatisme migratoire https://cutt.ly/7yMUG5i ).

Il n’y a pas eu jusqu’ici de corrélation significative non plus entre immigration et taux de chômage. Depuis 2000, le chômage a simplement eu tendance à augmenter à deux reprises, pendant et après les deux crises économiques mondiales. Entre 2001 et 2003, puis entre 2008 et 2010. Il est ensuite retombé, puis est resté stable, avant de baisser à nouveau en 2018 et 2019.

Deux indicateurs seulement sont disponibles s’agissant des étrangers dans les chiffres du chômage (sans distinction entre Européens et non-Européens). Ils représentent d’abord 49,3% des chômeurs SECO (les Suisses 50,7%). A mettre en relation avec les 31% de population active non suisse (voir plus haut). La surreprésentation est donc de 30% environ (18 points de base).  

Le taux de chômage BIT mesuré dans la population non suisse est également plus élevé que dans la population suisse : 6% environ, contre 3,5%. Cette importante différence renvoie apparemment surtout aux demandeurs d’emplois venus en Suisse par regroupement familial.

Depuis 2002 et surtout 2007, les effets de l’immigration européenne et du travail frontalier sur les résidents actifs sont régulièrement thématisés du côté de la droite nationale et de la gauche syndicale. Le chômage de longue durée des plus de cinquante ans était supérieur à la moyenne dans les années 1990 déjà, mais l’écart s’est accentué à partir de 2003 (+/- un demi point de base).

Les taux de chômage sont sensiblement et chroniquement supérieurs dans les cantons frontaliers (de la France en particulier). Les loyers y sont souvent plus élevés, en général sans rapport avec les différences de valorisation salariale. L’environnement législatif et les difficultés à développer des infrastructures en Suisse, accentuées par une sensibilité écologique de plus en plus exacerbée, génèrent de la saturation dans les communications et services publics, etc.    

Ce genre d’observations et leurs causalités sont rarement contestées. Elles sont même reconnues officiellement dans certains cas. La réponse du Parlement, sous pression après le vote populaire de février 2014, en témoigne. La mise en place trois ans plus tard d’un système d’annonce des postes vacants dans les branches économiques à plus de 5% de chômeurs inscrits n’a pas encore donné de résultats mesurables. Il n’est pas exclu que la crise économique mondiale et brutale qui vient de s’ouvrir en élargisse le champ et en révèle les limites.

Aucun chiffre sur la réciprocité

Lors des débats qui avaient précédé l’acceptation populaire des Accords bilatéraux I en 2000, la réciprocité de l’Accord sur la libre circulation des personnes fut abondamment présentée comme son plus grand avantage. Les Suisses non binationaux allaient obtenir le libre accès au(x) marché(s) européen(s) du travail. C’était particulièrement important pour les multinationales suisses, y compris de petite taille, qui allaient pouvoir y envoyer des expatriés.

Vingt ans plus tard, il n’existe toujours pas le moindre monitoring de cette réciprocité. Personne ne sait à Bruxelles ni à Berne combien de nouveaux ressortissants suisses actifs et non-binationaux bénéficient de la libre circulation des personnes dans l’Union. En mai 2013, le journaliste Mohammad Farrokh avait tenté d’y voir plus clair pour L’Agefi. Il en avait conclu qu’il s’agissait de mille personnes environ. Bénéficiant d’un permis d’établissement, pas forcément de travail (voir le texte de son article en annexe).

Le chiffre paraît dérisoire en termes absolus. Rapportée aux populations européenne et suisse, cette estimation situe cependant le taux d’émigration suisse vers l’Union à peu près au même niveau que l’émigration européenne en Suisse. Compte tenu de la proportion non mesurée des retraités et étudiants suisses émigrant dans l’Union, on peut dire que les nouveaux actifs suisses bénéficiant chaque  année de la libre circulation en Europe sont quelques centaines. Pas de quoi déstabiliser le marché de l’emploi en Europe, ni l’imprégner d’une éventuelle culture suisse du travail… 

    ANNEXE

Dérisoire réciprocité migratoire

De 60 à 80 migrants de l’Union européenne en Suisse contre un Suisse vers l’Europe. Données inexistantes côté européen.

Mohammad Farrokh (L’Agefi, 2 mai 2013) 

Les statistiques sont très précises en Suisse s’agissant des 60 000 à 80 000 ressortissants européens venant s’établir chaque année dans le cadre des accords de libre-circulation des personnes avec l’Union Européenne. Il est en revanche très difficile de se faire une idée des rares Suisses non binationaux bénéficiant de la réciprocité (qui fut pourtant le premier argument politique en faveur des accords). Les recoupements permettent d’établir qu’il y en a environ mille par an.

L’Union européenne ne dispose d’aucune donnée à ce sujet, et Berne n’a pas de curiosité particulière vis-à-vis de ces citoyens qui s’en vont contribuer à la prospérité du continent. L’administration semble éviter de s’engager sur le terrain de la réciprocité et renvoie les questions aux consulats suisses dans les pays concernés.

Il est tout au plus question de 400 000 Suisses dans l’UE, comme s’ils étaient autant de bénéficiaires des accords. Au Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE), une porte-parole ajoute que les ressortissants de l’UE établis en Suisse sont au nombre de 1,1 million. Ces chiffres renvoient aussitôt à la question des doubles nationaux, rendant toute comparaison acrobatique. Les Suisses établis dans l’UE sont plus de 300 000 doubles nationaux, dont la plupart sont également ressortissants du pays de domicile (qui ne les compte pas comme Suisses). A l’inverse, le chiffre des Européens établis en Suisse ne tient pas compte de ceux qui ont aussi la nationalité suisse.

Statistiques inexistantes

Dans ces conditions, combien d’Européens sont présents en Suisse du point de vue de l’Union Européenne? A l’inverse, le seul chiffre significatif par rapport à l’application des accords par l’Union serait celui du nombre de Suisses établis en tant que tels (peu importe qu’ils aient également la nationalité d’un pays non européen).

Cette statistique n’existe pas, mais les chiffres fournis par le DFAE comprennent la catégorie des «seulement Suisses», qui recouvre approximativement le nombre de personnes admises dans l’UE sur la base de leur seul passeport suisse. En additionnant le nombre de «seulement Suisses» par pays, on arrive à 111 000 personnes établies dans l’UE en tant que Suisses en 2012 (chiffre comparable cette fois aux 1,1 million d’Européens présents en Suisse sur la base d’un passeport européen).

L’effet à proprement parler de la libre circulation est pour sa part très modeste: les «seulement Suisses» établis dans l’UE étaient 103 000 en 2004, 108 000 en 2009, 111 000 en 2012. Soit 8000 nouveaux arrivés en huit ans. Mille par an. 

En comptant les doubles nationaux (qui n’avaient pas besoin d’accord pour s’établir en Europe), le nombre est passé de 377 000 personnes en 2004 à 427 000 en 2012. Ce mouvement reflète une intensification de la migration suisse dans l’UE, mais qui bénéficie surtout aux doubles nationaux. Hypothèse: les multinationales basées en Suisse qui délèguent des ressources humaines dans leurs filiales européennes y envoient de préférence des doubles-nationaux.    

La cas français

L’effet de la libre-circulation pour les «seulement Suisses» n’est perceptible que dans la zone frontalière avec la France. Dans l’arrondissement consulaire de Lyon, dont dépend la Haute-Savoie, le solde migratoire des «seulement Suisses» a progressé de 745 personnes en 2012. C’est d’autant plus remarquable que le solde migratoire pour Marseille a été négatif, avec 132 départs. Avec 18 024 Suisses enregistrés en tant que tels, l’arrondissement de Lyon abrite plus de la moitié des 32 374 «seulement Suisses» établis en France. 

On ne s’étonnera pas que cet effet de proximité ait augmenté récemment avec la France dite «voisine» (recherche d’habitat pour des raisons de coûts). En 2009, l’augmentation par rapport à l’année précédente n’était que de 376 personnes. Il ne se vérifie guère cependant dans les autres pays contigus: en 2012, l’arrondissement de Stuttgart, qui couvre la région de Bâle (Weil am Rhein, Lörrach), recense 8980 «Nurschweizer», soit une hausse de seulement 170 personnes en une année. L’arrondissement consulaire de Milan ne recense que 5477 Nurschweizer, un chiffre en baisse de 95 personnes en une année. 

Indépendamment des niveaux salariaux dissuasifs, comment se fait-il qu’il y ait si peu de Suisses à s’établir en Europe? L’organisation des Suisses de l’étranger (OSE) rappelle que certaines plaintes lui étaient parvenues en phase précoce d’application, les accords semblant parfois ignorés sur le terrain. Aujourd’hui, les observations de l’OSE concernent plutôt le niveau élevé des primes maladie de la LAMal UE. Sarah Mastantuoni rappelle que les Suisses en partance pour l’UE doivent s’affilier en Suisse, sauf si la réglementation du pays d’accueil en dispose autrement. 

L’affaire des primes d’assurance maladie

Ces primes sont très élevées. Elles peuvent atteindre 600 francs par mois aux Pays-Bas, ou encore 250 francs en Grèce (montants incompatibles avec le niveau moyen des salaires des pays concernés). En France, la LAMal UE coûte dans les 450 francs par mois. Montant injustifiable par rapport à l’assurance mutuelle des frontaliers, qui propose des primes n’excédant pas 150 euros par mois (pour un assuré de 60 ans).

Sans parler des exagérations les plus criantes: l’OSE était intervenue auprès de l’Office fédéral de la santé publique au sujet de Helsana, qui avait presque doublé sa prine LAMal UE pour la France en 2009 (à 892 francs). Certains parlementaires s’étaient émus du niveau de la LAMal UE. Le Conseil fédéral les avait proprement éconduits.

Le niveau des primes LAMal UE n’est en tout cas pas un obstacle s’agissant de la France, l’un des rares pays européens à donner le choix entre son système national (mutuelle ou sécu) et la LAMal UE. D’où peut-être l’intérêt des Suisses pour ce pays devenu leur destination privilégiée en Europe.

Ambassadeur de France en Suisse: un peu consternant tout de même…

Entretien de Darius Rochebin (RTS) avec Frédéric Journès dimanche dernier (désolé du retard): on pourrait parler d’une nouvelle ingérence dans les affaires intérieures, mais ce n’est vraiment pas cela le pire…

Visionner l’entretien: https://www.rts.ch/play/tv/emission/pardonnez-moi?id=388615

Lire aussi l’analyse de l’appel conjoint des ambassadeurs de France et d’Allemagne dans Le Temps du 1er mai : https://cutt.ly/zyBlmrp

Comment pareille méprise est-elle possible à ce niveau ? Questionné sur l’initiative populaire contre la libre circulation des personnes avec l’Union Européenne, soumise au vote le 27 septembre prochain, l’ambassadeur de France à Berne répond complètement à côté.

Il confond la libre circulation au sens du Traité de Schengen (fin des contrôles frontaliers systématiques entre la Suisse et ses voisins), avec le libre accès des Européens aux marchés nationaux du travail (libre circulation des salariés et indépendants, indissociable de la liberté de circulation des capitaux, des biens et des services). Il n’évoque nulle part la politique migratoire sur laquelle portera le vote de septembre.

Très à son affaire, Darius Rochebin reformule deux fois la question un peu différemment, mais rien n’y fait. Philippe Journès persiste dans l’idée qu’une acceptation de l’initiative de limitation en septembre aurait pour conséquence de rétablir les contrôles aux frontières comme au temps de la crise sanitaire qui semble s’achever. Avec recrutement massif de nouveaux douaniers, diminution des points de passage et temps d’attente interminables.

« Ce n’est pas une vie, dit-il d’abord » (voir plus bas la transcription). « Ce n’est plus la même existence », ajoute-t-il plus loin. Avant d’y revenir de manière on ne peut plus consensuelle : « Il y a des choses plus intéressantes à faire que d’attendre pour montrer ses papiers à la douane ». Alors pourquoi l’ambassadeur de France parle-t-il de résiliation de l’Accord sur la libre circulation des personnes comme s’il s’agissait de sortir de l’espace Schengen ? Interrogé à ce sujet, il n’a pas répondu à nos demandes d’éclaircissements.

Darius Rochebin estime pour sa part que Frédéric Journès a voulu exprimer une opinion forte et claire sur les conséquences politiques complètes d’un changement d’approche migratoire par rapport à l’Union Européenne. En sautant en quelque sorte une étape. « Cela correspond d’ailleurs assez bien à la sensibilité française sur ces thèmes, commente-t-il. La libre circulation est un tout. Alors, en définitive, c’est tout ou rien. Ce ne sera pas saucissonnable. Si les Suisses remettent en cause la libre circulation des personnes au sens migratoire, les Européens la contesteront sur le plan des déplacements transfrontaliers. Je l’ai pris comme une sorte d’avertissement. » Il ajoute ne pas en avoir reparlé off avec son invité après l’entretien.

Accord cadre institutionnel

Darius Rochebin fait ensuite allusion au long processus d’élaboration du projet d’Accord cadre institutionnel controversé. Avec les lenteurs de la Suisse s’agissant de ratification, les mesures de rétorsion européennes, les nouvelles menaces. Puis la crise sanitaire qui suspend tout et semble offrir un bol d’air inespéré à Berne. 

L’analyse de l’ambassadeur est alors catégorique: il n’y a plus de perspective d’adhésion de la Suisse à l’Union, il faut donc un cadre institutionnel pour régler les futures relations sur la base du droit européen. Et il faut faire vite, parce que Bruxelles n’a pas que cela à faire.

Erreur factuelle classique

A noter aussi une erreur factuelle et de rhétorique assez classique dans les propos de l’ambassadeur : «Nos destins sont liés. L’Europe représente bon an mal an 60% des exportations de la Suisse.» Ce chiffre faisait en fait référence dans les années 1990 (“plus de 60%”). La part des ventes extérieures destinées à des clients basés dans l’Union Européenne a toutefois baissé de près de dix points de base depuis 2000. Malgré les importants élargissements du périmètre de l’Union. Il est proche aujourd’hui des 50% (52% en 2018).

Avec le rétrécissement des frontières de l’Union dû au Brexit, cette part va devenir minoritaire en se rapprochant des 45%. Il est intéressant d’observer que le Royaume-Uni, dont les exportations étaient destinées à 55% à l’UE en 2000, a suivi la même trajectoire que la Suisse. Son euro-dépendance n’est plus que de 45% aujourd’hui. Le Royaume-Uni et la Suisse sont de loin les économies les plus globalisées de l’Union. Première puissance exportatrice du monde, l’Allemagne vend à près de 70% dans l’UE (les Pays-Bas et la Belgique à plus de 70%).

Pesanteurs identitaires

A noter aussi quelques pesanteurs identitaires venant de cet expert en défense qui reconnaît à demi-mots être en poste à Berne pour vendre l’avion de combat Rafale à l’armée suisse (groupe Dassault). « Nous sommes tous Européens. On se ressemble. Ce n’est pas comme avec les Etats-Unis. Ici, nous sommes en famille. »

Nous voilà encore avertis. Le choix d’un avion de combat, « qui porte sur une trentaine d’années » en termes de développements et de maintenance, n’est pas qu’une affaire techno-militaire ni financière. C’est une option géostratégique à une époque où la France, l’Allemagne et l’Union-Européenne cherchent à se profiler comme alternative aux superpuissances malfaisantes que sont la Chine, les Etats-Unis et la Russie. A entendre l’ambassadeur, on se dit forcément que s’équiper d’un avion américain pourrait aussi avoir des effets indésirables sur les contrôles aux frontières avec la France. Peut-être même sur les accès de la Suisse à la mer et à l’espace aérien civil européen. Sans parler de l’approvisionnement en général, énergétique en particulier! Non, je plaisante…               

TRANSCRIPTIONS D’ENTRETIEN 

A propos de la fermeture des frontières pendant la crise sanitaire : « On a vu tout d’un coup ce que donnait l’Europe sans la libre circulation. Ça a été une vie épouvantable pendant deux mois, surtout dans les villes frontières comme Genève, Bâle ou Schaffhouse. »

Darius Rochebin : Est-ce que cela pourrait influer selon vous sur le vote de septembre prochain sur la libre circulation ?

Frédéric Journès : Je crois que ça donne en tout cas à réfléchir. Se dire tout d’un coup que ce n’est pas juste un choix identitaire. C’est un choix sur une réalité de vie. Vous prenez une ville comme Genève. Vous êtes dans une ville qui est un carrefour, une ville internationale, ouverte sur le monde, et une agglomération qui est binationale. Du jour au lendemain, ça veut dire que vous êtes dans une ville cul-de-sac. Vous vous souvenez peut-être de ce qu’était Lübeck, la ville allemande collée contre la frontière de la RDA jusqu’en 1989. C’est une ville qui a végété. On n’a pas envie de végéter. Bâle, le Dreiländereck, on n’imagine pas trois frontières où il faut attendre des heures pour passer des douanes. Vous devez aller dans votre maison. Ce n’est pas une vie.

Darius Rochebin : En clair, ce serait le cas si le vote passait contre la libre circulation ?

Frédéric Journès : Je ne vais jamais dire que les choses seraient dramatiques et que ce serait invivable. On y arriverait. Mais ce ne serait plus la même vie. Vous n’allez pas passer la frontière au bout de la rue comme vous le faites aujourd’hui à Genève. La piste cyclable, c’est fini. Ce n’est plus la même existence.

Darius Rochebin : Et le blocage que l’on a vu pendant la crise du Covid serait un avant-goût de cela ? Ça ressemblerait à cela selon vous ?

Frédéric Journès : Eh bien ça vous en donne une idée, puisqu’il faudrait mettre les mêmes douaniers. Aujourd’hui, l’Administration fédérale des douanes en a quatre cents à Genève. Ils ne vont pas en recruter des milliers. En tout cas du côté français, on aurait autre chose à faire que de recruter des milliers de douaniers. Cela veut dire qu’il faudrait vivre avec beaucoup moins de points de passage. Et effectivement faire la queue pour passer. C’est ce que l’on a évité jusqu’ici. Personnellement, ce n’est pas la vie que j’ai envie d’avoir. Il y a des choses plus intéressantes à faire que d’attendre pour montrer ses papiers à la douane.

Plus loin : « La Suisse va se décider en février (en septembre en réalité, ndlr) sur la libre circulation. Sans libre circulation, on va à la douane et on regarde ce que cela donne. J’espère qu’il y aura la bonne décision.”

Plus loin: “Après 1992, il n’y avait pas de perspective commune. C’était un système provisoire. Il a été fait, il a été conçu parce qu’il y avait une perspective d’adhésion. Elle est tombée. Donc il fallait ce chapeau (accord cadre institutionnel, ndlr).

Darius Rochebin : Il y a quand même l’impression de beaucoup de Suisses que les choses peuvent encore durer. On leur dit que l’Europe n’acceptera jamais ce que l’on souhaite, et puis finalement ça dure, ça dure… Est-ce que ça peut encore durer ?

Frédéric Journès : Je crois que ce serait périlleux de faire ce pari. D’abord parce que l’Europe aura besoin de faire autre chose. Tout ce système un peu bancal que l’on a fabriqué ensemble, on l’a fabriqué à une époque qui est révolue. On a fini le paquet des bilatérales au début des années 2000. Dans une période prospère. L’Europe guidait le monde et était une inspiration d’idées. On n’est plus du tout là-dedans. Aujourd’hui, on a vu que l’Europe avait besoin de se stabiliser elle-même, et elle ne va pas passer un temps infini à négocier les mêmes choses. Alors je crois que oui, il faut arriver à converger.

La Suisse, aimant et repoussoir des Britanniques

Le Royaume-Uni ne veut pas d’accords avec l’Union Européenne liés juridiquement entre eux (clause guillotine). Ce serait le plus sûr moyen de devoir subir ensuite tous les chantages de Bruxelles. Deux conceptions de la concurrence internationale équitable s’affrontent.

Les discussions de mi-mai entre négociateurs britanniques et européens en vue d’un cadre de partenariat pour l’après-Brexit ont assez vite tourné court. Depuis que les conservateurs ont porté Boris Johnson à la tête du gouvernement, les deux parties ne s’accordent toujours pas sur le fond de la question. Prévue début juin, la reprise des discussions ne rend pas les analystes et commentateurs européens particulièrement optimistes.

La position européenne n’a guère évolué depuis le référendum britannique de 2016. L’UE veut un cadre global de partenariat « ambitieux », selon l’expression proclamatoire préférée de son négociateur en chef Michel Barnier. C’est-à-dire des traités sectoriels liés entre eux par un principe de parallélisme et de solidarité. Sauf exceptions qualifiées, dénoncer l’un des accords reviendrait à les remettre en cause dans leur ensemble (selon une clause dite « guillotine » en Suisse).

Les Britanniques ne veulent pas de ce genre d’approche dans un monde notoirement évolutif. Les traités thématiques auxquels ils aspirent doivent pouvoir être modifiés, complétés, réorientés ou résiliés rapidement et individuellement selon les circonstances.

Par rapport à cette problématique, le modèle suisse de relation avec l’UE semble ambivalent au premier abord. En fait, le principe de parallélisme accepté par la Confédération dans les années 1990 ne concerne pas l’ensemble des relations sectorielles, mais seulement les sept Accords bilatéraux I (1999).

En Suisse, la clause guillotine verrouille la barrière de sortie de l’accord de libre accès des Européens à une activité économique dans le pays (libre circulation).

La clause guillotine n’était destinée qu’à sécuriser le droit d’accès controversé des Européens au marché suisse du travail (Accord sur la libre circulation des personnes) (1). Elle verrouillait la barrière de sortie, du fait qu’une résiliation entraînait d’elle-même la fin d’accords tout à fait satisfaisants par ailleurs pour les deux parties.

On peut encore le dire autrement: la libre circulation des salariés et indépendants introduit en Suisse la quatrième liberté du marché intérieur européen, après celle des capitaux, des biens et des services. La clause guillotine consacre de facto le principe d’indivisibilité des quatre libertés, censé rendre le marché européen et le marché suisse homogènes.

Le dispositif fait encore ses preuves aujourd’hui, puisque la clause guillotine est méthodiquement interposée pour dissuader les Suisses de résilier l’Accord de libre circulation des personnes. Or la Grande-Bretagne a complètement renoncé à la libre circulation (ce que les Européens n’ont pas contesté). Alors pourquoi devrait-elle accepter une telle contrainte de parallélisme ? La Suisse n’en est-elle pas dispensée s’agissant des quelque cent autres accords bilatéraux conclus avec l’Union en un demi-siècle ?

Alignement dynamique

Au-delà de ce précédent quelque peu embarrassant, l’ambition de l’Union Européenne est surtout de convaincre les Britanniques de conserver une position générale d’ « alignement dynamique » par rapport à l’UE. Bien que le terme n’ait jamais été employé par Barnier. Le « dynamic alignment » ne figure pas non plus dans son mandat de négociation, mais il a été consacré par le président Macron en France, puis explicité par des diplomates européens en février dernier.

L’alignement dynamique signifie que les lois britanniques devront continuer de refléter celles de Bruxelles au fur et à mesure qu’elles évoluent avec le temps. Cet effet miroir n’aurait pas tout de suite une portée générale. Il viserait le domaine fiscal dans un premier temps, les aides d’Etat, l’environnement et les normes sociales.

Bruxelles veut un accord institutionnel général reconnaissant au moins partiellement la supériorité du droit européen. Ce serait aussi un modèle pour la Suisse.

L’ensemble serait également couvert par un accord institutionnel reconnaissant au moins partiellement la supériorité du droit européen sur le droit britannique. Dans les procédures de règlement des différends en particulier. Repris dans plusieurs langues par le site web de l’UE le 26 février dernier, le discours programmatique de Michel Barnier à l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) offre une bonne revue actualisée de la doctrine (2) : « Chaque fois que le partenariat sera fondé sur des concepts dérivés du droit européen, la Cour de Justice européenne devra pouvoir continuer à jouer pleinement son rôle. »

L’alignement dynamique est en quelque sorte comparable à ce que l’UE développe avec la Suisse depuis plus de vingt ans sous l’appellation « voie bilatérale ». Dans l’attente d’une périlleuse ratification côté suisse, l’Accord institutionnel en est une nouvelle étape. Elle ouvrirait la porte à des reprises automatiques du droit européen dans cinq domaines des Accords bilatéraux I. Ce ne serait pas à proprement parler une première, puisque le principe a été consacré lors de la participation à l’Espace Schengen (2008) dans le cadre des Accords Bilatéraux II (sans clause guillotine). Cette relation fait déjà l’objet d’ajustements législatifs en continu.

UK-Switzerland : le rendez-vous manqué

On l’a beaucoup lu et entendu : c’était par rapport aux échéances britanniques que la Commission européenne semblait tellement pressée depuis 2016 d’aboutir avec la Suisse sur l’Accord cadre institutionnel. Les discussions post-Brexit s’annonçant très ouvertes, cet accord devait servir de référence à quelque chose qui existait déjà.

Cette pression sur la Suisse s’est passablement relâchée lorsque Boris Johnson a succédé l’an dernier à Theresa May au poste de premier ministre. Il devenait de plus en plus évident en effet que le Royaume Uni ne voudrait pas de reprises automatiques du droit européen.

Les Britanniques ne sont-ils pas bien placés pour savoir ce que furent en d’autres temps les traités coloniaux ? La Grande-Bretagne n’a pas quitté l’Union Européenne pour devenir une sorte de protectorat économique. Comme l’a précisé à plusieurs reprises le gouvernement Johnson, « nous n’exigeons pas non plus que l’Union Européenne adopte des normes britanniques ». Les principes politiques et juridiques de souveraineté et d’égalité des nations se sont imposés il y a plus d’un siècle dans le monde. Il n’est pas question d’y renoncer au prétexte que deux ou trois superpuissances ont décidé de jouer davantage sur les purs rapports de force.

Regards britanniques sur la Suisse

Le Royaume-Uni cherche à se contenter de relations commerciales « normales », c’est-à-dire égalitaires sur le plan juridique. Sans privilèges ni facilités d’accès au marché unique européen. Ce genre de faux avantage ne fait-il pas aussitôt du petit partenaire un obligé du grand ? Avec toutes les complications devenues familières à la Suisse.

L’attitude de certains Etats membres à l’égard des Suisses en particulier: la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou encore la Belgique, aux opinions publiques se méfiant du succès des autres, faisant pression de manière indirecte mais continuelle sur le supposé « profiteur ». Ce « passager clandestin » de l’Europe, à la fois dehors et dedans, bénéficiant du beurre et de l’argent du beurre, etc. Paradoxalement soumis, et si méprisable aux yeux des dominants. Lors de la crise fiscale et du secret bancaire au début de la décennie, les Britanniques eux-mêmes n’ont guère perçu la Suisse différemment.

A quoi bon obtenir un accès privilégié au marché unique européen pour être continuellement perçu comme tricheur et profiteur? Et pour devoir céder ensuite à tout, sous la menace d’en être privé?

La voie bilatérale de substitution des Suisses n’est-elle pas en plus une manière de s’enfermer dans la sphère d’influence franco-allemande ? Ce n’est pas seulement le genre de partenariat dont les Britanniques ne veulent plus. C’est devenu un véritable repoussoir.

Lors de son séjour à Interlaken en mai de l’année dernière, à l’invitation du Swiss Economic Forum, le futur premier ministre Boris Johnson avait encouragé les Suisses à résister à l’Accord cadre institutionnel qu’on cherchait à leur imposer. Malgré les représailles de Bruxelles sur l’équivalence boursière de la Suisse, qui ne passaient pas inaperçues à l’époque du côté de la City.

Sept ans plus tôt, en 2012, le même Boris Johnson, maire de Londres et encore tétanisé par les représailles économiques européennes en cas de Brexit, s’était déjà prononcé sur les affinités naturelles des Britanniques et des Suisses par rapport à un « niveau extérieur » de l’Union Européenne à inventer (outer tier). Au point de susciter un certain engouement dans les médias britanniques autour d’un hypothétique «Britzerland » (3).

L’opinion publique britannique s’est finalement souvenue que la Suisse était un Etat fondamentalement différent du Royaume-Uni. Mais il faudrait peu de chose pour que l’image retrouve son éclat. 

Aujourd’hui, l’opinion publique britannique s’est au contraire souvenue que la Suisse était un Etat fondamentalement différent du Royaume-Uni. Elle a déjà cédé là où les Britanniques ne veulent plus céder. Mais comment est-ce possible? Chacun ressort alors l’excuse séculaire des soumissionnistes, y compris en Suisse même : c’est principalement à cause de sa taille insuffisante, de sa situation géographique centrale et sans accès à la mer, de sa phobie de l’encerclement que le pays a fini par se soumettre à l’Europe franco-germano-austro-italienne élargie. Malgré une longue tradition d’interdépendance plus ou moins équilibrée, et de neutralité européenne pragmatique aujourd’hui à l’agonie. Cette abdication tardive a donc des raisons économiques prépondérantes (4).

Des commentateurs se sont toutefois laissés inspirer plus récemment par le fait que l’Accord cadre institutionnel avec la Suisse avait requis d’interminables négociations. Et que sa ratification semblait elle-même s’éterniser. Ce qui n’est jamais bon signe s’agissant des chances de succès d’un projet de traité. En janvier dernier, le Financial Times thématisait le fait que la Commission Européenne voulait surtout éviter de se retrouver avec les Britanniques dans un « fouillis » d’accords bilatéraux « à la suisse »(5). Comme s’ils anticipaient que l’Accord institutionnel ne serait finalement jamais accepté par le corps électoral. Il ne faudrait peut-être pas grand-chose pour que l’image de la Suisse se reprenne de l’autre côté de la Manche.

La position du Royaume-Uni

La période transitoire ne sera pas renouvelée. Les négociateurs britanniques viennent de le réaffirmer. Le timing très serré que le Royaume-Uni s’est imposé donne à lui seul une idée de ce qu’ils veulent. Boris Johnson a été élu sur la promesse que le pays, après avoir largué les amarres en janvier 2020, prendrait le large en janvier 2021. Avec ou sans accords organisant l’avenir. Et l’on ne voit pas très bien comment un cadre opérationnel pourrait encore être trouvé d’ici la fin de l’année.

N’avait-il pas fallu plus de cinq ans de discussions avec la Suisse dans la décennie 1990 pour finaliser les Accords bilatéraux I ? Et encore cinq ans dans les années 2010 pour convenir d’un accord institutionnel (toujours pas ratifié côté suisse faute de motivation) ?

A défaut, ce sont les règles multilatérales et minimales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui devraient s’appliquer entre les deux partenaires. Cette option devient de plus en plus probable. Elle met les Européens sur les nerfs (le colérique Michel Barnier en particulier), mais les conservateurs britanniques semblent fort bien s’en accommoder. Des « arrangements » pourraient néanmoins être conclus dans l’urgence, en particulier pour régler certains problèmes de voisinage.

Des arrangements plutôt que des accords dans un premier temps. Ce qui permet de ne pas s’encombrer de complications conceptuelles, juridiques et technocratiques.

« Arrangements » figure d’ailleurs dans le vocabulaire de prédilection de Johnson s’agissant de qualifier le genre de relations envisagées avec l’UE. Quelque chose d’assez simple et classique. Convenu si possible dans l’urgence dans un premier temps, ce qui permet d’aller vite sans s’encombrer de perfectionnisme ni de complications conceptuelles, juridiques ou technocratiques.

Des relations dénuées d’idéologie européiste et d’arrière-pensées sur la meilleure manière de se passer des Asiatiques et des Américains sur le plan éco-technologique. Londres veut au contraire développer ses propres relations commerciales dans le monde, en mettant l’ensemble de ses partenaires sur le même niveau politique et juridique.

En revendiquant en d’autres termes un certain droit de neutralité par rapport aux super-puissances vouées à s’affronter. Ne pas s’aligner sur l’une en particulier, la plus proche par exemple, ne signifie pas que l’on veut devenir son ennemie. C’est actuellement ce que l’Europe franco-allemande, prisonnière de sa poussive mégalomanie de super-puissance en devenir, a le plus de peine à comprendre.

ANNEXE I

Avec Antonio Guterres (ONU): le voisinage avec une superpuissance crée-t-il des contraintes particulières? 

Légitimations britanniques

Malheur à ceux qui se sont contentés d’exporter confortablement et pendant des décennies vers le marché unique européen, au lieu de chercher à diversifier leurs interdépendances dans le monde. Les Britanniques adeptes de Brexit ont d’ailleurs fini par se convaincre que c’était précisément l’Union Européenne qui entravait leur potentiel de globalisation. Les Etats membres ne se sont-ils pas laissés enfermer dans une Union douanière excluant les accords commerciaux individuels ? Sortir des contraintes réglementaires et régulatoires pyramidales de ce vaste marché intérieur a été l’un des grands objectifs du Brexit.

Plus de deux cents ans après la disparition de l’Empire romain germanique, il est fascinant de mesurer les difficultés avec lesquelles le Royaume-Uni tente d’être simplement reconnu comme un Etat tiers à part entière. En fait d’ « ambition », pour reprendre l’emphase protectionniste de Barnier, celle des conservateurs britanniques, présentés sur le continent comme le parti « du repli », est en réalité d’un autre ordre : multiplier d’ambitieux accords commerciaux dans le monde. Sur des bases d’égalité juridique et de réciprocité. En commençant par de “modestes” Etats comme l’Australie, puis les USA et la Chine si possible. L’Europe pouvant attendre un peu, surtout si cela l’incite à se rendre compte à quel point elle aussi demandeuse (pour autant qu’elle en soit capable sur le plan idéologique). 

« Les protectionnistes gagnent du terrain, déclarait Johnson le 3 février dernier devant un auditoire de diplomates à Londres. De Bruxelles à la Chine en passant par Washington, les tarifs douaniers sont brandis comme des gourdins. La raison pour laquelle nous renonçons à toute appartenance à une union douanière, ou à quelque alignement que ce soit, c’est que nous voulons faire du Royaume-Uni un acteur indépendant et un catalyseur de commerce dans le monde.»

La raison pour laquelle nous renonçons à quelque alignement que ce soit, c’est que nous voulons faire du Royaume-Uni un acteur indépendant des grandes puissances, et un catalyseur de commerce dans le monde.

Le conservateurs britanniques ne sont pas non plus des nostalgiques obtus d’accords de libre-échange classiques ne portant que sur des réductions de tarifs douaniers. Il ne sont pas du tout opposés à des accords « de partenariat », selon le terme employé par l’UE et les Etats-Unis s’agissant de leur Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP, en attente de ratification en Europe par manque de consensus).

Ce genre d’accord commercial « avancé » entre deux grands marchés représente une sorte de consécration européenne des éditions précédentes, un peu moins étendues, avec la Corée, le Japon et le Canada. Il ne se contente nullement de taxes d’importation. Il cherche au contraire à contenir le protectionnisme non tarifaire. Dans la reconnaissance mutuelle des normes techniques par exemple, incluant les domaines actuellement très sensibles en Suisse des technologies médicales et de machinerie. Le problème, c’est aussi que ces méga-accords ne trouvent pas de consensus en Europe au moment de leur ratification Etat par Etat. Même l’accord avec le Canada, entré partiellement en vigueur, est encore en attente.

Lors du second accord de sortie de l’UE en octobre dernier, au début de l’ère Johnson, les conservateurs britanniques n’ont en tout cas pas donné l’impression qu’ils voulaient rompre les ponts avec le continent : « Le Royaume-Uni est déterminé à travailler avec l’Union Européenne, était-il solennellement spécifié dans une déclaration politique commune. Pour sauvegarder l’ordre international fondé sur des règles, l’État de droit et la promotion de la démocratie, ainsi que des normes élevées de commerce libre et équitable et des droits des travailleurs, de protection des consommateurs et de l’environnement, et de coopération contre les menaces externes à leurs valeurs et intérêts. » (6)

Michel Barnier se réfère aujourd’hui à ce texte pour rappeler que les Britanniques s’étaient engagés à respecter un level playing field élevé, donc forcément inspiré et subordonné au droit économique, social et environnemental européen. On trouve néanmoins des indications moins exigeantes du côté de l’UE. « Les parties conserveront leur autonomie et leur capacité à réglementer l’activité économique en fonction des niveaux de protection que chacune jugera appropriés, précisait une recommandation de la Commission européenne du 3 février 2020 au Conseil européen (des Etats). En vue d’atteindre des objectifs légitimes de politique publique. » Dans son mandat de négociation à la Commission, le Conseil évoquait en retour le « plein respect des ordres juridiques des deux parties ».

Il ne suffit pas que les Britanniques proclament qu’ils vont respecter de hauts standards sur les facteurs de production. Encore faut-il qu’ils s’engagent sur le plan du droit. On voit à quel point s’accumulent les malentendus et dialogues de sourd.

Côté délégation européenne, Michel Barnier demande néanmoins des engagements fermes et formels. Il ne suffit pas que les Britanniques proclament qu’ils vont respecter de hauts standards sur les facteurs de production. Encore faut-il qu’ils s’engagent sur le plan du droit, avec monitoring et procédures de règlement des différends remontant jusqu’à la Cour de justice européenne.

On voit à quel point s’accumulent les malentendus et dialogues de sourd. Barnier ne cessant de répéter que le degré d’accès au marché unique dépendra du niveau d’adhésion aux normes européennes. Et la présidente Ursula von der Leyen de le dire à l’envers, dans la plus pure rhétorique protectionniste : «Plus le Royaume-Uni voudra être proche des règles européennes, plus l’accès au marché unique lui sera facilité. C’est une question d’équité par rapport aux Etats membres. »

L’équité est ce qui a toujours légitimé les tarifs douanier de compensation. Ils sont destinés à rendre le marché intérieur « équitable » sur le plan des prix. Dans une économie de l’offre, l’équité porte aujourd’hui davantage sur les facteurs de production eux-mêmes, avec des critères qualitatifs.

En face, c’est Johnson proclamant les yeux au ciel ne pas voir pourquoi les Britanniques devraient s’inspirer du droit européen de manière contraignante. Alors que les Européens ne s’intéressent nullement au droit britannique! «Allons-nous empêcher les voitures italiennes ou le vin allemand d’entrer dans notre pays sans droits de douane, a-t-il ironisé trois jours après la sortie effective de Royaume-Uni en février dernier ? Faute d’alignement de l’UE sur nos règles en matière de touillettes en plastique pour le café, ou de congés maternité? Bien sûr que non.»

A tout prendre, les Britanniques préfèrent subir de bonnes vieilles barrières douanières de la part des Européens. Plutôt que de continuer à se soumettre aveuglément à une législation économique évolutive inutilement vétilleuse et technocratique. Ces dérives communautaires dont ils ont fait la douloureuse expérience, et qu’ils connaissent par cœur. Le multilatéralisme de l’OMC a de toute manière limité l’ampleur des obstacles tarifaires dans la phase historique précédente. Or c’est bien ce scénario qui semble le plus probable aujourd’hui. Même s’il ne semble pas voué à durer éternellement sous cette forme. L’histoire ne fait peut-être que commencer. Pour le Royaume-Uni comme pour l’Union Européenne. Et probablement la Suisse.

Annexe II

Michel Barnier. Sa rhétorique de domination est claire et stable depuis 2016.

Légitimations européennes

Contrairement à celles de la Grande-Bretagne jusqu’à Boris Johnson (non compris), les motivations de l’Union Européenne ont été d’une grande clarté depuis le référendum à sensation de juin 2016. A force de répétition, elles ont acquis un haut degré de précision.

Disert et cassant, son négociateur en chef les défend d’autant mieux qu’elles sont d’inspiration très française. L’UE ne veut pas de concurrence dans son voisinage. Et comme tous les concurrents qui n’aiment pas la concurrence, elle la qualifie de déloyale. Alors qu’entend-on en l’occurrence par « concurrence déloyale »?

Il s’agit en fait de dérégulation compétitive, bien que le diplomate Barnier n’emploie pas ce terme très connoté historiquement. Compétitive au sens des dévaluations compétitives en Europe avant l’introduction de l’euro en 2000. Certains Etats européens laissaient leurs monnaies perdre de la valeur extérieure pour rendre leurs exportations moins chères. La Grande-Bretagne ne s’en privait pas. C’est entre autres pour cette raison qu’elle n’a pas adopté l’euro, bien que ses dévaluations compétitives fussent par la suite beaucoup plus raisonnables.

L’UE ne veut pas cette fois d’un concurrent qui, en plus de la livre, dérégulerait son marché intérieur pour devenir encore plus performant sur le plan des coûts et du commerce international. L’un des problèmes de la Grande-Bretagne n’est-il pas précisément sa balance commerciale, chroniquement déficitaire depuis les années 1980 ?

Les Britanniques ont estimé que les lourdes contraintes réglementaires de l’UE ne convenaient pas à leur culture économique, et que cette surrégulation avait fait du Royaume, comme de bien d’autres Etats membres, un grand perdant de la mondialisation après des décennies de participation pleine et entière au marché unique. Ce fut encore l’une des raisons principales du Brexit.

Les Européens ne font pas confiance aux Britanniques. Comme si le thatchérisme des années 1980 avait été une concurrence déloyale pour l’Union Européenne.

L’Union Européenne soupçonne donc la Grande-Bretagne de vouloir procéder à une nouvelle révolution thatchérienne dans la fiscalité, le droit du travail, le social et l’environnement. En y ajoutant des aides d’Etat, pour inonder le continent de produits bon marché. Des biens made in Britain homologués EU, mais assemblés à proximité des frontières européennes à partir de composants bâclés importés d’Asie. Elle craint également que le Royaume-Uni devienne une plateforme offshore de e-commerce sauvage, et de services numériques dérégulés sur le continent.

C’est ce genre de concurrence qui est qualifiée de déloyale. Comme le précisait Barnier en octobre dernier devant le Parlement européen, « l’accord de libre-échange basique souhaité par M. Johnson laisse entrevoir un risque de dumping social, fiscal et environnemental que nous n’accepterons pas. » Comme si le thatchérisme des années 1980 avait été une concurrence déloyale pour l’économie européenne.

Drame de la proximité

Tous les Etats du monde sont en principe des concurrents déloyaux aux yeux du protectionnisme européen. Bien que l’OMC (aides d’Etat, dumping), l’OCDE (fiscalité) ou encore le BIT (conditions de travail) imposent des normes minimales de régulation sur le plan du droit international.

Mais le vrai problème britannique, vu d’Europe, renvoie surtout au volume et à l’intensité des échanges concernés par ces potentielles « unfair trading practices » entre Etats contigus. La Suisse et le Royaume-Uni pour ne pas les nommer.

C’est pour cette raison que le marché intérieur européen se sent même en droit de concéder des facilités d’accès à l’Australie, au Canada, ou encore aux Etats-Unis sur la base de simples réciprocités (lire notre précédent article sur les accords de reconnaissance mutuelle des normes techniques, ARM). Mais ce n’est pas le cas s’agissant de voisins immédiats. L’UE exige en plus des conditions générales de level playing field avec la Suisse, incluant notamment la quatrième liberté portant sur les personnes : droit d’accès des Européens au marché suisse du travail, à des conditions sociales en principe équivalentes aux normes européennes.

Cette discrimination semble considérée à Bruxelles comme une espèce de compensation politique au fait de pouvoir bénéficier de la proximité géographique du marché unique.

Cette discrimination semble aussi considérée à Bruxelles comme une espèce de compensation politique due au fait de pouvoir bénéficier de la proximité géographique du grand marché. Sans vouloir néanmoins adhérer à toutes ses contraintes législatives et institutionnelles. Une sorte de taxe implicite de proximité, qui n’a jamais vraiment été formulée ni théorisée.

Dans son exposé à l’ESCP, Barnier se contentait de préciser ce qu’il présentait comme une évidence ne requérant aucune explication d’ordre économique :

« Le Royaume-Uni dit vouloir un accord de type canadien. Le problème, c’est que le Royaume-Uni n’est pas le Canada. Et, au demeurant, le Canada ne nous a jamais dit vouloir un accord de type sud-coréen. Notre relation avec le Royaume-Uni est extrêmement différente de notre relation avec le Canada: la durée d’un vol Bruxelles-Londres est de 70 minutes. La durée d’un vol Bruxelles-Ottawa est de plus de 10 heures. Le volume des échanges commerciaux de l’UE à 27 avec le Canada a atteint 55 milliards d’euros en 2018. Ce chiffre peut paraître élevé, mais nos échanges avec le Royaume-Uni s’élevaient à bien plus de 500 milliards d’euros, soit presque dix fois plus! Alors, certes, les accords que nous avons conclus avec le Canada ou avec d’autres pays peuvent servir de référence. Mais nous devons les adapter à la réalité de notre relation avec le Royaume-Uni. »

Le modèle canadien

L’allusion à la Corée renvoie à l’accord de libre-échange de 2011. L’Union en a conclu un autre plus récemment avec le Japon. Elle en négocie actuellement un autre encore avec l’Australie, auquel Johnson se réfère régulièrement. En attente de ratification complète, l’accord avec le Canada est partiellement appliqué depuis 2017.

La portée de l’accord canadien est effectivement plus étendue et plus profonde, mais les principes sont les mêmes par rapport à ce que les Britanniques demandent : il s’agit de libre-échange classique (douanier), assorti de garanties explicites, exigées surtout par l’UE quand à certaines conditions cadres et de production : sociales, fiscales, sanitaires, environnementales principalement.

Chacun s’engage en plus à respecter les dispositions multilatérales évolutives (OMC, BIT, OCDE, etc.). Un classique comité bipartite de monitoring est prévu, qui se réunit une fois l’an si tout se passe bien. En cas de différend, c’est ce comité qui statue, avec possibilité de faire appel à un arbitrage international. Il n’est question nulle part de la Cour européenne de Justice.

Modèle britannique selon l’UE

Ce que l’Union européenne veut obtenir du Royaume-Uni est très différent. L’exigence est en premier lieu présentée comme une contrepartie au maintien d’un libre-échange tarifaire classique déjà pratiqué jusqu’au Brexit dans le cadre de l’Union douanière (dont la Suisse ne fait pas partie pour des raisons liées à l’agriculture, mais la Turquie en fait partie).

En échange de cet accès, il ne s’agirait pas seulement pour le Royaume-Uni de convenir de dispositions plus qualitatives, comme l’on fait la Corée ou le Canada, mais bien de reprendre des éléments entiers de droit européen évolutif dans les domaines les plus sensibles (fiscal, social, sanitaire, environnemental, etc). L’interprétation de ces éléments dérivés du droit européen reviendrait à la Cour européenne de Justice, à laquelle il revient d’assurer l’homogénéité du droit européen.

Ce qui est demandé par l’UE sans l’être au Canada, c’est une homogénéité des droits européen et britannique dans certains domaines, correspondant à l’homogénéité de marchés reposant sur les quatre libertés indivisibles.

Ce qui est demandé par l’UE sans l’être au Canada, à l’Australie ou aux Etats-Unis, c’est donc une homogénéité des droits européen et britannique dans certains domaines, correspondant à l’homogénéité de marchés reposant sur les quatre libertés indivisibles. C’est ce à quoi la Suisse a adhéré avec la libre circulation des personnes, dans le cadre des Accords bilatéraux I (eux-mêmes indivisibles). Et ce que les Européens leur demandent d’approfondir avec l’Accord cadre institutionnel.

Selon les termes de cet accord UE-CH, un tribunal arbitral paritaire serais mis sur pied, qui trancherait par consensus ou à la majorité. Mais l’interprétation du droit européen applicable à la Suisse appartiendrait à la Cour européenne exclusivement, saisie par le tribunal arbitral. Or il va sans dire que la Cour européenne interprète le droit européen dans l’intérêt de l’Union Européenne. Intérêt qui ne s’est d’ailleurs pas avéré très stable ni hautement prévisible au cours des décennies.

Abus de position dominante                   

C’est cette soumission consentie, bien que partielle, au droit de l’Union européenne que Michel Barnier qualifie sans cesse d’ « ambitieuse », ou de « très ambitieuse » pour le Royaume-Uni. On comprend en tout cas qu’elle le soit pour l’Union Européenne, dans une phase historique régressive mesurant la politique à l’aune des rapports de force et de la super-puissance.

Il n’y a d’ailleurs pas trace d’autre légitimation pour cette approche euro-centrée sur le mode « Europe great again » : l’ultime enjeu est d’exister à nouveau face à la Chine et aux Etats-Unis d’Amérique. Sur le plan économique en premier lieu. Le Brexit rend la Grande-Bretagne insignifiante, c’est son problème. Mais elle affaiblit surtout l’Union Européenne, ce que celle-ci ne peut pas laisser faire sans tenter d’en réduire les dommages. Cette finalité cruciale fonde la morale et justifie tous les abus de position dominante.

Dans la même allocution panoramique à l’ESCP, qui venait après une série d’interventions et d’interviews où l’on retrouve les même mots, le poids décisif et instrumentalisé des 450 millions de consommateurs européens est sobrement invoqué dans le registre du « combien de divisions ? ». Les implications menaçantes en découlent aussitôt : « Si aucun accord n’est conclu, les conséquences seront très graves. Pour les pays de l’Union européenne, dont 15 % des exportations sont à destination du Royaume-Uni. Mais surtout pour le Royaume-Uni, dont près de 50 % des exportations sont à destination de l’Union. »

L’autre porte-avion britannique

La boucle se ferme ainsi sur l’ultime incompréhension : l’un des horizons des conservateurs britanniques, c’est précisément de rétablir l’équilibre de la balance commerciale dans une perspective chère à des Etats très bénéficiaires comme l’Allemagne, le Japon ou la Suisse : la vraie prospérité des puissances moyennes ne vient-elle pas de leur capacité à exporter davantage qu’elles n’importent ? Or les principaux Etats exportateurs d’Europe vendent surtout en Europe (à près de 70% s’agissant de l’Allemagne) (7). A quoi bon vouloir les concurrencer toujours plus avec toujours moins sur le continent, et sans avantages comparatifs décisifs dans les conditions-cadres?

A contrario, Royaume-Uni et Suisse exportent aujourd’hui davantage dans le monde qu’en Europe (à plus de 50%). Et l’on ne peut pas dire que les Suisses y vendent des produits et services bon marché, ni inférieurs aux standards européens de qualité. Au contraire. Ils ont même tendance à intégrer ces standards au-delà de ce que les traités leur imposent.

Le Royaume Uni veut en réalité développer ce que développe aussi la Suisse grâce à ses muliples réseaux commerciaux : un relais globalisé pour les exportations européennes de composants intégrés dans des produits ou systèmes suisses.

La Suisse importe d’ailleurs de nombreux composants d’Europe, qu’elle intégre dans des produits et systèmes vendus ensuite dans le monde entier. Où elle bénéficie d’un réseau commercial en général enviable. Pour l’Union Européenne et son industrie de sous-traitance, la Suisse est un important relais de commerce global. Dans les services également.

C’est précisément ce rôle économique que le Royaume-Uni, qui peut lui-même se prévaloir de positions avantageuses dans le commerce planétaire, a l’ambition de développer davantage. Sans se sentir continuellement entravé par la sur ou la mal-régulation communautaire.

On a longtemps entendu que la Grande-Bretagne était une sorte de porte-avion américain dans les eaux européennes. C’est-à-dire une porte d’entrée dans le marché unique pour les technologies US. Les Britanniques préféreraient être perçus aujourd’hui comme un porte-avion européen dans le vaste monde.

La diversité du commerce mondial a tout à y gagner. Indépendamment de leurs talents industriels et commerciaux, Suisses et Britanniques offrent tout simplement une alternative à des clients qui, pour des raisons multiples et souvent subtiles leur appartenant (simple diversification des risques en particulier), préfèrent parfois recourir à des fournisseurs européens hors Union Européenne.

——-

(1) Lire aussi : Généalogie de la libre circulation des personnes – https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/11/genealogie-de-la-libre-circulation-des-personnes/

Généalogie de la voie bilatérale – https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/13/genealogie-de-la-voie-bilaterale/

(2) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_20_340

(3) https://www.theguardian.com/commentisfree/2012/dec/21/boris-johnson-in-britzerland

(4) Aux yeux de bien des Britanniques et Européens, l’existence de la Suisse apparaît depuis longtemps comme une anomalie historique très ancienne, mais qui n’a pas vocation à s’éterniser dans une modernité qui finira forcément par l’épuiser. En 1913 déjà – ou encore – le critique littéraire et romancier anglais Francis Gribble, auteur d’un livre jamais traduit sur Lausanne et d’un autre sur Montreux, se montrait très pessimiste à ce sujet : «Le danger est que la population de la Suisse soit submergée sous une population allemande – plus particulièrement dans les grandes villes, où les problèmes politiques peuvent être résolus en dépit des paysans. Ce danger n’est pas seulement réel, il est imminent. Et si on le laisse mûrir lentement, le moment venu les garanties de la neutralité et de l’indépendance suisse ne vaudront pas le papier sur lequel elles sont écrites. Car alors la question de l’indépendance de la Suisse se présentera sous une forme nouvelle: pourquoi un pays limitrophe de l’Allemagne, en majeur partie habité d’Allemands qui désirent la protection de l’Allemagne, ne serait-il pas autorisé à se joindre à l’Allemagne aux mêmes termes que les royaumes de Bavière et de Würtemberg ? Il sera bien difficile aux puissances auxquelles la question se posera d’y répondre. Il leur sera bien difficile de rien faire de plus que de demander des compensations pour elles-mêmes dans les régions de la Suisse où l’infiltration étrangère, au lieu d’être allemande, aura été italienne ou française, proposant en somme de faire de la Suisse une nouvelle Pologne. Ce serait une fin lamentable à une expérience des plus intéressantes de self-government. Il n’en est pas moins vrai que ce sera peut-être le prix que la Suisse aura à payer, avant que ses jeunes hommes ne soient des vieillards, pour un développement industriel qui a dépassé la croissance naturelle de la population, et en a fait une colonie, pour ainsi dire, où les étrangers viennent s’établir en trop grand nombre et trop rapidement pour pouvoir être absorbés. » (Dans Claude Reichler et Roland Ruffieux : Le Voyage en Suisse, Robert Laffont, 1998, p 1436.)

(5) https://www.ft.com/content/37e45800-3ddf-11ea-b232-000f4477fbca

(6) La déclaration politique commune d’octobre 2019 résulte d’une contrainte du Traité de Lisbonne de 2009 dans ses nouvelles dispositions sur le retrait d’un Etat membre. Les deux parties s’engagent sur des principes généraux, comme le respect de la Déclaration européenne des droits de l’homme. Sur d’autres valeurs européennes identaires également, économiques, sociales, de sécurité, etc.        

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52020PC0035

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32020D0266&WT.mc_id=Twitter

(7) Lire aussi « Le grand avenir de la neutralité économique » : https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/page/2

Suisse – UE : la science économique au service de la peur

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) s’est toujours référé à des travaux plus ou moins académiques pour défendre le libre accès des Européens au marché suisse du travail. Et les Accords bilatéraux I qui lui sont juridiquement liés (1). Il en a lui-même commandés à l’occasion. Ebauche d’évaluation critique.

Ce fut le cas après le vote populaire du 9 février 2014 contre la libre circulation des personnes. Il s’agissait surtout de convaincre les parlementaires de ne pas appliquer la décision “fautive” du corps électoral. Et sans doute de fournir une caution scientifique à la négation politique ultérieure du scrutin. Un procédé de bonne guerre, qui n’a suscité aucune critique substantielle de la part de la communauté économique. En dehors de ce microcosme, il semble d’ailleurs assez normal que l’on s’abstienne de critiquer la science sans être soi-même un scientifique.

Les instituts BAK Economics à Bâle et Ecoplan à Berne ont donc été mandatés pour réaliser deux recherches en allemand, auxquelles le Secrétariat d’Etat à l’économie a lui-même collaboré (avec Ecoplan surtout). Le Seco a ensuite rédigé un rapport de synthèse (avec version française). Tous ces documents sont accessibles sur le site de la Confédération (2).

Les résultats ont atteint un tel degré d’extravagance dans le catastrophisme qu’ils ont suscité une certaine indifférence gênée lors de leur communication. Ils prévoyaient qu’en cas de résiliation des Accords bilatéraux I, la croissance du PIB sur vingt ans serait de 16% à 18%, au lieu de 23%. Soit un manque à gagner cumulé de 430 à 630 milliards de franc pour l’économie nationale.  

Les deux études n’ont guère été non plus instrumentalisées par la suite*. La conseillère fédérale Keller-Sutter y a vaguement fait allusion en début d’année, mais sans les nommer. La Fédération des entreprises suisses (economiesuisse) a quand même laissé une infographie en forme de gourdin sur son site. Avec une référence énigmatique à BAK Economics, et des chiffres anxiogènes complètement décontextualisés sur « La valeur des accords bilatéraux ».

* Note d’actualisation: Le Conseil fédéral a reconnu par la suite que ce genre d’étude n’était pas fiable. Voir sa réponse du 11.08.2021 à l’interpellation du conseiller national Fabian Molina: “Il n’est pas non plus possible d’évaluer avec précision les coûts liés à la non-signature de l’accord institutionnel. Les répercussions telles que la détérioration de l’accès au marché du fait de l’absence d’actualisation des accords existants dépendent fortement de la réaction de l’UE, mais également d’éventuelles mesures d’atténuation de la Suisse. Il n’est donc pas possible de les quantifier de manière fiable (cf. également la réponse du Conseil fédéral du 15 mai 2019 au postulat 19.3279 Regazzi ” Signature ou non-signature de l’accord-cadre avec l’UE. Estimation des coûts pour la place économique suisse “).”

“BAK et Ecoplan tournent sur des modèles d’une sophistication hors de portée.

Mais les données de base sont aussi simples qu’invraisemblables.”

Ces deux recherches existent néanmoins. Même si ce sont des œuvres de commande, elles sont susceptibles de servir d’attestation d’autorité et de dernier recours, indépendamment de leur contenu. Elles méritent donc que l’on y prête attention. D’autant plus que leurs prémisses et présupposés, fixés par le briefing du Seco, reflètent assez bien la rhétorique politique et économique des défenseurs du lien juridique unissant les Accords bilatéraux I, et de la voie bilatérale vers l’intégration. Avec une emphase évoluant sur un mode de type TINA, rendu célèbre par Margaret Thatcher dans les années 1980: There is no alternative. Il n’est pas nécessaire dans cette optique que les arguments soient vraisemblables sur le plan économique pour être valables sous l’angle politique.

Les études de BAK et Ecoplan tournent sur des modèles mathématiques et macro-économiques hors de portée (3). Il n’est pas difficile toutefois d’en faire une évaluation fondamentale et méthodologique de sens commun. Ces travaux reposent sur des hypothèses et postulats de base très orientés et complètement irréalistes. Il s’avère assez vite qu’ils n’ont de ce fait aucune signification autre qu’académique. On peut même dire sans grand risque de se tromper qu’il s’agit de fictions économiques, ou d’exercices de style sur le thème de la peur.

Leutemann: L’Oracle de Delphes

1- Une projection n’est pas une prévision

Sans que l’on en comprenne bien la raison, le briefing du Seco demande à BAK Economics et à Ecoplan une projection de long terme à… vingt ans (2035). Où en serions-nous dans une génération si les Accords bilatéraux I étaient résiliés aujourd’hui ? Par rapport au scénario contraire (ils ne seraient pas résiliés) ? Les modèles mathématiques vont donc mouliner sur l’objectif 2035, puis rétro-projeter les effets cumulés sur vingt ans par interpolation linéaire.

Dans le domaine macro-économique, on estime pourtant qu’aucune prévision n’a de sens au-delà de deux ans. Et même les prévisions à deux ans s’avèrent le plus souvent erronées, parfois même radicalement : il n’est pas nécessaire qu’une panique immobilière, bancaire ou sanitaire surgisse pour tout remettre en cause. Un grain de sable ou un battement d’aile suffit. L’amplitude des écarts peut alors très vite produire des changements structurels et directionnels notoirement imprévisibles.  

2 – Croissance économique en laboratoire

Pour rendre néanmoins « possible » l’opération, BAK et Ecoplan admettent que toutes choses seraient égales par ailleurs. Il ne se passerait rien d’exogène à la disparition des Accords bilatéraux I pendant une génération. En particulier :

La Suisse et l’Union Européenne ne remplaceraient pas ces sept accords bilatéraux, liés juridiquement, par d’autres accords individuels plus ou moins équivalents. On postule que l’UE n’y verrait aucun intérêt. Ou alors, en plus crédible,  qu’elle s’y opposerait pour des raisons d’Etat éloignées de toute rationalité. Bruxelles adopterait avec la Suisse une politique un peu comparable à celle de la Chine avec Taïwan : la non-reconnaissance de voisinage et de commerce, basée sur les rapports de force.

Compréhensible dans l’immédiat en cas de déconvenue politique humiliante (si les Suisses résiliaient l’Accord de libre circulation des personnes), cette posture d’intimidation et d’assiègement de l’UE serait toutefois poursuivie pendant au moins vingt ans. Sachant encore une fois que cinq de ces accords bilatéraux I bénéficient à l’Union davantage qu’à la Suisse, et dans des proportions importantes (voir les articles précédents). Et connaissant le climat normalisé des relations commerciales que l’UE entretient par ailleurs avec les Etats non candidats à l’adhésion, situés dans sa périphérie, dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV).

L’économie suisse, de son côté, n’entreprendrait rien pour s’adapter à la nouvelle situation et en sortir par le haut. C’est pourtant ce qu’elle avait brillamment réalisé après le vote populaire de décembre 1992 contre l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE). Alors que le pays était en pleine crise économique depuis plus de deux ans (et pour quatre ans encore).

“Tout se passe comme si ces prévisions à vingt ans reposaient sur l’hypothèse

d’un effondrement psychologique et moral de la population suisse,

de ses élus et de ses dirigeants d’entreprises.”

Cette configuration a priori défavorable dans les années 1990 n’a pas empêché la Suisse de figurer parmi les grands vainqueurs de la mondialisation (bien avant l’application progressive des Accords bilatéraux I dès 2002, et le décollage de l’immigration européenne dès 2007) (4).

Tout se passe aujourd’hui comme si le Seco, les organisations économiques et les partis politique partaient au contraire de l’hypothèse générale d’un effondrement psychologique et moral de la population suisse, de ses élus et de ses dirigeants d’entreprises. Lors de la campagne politique de 1992, les militants de l’EEE avaient d’ailleurs tablé sur un même genre d’accablement et d’affaissement. Le scénario ne s’est que très partiellement vérifié. L’économie, en particulier, a démontré une étonnante capacité d’adaptation et de résilience.    

Delacroix: L’oracle de Delphes (Assemblée nationale)

3 – La réalité n’a pas d’importance

Les deux études prennent le parti de ne pas s’appuyer sur un historique des coûts et bénéfices des Accords bilatéraux I depuis leur application dans les années 2000 (pour en tirer ensuite des conclusions prospectives sur l’avenir). Précisées par le Seco, les caractéristiques des accords sont simplement introduites dans des modèles systémiques et mathématiques. Ces machines à algorithmes sont exclusivement orientées PIB, et inspirées de diverses théories macro-économiques. Elles ont aussi été construites à partir d’expériences agrégées de commerce international dans le monde.  

L’historique eût au contraire impliqué un travail considérable et constant de monitoring sur les données de ces vingt dernière années. Or ce programme n’a jamais été réalisé autrement que de manière très superficielle (sauf sur les effets migratoires).

A noter que dans un débat aux dimensions idéologiques et émotionnelles importantes, cette énorme lacune de suivi alimente forcément le soupçon de n’avoir pas voulu faire ressortir l’inconsistance des Accords bilatéraux I d’un point de vue économique. Les organisations faîtières, les partis et l’Etat semblant surtout s’y accrocher pour obtenir une illusoire stabilité dans la voie bilatérale vers une intégration par étapes, qui s’avère impossible en réalité. C’est peu dire que ces deux études ne dissipent pas le climat de confusion à ce sujet.  

Collier: Prêtresse de Delphes

4 – L’immigration nette arbitrairement réduite de 25%

Dans le même registre dépressif, les études de BAK Economics et d’Ecoplan tablent sur une réduction de l’immigration annuelle moyenne nette de 25% jusqu’en 2035 (5). Ce qui induirait mécaniquement des baisses et limitations importantes d’activité économique (PIB).

Certainement adopté avec l’accord du Seco, cet a priori arbitraire est à la base de toute l’argumentation défendant le droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse (libre circulation). Il n’a pourtant aucun sens :

– La Suisse n’a pas besoin d’un accord contraignant sur le libre accès au marché du travail pour accueillir toute la main d’œuvre et les compétences européennes dont elle a besoin pour son économie et ses services publics.

– L’initiative populaire de l’UDC en 2014 n’avait pas donné d’indication chiffrée de quotas d’immigration. Son but était simplement que la Suisse reprît le contrôle de l’immigration européenne à l’aide de contingents. L’établissement de plafonds migratoires selon les besoins évolutifs de l’économie aurait été du ressort du Conseil fédéral et du Parlement.

– Ces -25% des études économiques de 2015 ont été fixés comme si le Conseil fédéral et le Parlement allaient décider chaque année de contingents gravement insuffisants, destinés à assécher le marché du travail et à pénaliser lourdement l’économie, les services publics et la croissance.

“Ces projections font comme si les adeptes de la décroissance démographique

avaient la majorité absolue au gouvernement et au parlement.”

Ce présupposé fait aussi comme si l’UDC et la décroissance étaient politiquement majoritaires en Suisse, et déterminantes dans la politique migratoire. Et comme si l’UDC, elle-même supposée diriger le pays, était en plus majoritairement et durablement porteuse d’une idéologie de décroissance démographique et économique (ce qui serait d’ailleurs en contradiction avec l’étiquette d’ultralibéralisme dont ses adversaires l’affublent).  

A noter que les quotas et contingents en vigueur avant la libre circulation progressive des personnes à partir de 2002 étaient rarement atteints. Ils ne l’ont jamais été dans les années 1990 (et jusqu’en 2002), malgré la robuste reprise économique de la fin de la décennie (dès 1997).

Michelangelo: La Sybille de Delphes

5 – De la cause aux effets (et retour)

Entre scénarios avec et sans libre accès des Européens au marché suisse du travail (libre circulation), ce postulat très restrictif des -25% implique en lui-même une différence de population de 350 000 personnes en 2035 (BAK) . Soit en gros l’équivalent des villes de Genève et Lausanne cumulées. La diminution de la population active entraînant mécaniquement celle du produit intérieur (PIB), on comprend que l’effet de décroissance paraisse considérable. Il ne semble même pas nécessaire d’y ajouter les effets supposés de la résiliation des autres accords bilatéraux I pour s’en convaincre.

Quittons néanmoins les présupposés, et penchons-nous sur les résultats de ces deux études BAK et Ecoplan de 2015. Elles portent pour rappel sur l’ensemble des Accords bilatéraux I. On se rend alors effectivement compte que ce sont les conséquences directes de la réduction postulée de 25% de l’immigration qui sont de loin les plus alarmantes. Cette différence de 25% représenterait 70% de l’ensemble de l’écart de croissance avec et sans accords (Ecoplan).

BAK Economics est toutefois parvenu à diluer cette part très dominante en ajoutant un effet systémique supplémentaire de 20%, venant en supplément de la somme des effets propres à chacun des sept accords (6). L’Accord très particulier sur la recherche a également été intégré par BAK, ce qui n’est pas le cas d’Ecoplan (7). Le poids de l’effet migratoire négatif peut ainsi être réduit à quelque 50% de l’ensemble des effets négatifs.

“Même Swiss, acquise par le groupe Lufthansa en 2005, redeviendrait

dans cette optique une compagnie suisse.”

La deuxième déconvenue dans l’ordre d’importance viendrait de l’extinction de l’Accord sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) : 8% environ de l’ensemble des effets négatifs selon BAK et Ecoplan (7a). Le troisième mécompte viendrait de la résiliation de l’Accord sur le transport aérien : 7% de l’ensemble selon BAK, 4 % selon Ecoplan. Mais là encore, les deux études présupposent que la résiliation équivaudrait à un retour à la situation des années 1990. Avec les accords de l’époque, Etat européen par Etat européen. Même Swiss, acquise par le groupe Lufthansa en 2005, redeviendrait dans cette optique une compagnie suisse (BAK) ! La connectivité des villes suisses baisserait de 1% à 3%, et la Suisse serait éjectée de l’Agence européenne de sécurité aérienne (AESA, créée en 2002 et basée à Cologne).

A noter à ce sujet qu’EasyJet Switzerland avait été créé en 1988 à Genève, douze ans avant la conclusion des Accords bilatéraux I. Le groupe britannique avait estimé à l’époque déjà que la Suisse était une plateforme optimale pour ses développements futurs sur le continent.

A noter également qu’aucune menace concrète venant de Bruxelles ou de Cologne n’a pesé sur cet Accord aérien après le vote populaire de février 2014 (ni sur aucun autre accord bilatéral I sauf la recherche). Ce qui laisse penser que les Européens n’ont vraiment aucun intérêt à pénaliser le secteur aérien en Suisse. On pense par exemple aux destinations qui alimentent à partir de Zurich, Genève et Bâle les hubs européens de longs courriers. Ou encore aux villes européennes très friandes de touristes suisses de courte durée, et à haut pouvoir d’achat, acheminés en continu par EasyJet (8).  

Selon BAK Economics et Ecoplan, les effets d’une éventuelle extinction des autres accords bilatéraux I paraissent dérisoires : transports terrestres, marchés publics, agriculture. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise, compte tenu du fait que les milieux concernés (organisations de branche) se manifestent relativement peu pour les défendre.

———-

NOTES

(1) Le Seco tient à jour une liste de publications savantes sur l’importance pratique des Accords bilatéraux I: https://cutt.ly/5rUbcCZ (essentiellement en allemand). Voir aussi notre article précédent sur « Les dérisoires privilèges de l’ARM ».

(2) Ecoplan (2015): Volkswirtschaftliche Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I – Analyse mit einem Mehrländergleichgewichtsmodell.

BAK Basel Economics (2015): Die mittel- und langfristigen Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I auf die Schweizerische Volkswirtschaft.

Le liens figurent dans la synthèse du Seco (en français) des recherches de BAK Economics et d’Ecoplan : https://cutt.ly/VyQAOeP

(3) Ecoplan mentionne que les deux « répondants » de ses modèles mathématiques sont basés à l’Ecole des mines du Colorado et à l’Univserité d’Oldenbourg (D). Le modèle économique semble inspiré quant à lui du prix Nobel Paul Krugman et de la « nouvelle théorie du commerce international ».

(4) Les chiffres concernant les effets de croissance de ces trente dernières années, avec mise en perspective selon l’avancement de la voie bilatérale, seront publiés prochainement sur ce blog pour clarifier certains malentendus. Aucune occurrence n’est toutefois comparable à la situation actuelle.

(5) Cette hypothèse de départ à -25% se réfère à celle d’une étude du KOF (Ecole polytehnique fédérale de Zurich), focalisée sur l’Accord de libre circulation des personnes : KOF Konjunkturforschungsstelle der ETH Zürich (2015): Der bilaterale Weg – eine ökonomische Bestandsaufnahme. KOF Studien Nr. 58

https://cutt.ly/prY2b0O  

(6) L’effet systémique ajouté par BAK (par rapport à Ecoplan) comprend l’insécurité juridique en général, et la perte d’attractivité de la place économique suisse en cas de résiliation sans alternative des Accords bilatéraux I. Là encore, l’approche unilatérale et biaisée montre très vite ses limites. L’insécurité juridique passagère provoquée par l’acceptation redoutée de l’initiative de l’UDC est traitée comme une substance isolée. Elle n’est à aucun moment évaluée par rapport à l’insécurité juridique permanente de la voie bilatérale vers l’intégration, depuis vingt ans, comprenant les exigences successives de l’UE et les tensions continuelles entre Bruxelles et Berne. Elle ne tient pas compte non plus de l’insécurité structurelle de la législation européenne, vers l’intégration de laquelle la voie bilatérale est censée conduire par paliers. Quant à l’attractivité de la place économique suisse, industrielle en particulier, elle ferait  certainement l’objet de redistributions secteur par secteur. En diminuant dans certains cas, et en augmentant dans d’autres. Les prévisions sont réputées particulièrement difficiles dans ce domaine.

(7) Lire l’article d’évaluation précédemment consacré à l’Accord sur la recherche : https://cutt.ly/zyQPG7z

(7a) La probabilité et l’exagération des conséquences d’une telle résiliation ont fait l’objet d’un précédent article de ma part: Les dérisoires privilèges de l’ARM https://cutt.ly/5yQaYT0

(8) A noter enfin que l’argument d’intimidation, très tendance actuellement, consistant à rappeler que le dépôt de bilan de Swissair en octobre 2001 a été dû à l’absence d’accord aérien avec l’Union Européenne dans les années 1990, est complètement fantaisiste. Cette raison n’a jamais été évoquée à l’époque, et l’espace aérien européen n’existe que depuis 2002 avec la création de l’AESA.                

 

Suisse – UE : quelle communauté de destin au juste?

Petite exégèse de l’appel des ambassadeurs de France et d’Allemagne à Berne, paru le 1er mai dans Le Temps et le Tages-Anzeiger (désolé du retard). (Frédéric Journès et Norbert Riedel à la frontière franco-germano-suisse sur le Rhin, photo Stefan Bohrer).

Cet appel n’est évidemment pas passé inaperçu, même s’il n’a guère suscité de réactions. Il faudrait être indigne pour s’emparer d’un bâton aussi énorme… Paru le 1er mai dans Le Temps et le Tages-Anzeiger, il était pourtant cosigné de deux diplomates importants pour la Suisse : Frédéric Journès, ambassadeur de France à Berne, et Norbert Riedel, ambassadeur d’Allemagne. Intitulé « La France, l’Allemagne, la Suisse et l’Europe partagent une communauté de destin », le texte dressait un inventaire détaillé des collaborations entre les trois Etats.

Des avions français et allemands ont rapatrié des Suisses, des avions suisses ont rapatrié des Français et des Allemands. Des hôpitaux français, allemands et suisses ont accueilli des patients d’Alsace. La Suisse a été associée à la sécurisation européenne des transports de matériel de protection de la santé. Tout s’est bien passé avec le personnel frontalier, etc.

C’est ce qui s’appelle de la coopération internationale. Un pragmatisme spontané, en quelque sorte naturel, accentué par d’importants effets de voisinage. Si l’on veut en rajouter sur le plan de l’éthique et de la morale, on peut aussi parler de solidarité. Rien que de très normal dans un monde civilisé. Des Etats ont ainsi collaboré sur tous les continents.

Les deux ambassadeurs saisissent néanmoins l’occasion d’en tirer des enseignements liés aux relations politiques difficiles (pour ne pas dire pénibles) que la Suisse doit entretenir avec l’Union Européenne. Ce challenger géostratégique ambitieux et ombrageux, dominé et contrôlé par la France et l’Allemagne précisément.

L’aplomb est confondant au moment où tout le monde se plaint de récupération idéologique des événements. Les auteurs y ajoutent une tonalité flottante, entre condescendance et paternalisme. La sommation finale commence par les préalables identitaires d’usage (intégrale des derniers paragraphes) :

« Cette période extraordinaire nous rappelle aussi qu’au-delà de nos différences nous sommes tous des Européens.

Bien dit. Et des êtres humains. Ou peut-être faut-il comprendre que nous ne sommes ni des Africains, ni des Américains, ni des Asiatiques (par ordre alphabétique) ? Et qu’il est important que nous nous sentions davantage Européens ? Les voies de l’identitarisme sont souvent impénétrables. Attention de ne pas surinterpréter.

 « La réponse européenne à cette crise, n’en déplaise à ceux qui la critiquent, est sans précédent. Jamais l’Union n’avait mobilisé des fonds aussi gigantesques en quelques semaines seulement.

Les mots sont-ils bien choisis ? Mobiliser des fonds sans précédent, est-ce une vertu en soi ? L’Union ne s’est d’ailleurs pas contentée de mobiliser des fonds. Elle a surtout annoncé une vaste opération de création monétaire par endettement public. La planche à billets pour le dire autrement. Une réaction inspirée des Etats-Unis après la crise financière de 2008. Cette politique est effectivement controversée à l’intérieur de l’Union, comme dans le reste du monde. Elle oppose en particulier la France et l’Allemagne.

La Suisse, dieu merci, n’a pas à prendre position. Sa banque centrale est néanmoins contrainte de créer des francs pour acheter des valeurs pléthoriques en euros. Elle soutient ainsi activement l’Union, sans attendre qu’on l’en remercie. Parce qu’il ne s’agit pas de charité. Le but est de répondre à la demande extérieure en francs pour ne pas pénaliser l’industrie suisse d’exportation. On ne choisit pas toujours ses communautés de destin.

 « Jamais les Etats membres n’avaient à ce point accepté d’aller au-delà de leurs habitudes.

C’est possible. Les Suisses non plus, ni bien d’autres Etats.

Jamais non plus nous n’avions senti aussi vivement l’importance de nos valeurs communes, en particulier le respect de la liberté individuelle et de l’Etat de droit. La France et l’Allemagne se retrouvent ici avec nos amis suisses dans la conviction que l’urgence ne peut en aucun cas justifier le renoncement aux libertés qui ont assuré notre identité démocratique.

Ah, les valeurs. Une évidence en effet, bien que l’urgence des valeurs identitaires de liberté paraisse tout de même assez modeste en comparaison d’autres menaces (sanitaires, sociales, économiques).

« Qu’en sera-t-il de notre relation demain? Chacun, bien sûr, restera lui-même; mais le séisme que nous vivons va bousculer certains présupposés qui entravaient, depuis trente ans, notre chemin commun. Jusqu’à cet hiver, l’alpha et l’oméga de nos relations, c’était le choix de 1992: le postulat que nous n’avions pas de vision partagée de notre avenir.

Nous y voilà. Mais quel postulat, Messieurs ? En quoi n’avons-nous pas de vision partagée de l’avenir ? Et pourquoi continuez-vous de parler de 1992 comme d’une trahison ? Voulez-vous dire que nous appartenons à deux civilisations différentes ? Certainement pas. Notre vision générale est la même depuis longtemps. Elle diffère sur certains points tout à fait contingents. Nous ne voulons pas adhérer à une machinerie institutionnelle borgne, ésotérique et instable, reposant elle-même sur un dialogue franco-allemand erratique. Nous n’avons pas tout à fait la même culture politique, ni même économique. Ce sont des détails pour vous, par pour nous.

Il faudrait peut-être aussi que la France, l’Allemagne et leur Union Européenne renoncent pour nous convaincre à leur indécrottable suprémacisme des « valeurs », légitimant de plus en plus la russophobie ordinaire, la sinophobie, l’américanophobie. Et la xénophobie en définitive, seule la pauvre Afrique n’étant pas encore considérée comme une vraie menace. En Suisse, nous souhaitons avoir de bonnes relations avec tout le monde.

Nous croyons moins aux politiques de puissance, qui finissent toujours mal, qu’à l’égalité des nations et à l’avenir du multilatérisme universel inclusif. Sans parler du droit élémentaire des petits Etats à la neutralité face aux grands. Surtout à une époque dérivant vers de nouvelles confrontations régressives de super-puissances. Nous pensons qu’il s’agit d’une mauvaise phase, dont nous ne tenons rigueur à personne…

« Ce mantra vient de s’enfoncer dans le passé, comme la division de notre continent s’est enfoncée dans le passé entre 1989 et 1991. Du jour au lendemain, il n’y a plus aucune différence, dans nos esprits, entre la Suisse et les Etats membres de l’Union: notre communauté de destin s’est imposée comme une évidence.

Ah voilà. Mais vous en êtes sûrs ? Comment dire… A mantra, mantra et demi. Et merci d’en parler à notre place. Non, excusez-moi… Pourriez-vous quand même préciser ce que vous entendez par communauté de destin ? Evidente de surcroît ? Ce vocable pompier est-il bien nécessaire, d’ailleurs ? Quel est au juste ce destin de l’Europe qui a l’air de vous tenir tant à cœur ? Dominer le monde, comme ce fut le cas avant que les Etats-Unis s’en chargent?

Peser simplement sur le cours de l’histoire ? Il y a des organisations internationales pour cela. Il y a même des conclaves très sélectifs de puissants, genre G20 ou G7. La France, l’Allemagne et l’Italie en sont membres de droit. L’UE également en tant que telle. Que voulez-vous de plus ? Que l’Europe et ses valeurs rayonnent davantage, qu’elles inspirent l’univers, qu’elles fassent envie tout autour de la terre ? Mais c’est déjà le cas ! Pourquoi auriez-vous tant besoin que nous nous y associons formellement ?

Vous avez vu la France, cette vitrine imposée du destin européen dans le monde ? Vous avez vu son président pontifier en continu dans les dorures élyséennes ? Vous avez vu ses prédécesseurs ? Le mépris qu’ils ont répandu ? Le climat de haine et d’émeute qu’ils récoltent ? Sans parler du reste. Revenez plus tard pour la communauté de destin.

Notre première communauté de destin avec l’Union Européenne, pour le moment, c’est de souhaiter bien du succès à ses citoyens. Le plus sincèrement, parce que les Suisses n’ont aucun intérêt à ce que l’Union trébuche. Qu’ils avancent dans leur projet, qu’ils regagnent l’estime d’eux-mêmes. Qu’ils cessent de nous considérer comme des concurrents déloyaux, un point noir dans leur harmonie, de nous chercher des noises, de vouloir nous entraîner dans leurs divisions. Parce que des divisions, nous en avons nous-mêmes bien assez. Depuis que la Suisse existe, la plus redoutable pourvoyeuse en clivages internes a toujours été sa politique européenne. Moins elle en a, mieux elle se porte. Le vaste monde lui convient beaucoup mieux.

Accès au marché européen (4) : ce que vaut l’Accord sur la recherche.

Comment obtenir à peu près tout ce que l’on veut de la part des Suisses ? Bruxelles a bien compris qu’il suffisait de menacer les hautes écoles de ne plus être associées aux financements publics de la recherche scientifique en Europe (programme Horizon 2020 et suivants). Mais de quoi parle-t-on au juste ? Et où sont les solutions pour sortir de ce chantage? Explications, évaluation et récit en huit actes. (L’essentiel en bleu)

Accès « privilégié » de l’économie suisse au marché européen. Une sorte de contrepartie théorique au libre accès des Européens au marché suisse du travail. Et lorsque l’on parle de ce grand arrangement transitoire, négocié quand l’objectif officiel était encore l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne*, on pense surtout au septième volet des Accords bilatéraux I (conclus en 1999) : l’Accord de coopération scientifique et technologique dans le domaine subventionné. Soit l’accès au marché des financements publics de la recherche et de l’innovation en Europe.  

La Suisse est en fait partenaire depuis les années 1980 des programmes-cadres européens de recherche (PCR). Il s’agit du morceau d’intégration le plus consensuel de la Suisse à l’Union. Le plus pragmatique aussi, le plus abouti et le plus médiatique. Il n’est certainement pas vital pour la prospérité du pays, mais personne n’a intérêt à le remettre en cause. Quand les Européens s’y appliquent quand même, c’est seulement pour en faire un levier politique d’intimidation.    

C’est précisément ce qui s’est passé après le vote populaire du 9 février 2014 mettant fin au droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse (libre circulation des personnes). Bruxelles a aussitôt suspendu les négociations sur l’association de la Suisse au huitième programme cadre (Horizon 2020). En se gardant de toucher aux autres Accords bilatéraux I, pourtant tout autant liés entre eux sur le plan juridique (clause guillotine). Tout s’est passé comme si le but, pour la Commission Européenne, était surtout de manifester sa détermination, dissuadant ainsi l’Assemblée fédérale d’appliquer la décision populaire fautive dans le domaine migratoire.

La stratégie s’est avérée efficace. Le Parlement n’a appliqué que très partiellement le nouvel article constitutionnel, de manière que les dispositions puissent être agréées par Bruxelles. Les risques par rapport à la pleine association de la Suisse aux programmes-cadres de recherche se sont ainsi provisoirement dissipés. Ils reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène politique.

* Lire précédemment: Généalogie de la libre circulation des personnes (11.09.19) et Généalogie de la voie bilatérale (13.09.19). 

Ce qu’il s’agit de montrer

Le but de cet article est d’évaluer les effets d’un nouveau rejet de la libre circulation sur l’accord d’association de la Suisse aux programmes-cadres de recherche. En vue du scrutin de cette année sur la politique migratoire (deuxième initiative du Parti populaire suisse UDC). D’abord prévu en mai, puis annulé pour cause de crise sanitaire. Le vote sera probablement programmé en septembre prochain.

Il s’agit d’abord d’envisager le scénario du pire, hautement improbable : de quoi la Suisse se priverait au juste si elle ne participait plus du tout à ces programmes de recherche? De pas grand-chose apparemment sur le plan quantitatif. Les subventions européennes obtenues des programmes-cadres en échange de la contribution suisse forfaitaire ne représentent que 1,5% environ des investissements dans la R&D en Suisse.  

Option à peine plus réaliste : la Suisse serait reléguée parmi les « Etats tiers », participant aux programmes-cadres sur la base d’accords particuliers de coopération scientifique (Canada, Australie, Corée, etc).

Avec un sérieux problème politique toutefois : la Suisse se retrouverait ainsi grossièrement discriminée par rapport à treize Etats périphériques de l’UE, relevant pour certains de la “simple” Politique européenne de voisinage (PEV). Ces Etats n’ont-ils pas tous conclu, dans la recherche, les même accords d’association que ceux dont la Suisse bénéficie depuis 2004 ?

La Suisse est en fait déjà défavorisée par rapport à ces Etats voisins (Serbie, Albanie, Israël, Tunisie, Arménie, Géorgie, etc.). Ils n’ont en effet aucun accord de libre circulation avec l’UE. Ni le moindre accord équivalent de ceux que l’on trouve dans les Bilatérales I, en principe considérées comme un ensemble équilibré d’avantages et de contreparties.

Scénario dès lors le plus probable : la Suisse se retrouverait théoriquement sur le même plan que le Royaume-Uni (sans libre circulation des personnes). Les deux Etats négocieraient parallèlement (ou ensemble) un nouvel accord d’association les plaçant eux-mêmes au même niveau de coopération scientifique que ces treize Etats partenaires de l’Union Européenne à l’est et au sud.

Pour faire bonne mesure et donner l’impression d’avancer, une libre circulation des chercheurs serait instaurée entre l’UE et les Etats associés. Cette disposition est explicitement prévue depuis 2000 dans le cadre de l’Espace européen de la recherche (EER), mais elle n’a jamais été vraiment appliquée.  

En tout état de cause, le financement public de la R&D en Suisse n’a aucun intérêt à dépendre plus longtemps de contingences aussi exogènes et imprévisibles que la politique migratoire. Cette subordination ne représente-t-elle pas d’ailleurs un avatar complètement obsolète de la politique européenne de la Suisse au siècle dernier ? Le découplage obtenu avec la fin de la libre circulation des personnes aurait au moins un effet vertueux: stabiliser la participation suisse aux programmes-cadres européens de recherche.

Ce qui revient à formuler l’évidence suivante: le plus sûr moyen pour la Suisse d’assurer durablement son statut d’association aux programmes-cadres de recherche, c’est de ne plus faire partie de la politique européenne d’élargissement, mais de relever de la politique de voisinage (PEV). 

1 – Historique

 Les programmes-cadres européens de recherche remontent à 1984. L’impulsion est venue du président François Mitterrand, soucieux de faire de l’UE le premier pôle mondial de technologies de l’information (IT). Le projet s’était intitulé « Esprit ». Du nom de la prestigieuse revue intellectuelle française, dont l’ambition est encore aujourd’hui « de penser autrement les liens entre l’esprit européen, les valeurs occidentales et le reste du monde ».

Le projet et ses étapes successives de réalisation, jusqu’à aujourd’hui, sont imprégnés d’ouverture sur le monde. La finalité est aussi d’attirer en Europe des chercheurs, des entités et des projets de recherche gravitant tendanciellement autour des Etats-Unis (et d’Asie actuellement). D’où la multiplication d’accords de coopération et d’association (y compris avec les Etats-Unis et la Chine).        

On ne peut pas dire rétrospectivement que cet objectif de leadership ait été atteint. L’industrie européenne, dans le IT en particulier, a même connu un véritable décrochage technologique. Au point de donner l’impression de ne plus pouvoir, ni même vouloir revenir au premier plan.

Lorsqu’un white paper de la Commission Européenne précisait en février dernier les ambitions de l’UE en matière de numérique et d’intelligence artificielle, c’était surtout de suprématie régulatoire, juridique et sécuritaire dont il était question.

Tout se passe en fait aujourd’hui comme si la finalité était en premier lieu de protéger les Européens contre la domination asiatique et américaine dans certains secteurs-clés. Au sens plus prosaïque du protectionnisme économique non tarifaire également, dont l’Europe n’a évidemment pas l’exclusivité.       

Depuis les années 1980, la technostructure européenne de recherche s’est élargie, centralisée et lourdement complexifiée. Dans les domaines des sciences exactes, humaines, sociales ou encore environnementales. La matière couverte par l’institutionnel communautaire s’est développée et approfondie en passant essentiellement par le réseau académique. L’exigence de pureté de la science par rapport aux risques de corruption par des intérêts privés est en effet sensiblement plus élevée en Europe que dans le reste du monde.

L’intégration européenne la plus avancée

La Suisse a très tôt intégré ce vaste dessein géostratégique sur la base d’un accord prévoyant explicitement sa participation aux programmes-cadres européens de recherche (1986). Le traité est toujours en vigueur aujourd’hui. L’Accord sur la recherche de 1999, constitutif des Accords bilatéraux I et appliqué depuis janvier 2004, y ajoute la notion d’association.

La Confédération ne finance plus directement, ni au cas par cas les participations suisses à des projets européens de recherche. Elle verse un forfait dans le budget communautaire, calculé sur la base du produit intérieur brut rapport à celui de l’Union. Les participations suisses sont ensuite financées par cette centrale d’attribution.

Accès, participation, association – On peut dire en ce sens que le financement public de la recherche est la forme la plus aboutie d’intégration suisse dans l’Union Européenne. Ce qui ne manque pas de subtilité institutionnelle lorsque l’on compare avec l’environnement juridique des Accords bilatéraux I.

Avant ces accords sectoriels, comprenant le libre accès aux marchés du travail (libre circulation des personnes), la Suisse accédait partiellement au marché européen. Aujourd’hui, elle y accède toujours partiellement, mais elle y participe aussi. Ce qui signifie en gros qu’elle adopte les règles de circulation des ressources humaines, des capitaux, des biens et des services. Sans être associée toutefois aux décisions législatives et réglementaires, ni être forcément présente en tant qu’observatrice.

Dans le domaine de la recherche en revanche, les Accords bilatéraux I ont fait passer la Suisse de participante à pleinement associée. Avec présence possible d’observateurs à tous les échelons de décision, sauf la conception elle-même des programmes-cadres. Ce qui signifie qu’elle dispose probablement d’un certain pouvoir d’influence.

2 – Sources

A parcourir le web dans tous les sens, on ne peut pas dire que l’association ou non de la Suisse aux programmes-cadres européens de recherche ait suscité jusqu’ici un grand intérêt de la part des analystes et commentateurs en Europe. En Suisse, à la demande du Parlement, ce thème a toutefois fait l’objet de rapports périodiques du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). Ces documents sont traduits en français et accessibles sur le site de la Confédération. Ce sont les premières sources d’un champ d’investigation fort peu documenté par ailleurs, se contentant en général d’explications superficielles et lourdement répétitives.

Haut degré de transparence – Un rapport « faits et chiffres » de 100 pages est ainsi paru en 2018. Un rapport d’impact (effets de la participation suisse) a suivi un an plus tard (75 pages). Ces deux textes très techniques permettent de se faire une idée précise et relativement concrète des enjeux.

Des six Accords bilatéraux I hors libre accès aux marchés du travail (libre circulation), le traité sur la recherche est d’ailleurs certainement le plus transparent. C’est aussi, et de loin, le plus équilibré. Il bénéficie à peu près autant à la Suisse qu’à l’UE sur le plan matériel. Les conséquences de son éventuelle abrogation sont aussi les plus faciles à mesurer.

Les rapports du SEFRI regorgent de chiffres et de graphiques. Ils sont surtout destinés à montrer que le traité sur la recherche est équitable sur le plan des contributions suisses et des retours européens. Ils convainquent également avec aisance que la Suisse est une fort bonne compétitrice dans la captation de subventions et de coordinations de projets publics.

Le terrain de jeu s’avère bouillonnant. Tous les mouvements sont traçables et analysables dans le détail. Le propos manque en revanche singulièrement de perspective, ce qui ne surprend pas venant d’un Secrétariat d’Etat soumis à des devoirs de réserve. Les rapports n’entrent pas en matière sur d’autres approches possibles ou nécessaires. En particulier celle consistant à situer la participation aux programmes-cadres européens dans l’investissement global de la R&D en Suisse (lire plus bas).

Ces rapports sont peu explicites également sur les enjeux immédiats ou plus durables des échéances de politique intérieure s’agissant de participation aux programmes-cadres européens. Vouloir s’en faire une idée passe par des recoupements à partir de différentes sections des sites de la Confédération et de l’Union Européenne, des médias, de revues spécialisées et de contacts personnels.

3 – La course aux subventions

Il n’est pas étonnant que le Parlement attende du SEFRI des rapports approfondis et rassurants s’agissant de recherche. Sans rien demander de comparable sur les autres Accords bilatéraux I, sauf peut-être la libre circulation des personnes de manière plus diffuse. Ne s’agit-il pas d’utilisation de fonds publics ? On peut également deviner sur le plan sociologique, avec les précautions d’usage, que l’affinité entre parlementaires, fonctionnaires et microcosme de recherche est relativement élevée. Davantage qu’en matière de transports routiers, de marchés publics dans la construction, ou encore d’agriculture.

Le paradoxe, par rapport à cette transparence, c’est que le public lui-même n’a pas l’air de bien se rendre compte que l’accord menacé sur la recherche porte essentiellement sur les sciences exactes et humaines dans le champ étroit du subventionnement public.

L’opinion a au contraire tendance à penser que c’est l’ensemble des activités de recherche et développement qui est en cause. Dont il connaît intuitivement l’importance vitale pour l’industrie, les services et la prospérité du pays. Il y aurait effectivement de quoi s’inquiéter si c’était le cas.

Le rapport de 2018 décrit une véritable compétition pour la “captation” de subventions. Un peu à la manière de ce qui se passe avec le Fonds national suisse (FNS, anciennement Fonds national de la recherche scientifique). On peut aussi voir l’association aux programmes européens comme une modeste extension européenne des financements publics du FNS.

Le Fonds national suisse a alloué près de 1,2 milliard de francs en 2018 à quelque 3000 dossiers bénéficiaires (sur 6000 requêtes). Fin 2017, la contribution annuelle moyenne de la Suisse au programme-cadre Horizon 2020 s’est élevée de son côté à 180 millions de francs seulement. Le nombre moyen de participations à des projets a été de 500 par année. Dont une centaine coordonnées depuis la Suisse.

Les institutions de loin les plus concernées par Horizon 2020, jusqu’en 2018, ont été les Ecoles polytechniques fédérales et les universités cantonales. A hauteur de 60% environ des fonds rétrocédés à la Suisse projet par projet en moyenne annuelle.

Les hautes écoles spécialisées (HES) captent quant à elles 3,5% seulement de la manne. L’industrie et les associations sans but lucratif s’octroient une part de 35% environ, beaucoup plus élevée dans Horizon 2020 qu’auparavant. Les subsides publics y sont en général complémentaires d’investissements privés (partenariats public-privé, bien que le terme ne soit jamais employé dans les rapports du SEFRI).

Le niveau moyen de financement public par participation de petites ou micro-entreprises privées est de 100 000 francs (start-up comprises), alors qu’il est de près de 590 000 francs toutes catégories confondues (écoles et grandes industries). Les entreprises sont encouragées à concourir, un bon taux de participation de leur part étant considéré par la Confédération et l’UE comme un succès en soi. Ce qui montre aussi que les entreprises ne sont pas attirées spontanément. L’offre d’Horizon 2020 a d’ailleurs développé des programmes spécifiques et attractifs destinés à les convaincre.     

Impact honorable mais sans levier

Le rapport d’impact de 2019 se base sur un sondage de satisfaction auprès de participants suisses aux programmes européens depuis 2003. 4400 questionnaires ont été envoyés, pour quelque 900 répondants.

Les effets sont en général et sans surprise jugés satisfaisants de la part des hautes écoles. Les participations génèrent en moyenne un emploi dans chaque cas (permanent ou temporaire). Comme l’on pouvait également s’y attendre, le secteur privé est plus critique. 30% seulement des entreprises ou indépendants annoncent que leur participation a conduit à des réalisations commerciales.

La proportion descend à 10% s’agissant de grandes entreprises. 10% également des sondés dans l’industrie et les services mentionnent toutefois la création d’une nouvelle entreprise. Près de 50% précisent que leur participation a tout de même favorisé la mise au point de nouveaux produits ou services. 50% des participations du privé ont généré un brevet (dont les éventuelles applications industrielles ne sont pas précisées).

L’impact macro-économique paraît assez décevant en termes de levier: les subventions se “contentent” de financer des emplois, en général sans multiplicateur avéré. Le rapport insiste donc plutôt sur l’importance des programmes-cadres européens dans la constitution et la pérennité de réseaux personnels. Ces maillages se constituent beaucoup autour des consortiums de recherche.

A en croire les questionnaires, ce sont surtout les HES et les entreprises qui y voient un intérêt spécifique. Les écoles polytechniques et les universités ont une plus grande ancienneté à l’international. Obtenir des subventions passe pour elles avant le networking. On peut supposer que les entreprises suisses, qui ne manquent en général pas d’ouverture sur le monde, voient quand même dans les relations suivies avec des partenaires plus étroitement européens l’occasion d’élargir et de diversifier leurs contacts.

A noter, pour mieux se représenter ce dont on parle, que le programme-cadre Horizon 2020 portait en premier lieu sur les « défis sociétaux » : 30 milliards d’euros pour la recherche « fondée sur les priorités politiques de la stratégie» à l’échelle européenne. Dans l’ordre : santé, transports, énergie, alimentation (avec agriculture et recherche aquatique), climat et environnement, sociétés sûres et sociétés inclusives. Vient ensuite la recherche fondamentale dans tous les domaines (25 milliards), infrastructures numériques européennes en premier lieu.

La « primauté industrielle » n’arrive qu’en troisième position (IT, biotechs, nanotechs, matériaux, systèmes de production, chaînes d’innovation dans les défis sociétaux jusqu’à la commercialisation non comprise) : 17 milliards d’euros, dont 600 millions seulement pour l’innovation dans les petites entreprises. La recherche nucléaire mobilise encore 5 milliards, et divers « piliers » secondaires se partagent les 6 milliards restants.  

4 – Ce que représentent les programmes européens dans la R&D en Suisse

 L’hypothèse d’une mise à l’écart de la Suisse des programmes-cadres européens de recherche en cas de « mauvaise » décision populaire sur la politique migratoire de la Confédération n’est absolument pas nécessaire. La fin de la voie bilatérale vers l’intégration signifierait au pire que la Suisse redeviendrait une simple participante aux PCR (Etat tiers). C’est-à-dire que le Secrétariat d’Etat à la recherche financerait directement les diverses participations, au lieu de passer par la hiérarchie européenne d’octroi des subventions et subsides.

Cela dit, il n’est pas inutile de vérifier que ce scénario maximal et invraisemblable d’éviction pure et simple ne plongerait nullement la Suisse dans le néant. Selon divers inventaires, les évaluations globales des différents types d’investissements réalisés en Suisse dans la R&D (privés et publics) tournent autour des 23 milliards de francs par an. C’est le chiffre retenu par le SEFRI dans une note non datée du site de la Confédération. L’investissement annuel dans le pot commun et public européen, avec le retour sur investissement, ne représente donc que 1,5% environ de l’ « effort national » d’innovation.*

A noter à ce sujet que le classement périodique d’août 2017 du réseau international de conseil Ernst & Young plaçait la Suisse en tête dans l’intensité de la R&D dans les entreprises : 6.6% du chiffre d’affaires (devant les Etats-Unis). Par rapport au produit intérieur (PIB), la Suisse vient en quatrième position dans le monde après la Corée, Israël et la Suède (privé et public cumulés). Avec un biais toutefois : l’industrie pharmaceutique pèse à elle seule 35% des investissements privés en Suisse.

* Le chiffre officiel disponible le plus récent de la contribution suisse à Horizon 2020 est celui du rapport de 2018 : 724 millions de francs pour la période 2014-2017. Soit 181 millions en moyenne annuelle, ce qui représente précisément 0,78% des investissements dans la R&D en Suisse. Cette période est toutefois faussée par les deux années d’association partielle (2014-2016), pendant lesquelles la contribution suisse a été plus basse que d’ordinaire (voir point 7 ). Nous avons compté très largement en multipliant 0,78% par deux pour cette raison.

5 – Ce que renoncer au statut d’association voudrait dire

 Sans statut d’association, la Suisse devrait donc financer directement ses participations. Avec des incidences certainement négatives sur les coûts de gestion. Les projets et consortiums ne seraient acceptés que s’ils présentaient un intérêt pour l’UE (pour autant que ce ne soit pas le cas aujourd’hui). Les Suisses n’auraient plus d’observateurs dans les instances dirigeantes ni les comités de pilotage. Leur niveau d’information s’en ressentirait.

Les remarquables performances des partenaires suisses dans la captation de subventions en seraient affectées. Il n’est pas sûr que les chercheurs suisses continueraient de détenir le record des meilleurs taux de succès des projets proposés. (Encore que les chercheurs américains et asiatiques non associés semblent faire légèrement mieux à 17,8%.) Est-ce bien nécessaire toutefois de figurer parmi les légendes européennes de la captation de subventions ? Sachant en plus qu’elles sont indirectement financées par la Suisse ? Ce n’est pas la question en l’occurrence. Nul ne sait d’ailleurs ce qu’en penserait le corps électoral si elle lui était posée de cette manière.

Les chercheurs et entités suisses de recherche pourraient en principe continuer de coordonner la réalisation de programmes, comme ils le font actuellement (une centaine dans Horizon 2020). Avec certainement, comme nous l’avons vu, quelques difficultés supplémentaires. Les hautes écoles ne pourraient plus en revanche envisager de piloter de grands projets européens. Les fameux et très disputés « Flagships », toujours bien présents sur le terrain médiatique. Cette déficience induirait une certaine déperdition en termes de prestige académique.

Il n’est pas inutile cependant de relativiser ce qui serait sans doute ressenti dans le microcosme de la recherche comme une humiliante relégation. Conçus au début des années 2010, les Flagships sont des mégaprojets à plus d’un milliard d’euros de budget sur dix ans. Mais ils sont rares.

Horizon 2020 n’en a connu que trois (initiés quelques années auparavant) : Graphene, Human Brain Project et Quantum. Horizon Europe (2027) a envisagé d’en lancer six autres, dont un suisse (le controversé Time Machine à Lausanne). Mais le concept lui-même a finalement été abandonné : trop grand, trop long, trop lourd. Les consortiums européens de recherche sont souvent des usines à gaz. Ceux-là atteignent des niveaux de complexité démesurés dans la gouvernance et la gestion.  

Comme chacun sait, le programme Human Brain (qui court jusqu’en 2023) est coordonné à Genève par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Cette expérience regroupe 800 chercheurs en Europe et Israël, et plus de 130 grandes institutions partenaires. Elle n’a cessé d’être confrontée à des tensions centrifuges sur le plan des objectifs, des doctrines, des ambitions, des égos, des moyens, des appareils et mentalités administratives. Orientée vers la réplication numérique des fonctionnements cognitifs, la culture d’ingénierie de l’EPFL s’est en particulier heurtée aux critiques et désistements des réseaux de recherche fondamentale en neurosciences.

La localisation en Suisse de Human Brain s’est en plus avérée problématique face aux trois grandes puissances de recherche que sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. En burn out, le directeur Chris Ebell démissionnait en 2018. Son équipe reconnaissait alors qu’il était peut-être temps de partager une coordination devenue ingérable. C’est une des raisons pour lesquelles le prochain et neuvième programme-cadre se contentera de « grands projets » plus modestes et moins centralisés.

L’université de Genève assume déjà une coordination partagée dans le flagship Quantum. Il n’est pas certain qu’un statut d’association durablement partielle rende à l’avenir impossible l’accès de la Suisse à ce genre de méga-gouvernance redimensionnée. D’autant moins que le futur statut de la Grande-Bretagne, qui reste entièrement à établir à quelques mois de la mise en route théorique d’Horizon Europe, est susceptible de faire évoluer la rigidité institutionnelle de l’Union. Dans un domaine qui se prête peu au dogmatisme politique.

6 – La Suisse grossièrement discriminée

Complexe et peu transparent lorsque l’on sort des rapports officiels, le dossier du traité bilatéral de 1999 sur la recherche (constitutif des Accords bilatéraux I) devient surréaliste lorsque l’on examine la question des statuts sous l’angle comparatif.  

 Comme évoqué plus haut, divers Etats dans le monde, jusqu’en Asie et en Amérique (Etats-Unis, Canada, Japon, Corée, Chine, Brésil, Argentine, etc), ont de « simples » accords de partenariat et coopération scientifiques avec l’UE. Ce qui signifie qu’ils n’ont pas accès à tous les grands domaines des programmes-cadres de subventionnement. Ils n’ont pas non plus d’observateurs en principe dans les instances dirigeantes et de pilotage.

La Norvège, l’Islande et la Suisse, relevant depuis les années 1990 de la politique d’élargissement de l’UE, avec objectif d’adhésion abandonné en cours de route, sont au contraire censés avoir le « privilège » d’un accord anticipé de pleine association.

C’est toutefois le cas aujourd’hui de treize autres Etats également, relevant d’une politiques européenne d’élargissement plus tardive, ou d’une simple politique de voisinage (voir Annexe I): Israël, Turquie, Serbie, Arménie, Géorgie, Ukraine, Tunisie, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Montenegro, Moldavie, Macédoine du Nord et Iles Féroé.

Selon l’expression consacrée, on peut dire que ces Etats ont obtenu le beurre et l’argent par rapport à la Suisse. L’UE leur a accordé un statut de plein associé sans contrepartie exogène. Alors qu’elle ne l’a concédé à la Suisse qu’en échange du libre accès à son marché du travail dans le cadre des Accords bilatéraux I, liés juridiquement par un principe de parallélisme (clause guillotine).

En cas de résiliation de l’Accord sur la recherche de 1999, pour cause de rejet de la libre circulation et de clause guillotine, la Suisse serait donc menacée d’être moins bien lotie que ces treize Etats périphériques. Comme ce fut le cas après le vote de février 2014, et jusqu’à fin 2016, elle se retrouverait sur le même plan institutionnel que les Etats « tiers » d’Amérique et d’Asie.    

Cette discrimination serait bien entendu complètement absurde (sans même parler d’inéquité). Comme elle l’a d’ailleurs été entre 2014 et 2016. Mais le cas du Royaume-Uni, poids lourd de la R&D en Europe, pourrait là aussi rebattre certaines cartes. Sans libre circulation des personnes, la Grande-Bretagne ne devrait-elle pas relever quand même, et au minimum, de la politique ordinaire de voisinage de l’UE en matière de recherche ? C’est-à-dire au même niveau d’association que, disons… l’Albanie (par ordre alphabétique) ? Et si c’était de toute évidence le cas, on ne verrait pas très bien pourquoi la Suisse ne pourrait pas obtenir d’égalité de traitement.

7 – Le trou de 2014-2016

L’Accord d’association de la Suisse à Horizon 2020 n’était pas encore complètement finalisé lorsque le vote populaire contre la libre circulation des personnes du 9 février 2014 a soudainement déstabilisé les Accords bilatéraux I par effet de parallélisme (clause guillotine).

S’en prendre sur le champ aux cinq autres accords n’a apparemment guère été envisagé du côté de Bruxelles (transports aériens, terrestres, marchés publics, agriculture, reconnaissance des normes techniques). On peut comprendre cette réserve: l’application de ces traités depuis les années 2000 s’est avérée très à l’avantage des Européens. L’occasion de réagir s’est en revanche présentée dans la recherche, beaucoup plus équilibrée, avec en plus des négociations en cours. La procédure fut aussitôt suspendue.

La perspective d’une relégation pure et simple de la Suisse parmi les Etats tiers asiatiques et américains semblait en même temps inconcevable. La Commission européenne n’avait-elle pas conclu, ou n’était-elle pas en train de négocier en parallèle des accords de pleine association avec treize Etats périphériques ? Sans libre accès réciproque aux marchés du travail (libre circulation), ni aucun accord de partenariat comparable à ce qui imbrique la Suisse dans l’Union Européenne ?

Marginaliser ainsi la Suisse, référence en matière de R&D, de manière aussi irrationnelle, eût été difficilement assumable politiquement. Les menaces et rapports de force bruts recèlent parfois des limites lorsqu’il s’agit de passer à l’acte. Le radicalisme d’un tel bannissement eût en plus été clairement dommageable pour la recherche en Europe.

Il était en même temps important pour la Commission européenne que des représailles soient réellement exercées. De manière à tenir parole et à faire prendre conscience aux Suisses égarés qu’ils devaient rapidement revenir à de meilleures dispositions. Il fut donc convenu de négocier une sorte de compromis octroyant à la Suisse un statut singulier, suffisamment vexatoire mais néanmoins provisoire d’Etat « partiellement associé ».

Schématiquement : la pleine participation à la recherche fondamentale était maintenue (peut-être par solidarité académique bien comprise). Les subventions européennes destinées à des projets venant de l’industrie n’étaient en revanche plus garanties, la Confédération s’empressant néanmoins de les compenser au cas par cas.

L’important domaine des « défis sociétaux » était lui aussi précarisé. Il se retrouvait également à la charge d’un Secrétariat d’Etat que les questionnaires du rapport d’impact allaient qualifier plus tard de très performant dans l’octroi de subventions de substitution (santé, alimentation, énergies, climat, environnement, etc). 

Dans la pratique et dans bien des cas, les diverses instances européennes de décision ont certainement sur-réagi. Les conséquences de ne plus pouvoir « participer » aux programmes-cadres européens de recherche avaient été abondamment évoquées lors de la tumultueuse campagne politique qui avait précédé le scrutin de février 2014. Avec une résonnance un peu confuse dans le microcosme académique en Europe. Parfois assez subtiles, les différences entre «participation en tant qu’Etat tiers », «association » et « association partielle » ne furent pas toujours bien comprises dans des milieux scientifiques continentaux peu réceptifs aux brutales finesses de la politique européenne d’élargissement.

Un lourd climat d’incertitude s’est alors installé, doublé d’une certaine méfiance par rapport à des partenaires suisses perçus tout d’un coup comme peu fiables. Le fait de les pénaliser le plus durement possible n’allait-il pas d’ailleurs les obliger à se mobiliser davantage pour faire rentrer l’opinion publique suisse dans le rang ?

Le nombre de participations suisses validées par les instances européennes s’est tout de suite mis à reculer massivement et de manière désordonnée. En particulier dans les coordinations de projets. A en croire le rapport de 2008 du SEFRI, la Commission européenne elle-même a dû parfois intervenir pour soutenir envers et contre tout certaines participations suisses. Ce n’est qu’en 2017 que la situation a commencé de se normaliser. Lorsque le Parlement a décidé de renoncer à la résiliation de la libre circulation malgré la décision populaire. Et que le droit d’accès à une activité économique en Suisse a pu être étendu à la Croatie.

8 – Horizon Europe (2027) et Espace européen de recherche.

Sept ans plus tard, l’histoire donne un peu l’impression de se répéter. Le scrutin sur la deuxième initiative de l’UDC a été reporté au second semestre 2020 pour cause de crise sanitaire. Si le projet d’article constitutionnel était de nouveau accepté, l’ « accident » se produirait avant que les négociations pour l’association de la Suisse à Horizon Europe (2021-2027) aient été finalisées.

Avec le Brexit, c’est d’ailleurs tout le processus de mise en place de ce programme-cadre qui a pris du retard. Nul ne sait encore quel sera le statut du Royaume-Uni, deuxième puissance européenne de R&D derrière l’Allemagne et devant la France. Sa relégation pure et simple parmi les Etats tiers, derrière les treize Etats périphériques associés, semble cependant aussi peu vraisemblable que celle de la Suisse.

Il n’est pas certain que Britanniques et Européens attendent d’avoir conclu un accord de partenariat général avant que des négociations s’engagent en vue d’une éventuelle association dans la recherche. C’est d’ailleurs ce qu’anticipait le SEFRI dans une information du 31 janvier dernier, au moment de l’entrée en vigueur du Brexit : «Comme la Suisse, le Royaume-Uni doit négocier avec l’UE une éventuelle association à Horizon Europe.»

Il n’y a toutefois pas encore de mandat de négociation côté suisse, bien que le background politique à régler semble bien plus léger qu’avec la Grande-Bretagne. Problématique et retardé lui aussi pour cause de crise sanitaire, l’Accord-cadre institutionnel Suisse-UE en suspens n’aurait pas d’effet sur la recherche à en croire certains commentaires plus ou moins officiels à Berne (la recherche n’étant pas considérée comme un marché). La future association dans Horizon Europe ne serait donc déstabilisée que par la fin de la libre circulation des personnes (voir Annexe II).     

S’agissant du Royaume-Uni en revanche, il paraît évident qu’une association ne serait pas conditionnée par un accord de libre circulation des personnes (les Britanniques n’en veulent plus). En cas d’acceptation de la deuxième initiative de l’UDC, la Suisse se retrouverait donc théoriquement dans une situation très comparable à celle de la Grande-Bretagne. Il deviendrait difficile pour les Européens de négocier avec l’un sans se référer à l’autre s’agissant de recherche.

La différence entre l’un et l’autre serait surtout juridique : la Suisse devrait encore s’extraire du parallélisme des Accords bilatéraux I et de la voie bilatérale vers l’intégration. Alors que le Royaume-Uni, après plus de trois ans de contorsions pour y échapper malgré le référendum de 2016, a déjà réalisé formellement son Brexit.

Ces nouvelles circonstances pour la recherche en Europe pourraient être l’occasion de relancer l’Espace européen de la recherche (EER). Initié à Lisbonne en 2000, cet European Research Area (ERA) est un ensemble de principes à cultiver sous une Direction générale de la recherche et de l’innovation.

L’EER a évidemment ajouté une couche institutionnelle à la gestion des programmes-cadres, qui n’en manquait pas. Mais il comprend aussi la double volonté de favoriser davantage l’ouverture vers l’extérieur. Avec mobilité des chercheurs et projets à l’intérieur de l’espace élargi aux partenaires associés.

Appliqué partiellement dans les 6ème, 7ème et 8ème programmes-cadres, l’EER a apparemment négligé cette dimension personnelle de la mobilité. L’occasion semble se présenter pour le Royaume-Uni et la Suisse de proposer une libre circulation des chercheurs en remplacement de la libre circulation générale des ressources humaines sur les marchés nationaux du travail. Couvrant quarante-quatre Etats, cette nouvelle liberté aurait au moins l’avantage de l’unité de matière.    

Annexe I

A propos de Club des Treize

Seize Etats non-membres de l’UE sont (comme la Suisse) pleinement associés aux programmes-cadres européens de recherche :

les deux Etats membres de l’Espace économique européens (EEE) : Norvège et Islande (depuis 1994). Leur association à chaque programme-cadre fait cependant l’objet de négociations particulières   (comme avec la Suisse) ;

– la Suisse depuis 2004, avec son statut général de substitution à l’EEE (voie bilatérale vers l’intégration avec libre circulation des personnes et Accords bilatéraux I) ;

– six Etats candidats à l’adhésion à l’UE, relevant de la Politique européenne d’élargissement : la Turquie (depuis 2003), la Serbie, l’Albanie, la Macédoine, le Montenegro, la Bosnie-Herzégovine (première association dans les années 2000 également) ;

– six Etats non-candidats relevant de la « simple » Politique européenne de voisinage (PEV) : Israël (depuis 1996), Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie (dans le programme-cadre 2007-2013 déjà) et Tunisie (2016) ;

– les Iles Feroë enfin, qui ont un statut général d’association avec l’UE depuis les années 1970.

Treize Etats hors Espace économique EEE ont donc obtenu le même statut que la Suisse, sans le fatras de conditions liées juridiquement dans les Accords bilatéraux I (dont la libre circulation des personnes).

A noter sur le plan chronologique : la Suisse, dans les années 1990, encore considérée à l’époque comme candidate à l’adhésion (jusqu’en juillet 2016), mettait dans la balance des Accords bilatéraux I son futur statut d’associée aux programmes-cadres de recherche (en négociation). Or, Israël avait déjà obtenu ce statut sans aucune des conditions exogènes imposées à la Suisse (exogènes, c’est-à-dire n’ayant rien à voir avec la recherche scientifique et son financement).

Quinze ans plus tard, l’UE retirait à la Suisse son statut d’associée aux programmes-cadres suite au vote populaire de février 2014 sur la libre circulation des personnes. Or, Bruxelles était à ce moment-là en pleine négociation avec les 13 autres Etats non membres pour une association à Horizon 2020, rétroactive au 1er janvier 2014 (2016 dans le cas de l’Arménie, de la Géorgie et de la Tunisie, et août 2015 dans le cas de l’Ukraine). Sans libre circulation des personnes encore une fois.

A noter encore, pour être complet, que ces treize Etats bénéficient vraiment du même statut d’association que la Suisse, sur les mêmes bases de financement : un calcul incluant le PIB du pays par rapport au PIB de l’UE, en fonction de l’importance de la participation prévisible.

Dans le 7ème programme-cadre (2007-2013), les participants turcs avaient obtenu quelque 200 millions d’euros de subventions pour 950 projets. En janvier 2017, Israël célébrait ses vingt ans d’association en annonçant 1,4 milliard d’euros de contributions cumulées pour 1,7 milliard de retours enregistrés.

Les niveaux d’association sont évidemment plus modestes pour des Etats comme la Serbie (53 millions d’euros de retours pour 307 projets dans le 7ème programme-cadre), la Macédoine (12 millions), le Montenegro (4 millions), la Moldavie (4 millions), la Bosnie-Herzégovine (3 millions) ou l’Albanie (2,5 millions).

L’UE accorde parfois des « rabais » de contribution forfaitaire, ou des facilités de paiement dans le cadre de sa politique de développement. Avec l’appui dans certains cas de la Banque européenne d’investissement. L’UE peut aussi exiger des réformes dans la politique de recherche scientifique des nouveaux associés, avec revue périodique des pairs.

 

Annexe II

Clause guillotine et flou juridique

Le traité de coopération scientifique et technique de 1986 entre la Suisse et les Communautés européennes (CE) a une portée élevée et générale qui en fait rétrospectivement une sorte de déclaration d’intention (un peu plus concrète toutefois sur la recherche nucléaire, sujet central à l’époque). Entre autres dispositions, l’accord rendait possible la participation de la Suisse aux futurs programmes-cadres européens de recherche. D’éventuelles associations devaient toutefois faire l’objet d’accords spécifiques portant sur chacun d’eux.

Les cinq premiers programmes-cadres ont intégré les hautes écoles et institutions suisses sous forme de participations projet par projet. Chaque projet étant financé par la Confédération. Dans le cadre des Accords bilatéraux I finalisés en 1999, la Suisse a obtenu dès 2004 le statut d’associée au 6ème programme-cadre (2002-2006) : contribution forfaitaire au budget européen, puis financement européen des projets suisses. Avec observateurs suisses dans les instances européennes de subventionnement.

Ce statut d’associé a été renouvelé dans un autre accord bilatéral de coopération scientifique portant sur le 7ème programme cadre. Et ainsi de suite. Il a fallu un autre accord bilatéral encore pour sceller l’association au 8ème programme (2014-2020). Il en faudra encore un autre pour associer la Suisse au programme Horizon Europe (2021-2027).

Cette contrainte de renouvellement périodique est absente des six autres Accords bilatéraux I. Ce qui fait parfois dire que la recherche n’est pas vraiment soumise au parallélisme de ces accords liés juridiquement (clause guillotine).

Selon cette interprétation : si l’accord sur le droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse était résilié par la Suisse (libre circulation), la clause guillotine ne s’appliquerait pas à la recherche. Temporaires, les accords d’association aux programmes-cadres ne sont-ils pas forcément d’une autre nature ?

C’est bien ce que l’on affirme également par ailleurs en proclamant qu’ils ne sont pas des accords d’accès au marché. Qu’ils ne sont donc pas concernés par le projet d’Accord-cadre institutionnel Suisse-UE en suspens (voir plus haut).

Il n’y a en réalité guère de raisons de penser que le lien juridique, imposé par les Européens pour sanctuariser la libre circulation et sécuriser la voie bilatérale vers l’intégration, n’annulerait pas formellement l’actuel, ni les futurs accords d’association dans la recherche. Rien ne s’y oppose apparemment. Le niveau de détail de ces considérations semble en plus d’une pertinence très relative dans un domaine régi par deux ordres législatifs différents.

Il est vrai cependant que ces accords d’association sur la recherche ont un caractère juridique particulier dans les Bilatérales I. Tant les Suisses que les Européens ont explicitement prévu que leur résiliation par les uns ou les autres n’impliquerait pas automatiquement, ni dans les six mois, une annulation globale du paquet d’accords. Il y aurait bien une sorte de clause guillotine, mais sans automaticité.

Dans son message du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, le Conseil fédéral précisait d’ailleurs que la clause guillotine « ne s’appliquait ni en cas d’expiration ordinaire de l’Accord de coopération scientifique, ni en cas de dénonciation de cet accord par la Suisse à la suite d’une modification par les CE des programmes-cadres auxquels la Suisse est associée. »

Tant les Européens que les Suisses peuvent en revanche décider unilatéralement que la rupture des accords d’association aux programmes-cadres mettrait fin aux Accords bilatéraux I. Ce scénario n’est pourtant guère réaliste : ni la Suisse, ni l’Union Européenne n’ont le moindre intérêt à saborder ces accords d’association dans la recherche. C’est plutôt dans le sens l’inverse que le problème se pose : l’Union européenne a tendance à utiliser la recherche comme objet de chantage et de représailles à propos de libre circulation.      

Dans un avis de droit de 2013, Christine Kaddous, professeure à l’Université de Genève et directrice du Centre d’études juridiques européennes, précisait encore que «l’accord sur la coopération scientifique et technique de 2007 pourrait aussi être concerné, même s’il n’est pas stricto sensu rattaché à la clause guillotine, compte tenu de la décision du Conseil et de la Commission de 2008, laquelle prévoit que cet accord ne serait pas prorogé en cas de non-reconduction ou de dénonciation des accords bilatéraux I. Le risque existe donc également pour cet accord, même s’il ne contient pas formellement une disposition telle que celle de l’article 25, paragraphe 4, de l’Accord sur la libre circulation des personnes. »

Cet avis a parfois été sur-interprété lui aussi, comme s’il suggérait que la clause guillotine ne s’appliquait pas à la recherche. Il fait seulement ressortir en réalité que c’est le délai de résiliation de six mois des Accords bilatéraux I en cas de guillotine qui ne s’appliquerait pas à l’accord d’association en cours (2007-2013 à l’époque). L’association durerait jusqu’à la fin du programme-cadre, mais elle ne serait pas reconduite lors du programme suivant.

Voie bilatérale : les Suisses n’auront jamais la paix

(Paru le 8 mars dans Le Matin Dimanche)

(Deutscher Text: siehe unten) 

Il y a vingt ans, les Suisses acceptaient les Accords bilatéraux I avec l’Union Européenne à plus de 60% des voix. Le libre accès des Européens au marché suisse du travail était le seul des sept accords à ne pas susciter l’unanimité. Pour faire néanmoins passer cette « libre circulation des personnes », les organisations économiques avaient développé trois arguments fort convaincants. Même l’UDC s’y était ralliée.

En premier lieu, l’immigration européenne n’allait de toute manière pas dépasser 10 000 personnes par an. Après l’application complète de la libre circulation en 2007, le solde migratoire moyen a pourtant été de 50 000 ressortissants de l’UE chaque année. Il a atteint 32 000 personnes l’an dernier (+3.5% sur un an).

Ce grand écart n’a rétrospectivement rien d’étonnant. Les phénomènes migratoires sont réputés particulièrement imprévisibles. C’est pour cette raison que la Suisse, très attractive et géo-centrée, n’aurait jamais dû accepter le libre accès des Européens à son marché du travail. D’autant moins qu’elle n’a nullement besoin d’une contrainte de ce genre pour accueillir toutes les compétences et la main d’œuvre qui lui sont nécessaires.

Le deuxième argument portait sur la voie bilatérale vers l’intégration dans l’UE. L’accord de libre circulation inaugurait cette mécanique en mettant le travail sur le même plan que la libre circulation des capitaux, des biens et des services. Mais les Suisses n’avaient aucun de souci à se faire. Ils pourraient par la suite dire souverainement non à toute nouvelle étape d’intégration. « Et si ça ne va pas, nous pourrons toujours faire un pas en arrière et remettre certaines choses en question », précisait Bernard Koechlin, membre genevois du comité d’Economiesuisse.

On se rend pleinement compte aujourd’hui qu’il n’est en réalité plus possible de dire non à l’Union Européenne sur quoi que ce soit. Les rétorsions sont immédiates et les menaces de guerre économique se mettent aussitôt à pleuvoir.

Le troisième argument rappelait sans cesse que l’économie n’aime pas l’incertitude. Avec la voie bilatérale, les entreprises suisses acquéraient la visibilité nécessaire à la conduite des affaires. La Suisse allait ainsi bénéficier de relations stables et apaisées avec l’UE.

On sait ce qu’il est advenu de cette dramatique illusion. Quelques années plus tard, Bruxelles décidait d’avancer dans l’approfondissement de l’intégration en imposant des discussions sur un accord institutionnel. Les mesures d’accompagnement, obtenues par la gauche en échange de son soutien à la libre circulation en 2000, apparaissaient de surcroît comme non conformes à l’esprit et à la lettre de cette libre circulation en Europe.

Aujourd’hui, les organisations économiques continuent néanmoins de considérer la voie bilatérale comme synonyme de stabilité. Elles se trompent lourdement. Tant qu’elle voudra se trouver à la fois dans l’UE et en dehors, « avec le beurre et l’argent du beurre », la Suisse sera considérée en Europe comme une profiteuse et une concurrente déloyale. Elle sera méprisée et maltraitée.

Les pressions et menaces ne cesseront jamais. Et les Suisses continueront de ne plus pouvoir dire non. C’est exactement ce qu’ils ne voulaient pas au départ. Les organisations économiques et les partenaires sociaux non plus d’ailleurs. Et plus on attendra pour rompre avec cette funeste dynamique, plus il sera difficile de s’en extraire.

Bilateraler Weg: Die Schweizer werden nie Frieden bekommen

Vor zwanzig Jahren nahmen die Stimmbürger – mit einer Mehrheit von mehr als 60% der Teilnehmenden – die Bilateralen Verträge I zwischen der Schweiz und der Europäischen Union (EU) an. Die Personenfreizügigkeit, also der freie Zugang der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt, war der einzige der sieben Verträge, der keinen einhelligen Anklang fand. Um ihn durchzusetzen, hatten die Wirtschaftsverbände drei anscheinend überzeugende Argumente vorgebracht, denen sich sogar die SVP anschloss.

Erstens wurde postuliert, dass die Immigration aus den EU-Ländern in keinem Fall 10’000 Personen pro Jahr übersteigen würde. Doch nach der vollständigen Einführung der Personenfreizügigkeit im Jahr 2007 betrug das jährliche Einwanderungssaldo aus den EU-Ländern im Durchschnitt 50’000 Personen. Letztes Jahr waren es 32’000 (+3,5% in einem Jahr).

Diese enorme Abweichung überrascht nicht. Migrationsphänomene gelten als besonders schwer voraussehbar. Aus diesem Grund hätte die Schweiz mit ihrer attraktiven und zentralen Lage den freien Zugang der EU-Bürger zu ihrem Arbeitsmarkt nie akzeptieren dürfen. Umso mehr, als wir eine solche Zwangsregelung keineswegs brauchen, um die nötigen Kompetenzen und Arbeitskräfte hereinzuholen.

Das zweite Argument betraf den bilateralen Weg zur EU-Integration. Der Vertrag zur Personenfreizügigkeit war der erste Teil dieser Mechanik. Dieser Vertrag behandelte die Arbeit wie die anderen Produktionsfaktoren Kapital, Güter und Dienstleistungen, für die in den Augen der EU auch die Personenfreizügigkeit gilt. Aber die Schweizer müssten sich keine Sorgen machen, hiess es damals, sie könnten in Zukunft souverän «nein» zu weiteren Integrationsschritten sagen. «Wenn die Erfahrungen nicht gut sind, können wir immer noch einen Schritt zurück gehen und gewisse Sachen in Frage stellen», sagte Bernard Koechlin, Genfer Mitglied des Komitees von Economiesuisse.

Heute wird einem jedoch voll bewusst, dass es nicht zulässig ist, der EU in irgendeiner Frage «nein» zu sagen. Tut man es, wird sogleich mit Vergeltungsmassnahmen und mit einem Wirtschaftskrieg gedroht.

Das dritte Argument war die immer wieder aufgestellte Behauptung, dass die Wirtschaft Unsicherheit nicht mag. Dank dem bilateralen Weg bekämen die Schweizer Unternehmen die Sichtbarkeit, die sie für ihre Tätigkeit benötigten, hiess es. Die Schweiz käme in den Genuss von stabilen und befriedeten Beziehungen zur EU.

Man weiss, was aus dieser dramatischen Illusion geworden ist. Einige Jahre später beschloss Brüssel, die vertiefte Integration zu beschleunigen und der Schweiz Verhandlungen über ein Rahmenabkommen aufzuzwingen. Die flankierenden Massnahmen, die die Linke als Belohnung für ihr Ja zur Personenfreizügigkeit im Jahr 2000 bekommen hat, werden überdies als unvereinbar mit dem Buchstaben und dem Geist der Personenfreizügigkeit erklärt.

Dennoch betrachten die Wirtschaftsverbände den bilateralen Weg auch weiterhin als gleichbedeutend mit Stabilität. Sie täuschen sich gewaltig. Solange die Schweiz gleichzeitig in und ausserhalb der EU stehen und angeblich «den Fünfer und das Weggli» haben will, wird die Schweiz in Europa als profitierende Trittbrettfahrerin beargwöhnt, die der EU-Konkurrenz einen unlauteren Wettbewerb liefere. Sie wird weiter verachtet und schlecht behandelt werden.

Die Drohungen und Pressionen werden nicht aufhören. Und die Schweizer werden immer weniger «nein» sagen können. Dies war genau das Gegenteil, was sie ursprünglich anstrebten, und die Wirtschaftsorganisationen übrigens auch. Je länger man zuwartet, um mit dieser unheilvollen Dynamik aufzuräumen, desto schwieriger wird es sein, ihr zu entfliehen.

(Publiziert in Le Matin Dimanche vom 8. März 2020)

25 bonnes raisons de dire OUI le 17 mai prochain

(Deutscher Text: siehe unten)                                                

(English Version: see below)

Pour en finir avec le libre accès des Européens au marché suisse de travail (libre circulation des personnes). Pour dissoudre le parallélisme des Accords bilatéraux I (clause guillotine). Pour quitter la voie bilatérale vers l’intégration. Pour obtenir une normalisation et nouvelle stabilité durable dans les relations avec l’Union Européenne. Sur le plan économique, mais pas seulement.

Par rapport à la libre circulation des personnes elle-même

Sans libre circulation des personnes, la Suisse garderait toute liberté d’accueillir toutes les compétences, main d’oeuvre et talents européens dont elle a besoin. Frontaliers ou futurs résidents. Actifs dans l’économie, la santé, la formation, le social, etc.

La Suisse reprendrait simplement le contrôle de sa politique migratoire.

Elle aurait toute liberté de mettre sur pied un système efficace et peu bureaucratique de régulation de l’immigration européenne en Suisse. Les modèles performants de régulation ne manquent pas dans le monde développé.

Sur les vingt pays les plus compétitifs du monde (WEF), dix ne sont pas européens et ont une politique migratoire autonome. Dont les trois premiers. Avec la Suisse, il y en aurait onze.

Les complications et coûts administratifs supplémentaires seraient dérisoires pour les entreprises et institutions par rapport à leur masse salariale.

La Suisse mettrait fin à la préférence européenne sur son marché du travail par rapport aux ressortissants du reste du monde.

Les non-Européens, réfugiés en Suisse par exemple, cesseraient d’être discriminés sur le marché suisse du travail par rapport aux Européens (alors que la Suisse investit intensément dans leur formation et leur intégration).  

L’immigration globale étant de tout manière limitée en Suisse (comme en Europe et ailleurs), l’économie suisse aurait plus de facilité à recruter des spécialistes et cadres non européens pour accompagner son important commerce dans le monde (plus de 50% des exportations sont extra-européennes). Il en serait de même des hautes écoles et de la recherche.

La diversité des nationalités dans les entreprises et institutions pourrait augmenter. Avec une meilleure réceptivité par rapport à la culture du travail en Suisse.

La réintroduction de l’ancien permis de saisonnier (légitimement honnis par la gauche) ne serait nullement nécessaire. Il existe d’ailleurs un permis de travail de courte durée (permis L) dans le cadre de la libre circulation. Il pourrait être maintenu (ou pas).

Réciprocité :

– Le solde migratoire annuel moyen (immigration nette) est de 48 000 nouveaux Européens en Suisse depuis 2007 (début de la libre circulation). Soit la population cumulée de Nyon, Gland et Morges.

(Immigration moyenne nette extra-européenne : 21 000, soit la population de Vevey. L’immigration nette moyenne totale équivaut à de nouvelles villes de la Chaux-de-Fonds plus Neuchâtel chaque année).

– L’immigration européenne et le travail frontalier resteraient relativement importants sans libre circulation, et avec régulation migratoire autonome.

– En revanche, les Suisses non binationaux ne sont actuellement que quelques centaines à demander et recevoir un permis de travail chaque année en Europe. Pour des raisons évidentes d’écarts salariaux.

– Tenant compte de cet immense déséquilibre, la Suisse pourrait demander des facilités d’accès au marché du travail européen pour ses ressortissants non binationaux (qui souhaitent quand même travailler en Europe).

Le principe de libre circulation des personnes est un archaïsme qui met le marché du travail sur le même plan que les marchés de capitaux, de marchandises et de services. A l’échelle des Etats et de leur politique économique, le travail et les salaires ne sont pas de simples facteurs de production. Ils représentent au contraire la finalité de l’économie.

Par rapport aux Accord bilatéraux I

La Suisse commencerait par demander aux Européens l’annulation de la clause juridique (guillotine) invalidant les six autres Accords bilatéraux I. Pour qu’ils restent au contraire valides individuellement. Argument : trois accords bénéficient presque exclusivement aux Européens, deux sont très déséquilibrés en faveur de l’UE (reconnaissance mutuelle des normes techniques et agriculture). Seul le dernier est plus ou moins équilibré (recherche).

En cas de refus, la Suisse négocierait avec l’UE une période transitoire de validité (comme Bruxelles l’a fait avec Londres), pendant laquelle les deux parties discuteraient de l’avenir des Accords bilatéraux I sans libre circulation ni clause guillotine.

Si l’Union Européenne exerçait des représailles et menaçait d’ouvrir une guerre commerciale contre la Suisse (en invalidant les Accords bilatéraux I ou autres), l’administration fédérale pourrait programmer des obstacles renchérissant les importations de véhicules à moteur européens (valeur 15 milliards de francs en 2019). Les plus polluants en particulier.

Dans le pire des cas, sans accords bilatéraux I, les surcoûts administratifs et manques à gagner pour les entreprises suisses ne représenteraient pas 0.5% des exportations en valeur vers l’Europe (lire les articles précédents). Des allégements administratifs pourraient être consentis en contrepartie par la Confédération et les cantons dans d’autres domaines.

La Suisse continuerait d’être associée aux programmes européens de recherche (comme d’autres Etats tiers). Seule la possibilité de coordonner elle-même de grands projets lui serait refusée.  

Par rapport à la voie bilatérale vers l’intégration

La fin du libre accès des Européens au marché suisse du travail équivaudrait à la fin de la voie bilatérale vers l’intégration. Les fonctionnaires européens l’envisagent d’ailleurs eux-mêmes depuis juin 2016 (Brexit), et le retrait officiel de la demande d’adhésion de la Suisse à l’UE un mois plus tard.

Le dossier suisse à Bruxelles cesserait dès lors de relever de la Politique européenne d’élargissement, et passerait dans la Politique européenne de voisinage (PEV, commissaire Oliver Varhelyi).

Après une période de turbulences (surtout verbales), les relations entre la Suisse, l’Union Européenne et ses Etats-membres seraient clarifiées et apaisées. La Suisse ne pourrait plus être soupçonnée continuellement d’abus et de double jeu (dedans et dehors, « le beurre et l’argent du beurre », etc).

L’économie suisse obtiendrait ce qu’elle recherche : la stabilisation des relations avec l’UE. Il s’agirait de partenariat commercial et de voisinage entre Etats, d’accès partiels et réciproques aux marchés. Et non plus de « participation » progressive au marché unique européen basée sur la libre circulation, incluant en particulier le droit du travail.

En maintenant la libre circulation des personnes, considérée en Europe comme « constitutive de la citoyenneté européenne » (Emmanuel Macron), l’économie suisse n’aura jamais la stabilité, la sécurité ni la visibilité dont elle a besoin. Elle ne l’a plus d’ailleurs depuis quinze ans (début des discussions sur une nouvelle étape institutionnelle).

Sans libre circulation des personnes, la Suisse se retrouverait sur le même plan que le Royaume-Uni, avec les accords de Schengen/Dublin en plus (pas remis en question). Et des accords de voisinage forcément différents (pêche, transports, frontières, etc.)

Les références de la Suisse dans les discussions avec l’UE deviendraient :

1) l’Accord économique et commercial global (AECG) de l’UE avec le Canada, appliqué provisoirement à 90% depuis 2017 (en attendant une ratification complète des 28 Etats membres). Equivalent aux Bilatérales I sur le plan de la reconnaissance mutuelle des normes techniques dans les domaines-clés des machines et technologies médicales (entre autres).

2) le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les Etats-Unis (TTIP). Très innovant, finalisé, mais suspendu pour cause d’oppositions en Europe à la notion de sécurité des investissements et à l’agriculture (en France surtout). Egalement équivalent aux Bilatérales I sur le plan de la reconnaissance mutuelle des normes techniques dans les machines et technologies médicales (entre autres).

Par rapport au timing

Mettre fin au libre accès des Européens au marché suisse du travail (libre circulation) et à la voie bilatérale vers l’intégration ? Saisir cette occasion le 17 mai prochain permettra de simplifier et clarifier rapidement les relations ambiguës, confuses et chroniquement conflictuelles avec l’Union Européenne.

La Suisse n’étant plus candidate à l’adhésion à l’UE, la voie bilatérale n’a d’ailleurs plus aucun sens.

L’économie suisse est pour sa part toujours aussi incapable d’argumenter précisément et concrètement sur les avantages d’une voie bilatérale qui ne lui apporte rien de consistant, et ne cesse de générer des troubles.

Si ce n’est pas le 17 mai prochain, ce sera plus tard. Et plus tard ce sera, plus compliquée et douloureuse s’avérera l’opération de rééquilibrage et de normalisation des relations Suisse-UE.

(English Version: see below)

Zur Abstimmung über die SVP-«Begrenzungsinitiative» vom 17. Mai 2020

25 gute Gründe, am 17. Mai «ja» zu sagen

 Um endlich mit dem freien Zugang der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt («Personenfreizügigkeit») Schluss zu machen. Um mit dem Parallelismus («Guillotine-Klausel») der bilateralen Verträge aufzuräumen. Um den bilateralen Weg zur Integration zu verlassen. Um eine Normalisierung und eine neue Stabilität in den Beziehungen zur Europäischen Union (EU) herzustellen. Auf wirtschaftlichem Gebiet – aber nicht nur.

Im Hinblick auf die Personenfreizügigkeit

Ohne Personenfreizügigkeit wäre die Schweiz gänzlich frei, die benötigten Kompetenzen, Arbeitskräfte und Talente aus Europa aufzunehmen. Seien dies Grenzgänger, künftige Niedergelassene, Aktive in der Wirtschaft, im Gesundheits- oder Bildungssystem, im sozialen Bereich, usw.

Die Schweiz würde ganz einfach ihre Kontrolle im Migrationsbereich zurückgewinnen.

Sie hätte wieder völlige Freiheit, um ein effizientes und wenig bürokratisches System zur Regulierung der Immigration aus der EU auf die Beine zu stellen. Entsprechende Modelle gibt es in den entwickelten Ländern zur Genüge.

Von den zwanzig wettbewerbstärksten Ländern der Welt liegen aufgrund einer WEF-Studie zehn in Europa und verfügen über eine autonome Migrationspolitik. Mit der Schweiz wären sie elf.

Die Komplikationen und zusätzlichen administrativen Kosten für die Unternehmen und Institutionen wären, gemessen an deren Lohnmasse, sehr bescheiden.

Die Schweiz würde auf ihrem Arbeitsmarkt der Bevorteilung der EU-Bürger gegenüber den Menschen aus anderen Ländern ein Ende bereiten.

Die Nicht-Europäer, beispielsweise die Flüchtlinge, für deren Ausbildung und Integration viel Geld investiert wird, würden auf dem Schweizer Arbeitsmarkt nicht mehr gegenüber den Europäern diskriminiert.

Da die gesamte Immigration in der Schweiz (wie im übrigen Europa und anderswo auch) limitiert ist, hätte es die schweizerische Wirtschaft ohne Personenfreizügigkeit leichter, die benötigten nicht-europäischen Spezialisten und Kaderleute zu rekrutieren, um ihre Exportwirtschaft zu unterstützen (mehr als 50 Prozent der Schweizer Exporte gehen nicht in die EU). Das gleiche gälte für die Hochschulen und Forschungsinstitute.

Die nationale Vielfalt in den Unternehmen und Institutionen könnte zunehmen, was der Schweiz und ihrem Arbeitsmarkt zugutekäme.

Die Wiedereinführung des alten Saisonnierstatuts, das zu Recht von der Linken angeprangert wurde, wäre unnötig. Denn im Rahmen des Personenfreizügigkeitsregimes gibt es Arbeitsbewilligungen für eine kurze Dauer (Bewilligung L). Diese könnten allenfalls beibehalten werden, oder auch nicht.

Zur Gegenseitigkeit:

Das durchschnittliche jährliche Wanderungssaldo (Netto-Immigration) beträgt seit 2007 (Einführung der Personenfreizügigkeit) 48’000 zusätzliche EU-Bürger. Dies entspricht der kumulierten Bevölkerung der Waadtländer Städte Nyon, Gland und Morges.

(Die durchschnittliche Netto-Immigration aus nicht EU-Ländern beläuft sich auf 21’000 Personen, was der Bevölkerung von Vevey entspricht. Die kumulierte Netto-Immigration (EU plus nicht-EU) entspricht pro Jahr der Bevölkerung von La-Chaux-de-Fonds plus Neuenburg.)

Auch ohne Personenfreizügigkeit blieben die Immigration und der Grenzgängerverkehr aus der EU relativ stark.

Die Zahl der Schweizer, die nicht über eine doppelte Staatsbürgerschaft verfügen und in den EU-Ländern eine Arbeitsbewilligung beantragen und bekommen, beschränkt sich auf einige Hunderte. Der Grund liegt natürlich bei den grossen Unterschieden im Lohnniveau.

Angesichts dieses grossen Ungleichgewichts könnte die Schweiz für seine Bürger, die keine doppelte Staatsbürgerschaft haben und dennoch in der EU arbeiten möchten, einen erleichterten Zugang zum EU-Arbeitsmarkt fordern.

Das Prinzip der Personenfreizügigkeit ist archaisch, denn es behandelt den Arbeitsmarkt genau gleich wie den Kapitalmarkt, den Warenverkehr und die Dienstleistungen. Die Arbeit und die Löhne dürfen auf der Ebene der Staaten und ihrer Wirtschaftspolitik nicht einfach als Produktionsfaktoren behandelt werden, sondern sie sind die Finalität der Wirtschaft.

Im Hinblick auf die Bilateralen Verträge I

 Die Schweiz würde zuerst von der EU die Annullierung der juristischen Klausel (Guillotine-Klausel) verlangen, aufgrund derer die sechs Bilateralen Verträge I automatisch ausser Kraft gesetzt werden, damit diese einzeln ihre Gültigkeit behalten. Argument: Drei dieser Verträge nutzen fast ausschliesslich der EU, zwei sind unausgewogen zugunsten der EU (Anerkennung der technischen Normen und Landwirtschaft). Nur der letzte ist mehr oder weniger ausgewogen (Forschung).

Sollte die EU ablehnen, würde die Schweiz mit der EU – wie es Brüssel mit London gemacht hat – eine Übergangsfrist aushandeln. In der Übergangszeit würden die Verträge weiter gelten und gleichzeitig könnte über die Zukunft der Bilateralen Verträge I ohne Personenfreizügigkeit und Guillotine-Klausel verhandelt werden.

Falls die EU Vergeltungsmassnahmen beschliesst und mit einem Handelskrieg gegen die Schweiz droht (etwa indem sie die Bilateralen Verträge I oder andere ausser Kraft setzt), könnte die Bundesverwaltung Massnahmen ausarbeiten, mit denen die EU-Autoimporte, vor allem die für die Umwelt besonders belastenden Modelle, massiv verteuert würden (Gesamtwert 2019: 15 Milliarden Franken).

Im schlimmsten Fall, bei Wegfall der Bilateralen Verträge I, würden die administrativen Zusatzkosten und die Einkommensverluste für die Schweizer Unternehmen nicht einmal 0,5% des gesamten Exporte in die EU-Länder erreichen (vgl. hierzu die früheren Artikel). Die Eidgenossenschaft und die Kantone könnten als Kompensation administrative Erleichterungen in anderen Bereichen gewähren.

Die Schweiz würde auch weiterhin an den europäischen Forschungsprogrammen beteiligt werden, wie andere Drittländer auch. Wegfallen würde allein die Möglichkeit, selbst grosse europäische Programme zu koordinieren.

Bezüglich dem bilateralen Weg zur Integration

 Die Abschaffung des freien Zugangs der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt würde auch den bilateralen Weg zur Integration beenden. Die EU-Beamten rechnen übrigens seit Juni 2016 (Brexit) damit, und der offizielle Rückzug des Schweizer Beitrittsgesuchs einen Monat später geht ebenfalls in diese Richtung.

Das Schweizer Dossier in Brüssel würde demnach nicht mehr in den Bereich der europäischen Erweiterungspolitik fallen, sondern in jenen der europäischen Nachbarschaftspolitik (EU-Kommissar Oliver Varhelyi).

Nach einer von (verbalen) Turbulenzen gekennzeichneten Periode würden die Beziehungen zwischen der Schweiz und der EU sowie deren Mitgliedländern geklärt und befriedet. Die Schweiz würde nicht mehr permanent verdächtigt werden, ein Doppelspiel zu betreiben und Rosinen zu picken.

Die Schweizer Wirtschaft würde bekommen, was sie braucht: die Stabilisierung der Beziehungen zwischen der Schweiz und der EU. Diese würden zu einer wirtschaftlichen Partnerschaft zwischen Nachbarn, mit teilweise und gegenseitigem Marktzugang. Es wäre Schluss mit der progressiven und auf Freizügigkeit basierenden Beteiligung am einheitlichen EU-Markt inklusive Arbeitsrecht.

Mit dem Festhalten an der Personenfreizügigkeit, die in der EU als «konstituierendes Element der EU-Bürgerschaft» betrachtet wird (Emmanuel Macron), wird die Schweizer Wirtschaft nie die Stabilität, Sicherheit und Sichtbarkeit erreichen, die sie benötigt. Seit fünfzehn Jahren, seit dem Beginn der Diskussionen über eine neue institutionelle Annäherung, hat sie sie nicht mehr.

Ohne Personenfreizügigkeit würde sich die Schweiz in einer ähnlichen Situation befinden wie Grossbritannien; hinzu käme allerdings das Schengen/Dublin-Abkommen, das nicht in Frage gestellt wird. Und natürlich mit unterschiedlichen Nachbarschaftsverträgen (Fischerei, Verkehr, Grenzen usw.).

Der Referenzrahmen für die Diskussionen der Schweiz mit der EU wäre:

(1) Das Umfassende Wirtschafts- und Handelsabkommen der EU-Kanada (CETA), das seit 2017 provisorisch zu 90% zur Anwendung kommt (bis zur Ratifizierung durch alle 28 EU-Länder). Es entspricht den Bilateralen Verträgen I im Bereich der gegenseitigen Anerkennung der technischen Normen, u.a. in den Schlüsselbereichen Maschinenindustrie und Medizinaltechnik.

(2) Das Transatlantische Freihandelsabkommen (offiziell: Handels- und Investitions-Partnerschaft) mit den Vereinigten Staaten (TTIP). Es ist sehr innovativ und ausdiskutiert, aber suspendiert wegen der Widerstände in den EU-Staaten, vor allem in Frankreich, wobei Bedenken bezüglich der Investitionssicherheit und der Landwirtschaft im Vordergrund stehen. Es entspricht ebenfalls den Bilateralen Verträgen I im Bereich der gegenseitigen Anerkennung der technischen Normen, u.a. in den Schlüsselbereichen Maschinenindustrie und Medizinaltechnik.

Hinsichtlich des Timing

Dem freien Zugang der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt (Personenfreizügigkeit) und dem bilateralen Weg zur Integration ein Ende setzen? Die Abstimmung vom 17. Mai 2020 gibt den Stimmbürgern die Gelegenheit dazu. Eine Annahme der Volksinitiative würde die ambivalenten, konfusen und permanent konfliktträchtigen Beziehungen der Schweiz zur EU rasch vereinfachen und klären.

Nachdem die Schweiz nicht mehr Kandidatin für einen EU-Beitritt ist, hat der bilaterale Weg ohnehin keinen Sinn mehr.

Die Schweizer Wirtschaft ist nach wie vor unfähig, klar zu argumentieren und konkret die Vorteile des bilateralen Wegs zu belegen. Dieser bringt ihr in Wirklichkeit keine realen Vorteile, sondern schafft nur Turbulenzen.

Wenn der bilaterale Weg nicht am 17. Mai 2020 verlassen wird, dann später. Aber je später dies eintritt, desto komplizierter und schmerzhafter wird die Normalisierung der Beziehungen zwischen der Schweiz und der EU und die Herstellung eines neuen Gleichgewichts ausfallen.

 

Popular Initiative Opposing Free Access for Europeans
to the Swiss Labor Market (AFMP)

25 Good Reasons to Say YES on May 17

End the free access for Europeans to the Swiss labor market (the Agreement on the Free Movement of Persons or AFMP). Stop the parallelism of the Bilateral Agreements I (“guillotine clause”). Abandon Switzerland’s “bilateral way” towards integration. Achieve normalization and a new, lasting stability in our relations with the European Union. Economics is important here, but it is not the only factor.

On the Free Movement of Persons

Without the free movement of persons, Switzerland would retain the freedom to welcome workers who have the skills and talent the country needs, whether as residents of border areas, as future residents of Switzerland, or as actors working in finance, health care, education, social services, and so on.

Switzerland would simply take its own immigration policy in hand.

The country would be completely free to set up an effective, bureaucratically streamlined system to regulate European immigration into Switzerland. The developed world has many examples of high-performing regulatory models.

Of the twenty most competitive countries in the world, as identified by the World Economic Forum, ten are not European and have an autonomous immigration policy. This includes the top three. If Switzerland were added, that would become eleven.

For companies and other institutions, the complications and supplementary administrative costs would be negligible in relation to their total payroll.

Switzerland would be able to put an end to the preference in its labor market for Europeans over citizens of the rest of the world.

For example, non-European refugees in Switzerland (whose training and integration are supported by significant investment by the country) would no longer face discrimination in the Swiss labor market in regard to Europeans.  

Since limits have been set on global immigration to Switzerland (as they have been in Europe and elsewhere), the Swiss economy would have less trouble in recruiting non-European specialists and executives to support its substantial business dealings with the world (more than 50% of Swiss exports are not European). This would also apply to universities and to research.

This could lead to a greater diversity of nationalities in companies and institutions, and to a greater openness in the culture of the Swiss workplace.

There would be no need whatsoever to return to the old system of seasonal work permits (which is legitimately despised by the left). Further, the current free movement framework already includes a short-term work permit (the L permit), and this could be maintained (or not).

Reciprocity:

– Since 2007 (when free movement began), there has been an average migration (net immigration) of 48,000 Europeans to Switzerland per year. This is equivalent to the combined populations of Nyon, Gland, and Morges.

(Average net immigration of non-Europeans: 21,000, or the population of Vevey. The total average net immigration equals the population of the cities of La Chaux-de-Fonds plus Neuchâtel each year.)

– European immigration and frontier work would remain relatively significant without free movement and with autonomous regulation of migration.

– By contrast, each year, only a few hundred Swiss citizens without dual nationality request and receive permits to work in Europe, something that can clearly be attributed to wage gaps.

– To respond to this enormous imbalance, Switzerland could request that its citizens without dual nationality (who nevertheless do want to work in Europe) receive facilitated access to the European labor market.

As a principle, the free movement of persons is archaic. It places the labor market on the same level as the capital, commodity, and service markets. For states and their economic policies, labor and salaries are not mere factors of production. Instead, they represent the very purpose of the economy.

On the Bilateral Agreements I

Switzerland could begin by asking the Europeans to annul the legal (guillotine) clause, thereby invalidating the other six Bilateral Agreements I, which would then need to be approved individually. Our case: three of these agreements are almost exclusively beneficial to Europeans, and two others (“Technical obstacles to trade” and “Agriculture”) are highly skewed in favor of the European Union. The remaining agreement (“Research”) is relatively balanced.

If refused, Switzerland could negotiate with the EU (as Brussels did with London) for a transition period during which the Bilateral Agreements I would remain in effect and the two parties could discuss a path forward, one that would not include either free movement or a guillotine clause.

If the European Union were to retaliate and threaten to start a trade war with Switzerland (by nullifying Bilateral I or other agreements), the federal administration could set up obstacles by raising import duties on European motor vehicles (a market worth 15 billion Swiss francs in 2019), targeting, in particular, the least environmentally friendly models.

In the worst-case scenario, without the Bilateral Agreements I, the administrative costs and loss of earnings for Swiss companies would not reach 0.5% of the value of total exports to Europe (see previous articles). In return, the Confederation and the cantons could provide tax or other administrative relief to affected companies.

Switzerland would continue to be associated with European research programs (like other non-member countries). The country would only forfeit the possibility of coordinating major projects itself.  

On Switzerland’s Bilateral Way

Ending the free access for Europeans to the Swiss labor market would amount to ending the country’s bilateral way towards integration in the EU. EU officials have been considering this themselves since the Brexit referendum in June 2016 and Switzerland’s official withdrawal of its application for EU membership one month later.

It would mean that Brussels’ Swiss dossier would no longer fall under the European Enlargement Policy and would instead be handled by the European Neighborhood Policy (ENP, overseen by Commissioner Olivér Várhelyi).

After a turbulent period (particularly of verbal clashes), relations between Switzerland, the European Union, and its member states would be clarified and tensions would be eased. Switzerland could no longer be continually suspected of abuse and double-dealing (being both inside and outside, “having its cake and eating it too,” and so on.).

The Swiss economy would get what it is looking for: stable relations with the EU. In other words, there would be trade partnerships among neighbor countries, with partial and reciprocal access to their respective markets, rather than a progressive “participation” in the EU Single Market; the latter is based on free movement, which includes, notably, employment rights and regulations.

If the free movement of persons, which Europeans hold to be “constitutive of European citizenship” (Emmanuel Macron), is maintained, the Swiss economy will never achieve the stability, security, and visibility that it needs. It has not had these for the last fifteen years (since the beginning of discussions for a new institutional phase).

Once free of the free movement of persons, Switzerland would be on the same level as the United Kingdom, but with the addition of the Schengen and Dublin agreements (which would not be challenged). Its agreements with neighboring countries (concerning fishing, transportation, border management, and so on) would necessarily be different.

Switzerland’s reference points in discussions with the EU would become as follows:

1) the Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) between the EU and Canada, 90% of which has been provisionally applied since 2017 (while waiting for all 28 member states to approve the final text). This is equivalent to the Bilaterals I as regards mutual recognition of technical standards in key areas such as medical devices and technologies (to name just one).

2) the Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) with the United States, an innovative, finalized proposal that has been suspended as a result of European (especially French) opposition to certain investment security and agricultural measures. It too is equivalent to the Bilaterals I as regards mutual recognition of technical standards in key areas such as medical devices and technologies (etc.).

On Timing

Want to put an end to Europeans’ free access to the Swiss labor market (AFMP) and Switzerland’s bilateral way towards integration? Take matters into your own hands on May 17 and vote for a speedy simplification and clarification of our ambiguous, confused, and chronically conflictual relations with the European Union.

Since Switzerland is no longer trying to join the EU, the bilateral way has become a meaningless road to nowhere.

The Swiss economy remains unable to provide a clear and concrete rationale in favor of the bilateral way, which has no substantial benefits and only causes trouble.

If we do not act on May 17, we will have to do so later. The longer we wait, the more complicated and painful it will be for Switzerland to normalize and rebalance our relations with the European Union.

 

Accès au marché européen (3) : les dérisoires privilèges de l’ARM

Accord de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM). Formellement invalidé si la libre circulation des personnes était rejetée le 17 mai prochain (clause guillotine). Ce traité est au cœur de l’alarmisme des exportateurs suisses. Ce ne sont pourtant pas les exportations qui sont en cause, mais seulement 0,5% à 1% des coûts d’un quart des exportations. Les Européens auraient d’ailleurs tort de laisser tomber cet accord: il leur bénéficie bien davantage qu’aux Suisses. Et ils ont conclu entre-temps des ARM avec d’autres Etats tiers, sans libre circulation ni accord institutionnel en contrepartie.

Les Accords de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) permettent aux entreprises d’homologuer dans des offices agréés de leur propre pays une grande diversité de produits d’exportation, selon les normes des Etats de destination (machines, alimentaire, composés biochimiques, etc.). Ces accords conviennent d’un certain nombre d’autres procédures de facilitation des homologations dans le commerce international. Il ne s’agit pas à proprement parler de réduction de la concurrence réglementaire, ni de level playing field.

S’agissant de la Suisse et de l’Union Européenne, la situation de départ est assez particulière. Depuis les années 1990, la quasi-totalité des normes techniques sur le marché suisse sont alignées unilatéralement sur les normes européennes (Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce de 1995). En 2010 est venu s’ajouter l’adoption par la Suisse du principe européen dit “du Cassis de Dijon” dans l’alimentaire. Sans réciprocité aucune, ce qui ne favorise donc que les importations. 

Les entreprises suisses exportatrices conçoivent de surcroît, développent et produisent en général à partir de systèmes d’homologation propres aux marchés nationaux de destination (Etats-Unis, Chine, Union Européenne, etc). Il s’agit donc simplement de réduire avec les ARM certains coûts et délais administratifs dans les procédures d’homologation.

L’Union Européenne et la Suisse appliquent depuis 2002 un ARM d’avant garde à l’époque, à large portée relative, couvrant depuis 2007 une vingtaine de segments industriels. Des mises à jours ont ensuite été ajoutées. Seul accord significatif d’accès au marché européen avec l’agriculture, cet ARM est au cœur de la problématique des Bilatérales I. Par effet de parallélisme juridique (clause guillotine), sa validité formelle cesserait le jour où le libre accès des Européens au marché suisse du travail (libre circulation) serait dénoncé par la Suisse.

L’ARM représente donc à lui seul (ou à fort peu de chose près) ce que la Confédération et les organisations économiques appellent en substance ” l’accès privilégié au marché européen dépendant de la libre circulation des personnes et des Accords bilatéraux I ” (qui apparaissent dès lors comme une sorte de contrepartie). L’Accord sur l’agriculture n’a pratiquement jamais été évoqué dans ce contexte. Les marchés publics, les transports terrestres et aériens paraissent quant à eux hors sujet par rapport à cette problématique d’accès au marché européen (lire l’article précédent). Depuis le vote populaire du 9 février 2014, les menaces et chantages de Bruxelles ne portent d’ailleurs que sur l’ARM et la recherche (qui n’est pas un marché).  

Ce que vaut l’ARM 

Dans quelle mesure la fin de l’ARM augmenterait-elle les coûts de commercialisation en Europe et en Suisse dans la vingtaine de compartiments industriels concernés ? Souvent difficiles à isoler dans une comptabilité analytique, ces coûts non récurrents font l’objet d’une fourchette générale d’estimation allant de 0.5% à 1%.

Aucune évaluation empirique plus précise des gains de compétitivité que représentent cet ARM depuis bientôt vingt ans n’a jamais été réalisée à ma connaissance (par questionnaire chiffré dans les entreprises par exemple). Ni par l’Office fédéral de la statistique, ni par le Secrétariat fédéral à l’économie (Seco), ni par les organisations économiques, ni par les grands cabinets de conseil. Une seule estimation intuitive a été formulée, dans La Vie Economique, périodique du Seco : l’ARM permettrait de dégager 250 à 500 millions de francs de réductions de coûts chaque année dans l’industrie d’exportation. C’était en 2008 (*).

Ces 250 à 500 millions de francs de coûts d’homologation

représentent à peine plus de 0.2% à 0.4% de la valeur

des exportations suisses en Europe

Cette évaluation sommaire, à grand écart mais néanmoins réaliste a toujours servi de référence par la suite s’agissant d’illustrer l’importance de l’enjeu (**). 250 à 500 millions ne représentaient pourtant que 0.2% à 0.4% de la valeur des exportations suisses vers l’Europe à l’époque. Et ces exportations n’ont augmenté que d’un petit 3% depuis 2008.

Si l’on prend aujourd’hui les 500 millions de l’évaluation haute des gains estimés de l’ARM, le supplément d’accès au marché européen dû aux Bilatérales I ne représente toujours que 0.37% des exportations suisses en Europe (2018). Alors disons 0.5% pour arrondir. C’est en gros ce dont on parle lorsque l’on évoque « l’accès privilégié au marché européen », dont l’économie serait privée si les citoyens suisses dénonçaient l’Accord de libre circulation des personnes. C’est pour cet Eldorado-là qu’il est devenu inenvisageable que les Suisses reprennent le contrôle de leur politique migratoire.

Perte absorbable de moins de 0.5%

Au-delà de ces chiffres bruts, les effets commerciaux réels d’une décapitation de l’ARM par la clause guillotine sont évidemment difficiles à prévoir. Face à la concurrence européenne, une perte de compétitivité de 0.5% sur les prix peut couler une offre de 30 millions de francs dans l’industrie des machines.

On peut donc imaginer que les entreprises, pour assurer leurs ventes, consentiraient très classiquement à prendre ce 0.5% à 1% sur leurs marges. Ce ne serait pas la première fois. D’autant plus que toute l’industrie suisse s’est concentrée depuis trois décennies sur des spécialités destinées à des marchés de marge (haute valeur ajoutée) plutôt que de masse. Avec le succès que l’on sait.

La Suisse, avec sa micro-démographie, est aujourd’hui la vingtième économie d’exportation de biens dans le monde en chiffres absolus (OMC 2018, et la douzième dans les services). En Europe, elle n’est devancée que par l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Espagne. Hors Espace économique européen, où se dirigent environ 52% de ses exportations (en tenant compte du Brexit), elle ne bénéficie pourtant que de trois ARM (avec le Canada, la Turquie et provisoirement le Royaume-Uni). En cas de dénonciation du traité ARM par l’Union Européenne, un microscope serait nécessaire pour en discerner les effets dans les chiffres de l’économie nationale en Suisse.

Les limites du masochisme européen

La bon questionnement porte ensuite sur l’intérêt que les Européens auraient à lâcher cet ARM sachant qu’ils en sont là encore, et de loin, les premiers bénéficiaires (voir aussi l’article précédent). On peut lire sur le site du Seco que « l’accord couvre plus d’un quart de la valeur de toutes les exportations suisses vers l’Union (125 milliards de francs en 2019, ndlr), et plus du tiers des importations en provenance de l’UE (142 milliards) ».

La réduction des coûts d’homologation induite par l’ARM concerne donc plus de 47 milliards de francs de produits européens, et moins de 32 milliards de produits suisses. La différence est tout de même de 15 milliards en faveur de l’Europe. Au-delà des intimidations, rétorsions épidermiques et menaces de guerre économique, et en admettant que l’ARM ait l’importance que lui accorde ses thuriféraires, il faudrait vraiment que Bruxelles ait perdu tout sens des réalités pour nuire à ce point aux entreprises européennes et à leurs salariés. Au nom d’une politique globale d’intégration et d’alignement dont l’esprit et la lettre remontent aux années 1990.

L’égalité de traitement comme alternative

Cette politique de rupture serait d’autant moins assumable par l’UE que Bruxelles a entre-temps finalisé des accords de reconnaissance mutuelle avec plusieurs Etats développés. Sans libre circulation des personnes, ni parallélisme, ni accord institutionnel. Des ARM de portées plus ou moins comparables à ce qui a été conclu avec la Suisse en 1999. C’est d’abord le cas dans le domaine pharmaceutique (40% environ des exportations suisses en Europe). L’année même où l’Union finalisait ses Accords bilatéraux I avec la Suisse, un ARM pharma entrait en vigueur avec l’Australie. Puis en 2003 avec le Canada, en 2004 avec le Japon, en 2013 avec Israël et en 2017 avec les Etats-Unis.

Des ARM sur les medtechs ont été conclus

entre l’UE et le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Sans libre circulation des personnes ni accord institutionnel 

Dans les autres domaines, des ARM existent entre l’UE et les mêmes Etats tiers, auxquels l’on peut ajouter la Nouvelle-Zélande. Leur portée est en général moindre qu’avec la Suisse, surtout dans des segments industriels secondaires (genre explosifs à usage civil). Elle est en revanche beaucoup plus similaire dans les compartiments-clés de la croissance, le plus souvent liés à des technologies très recherchées. Dans les machines, des ARM ont été conclus entre l’Union Européenne et l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. A noter que la Suisse importe autant de machines de l’UE qu’elle en exporte vers l’UE: pour 9 milliards de francs environ (2019) selon la nomenclature de l’Administration fédérale des douanes (AFD).    

Comment dédramatiser les medtechs

C’est le cas également sur le terrain actuellement très sensible en Suisse des équipements médicaux (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada). La Commission Européenne ne s’en est-elle pas emparés il y a deux ans pour déstabiliser les Suisses en remettant en cause l’homologation des medtechs si l’Accord institutionnel n’était pas rapidement ratifié (medical devices)? La pénalisation des medtechs se heurterait pourtant très vite à la plus élémentaire égalité de traitement, principe fondamental du droit international. A noter que la Suisse a importé pour 5 milliards de francs de medtechs de l’UE en 2019, et qu’elle en a exporté pour 8.8 milliards (AFD).

Il n’est pas inutile dans ces conditions d’examiner aussi le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Le fameux TTIP avec les Etats-Unis, actuellement en suspens pour cause de désaccords en Europe sur la sécurité des investissements et les produits agricoles. Or il se trouve que ce partenariat ouvre une ère nouvelle dans les ARM. La notion même d’équipement médical, par exemple, a été diluée dans une rubrique plus générale « devices ».

Il n’est plus question d’ailleurs de Mutual Recognition Agreement dans cet accord commercial de nouvelle génération, mais de Regulatory Cooperation. Il n’est plus question non plus de machinery, mais de engineering products, terme sensiblement plus englobant et évolutif (mises à jour automatiques) .

Hyper normative depuis les années 1980, l’Union Européenne cherche à faire évoluer sa politique d’obstacles techniques au commerce de manière à se protéger encore mieux, sans toutefois s’isoler davantage. Ses contre-performances technologiques et industrielles depuis trois décennies par rapport à l’Amérique et à l’Asie l’obligent à revoir une bonne partie de ses dogmes. On l’observe aussi sur le pan des principes de concurrence par exemple (réhabilitation des méga-fusions à portée globale).

En voie d’obsolescence

Plutôt que de s’accrocher à des accords rigides du siècle dernier, la Suisse devrait peut-être mieux tenir compte de ce genre d’évolution et de potentialité dans sa politique européenne. L’ARM de 1999 est probablement obsolète. Il devra certainement être revu en profondeur. En attendant, plutôt que de créer un vide juridique pour cause d’autonomisation volontaire ou forcée des Accords bilatéraux I, l’Union Européenne et la Suisse auraient de toute évidence un grand intérêt politique à leur accorder un sursis sine die pour maintenir la continuité administrative des affaires.

Les négociateurs européens ont d’ailleurs eux-mêmes fait savoir il y a deux ans qu’ils avaient l’intention de rediscuter l’ARM lorsque, et seulement si l’Accord institutionnel était ratifié en Suisse. S’il fallait maintenir le libre accès des Européens au marché suisse du travail, et accepter en plus le carcan institutionnel pour pouvoir bénéficier de cette dérisoire faveur, on peut déjà dire que ce serait encore une fois très, très cher payé.

L’acceptation de la deuxième initiative de l’UDC contre la libre circulation des personnes le 17 mai prochain permettrait de lancer le processus de révision une fois passées les colères de Bruxelles. Au moment où le Royaume-Uni reprend à zéro ses relations avec l’UE, c’est d’ailleurs le statut de l’ensemble des relations économiques avec l’UE qui mériteraient d”être formellement reconsidérées. Pour les faire également évoluer vers un vrai partenariat commercial. Plutôt qu’une intégration-association adossée à une libre circulation mettant les personnes sur le même plan que les capitaux, les marchandises et les services. Une vieille doctrine néo-libérale avant l’heure, euro-nationaliste de surcroît, héritée des années 1950. 

(Article à paraître prochainement: l’Accord sur la recherche)

(*) ANNEXE I

La boîte noire de L’ARM

Nécessité impérative de ne pas toucher à la libre circulation des personnes (et de ratifier plus tard l’Accord institutionnel), pour sauvegarder les Accord bilatéraux I. C’est-à-dire l’accès “privilégié” au marché européen grâce à l’ARM. Ce supplément d’accès sanctuarisé dont la substance semble pourtant s’éloigner au fur et à mesure que l’on tente de s’en rapprocher.

On pourrait se dire que cet axe central de la politique européenne de la Suisse depuis plus de vingt ans aurait dû générer des mesures précises et régulières de ses effets sur les flux commerciaux vers l’UE. Ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. La seule tentative allant dans ce sens est à notre connaissance l’article paru dans La Vie Economique (Seco) de novembre 2008 sur « L’Accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité ».

Empreint de considérations juridiques et de généralités macro-économiques, ce texte évoque en une seule phrase les effets de l’ARM sur les exportations. En se contentant en fait de renvoyer à un mémoire de master de l’Université de Genève paru peu de temps auparavant : Mathieu Loridan, Les Approches bilatérales de réduction des OTC entre la Suisse et la CE, Département d’économie politique, octobre 2008. « Cette étude montre, écrit le SECO, que la croissance du commerce des marchandises couvert par l’ARM est plus élevée que pour les autres depuis 2002. »

Destinée exceptionnelle

La destinée de cette étude est exceptionnelle pour un mémoire de master. Nous nous la sommes procurée dix ans plus tard auprès de l’auteur, aujourd’hui analyste marché à l’International Trade Center de Genève. Elle met en œuvre des méthodes économétriques sophistiquées à partir de données commerciales dans quinze seulement des vingt segments couverts par l’ARM. Mais il s’agit surtout d’établir des corrélations entre importations en provenance de l’UE et importations issues d’Etats tiers (pays en développement en particulier, principal centre d’intérêt du candidat au master).

Conformément à un choix méthodologique explicité, il n’y a aucune donnée ni analyse portant sur les exportations suisses dans cette étude. L’auteur se contente d’écrire, en une phrase également, intuitivement et humblement: “Il est à penser qu’il y aurait un accroissement des exportations suisses vers les pays de l’UE suite à la facilitation du processus d’évaluation de la conformité des produits” (p. 16).

Instrumentalisation abusive

Nul n’en doute d’ailleurs, mais l’instrumentalisation abusive de cet article à des fins de légitimation scientifique donne une idée des bases factuelles sur lesquelles peuvent reposer les âpres débats sur la politique européenne de la Suisse. Une référence à Mathieu Loridan sera encore mentionnée en 2016 dans l’étude d’Ecoplan sur les gains des Bilatérales I, commandée par le Seco. On le retrouve également, bien interprété cette fois (à propos d’importations), dans les recherches de BAK Basel et du KOF (2015).

Des chiffres permettant d’établir une sensibilité des exportations par rapport à l’ARM existent pourtant sous forme désagrégée. Le KOF a encodé 5000 produits sur 22 ans à partir de données de l’Administration fédérale des douanes. La corrélation positive n’a d’ailleurs jamais fait de doute. C’est l’ampleur de l’accélération des exportations dans les segments concernées qui est plus difficile à quantifier de manière convaincante.

Fétichisme incantatoire

Dans le cadre d’une véritable étude d’impact, il s’agirait au minimum d’établir la courbe des exportations vers l’UE depuis les années 1990 dans les vingt domaines industriels concernés. Objectif: visualiser ce qu’il se passe à partir de juin 2002, lors de l’application de l’accord (la finalité étant de quantifier l’amplification des ventes). De mettre ensuite cette courbe en rapport avec l’évolution des exportations dans les secteurs non concernés. De la mettre également en relation avec les importations européennes concernées en provenance d’Etats non bénéficiaires d’ARM. Puis de corréler les courbes à l’évolution du produit intérieur de l’UE, la croissance des marchés de destination ayant une influence directe sur les exportations. De pondérer enfin avec l’évolution des taux de change. Le résultat final risquerait d’être fort peu significatif.

Cette mise en perspective ne devrait pas oublier non plus les élargissements du périmètre de l’Union après la Guerre froide. Ils ont eu lieu à l’époque où les Bilatérales I étaient appliquées (2002 à 2007), augmentant la démographie du marché européen de plus de 20%. Dix nouveaux Etats, et non des moindres sur le plan industriel, rejoignaient l’UE en janvier 2004. Deux autres en 2007, et le dernier en 2013 (Croatie).

En phase de rattrapage économique accéléré, la plupart de ces nouveaux Etats-membres étaient déjà très demandeurs en matériaux spéciaux et équipements industriels importés (machines, instruments, systèmes, etc.). Dans quelle mesure cet élargissement a-t-il influencé la courbe des exportations suisses, avant et après l’entrée en vigueur de l’ARM ? Avant et après l’application de l’ensemble des bilatérales II d’ailleurs? Voilà le genre de question qui pourrait faire avancer la perception de la  politique européenne de la Suisse au-delà du fétichisme incantatoire sur l’accès “privilégié” au marché européen.

(**) ANNEXE II

BAK Basel et Ecoplan: l’ARM se dégonfle

Avant et après le vote du 9 février 2014 contre la libre circulation des personnes, nous avions déjà publié des articles en français et en allemand sur “l’inconsistance” économique des Bilatérales I. Dans le cadre des longues discussions politiques pour désamorcer cette décision populaire dans sa phase d’application, le Seco a ensuite mandaté les instituts BAK Basel et Ecoplan à Berne pour réaliser deux recherches montrant au contraire l’importance économique vitale (le mot est faible) de ces Accords bilatéraux menacés par le parallélisme avec la libre circulation (clause guillotine). Bien qu’ayant participé à l’élaboration de ces recherches, comme le mentionne Ecoplan dans son impressum, le Seco a lui-même présenté un rapport de synthèse extraordinairement alarmiste en 2016. 

Contrairement à ce que suggérerait le sens commun, ces recherches ne portent pas d’abord sur les effets économiques passés des Accords bilatéraux I pendant treize ans. Pour extrapoler ensuite les conséquences de leurs extinction possible dès 2018 par exemple (date d’extinction envisagée des Bilatérales I). Elles se concentrent sur le long terme, soit l’année… 2035. En multipliant les hypothèses et scénarios intermédiaires en général pessimistes au-delà du possible.

Dans cette fiction économique anxiogène, tous les risques directs et les plus indirects s’accumulent, s’amplifient et se réalisent en même temps. “D’éventuels effets non quantifiables devraient également avoir un impact négatif sur l’économie”, précise Ecoplan pour être sûr de n’avoir rien oublié.   

La possibilité que tout ou partie des accords soient quand même maintenus, ou remplacés par des accords ou arrangements de substitution avec l’UE est exclue. Rien d’autre ne se passe sur le plan économique et politique pendant dix-sept ans. Une éventuelle “réaction” d’ajustement de l’économie et de la politique, comme après le 6 décembre 1992, n’est pas non plus envisagée (ni envisageable dans ce contexte méthodologique d’ailleurs).

A noter que ces deux études recourent à des modèles de simulation macro-économique internationale, bien ésotériques et exclusivement orientés produit intérieur brut. Ils sont alimentés par des données apparemment fournies en grande partie par le Seco. Ecoplan mentionne que les deux répondants de ses modèles mathématiques sont basés à l’Ecole des mines du Colorado et à l’Univserité d’Oldenbourg (D).

L’apocalypse du long terme

Il s’agit donc “simplement” de quantifier à l’horizon 2035 ce qu’une croissance annuelle moyenne de 1,2% du PIB (valeur 2015) avec Accords bilatéraux I donnerait sans Accords bilatéraux I. Le résultat est sans surprise à la hauteur des espérances: effrayant. Le PIB progresserait de 20% en dix-sept ans ans avec les accords, et de 13% à 15% seulement sans accords. Soit une différence en points de base de 5% à 7% (4.9% à 7.1% plus précisément).

L’effet négatif cumulé pendant ces dix-sept ans ans a ensuite été rétro-projeté par interpolation linéaire. Il serait donc globalement progressif et régulier (ce qui est assez difficile à saisir intuitivement), représentant un manque gagner cumulé de 460 à 630 milliards de francs. De l’ordre des PIB annuels de la Suisse en 2007 et 2015.

Les conclusions reviennent donc à dire que si les Suisses rejetaient la libre circulation des personnes, ils perdraient l’équivalent d’un PIB annuel d’ici 2035! “Chaque citoyen perdrait 36 000 francs”, se sont sentis obligés d’ajouter BAK Basel et le Seco. Présentés à Berne avec solennité, ces résultats étaient censés frapper les esprits pendant plusieurs années. Il furent en fait bien trop extravagants pour être retenus par les médias et l’opinion public.  

Où est passé l’ARM?       

Le scénario de BAK Basel (-7%) est plus sévère que celui d’Ecoplan (-5%), parce qu’il tient davantage compte d’effets négatifs “systémiques” en cas d’extinction des Bilatérales I. Se priver de l’ensemble des accords aurait bien davantage d’effets négatifs que la simple somme des accords. Sur le plan de l’innovation en général, de la compétitivité, de la sécurité et de l’attractivité juridique. Ou encore de l’attractivité… géographique. Ces effets systémiques graduels et auto-générateurs de nuisances représenteraient plus de 20% de l’effet dépressif jusqu’en 2035.

Les deux recherches s’accordent toutefois sur un point, que le SECO a semble-t-il préféré ne pas trop thématiser. L’effet négatif de loin le plus important viendrait de la fin de la libre circulation des personnes elle-même: près de 40% de l’effet total sur le PIB (BAK, soit 260 milliards de francs). Pour un recul de l’immigration nette de l’ordre de 25% (ce qui ne correspond soit dit en passant qu’au recul entre l’avant crise de 2008 et l’après crise, changement qui ne donne pas rétrospectivement l’impression d’avoir été synonyme de fin de monde).

Après la libre circulation et les effets systémiques intangibles, objets de tous les fantasmes de prospérité et de déchéance, le troisième impact en importance viendrait des transports aériens (19%). C’est-à-dire des supposées difficultés faites par l’Union Européenne au leader européen Lufthansa et à sa filiale Swiss. Beaucoup moins sujets à spéculations s’agissant de leurs effets négatifs, les quatre autres accords bilatéraux suivent de très loin. Dont l’ARM. Pris séparément, ils sont même de l’ordre de l’insignifiant.

Curieusement, l’ARM et la Recherche, tellement chers à l’industrie d’exportation, à Economiesuisse et aux hautes écoles, ne sont même pas séparés dans l’inventaire du BAK. Comme s’il eût été trop douloureux de faire ressortir leur inconsistance. Ils ne représentent à eux deux que 7% des terribles dégâts économiques supposés en cas d’extinction des Bilatérales I. Soit 44 milliards de francs de PIB cumulés sur dix-sept ans. 2,6 milliards par an, ce qui paraît en plus complètement invraisemblable. Très éloigné en tout cas des estimations pourtant alarmistes du Seco jusque-là.

En d’autres termes, l’ARM et la recherche compteraient relativement peu dans l’ensemble des dommages dus à l’extinction des Bilatérales I, tant ces ravages seraient immenses par ailleurs. Il n’est pas certain que les principaux intéressés aient beaucoup apprécié la démonstration.

Ecoplan (2015): Volkswirtschaftliche Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I – Analyse mit einem Mehrländergleichgewichtsmodell. https://cutt.ly/qrY2gH9

BAK Basel Economics (2015): Die mittel- und langfristigen Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I auf die Schweizerische Volkswirtschaft. https://cutt.ly/VrYb0OA

KOF Konjunkturforschungsstelle der ETH Zürich (2015): Der bilaterale Weg – eine ökonomische Bestandsaufnahme. KOF Studien Nr. 58 https://cutt.ly/prY2b0O

Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco, 2015): Conséquence économique d’une extinction des Accords bilatéraux. https://cutt.ly/VrUmO2k

La science a dit, les scientifiques ont dit, le Seco a dit…

Il en est un peu de la politique européenne en Suisse comme de la politique climatique: le public et les politiciens sont invités à se laisser guider par la science et les scientifiques. Pour celles et ceux qui se sentent (légitimement) attirés par les modèles mathématiques et l’ésotérisme, le Seco tient à jour une liste de publications savantes sur l’importance économique des bilatérales I: https://cutt.ly/5rUbcCZ .