Montagnes éclairées

Dans la nuit de la Patrouille…

Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt - Verbier
Patrouille des Glaciers 2016: la course Z1 Zermatt – Verbier aborde le mur de Stockje

 

Jamais il ne m’avait été donné jusqu’ici de vivre une si belle nuit de Patrouille des Glaciers. Ce fut le cas pour les chanceux partis de Zermatt mardi soir. Températures clémentes, vent faible et une lune venue éclairer le décor d’habitude si obscur ou nimbé de brouillard. Plus d’un millier d’ombres filent dans la nuit de Schoenbiel, aux pieds de géants à l’allure pour une fois bienveillante. Course oblige, ils ou elles n’accordent qu’un regard furtif au décor grandiose et se concentrent sur le halo de leur lampe frontale. C’est que la trace, verglacée par les nombreux passages, demande attention et placement de pied précis. L’un ou l’autre s’arrête parfois, happé par le spectacle inédit de ce cordon de lumière qui part à l’assaut des sommets et ondule au gré des crevasses du glacier blanchâtre. Cette nuit, la montagne est visitée, tracée, éclairée par ces patrouilleurs partis à la recherche d’eux-mêmes. Ils l’ont longtemps attendue, cette patrouille, l’ont préparée avec soin. Combien de soirées et de journées consacrées à l’entraînement, de milliers de mètre de dénivellation accumulés, de sacrifices demandés aux proches? Au point de vue du matériel, le moindre détail est réglé avec la plus grande attention. Malgré la lune presque pleine, deux lampes frontales sont scotchées sur le casque, l’une pour le chemin, l’autre pour les pieds, la corde est soutenue par un long élastique pour qu’elle ne vienne pas entraver la progression, deux gourdes sont fixées sur les sangles d’épaule du sac, les barres énergétiques restent à portée de main, le masque tempête est déjà fixé sur le casque, prudemment protégé par un plastique. Dans le sac, chaque gramme doit être dûment justifié, voire épargné s’il ne s’avère pas strictement nécessaire. Rien n’est laissé au hasard, si ce n’est peut-être cette lune presque pleine, sur laquelle on ne comptait pas.

Patrouille des Glaciers 2016: Cette nuit, la montagne est visitée, tracée, éclairée par ces patrouilleurs partis à la recherche d’eux-mêmes

 

Elle est là pourtant, bien là, donnant à la montagne sa juste dimension, quoique il ne soit pas aisé d’estimer les distances et le relief sous sa lumière blafarde. Certains s’en priveraient volontiers, car on voit loin, fort loin, si loin que Tête Blanche, tout là-haut, semble hors d’atteinte. Trois petites heures pourtant, quatre pour les moins rapides, et ils y seront! C’est qu’ensuite le chemin est encore long jusqu’à la foule de la Rosablanche et à Verbier. Pour le moment, guère de spectateurs dans cette nuit particulière, juste quelques initiés qui ne regrettent pas d’être monté jusqu’aux pieds des géants. L’allure est vive sur les faux-plats conduisant à Schoenbiel. Point de place pour les dilettantes! On ne participe plus à la Patrouille en amateur, il faut filer, et vite! Le niveau des Patrouilleurs a drastiquement augmenté depuis les années 80, où de nombreux montagnards s’alignaient juste pour l’expérience. Point de bavardages superflus dans la nuit, chacune et chacun reste à son affaire, économise son souffle pour les passages plus difficiles. Juste de brèves instructions lâchées au gré de la trace et du terrain. Certains escarpements donnent du fil à retordre. Il faut s’agripper à la moindre aspérité, s’arc-bouter sur les bâtons aux pointes affûtées, voire même déchausser pour remonter le raide mur de Stockje, malgré la large trace préparée par les militaires. L’ambiance reste courtoise cependant, étonnamment fair-play entre les diverses cordées que la corde empêche de se croiser ou de se dépasser n’importe comment. On s’entraide même si l’un ou l’autre s’en vient à chuter. La température baisse au fur et à mesure de la montée; une halte pour s’équiper permet de voir Cervin et Dent d’Hérens se tasser quelque peu.

Patrouille des Glaciers 2016: Au fur et à mesure de la montée dans la nuit, le Cervin se tasse quelque peu

Une fois sur l’épaule de Tête Blanche, les patrouilleurs tournent le dos à la Dent Blanche et autres acolytes de plus de 4000m, qui laissent progressivement apparaître leurs arêtes au jour naissant. Lorsque le soleil viendra caresser les postes militaires bientôt assoupis au sortir de cette longue nuit, les cordées seront déjà loin, fort loin, au-delà des Cols de Riedmattent ou de Tséna Réfien, dont on devine les colonnes encore éclairées. Tout là-bas, au-delà de la Rosablanche, ils et elles sauront, le prix de l’effort, la chaleur des combes ensoleillées, la gorge qui brûle, la bouche qui se fait pâteuse, les muscles qui brûlent, le coup de pouce du compagnon de cordée, le coup de gueule de l’impatient, l’émotion de l’arrivée au sommet de la Rosablanche sous les encouragement d’un public chaleureux. Ils et elles auront repoussé quelque peu leurs limites. Il ne restera plus que la place aux classements… et à d’ineffables souvenirs.

Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt – Verbier: d’ineffables souvenirs
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