Modèle britannique pour la Suisse : la fin d’un tabou ?

Accord économique global, de partenariat, de coopération, peu importent les termes. Ce que l’Union Européenne souhaite de toute évidence à ce stade, c’est un accord avec la Suisse comme avec le Royaume-Uni ou le Canada. Sans subordination automatique, étendue et progressive au droit communautaire puisque les Suisses n’en veulent pas. En plus intégré toutefois, pour des raisons d’hyper-voisinage. En Suisse même, la référence britannique sert de moins en moins de repoussoir. (Adapté du texte paru le 15 décembre dans les pages Débats du Temps).

Six mois après le rejet de l’Accord institutionnel avec l’Union Européenne, est-ce bien raisonnable d’en appeler continuellement à une stratégie de substitution immédiate de la part du Conseil fédéral ? Ne serrait-ce pas plutôt souhaitable qu’il prenne le temps d’identifier avec certitude ce qui pourrait faire l’objet d’un consensus suffisant dans les partis gouvernementaux ? C’est appraremment ce qui est en train de se passer.

On voit mal Berne (re)faire des propositions à Bruxelles sans s’être soigneusement assuré des soutiens internes nécessaires au moment de négocier et de finaliser. Or l’agitation des lobbies autour de ce dossier, de surcroît très émotionnel de toutes parts, requiert qu’on lui laisse le temps de la décantation. Sa perception, complètement figée jusqu’ici, semble d’ailleurs sur le point d’évoluer.

La difficulté d’un deuil

Le plus difficile en Suisse, c’est de faire le deuil de la « voie » bilatérale tracée dans les années 1990. Comme le confirmait encore l’ambassadeur de France à Berne dans une récente édition de la NZZ, l’Union Européenne n’en veut plus: « Les accords bilatéraux sectoriels ont vu le jour à une autre époque. La Suisse se rapprochait de l’UE sans en être membre. Les accords bilatéraux étaient conçus comme une étape intermédiaire vers l’adhésion, mais ils sont devenus une solution provisoire permanente. Aujourd’hui, cette ambiguïté a disparu. (…) Soyons honnêtes : la Suisse s’est éloignée de l’Europe ces dernières années. (…) Le Brexit a été un choc pour l’UE, qui a également affecté les relations avec la Suisse. De plus, la situation géopolitique est plus tendue et l’Union est devenue plus défensive. » Quelques jours auparavant, c’est l’ambassadeur de l’UE elle-même à Berne qui usait d’une formule abondamment consacrée à propos de la voie bilatérale sans accord cadre : « Il n’est pas acceptable que la Suisse soit un passager clandestin de l’UE. » On ne pouvait être plus clair.

L’adhésion à l’Espace économique (EEE) ou à l’Union Européenne étant plus difficile encore à faire passer dans l’opinion que l’Accord institutionnel avorté, il reste au moins une solution : un « Accord global de commerce et de coopération » inspiré du modèle britannique. Ce tabou semble être tombé – du côté de Genève contre toute attente – avec l’interview de Nicolas Levrat dans Le Temps du 3 décembre dernier. « Soyons réalistes, déclarait le directeur du Global Studies Institute de l’Université, l’un des hauts lieux de l’establishment de politique étrangère en Suisse: proposons aux Européens, à l’image de ce qu’ils ont conclu avec le Royaume-Uni, un comité politique de haut niveau qui, tous les ans ou tous les deux ans, se réunisse et statue sur l’état des accords bilatéraux. Ouvrons cette discussion. »

Ouvrons cette discussion

En revanche, les autres propositions récentes émanant d’experts ou de parlementaires favorables à des reprises automatiques de droit européen dans certains domaines seulement, ne faisaient toujours pas référence à un accord global de type britannique. Il n’était question que de gouvernance par secteur. C’est pourtant cette fragmentation de l’institutionnel dont les Européens ne veulent plus entendre parler depuis au moins dix ans. Alors pourquoi refuseraient-ils à leur troisième partenaire économique le style de gestion globale et sectorielle qu’ils ont consenti au quatrième, la Grande-Bretagne ?

Il ne s’agirait évidemment pas d’appliquer tel quel le contenu des relations euro-britanniques. La Suisse n’a pas de problème de pêche, mais un degré de voisinage avec l’Europe sensiblement plus élevé que le Royaume-Uni. Elle applique Schengen/Dublin et le libre accès réciproque aux marchés du travail, ce qui n’est pas le cas des Britanniques. Elle a déjà seize accords bilatéraux éprouvés qui conviennent en gros aux deux parties… un traité de libre-échange à l’ancienne, une centaine de mises à jour jusqu’en 2018.

Les Britanniques associés à Horizon Europe

De leur côté, les Britanniques sont pleinement associés à Horizon Europe*. Sans même parler du reste, ils bénéficient de facilités d’homologation des produits dans l’industrie pharmaceutique, la chimie ou encore les composants organiques. Leur « Accord de commerce et de coopération » entre égaux juridiques fait 1400 pages. Davantage que le volume cumulé du Traité de 1972 (15 pages), des accords bilatéraux Suisse-UE et de l’accord institutionnel abandonné. Rien n’y est figé pour l’éternité. D’autres accords sectoriels, des approfondissements et simplifications seront toujours possibles. Autant dire que le moment semble venu de s’intéresser à cette approche réaliste, plutôt que d’en faire une espèce de repoussoir embarrassé. C’est peut-être aussi ce qui est en train de se passer à Berne, l’air de rien, sans évoquer le modèle britannique, pour ne pas braquer les traditionnels phobiques d’une insularité largement fantasmée.

* La pleine association a été suspendue entre-temps par Bruxelles, comme mesure de rétorsion dans le dossier irlandais. 

François Schaller

Ancien de la Presse et de L’Hebdo à Lausanne. Rédacteur en chef de PME Magazine à Genève dans les années 2000 (groupe Axel Springer), et de L’Agefi dans les années 2010 (Quotidien de l’Agence économique et financière). Pratique depuis 1992 un journalisme engagé sur la politique européenne de la Suisse. Ne pas céder au continuel chantage à l'isolement des soumissionnistes en Suisse: la part "privilégiée" de l'accès au marché européen par voie dite "bilatérale" est dérisoire. C'est tout à fait démontrable avec un peu d'investigation. Des accords commerciaux et de partenariat sur pied d'égalité? Oui. Une subordination générale au droit économique, social et environnemental européen? Non. Les textes fondamentaux: Généalogie de la libre circulation des personnes https://cutt.ly/1eR17bI Généalogie de la voie bilatérale https://cutt.ly/LeR1KgK

4 réponses à “Modèle britannique pour la Suisse : la fin d’un tabou ?

  1. “Il reste au moins une solution : un « Accord global de commerce et de coopération »”
    Je me réfère , pour applaudir à ce qui serait intelligent de faire, à la vision qu’avait un certain général de Gaulle sur les relations de la France avec l’UE : ” Signer des accords, coopérer mais rester maître de sa destinée”.. et sur ce point, je suggère la lecture du livre de Marc Roche ” Le Brexit va réussir” Chez Albin Michel.. “le pays est désormais libre de se forger un nouveau destin planétaire, avec le soutien discret de la reine Elizabeth II en personne.”. Marc Roche fut journaliste financier au journal français “Le Monde”; aujord’hui, depuis la fin des années 80, si mes info sont bonnes , il est correspondant à Londres du journal français “Le Point” , chroniqueur à la BBC.. Il connait la GB comme sa poche…

  2. Le modèle britannique, regardez bien leur situation intérieure engluée dans les scandales et les questions insolubles au point de provoquer la démission du ministre du BREXIT. Franchement, ça donne envie ?

    1. Merci de votre commentaire.
      Vous aurez compris que je ne parle pas d’un modèle économique, sociétal ou social, mais de relations internationales avec l’Union Européenne. Quant à la démission du ministre en question, il s’agit de désaccords sur la gestion de la crise sanitaire.

    2. Sans compter la volonté d’indépendance de plus en plus marquée des Ecossais en conséquence du Brexit. Volonté que BoJo refuse de reconnaître d’ailleurs, alors qu’il s’est tellement gargarisé de l’importance de mettre en oeuvre une soi-disant volonté populaire (il s’est bien gardé de demander aux Britanniques s’ils étaient d’accord avec les termes du traité de séparation, comme on le fait en Suisse pour une loi d’application après qu’une iniative ait été acceptée) pour activer à l’arraché le Brexit.

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