Ueli Steck: une mort qui interroge

Le décès tragique de Ueli Steck en Himalaya nous interpelle parce que l’alpiniste a vécu sa passion jusqu’à l’issue fatale. Sa mort nous interroge parce qu’elle est survenue en pleine conscience, après plusieurs mises en gardes presque fatales. Pourquoi donc pousser la barre aussi loin?

Parce que notre société, intolérante à la prise de risques, pourtant sans cesse poussée vers le «citius, altius, fortius » dissimule l’issue fatale au fin fond de son subconscient, sans pouvoir en effacer une peur viscérale? La pratique de Speed Climbers tels qu’Ueli Steck est, à l’image de notre société, une recherche absolue… poussée aux extrêmes de ce que la montagne peut offrir. Je ne connais aucun champion olympique prenant autant de risques que ces grimpeurs. Réalisées de manière très professionnelle, les images d’Ueli Steck escaladant la face Nord de l’Eiger fascinent et glacent le sang. Vues aériennes en contre-plongée nous happant dans le vide et saisissant son degré d’exposition; plans rapprochés le montrant accroché aux pointes de ses piolets et de ses crampons dans l’art du dry-tooling. Un piolet zippe ici, un pied glisse là, peu importe, les autres tiennent, il faut aller vite. Là où tout grimpeur s’assurerait par trois fois que ses ancrages tiennent, Ueli ne fait que passer… En parfaite maîtrise et pleine conscience que cela peut, une fois, mal se passer. Ueli Steck et ses rares compères ont exporté ces techniques en Himalaya. En plus des dangers subjectifs liés au grimpeur lui-même, qu’ils maîtrisent au plus haut point, les dangers objectifs y sont à l’image des plus hauts sommets: glaciers crevassés que l’on traverse sans corde, faces immenses soumises à des températures extrêmes, déversant neige, glace et rochers au moindre soubresaut, zone de la mort enfin dont l’oxygène raréfié soumet les organismes à des conditions mortelles en cas d’exposition prolongée. Des conditions dangereuses qui, à la fois repoussent la plus grande partie des montagnards et suscitent leur admiration. Outre les fosses abyssales et le grand Nord au coeur de la nuit polaire, existe-t-il environnement plus hostile?

Dans toutes les interviews que donnait Ueli Steck, la mort figurait en arrière-plan, sans mots cachés. Personne, mieux que lui, ne pouvait ignorer qu’en montagne, la vie et la mort font partie de la même cordée. Il se déclarait sportif de compétition toujours en quête de défi. Le métier de guide n’était pas pour lui; il entendait lui-même contrôler tous les facteurs subjectifs de la prise de risques, chose impossible avec un client qui restreint les limites du risque raisonnable pour la cordée. Sa zone de confort était très étendue, parfaitement maîtrisée. Ueli s’entraînait selon des préceptes au meilleur des connaissances physiologiques, avait recours à un coach psychologique, à une équipe d’accompagnants de pointe; il développait du matériel léger et résistant. Toujours dans la logique de l’exploit, pas à la recherche d’un quelconque profit si ce n’est celui de vivre de sa passion. Ce à quoi rêvent tant d’êtres humains. Sa mort nous émotionne d’autant plus que ses exploits nous impressionnaient.
Détenteur de deux piolets d’Or, Ueli Steck figurait parmi les plus rapides dans les faces Nord des Alpes, les falaises verticales des Yosémites ou les hautes parois himalayennes. Cet Himalaya qui, à plusieurs reprises, l’avait mis en garde, surtout lors de son incroyable exploit dans la face Sud de l’Annapurna en solitaire.

Ueli Steck part en solitaire pour l’ascension-éclair de la face Sud de l’Annapurna

Ueli Steck est rentré profondément marqué de cette ascension. Arcbouté sur ses deux piolets ancreurs, une avalanche qui manque de le désarçonner lui fait réaliser le degré d’exposition de son aventure. Il continue, résigné à y laisser sa peau. « Ok, peut-être que tu ne rentres pas à la maison mais c’est égal, reconnaît-il dans une interview filmée poignante de sincérité. Maintenant je pense que c’est faux, mais à ce moment-là c’était comme ça. » Au sommet, à 8091 m, en pleine nuit au sommet d’un dévaloir de 2500 mètres, il réalise le sérieux de sa situation. « Après c’est le stress total. » Dans la descente, son angoisse augmente plus il s’approche de la rimaye. En bas, le sportif décompresse et fait le point, douloureux malgré l’ampleur de l’exploit accompli, pénible parce que le compétiteur se sait désormais à l’apogée de sa carrière: « J’ai vraiment de la peine à expliquer ce que j’ai fait, ce que j’ai vécu en haut. Tu te sens un peu comme quelqu’un d’autre. C’est fou. Tu es le seul à avoir vécu cela… Je ne sais pas pourquoi ça te fait mal. Peut-être parce que c’est une performance que tu n’arrives plus à dépasser, c’est fini, tu ne dois plus avancer comme ça. À 38 ans ce n’est pas facile à accepter que ce sont tes meilleures performances. Tu te sens un peu inutile maintenant et ça c’est dur à accepter et tu sais aussi que si tu continues comme cela tu te tues, c’est 100% sûr que si tu veux refaire des choses comme ça tu te tues. » Il sombre dans une profonde dépression, dont il se remet par l’action.

Les années qui suivent ce passage à vide voient Ueli Steck parcourir par ses seuls moyens tous les 4000m des Alpes en 62 petites journées. « Je suis personnellement arrivé à un point où je dois reconnaître que, pour moi, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus extrême, ce n’est plus possible. C’est une voie sans issue. Avec ces 82 4000m, je veux descendre en pression. » Pourquoi l’alpiniste est-il à jamais reparti vers les plus hauts sommets? Personne d’autre que lui ne le saura. Combien de satisfactions, de moments forts vécus, de rêves réalisés? Une vie entière consacrée à une passion communicative, si ce n’est entièrement partagée. Celui que certains dénommaient « la machine suisse » est allé au bout de sa passion, au péril de sa vie. Loin de tout jugement, il mérite pour cela hommage et reconnaissance!

 

L’alpinisme: un patrimoine immatériel de l’humanité?

« L’alpinisme de style alpin » entrera-t-il dans la liste prestigieuse de l’Unesco sur le patrimoine culturel immatériel? La Fédération Française des Clubs de Montagne et la commune de Chamonix ont obtenu l’inscription de la pratique à l’inventaire français des biens culturels immatériels. Sur le plan international, la requête d’inscription a été effectuée auprès de l’Unesco par la France autour du massif du Mont-Blanc, berceau historique de la pratique de l’alpinisme. Ce pays souhaite toutefois que sa démarche soit appuyée par les pays voisins que sont la Suisse et l’Italie, voir même par l’Allemagne et l’Autriche. Par le biais du canton du Valais, le Club Alpin Suisse et l’Association Suisse des Guides de Montagne ont déposé une requête d’inscription de l’alpinisme à la liste des traditions vivantes en Suisse, à laquelle figurent notamment la Fête Dieu de Savièse, les consortages ou les fifres et tambours. « L’alpinisme de style alpin » se retrouvera-t-il bientôt sur la liste des dossiers en attente auprès de l’Unesco, aux côtés de la Fête des Vignerons de Vevey ou du Carnaval de Bâle, de la Fauconnerie française ou des savoir-faire liés au parfum en Pays de Grasse?

Où est le problème?
Mettre l’alpinisme au musée alors qu’il est encore pratiqué et renouvelé par des centaines de milliers d’adeptes de par le monde? Le désarroi des « conquérants de l’inutile » chers à Lionel Terray serait-il tel qu’il faille faire appel à une inscription au patrimoine?
« Simultanément à la conquête des rivages et des airs, la conquête de l’altitude est à comprendre dans le grand livre des histoires de l’aventure » souligne Patrick Lasse. Une aventure qui a pris des formes multiples en montagne! Les alpinistes traditionnels semblent désemparés face à ceux qu’ils perçoivent comme des envahisseurs, provenant de disciplines sportives telles que le trail, le ski-alpinisme, le mountain-bike, le parapente ou le base-jump pour ne citer que les plus connues. Ceux-ci tenteraient-ils de prendre possession de l’espace alpin à leur manière, avec le risque de galvauder le mot « alpinisme? » Comme jadis il a fallu que les alpins s’affirment face aux scientifiques, aux touristes anglais, aux artistes ou aux nationalistes avant la dernière guerre mondiale. On essaie de rejouer aujourd’hui une sorte de clôture culturelle autour des noyaux de l’alpinisme, représentés par la minimisation du risque, l’autonomie, la prise de responsabilités, l’esprit de cordée, la contemplation et la connaissance plurielle d’un milieu alpin. Ne seraient désormais porteurs du vrai alpinisme que les grimpeurs fidèles à une certaine éthique de la montagne, tout en en intégrant les évolutions de la pratique telles qu’elles ont été et sont encore déterminées par les praticiens. Mais qui donc définirait ce qui ressort de l’évolution ou de la révolution? Et de quelle éthique parle-t-on? Qui s’en porterait le garant? C’est ici que surgit la difficulté et l’ambiguïté de la démarche. Comment définir l’alpinisme sans figer son développement?

La montagne évolue, comme le reste…
En tant que phénomène culturel et social, l’alpinisme ne saurait échapper aux tendances de nos sociétés vers l’individualisme, la croissance des loisirs et donc de leurs adeptes, la recherche de performance et l’évolution climatique. En montagne, ces tendances se manifestent par l’invasion des coins les plus reculés par les skieurs-alpinistes avant même les premières neiges, par l’égocentrisme et le non respect de traditions pourtant séculaires portées par leurs représentants symboliques que sont les guides, les sauveteurs, les gardiens et leurs cabanes. Certains alpinistes, surtout germaniques, renoncent à la corde dans certains passages exposés, faute de connaissances techniques et de pratique suffisante. Ils renoncent ainsi à prendre en charge leur compagnon de cordée, refusant toute responsabilité par crainte de se voir emporté dans une chute. Certains itinéraires, pourtant difficiles et exposés, sont banalisés sur les réseaux sociaux parce que parcourus en des temps records et avec un équipement minimaliste par les adeptes de speed-climbing. Le réchauffement climatique s’avère, lui aussi, un facteur déterminant des transformations des pratiques de l’alpinisme. Le scientifique français Philippe Bourdeau constate que le fort recul glaciaire induit une forte baisse de la fréquentation de la haute montagne en été ainsi que le report des alpinistes sur les courses de rocher et, surtout, sur la randonnée alpine. Il s’ensuit un profond changement d’atmosphère et d’esprit dans les refuges devenant des buts en soi et non plus de simples lieux de passage. Notons enfin le déclin de toute pratique jugée risquée au sein d’une société aspirant à l’illusoire « risque zéro. » En quelques mots, l’aspiration de nos sociétés vers le toujours plus et le toujours plus vite induit une diminution de réceptivité et de temps pour se laisser imprégner par le milieu naturel, ses changements et les espèces qui le peuplent. Tout amateur des cimes aspire à la quiétude et à la solitude; il n’est simplement plus seul. Voilà pour le contexte.
Pourquoi une telle inscription?
Aux côtés des velléités de sauvegarde et de conservation de l’acquis, la finalité d’une inscription de l’alpinisme au patrimoine culturel immatériel de l’humanité serait de lister le savoir être et les savoir faire situés au cœur de l’alpinisme, puis de les transmettre aux générations futures… qui s’empresseront de les mettre au goût du jour! Impossible de priver une telle discipline de toute la dynamique qui l’a de tous temps fait progresser et la fera évoluer longtemps encore, de plus au sein d’un environnement alpin soumis à de profondes mutations.
Le professeur de géographie à l’université de Genève, Bernard Debarbieux, rappelle que « la finalité d’une telle patrimonialisation serait, pour les sociétés porteuses, de se réinventer elles-mêmes en révisant leur histoire à la lueur du présent de leurs transformations. Le présent étant celui de la continuité et de la réinvention permanente, et non plus celui de l’urgence et de l’utilité immédiate. » Confrontés à une médiatisation envahissante lors d’accidents tels que les avalanches, qui conduisent parfois à des velléités d’entraves au libre exercice des sports de plein air; confrontés au juridisme et à la commercialisation du milieu autour des disciplines de compétition, les clubs alpins porteurs de la démarche de patrimonialisation n’ont plus le monopole de l’alpinisme. Une discipline qui est la modernité elle-même et qui se pratique dans tous les massifs de la terre, mais que l’on entend patrimonialiser sous le concept « d’alpinisme de style alpin. »

Portes ouvertes à la diversité, mais pas à n’importe quel prix
La multiplicité des disciplines se déroulant en montagne témoigne de la diversité des attentes. Guère possible à un seul club alpin d’y répondre en totalité. S’il entend rester universel, l’alpinisme se doit d’accepter sans clivage, ni exclusion quelconque, diverses cultures en son sein: l’escalade, le trail et le ski alpinisme, sans négliger la randonnée dont le nombre d’adeptes est toujours croissant. Ne le fait-il pas déjà? Mais où faudra-t-il s’arrêter? Loin de moi la volonté de dénigrer toutes les vertus d’un alpinisme que je pratique passionnément depuis tant d’années et qui s’est avéré pour moi une école de vie, dans le sens décrit par Bernard Debarbieux: « L’alpinisme qui combine approche corporelle, connaissance approfondie du milieu de la haute-montagne, savoir-faire techniques, valeurs humaines et formes de sociabilité. L’alpinisme est un état d’esprit. À chacun de s’inventer un ou des défis pour se confronter à la montagne vraie.»
La vraie montagne!  Laquelle sera-t-elle et qui la définira? Au-delà d’un seul label ou patrimoine, même universel, qui vise à l’introduction de critères de différenciation, j’insisterai bien plus sur les efforts à entreprendre de part et d’autres pour que toutes les disciplines de plein-air puissent se côtoyer. Ce, dans le respect de leurs praticiens mais aussi, et c’est peut-être là que réside le principal problème, dans le respect de la montagne. Les massifs qui hébergent les diverses pratiques arrivent aux limites de leurs capacités d’accueil. L’alpinisme ne peut y subsister que si on les préserve, en acceptant notamment certaines restrictions au profit de l’environnement alpin. C’est uniquement dans ce concept de respect qu’à mes yeux l’alpinisme peut se définir.

Protection du paysage ou d’une pratique?
Dans ce sens, notons tout de même que cette démarche pour la sauvegarde de l’alpinisme s’effectue en parallèle aux tentatives d’un collectif international d’associations, dénommé ProMont-Blanc, qui depuis dix ans, souhaite inscrire le massif au patrimoine matériel, lui, de l’Unesco; sans succès jusqu’ici.  Une volonté de protection bien plus complexe qui se heurte au scepticisme des autorités locales. Celles-ci souhaitent pouvoir continuer à développer le tourisme dans le massif. « Les deux candidatures peuvent-elles être distinctes? interroge Jean Guibal, directeur du Musée dauphinois et conservateur en chef du patrimoine. Protéger une discipline si proche de la nature sans considérer son cadre d’exercice exceptionnel pourrait être du plus mauvais effet. » L’inscription de « l’alpinisme de style alpin » au patrimoine immatériel de l’humanité suscitera encore de vifs et nombreux débats.

Dans la nuit de la Patrouille…

Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt - Verbier
Patrouille des Glaciers 2016: la course Z1 Zermatt – Verbier aborde le mur de Stockje

 

Jamais il ne m’avait été donné jusqu’ici de vivre une si belle nuit de Patrouille des Glaciers. Ce fut le cas pour les chanceux partis de Zermatt mardi soir. Températures clémentes, vent faible et une lune venue éclairer le décor d’habitude si obscur ou nimbé de brouillard. Plus d’un millier d’ombres filent dans la nuit de Schoenbiel, aux pieds de géants à l’allure pour une fois bienveillante. Course oblige, ils ou elles n’accordent qu’un regard furtif au décor grandiose et se concentrent sur le halo de leur lampe frontale. C’est que la trace, verglacée par les nombreux passages, demande attention et placement de pied précis. L’un ou l’autre s’arrête parfois, happé par le spectacle inédit de ce cordon de lumière qui part à l’assaut des sommets et ondule au gré des crevasses du glacier blanchâtre. Cette nuit, la montagne est visitée, tracée, éclairée par ces patrouilleurs partis à la recherche d’eux-mêmes. Ils l’ont longtemps attendue, cette patrouille, l’ont préparée avec soin. Combien de soirées et de journées consacrées à l’entraînement, de milliers de mètre de dénivellation accumulés, de sacrifices demandés aux proches? Au point de vue du matériel, le moindre détail est réglé avec la plus grande attention. Malgré la lune presque pleine, deux lampes frontales sont scotchées sur le casque, l’une pour le chemin, l’autre pour les pieds, la corde est soutenue par un long élastique pour qu’elle ne vienne pas entraver la progression, deux gourdes sont fixées sur les sangles d’épaule du sac, les barres énergétiques restent à portée de main, le masque tempête est déjà fixé sur le casque, prudemment protégé par un plastique. Dans le sac, chaque gramme doit être dûment justifié, voire épargné s’il ne s’avère pas strictement nécessaire. Rien n’est laissé au hasard, si ce n’est peut-être cette lune presque pleine, sur laquelle on ne comptait pas.

Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt - Verbier
Patrouille des Glaciers 2016: Cette nuit, la montagne est visitée, tracée, éclairée par ces patrouilleurs partis à la recherche d’eux-mêmes

 

Elle est là pourtant, bien là, donnant à la montagne sa juste dimension, quoique il ne soit pas aisé d’estimer les distances et le relief sous sa lumière blafarde. Certains s’en priveraient volontiers, car on voit loin, fort loin, si loin que Tête Blanche, tout là-haut, semble hors d’atteinte. Trois petites heures pourtant, quatre pour les moins rapides, et ils y seront! C’est qu’ensuite le chemin est encore long jusqu’à la foule de la Rosablanche et à Verbier. Pour le moment, guère de spectateurs dans cette nuit particulière, juste quelques initiés qui ne regrettent pas d’être monté jusqu’aux pieds des géants. L’allure est vive sur les faux-plats conduisant à Schoenbiel. Point de place pour les dilettantes! On ne participe plus à la Patrouille en amateur, il faut filer, et vite! Le niveau des Patrouilleurs a drastiquement augmenté depuis les années 80, où de nombreux montagnards s’alignaient juste pour l’expérience. Point de bavardages superflus dans la nuit, chacune et chacun reste à son affaire, économise son souffle pour les passages plus difficiles. Juste de brèves instructions lâchées au gré de la trace et du terrain. Certains escarpements donnent du fil à retordre. Il faut s’agripper à la moindre aspérité, s’arc-bouter sur les bâtons aux pointes affûtées, voire même déchausser pour remonter le raide mur de Stockje, malgré la large trace préparée par les militaires. L’ambiance reste courtoise cependant, étonnamment fair-play entre les diverses cordées que la corde empêche de se croiser ou de se dépasser n’importe comment. On s’entraide même si l’un ou l’autre s’en vient à chuter. La température baisse au fur et à mesure de la montée; une halte pour s’équiper permet de voir Cervin et Dent d’Hérens se tasser quelque peu.

Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt - Verbier
Patrouille des Glaciers 2016: Au fur et à mesure de la montée dans la nuit, le Cervin se tasse quelque peu

Une fois sur l’épaule de Tête Blanche, les patrouilleurs tournent le dos à la Dent Blanche et autres acolytes de plus de 4000m, qui laissent progressivement apparaître leurs arêtes au jour naissant. Lorsque le soleil viendra caresser les postes militaires bientôt assoupis au sortir de cette longue nuit, les cordées seront déjà loin, fort loin, au-delà des Cols de Riedmattent ou de Tséna Réfien, dont on devine les colonnes encore éclairées. Tout là-bas, au-delà de la Rosablanche, ils et elles sauront, le prix de l’effort, la chaleur des combes ensoleillées, la gorge qui brûle, la bouche qui se fait pâteuse, les muscles qui brûlent, le coup de pouce du compagnon de cordée, le coup de gueule de l’impatient, l’émotion de l’arrivée au sommet de la Rosablanche sous les encouragement d’un public chaleureux. Ils et elles auront repoussé quelque peu leurs limites. Il ne restera plus que la place aux classements… et à d’ineffables souvenirs.

Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt - Verbier
Patrouille des Glaciers course Z1 Zermatt – Verbier: d’ineffables souvenirs

Là-haut sur la montagne…

…médite une cabane, perchée sur son promontoire au milieu de l’austère face du Grand-Combin. 3030 mètres d’altitude. Valsorey est son nom, qui ne dévoile guère le charme de ce refuge à la mode ancienne. Des cabanes comme on ne sait plus en faire, diraient les nostalgiques. Des cabanes qu’on ira bientôt retrouver pour vivre l’esprit de la montagne. Puisse-t-elle résister aux architectes rénovateurs!

Visite à la cabane
La cabane Valsorey et sa gradienne, Isabelle Balleys, au pied du Grand-Combin et du Plateau du Couloir

 

Murs en moellons taillés dans les schistes de la montagne, auvent massif résistant aux vents les plus féroces, cheminée robuste, parquets de bois craquant sous les pas de générations d’alpinistes, volets rouges baillant sur un réfectoire chaleureux, tout de bois taillé autour d’un poêle sur lequel sèchent chaussettes ou peaux de phoque. Il est coiffé d’un fondoir pour « faire de l’eau » car, là-haut, celle-ci tombe le plus souvent sous forme de neige. Il n’y pleut guère que le sifflement des choucas, comme aime à l’écrire Maurice Chappaz. Je le verrais bien tenant sa pipe, qui fume et qui prie, sur le banc coté contre le mur, devant l’entrée. Seules concessions faites à la modernité: des crocs de caoutchouc remplacent les anciens sabots de cuir à semelle de bois, sur les couchettes des duvets démangent moins que les anciennes couvertures de laine et sur la façade sud-est sont campés quelques panneaux solaires fournissant un peu d’énergie pour le strict nécessaire. Les dortoirs sont à l’ancienne; des dizaines d’alpinistes s’y côtoient dans la promiscuité, souvent fatigués, puant parfois, mais toujours ravis de trouver abri sous toit pour une nuit qui, de toutes manières, sera courte. Ils sont affamés, assoiffés souvent, quelques fois stressés par l’inconnue du lendemain. « Il en est qui arrivent déjà équipés pour la haute altitude et qui demandent la voie du Grand-Combin avant même d’avoir posé leur sac » s’amuse Isabelle Balleys, la fée de Valsorey. Elle veille à bien les recevoir: le feu crépite dans le réfectoire et l’eau bouillonne dans les grosses marmites de la cuisine. Nul besoin de leur expliquer les règles de base du comportement en cabane; ici les alpinistes sont aguerris. On ne monte guère chez elle pour la ballade, mais pour l’ascension du Grand-Combin par la face Sud ou par l’arrête du Metin. Au printemps, de nombreux adeptes de la haute route défilent avec leurs skis, leurs crampons et leurs piolets; on est ici sur la variante alpine, la pente se redresse, elle s’escalade skis sur le sac jusqu’au Plateau du Couloir perché à 3600 mètres.
L’accueil est chaleureux; il se fait en toute simplicité, cette sobriété propre aux montagnards. La vaisselle essuyée, les guides partagent le génépi dans la cuisine. Si ses parois pouvaient raconter… Si elles pouvaient dire les heures d’échanges, de soucis et de beaux souvenirs partagés entre connaisseurs. C’est que cette montagne, la gardienne la connait sous toutes ses faces, crampons ou skis aux pieds! La pente ne saurait l’inquiéter, elle l’attire même lorsque juste ramollie ou recouverte d’une agréable couche de poudre, elle y aventure ses spatules et ses courts virages.

Pour Isabelle l’environnement est coutumier, alors que pour ses visiteurs, il sort de l’ordinaire. Son métier n’est pas une sinécure mais il la comble de petites satisfactions renouvelées: un sourire ici, des conseils égrenés à l’heure du thé, un bobo soigné, un merci sincère. Chaque journée amène son lot d’imprévus, souvent tout autant de travail. Les aléas du métier ne sauraient l’épargner dans un milieu aussi hostile. « Nous vivons parfois des choses dramatiques, avoue-t-elle. Ainsi lorsqu’une famille entière a dévalé du Plateau du Couloir. La cabane de Valsorey a été bénie deux fois, par deux prêtres différents. A chaque fois je demande qu’il n’y ait plus d’accident dans la contrée, mais chaque année il y a un mort. » Les cendres de l’ancien gardien reposent sous un cairn discret quelque part en-dessus de la cabane, seules face au Combin. « Quelques années plus tard on m’a demandé d’y déposer aussi les cendres de son épouse, qui voulait reposer auprès de lui. Je leur ai quand même dit à tous les deux de rester pénards. » Ainsi va la vie comme la mort dans la montagne. A chaque chute de neige, elles se défient sur les pentes dominant la cabane. Que de peurs avérées? de drames évités, de craintes par bonheur non justifiées, d’intuitions qui, jamais, ne seront vérifiées… C’est ça, le pouls de la montagne. Ça fait son charme mais parfois aussi son désespoir. Découragement lorsque, en raison du mauvais temps, le carnet de réservations se transforme en carnet d’annulations… autant de gagne-pain qui s’évapore. Les alpinistes aujourd’hui veulent certes l’aventure, mais sous un ciel bleu; ils négligent trop souvent d’annuler leur réservation. La viande est dégelée, le pain cuit au four. Si demain personne ne monte, ils s’en iront nourrir les choucas. Heureusement que, partout autour, il y a la montagne.

Âme de la cabane, il n’est pas de poutre ou de placard qui n’ait de secret pour la gardienne. Le bâtiment ne saurait respirer sans qu’elle ne reconnaisse ses murmures; la montagne ne saurait gémir sans qu’elle ne ressente ses humeurs au plus profond de son être. Mais pourquoi donc reste-t-elle là-haut alors que les alpinistes ne cessent d’arriver puis de repartir? Parce qu’il est parfois des rencontres qui vous revigorent, souvent des aides-gardiennes qui rendent la vie plus agréable. Un matin un homme de fort belle allure approche Isabelle Balleys et lui demande où se trouve l’igloo. « Je viens danser pour le roi » insiste ce danseur de Béjard qui tenait à dormir isolé. « Choisissez plutôt un bivouac, lui répond la gardienne amusée. Il y a là-haut, sur le Plateau du Couloir, le bivouac Musso tout juste repeint. » Etonée également lorsque, couvert de tatouages, cet ancien détenu reconverti en sportif l’aide à bâtir l’immense cairn accueillant les marcheurs au coin de la cabane. Ou ces sept gaillards de Genève, enthousiastes malgré (ou grâce à ) leurs quatre-vingt ans, qui tenaient impérativement à partager un demi de blanc avec la gardienne avant de partir sur le chemin panoramique. « Certains, si ils n’existaient pas, tu aurais de la peine à les inventer! conclut Isabelle.»

Bientôt dix ans qu’elle est là-haut, cinq mois par an. Y rester, envers et contre tout; y retourner chaque automne et chaque printemps, parce que, parfois, la montagne gratifie d’instants magiques ceux qui, tout le temps y demeurent. Cette lueur indicible d’un crépuscule enflammé, le vol curieux du gypaète, la visite régulière de maître goupil ou, plus rare, de l’hermine agile. La rage du vent dans les charpentes, le silence indescriptible de la neige et du brouillard et ces petits matins qui chantent au soleil revenu. La montagne, la cabane, sa cabane, Isabelle l’a dans le sang.

De l’art de devenir un vieux montagnard

Ski de randonnée et hors pistes
Ski de randonnée et hors pistes

Me voici engagé ce matin pour une demi-journée de « ski hors-pistes » à Verbier… de « freeride » me dis-je à la découverte de Nikolay, mon client russe: casqué, ski très larges à spatules relevées, sac Airbag sur le dos, bien à l’heure au rendez-vous. Nous parvenons à prendre la foule de vitesse en montant avec la première benne au Mont-Gelé. Nous sortons la tête de la mer de brouillard, ce jour de février, pour découvrir un univers maculé, recouvert de vingt centimètres de neige fraîche il y a deux nuits et de quelque septante centimètres durant les trois derniers jours. Une journée de poudre tendue sur le domaine skiable, par degré 3 de danger d’avalanches. La montagne a été ouverte la veille déjà, mais par mauvais temps et il subsiste plusieurs chances que nous trouvions quelques pentes encore vierges de toute trace.

Deux freeriders nous précèdent dans le versant et y tracent de larges et rapides courbes pressées.

J’aventure mes fines spatules, ma casquette et mes petits virages dans la face sud, descendant sur la Chaux. Neige idéale, bonne stabilité au berceau de combes inclinées et d’un couloir que je trace prudemment en son centre. Sourires et griserie de la poudreuse que nous souhaitons renouveler au plus vite en remontant au Mont-Gelé. La benne est archi-comble; personne ne dépose son sac au sol. En me remémorant ce temps où l’on prenait plus d’égard pour son prochain, je me reproche d’être « vieux-jeu… » Trois ou quatre bennes de freeriders casqués sont remontées entre temps, qui ont strié à la hâte la presque totalité des pentes. Tant bien que mal, je me débrouille en zigzagant de demi-pente vierge à demi couloir pas encore tracé. « Un seul à la fois dans la pente: » mon client suit sagement mes directives mais se hasarde à plus de vitesse dans la poudreuse.

Montée au Mont-Fort à la recherche des dernières chances. Le backside est strié de groupes de traces bouclées et parallèles, signes de marque de collègues guides qui inculquent à leurs clients l’art d’économiser de la place pour les suivants. Reste la petite face Sud, qu’une équipe a déjà tracée, occupée à remonter en peaux vers le col de la Chaux. Je n’ose pas la voie directe en raison de plaques à vent bien décelables, mais il reste un beau et raide couloir dans lequel je trace avec prudence, regardant sans cesse de gauche et de droite que rien ne cède sous mes skis. Arrivé au fond, mon client se lâche et dévale la pente en quelques secondes et tout aussi peu de longs serpentins. Son sourire rayonne: « this was the best of the morning! » Reste à remonter le col à pieds dans un demi-mètre de poudreuse. Skis sur le sac, je trace délicatement la neige profonde, alors que lui s’enfouit dans mes marches qu’il défonce à chaque pas. « Me voici à ma juste place » me dis-je en redescendant à sa rencontre pour le soulager du poids du sac. Belle descente du col de la Chaux, regards curieux sur la face Nord du Bec des Rosses: « My friend is one of the best twenty athletes of the freeride world tour… » Entre temps, absolument tous les espaces vierges des Monts de Sion et du Mont-Gelé ont été dûment crayonnés…

Les cinq jours suivants m’occupent à guider un cours de perfectionnement au ski de randonnée pour le Club Alpin Suisse, à la cabane Brunet. Chaque jour de cette belle semaine me voit les initier à la connaissance de la neige, à la prévention des avalanches ainsi qu’à l’art de tracer de manière agréable, sans cales grâce à de longs pas glissés. Un des participants est muni de skis bien larges et lourds et avale, lui aussi, très rapidement les pentes longuement gravies à la force des mollets… avant de se résoudre à réduire le tempo et à boucler un peu plus ses virages; histoire de rentabilité. Lors du debreefing en fin de semaine, il reconnaît avoir beaucoup appris, sauf… la manière de s’échapper des pentes à la descente, en cas de coulée. « SI tu es au sommet des pentes et que tu étudies un échappatoire en cas d’avalanche, peut-être ne devrais-tu pas y entrer? » me vois-je lui rétorquer… « Remarque de bon vieux con » raisonne en mon fort intérieur.  Con? Peut-être? Mais c’est ce qui m’a permis de devenir vieux.

Et si les montagnards tiraient à la même corde?

L'esprit de cordée n'habite pas toujours les professionnels de la montagne
L’esprit de cordée n’habite pas toujours les professionnels de la montagne

 

En matière de connaissance de la neige et de prévention des avalanches, chacun y va de sa propre trace: le club alpin forme ses chefs de cordée, les professionnels, accompagnateurs, professeurs de ski et guides ont leur propre cursus ainsi que Jeunesse et Sports pour ses moniteurs. Ce, rien que sur le plan national… Rien n’existait jusqu’à il y a peu pour madame et monsieur tout le monde, alors que le nombre d’adeptes de la glisse hivernale hors des terrains balisés croît à forte allure: 60’000 sacs Airbags se sont vendus l’hiver dernier dans les Alpes, 180’000 Détecteurs Victimes Avalanches et quelque 570’000 paires de ski freeride ou randonnée. Tous ces férus de poudreuse abordent les pentes sans formation spécifique, si ce ne sont de traditionnels cours avalanche se limitant aux seuls aspects du sauvetage.
L’International Snow Training Academy (ISTA) vient de créer un cursus de formation et de certification en quatre modules s’étendant sur trois continents et neuf pays différents, se calquant sur la formation des plongeurs, le PADI. Pour créer une méthode unifiée sur le plan international, dotée d’un langage et d’une méthode commune, elle a impliqué une quarantaine d’experts internationaux dans diverses disciplines, qui vont de la nivologie, de la météorologie au sauvetage, mais aussi – et surtout – au domaine de la pédagogie et de la psychologie du sport, ainsi qu’aux sciences humaines. S’ils maîtrisent bien les techniques et la connaissance du terrain, les professionnels peuvent en effet beaucoup profiter des pédagogues pour affiner leur pratiques de l’enseignement, toujours plus sollicitée. Cette nouvelle méthode pédagogique développée de manière novatrice et indépendante concentre l’essentiel de ses cours à la prévention: connaissance de la neige, des facteurs humains et de terrains déterminant la pratique. Les cours de l’ISTA doivent certes encore faire leurs preuves lors de cet hiver test sur le seul marché Suisse. La démarche, commerciale et ambitieuse, n’est pas non plus bon marché. Mais il était grand temps de trouver un dénominateur commun à tous les pratiquants de la montagne, même s’il est issu d’un organisme non institutionnel.

Contactée pour travailler en symbiose avec ce nouveau cercle d’experts, que fait l’Association Suisse des Guides de Montagne? Rien de mieux que de créer à la hâte une formation similaire mais concurrente, fortement inspirée de l’ISTA mais puisant dans le seul matériel pédagogique existant – loin de moi la volonté de dénigrer ce travail développé de longue date. – Prétendant que la connaissance de la neige et des avalanches fait partie du savoir universel des guides de montagne, le Swiss Mountain Training se restreint au territoire national, alors qu’un peu moins de la moitié de sa clientèle provient de l’étranger, et se prive de l’important apport de pédagogues éprouvés. Il est fort regrettable de ne pas faire cordée commune en la matière. Alors que Swiss Snowsports, l’organisme faitier de l’enseignement des sports de neige pourtant doté de bons pédagogues, adhère d’ores et déjà aux cours développés par l’ISTA, reste à voir si le Club Alpin Suisse se joindra au mouvement pour former ses membres et ses chefs de cordée. Randonneurs, skieurs et snowboarders de tous bords ne pourraient que profiter de ce vent nouveau!

Randonneurs, skieurs et snowboarders de tous bords ne peuvent que profiter de cette nouvelle formation
Randonneurs, skieurs et snowboarders de tous bords ne peuvent que profiter de cette nouvelle formation

Le Cube 365

Le Cube 365 a passé chaque semaine de 2015 dans un endroit différent du canton du Valais
Le Cube 365 a passé chaque semaine de 2015 dans un endroit différent du canton du Valais

 

Prenez un studio d’une quinzaine de mètres carrés: chambre à coucher transformable en salle à manger en un clic de souris, frigo garni de produits du pays, douche et toilettes. Glissez le tout dans l’équivalent d’un container maritime. Dotez-le d’une domotique moderne commandée par tablette électronique, le rendant parfaitement autonome grâce à des panneaux solaires, à une mini station d’épuration et à une pompe à chaleur, tout cela habilement dissimulé sous le plancher. Glissez-y chaque nuit de nouveaux invités de marque ou d’heureux gagnants d’un tirage au sort et trimballez le tout, un an durant, aux quatre coins du Valais: du col du Grand St-Bernard au glacier d’Aletsch, des golfs jusqu’aux lacs, du Rhône jusqu’aux alpages. Neuf tonnes d’ingéniosité, d’artisanat et de technologie, mais aussi d’accueil chaleureux en toute intimité.

Dans le cadre du bicentenaire de l’entrée du Valais dans la Confédération Suisse, le Cube365 parcourt, semaine après semaine, l’entier du territoire valaisan. Idée du directeur de l’office du tourisme de Sierre mise à disposition de tout le canton, elle est une antidote contre l’esprit de clocher qui freine encore les progrès de la branche. L’opération n’est certes pas sans frais, mais elle marque les esprits: « Quelle belle ironie que cette magnifique résidence secondaire qui parcourt le Valais, signent fièrement Franco et Nathalie, un couple « d’encubés » le souffle d’une nuit.… Que la Suisse nous en veuille? Peut-être.. Que la Suisse nous envie? Sûrement! … Verdict? Un sur dix pour le cube? Non! Treize sur treize! »

«  La nuit des martyrs, quelle nuit! Et St-Maurice qui soufflait son histoire dans le cube: nous ne sommes que de passage… Le Cube n’est rien sans la beauté et la force des paysages qui le protègent… » Manuella Maury et Thomas Tscharner
« La nuit des martyrs, quelle nuit! Et St-Maurice qui soufflait son histoire dans le cube: nous ne sommes que de passage… Le Cube n’est rien sans la beauté et la force des paysages qui le protègent… » Manuella Maury et Thomas Tscharner

Disposé en pleine nature, face à un décor de vignes et de montagnes, le Cube 365 dévoile en effet  un charme exclusif. Imaginez-le dans un lieu inédit d’une grande ville européenne, au cœur de foires promotionnelles ou au centre d’une animation culturelle destinée à mettre le patrimoine valaisan en valeur. C’est non seulement le savoir-faire de tout un canton qui conquiert des hôtes potentiels, mais la démonstration d’un pays innovant, différent des clichés qu’on aime à entretenir à son sujet. Pour cela, il faudrait que Valais/Wallis Promotion, l’organisme cantonal de promotion économique, s’empare de l’objet comme support de campagnes inédites. Tout comme il aurait pu profiter de l’engouement culturel, artistique et événementiel généré par les manifestations du bicentenaire. Cinphonie2015, Oh! Festival, film 13 faces ou encore 13 tableaux musicaux, autant de créations artistiques de qualité demeurées presque uniques et réservées aux seuls valaisannes et valaisans. Autant de supports originaux qui sortiraient le Valais de ses ornières traditionnelles… à condition qu’elles franchissent les frontières cantonales! VWP oserait-il faire le pas? Saura-t-il profiter de tant d’idées créatrices issues des valaisans?

Un assemblage moderne et de qualité, démonstration de la valeur des entreprises valaisannes ayant collaboré à l’entreprise
Un assemblage moderne et de qualité, démonstration de la valeur des entreprises valaisannes ayant collaboré à l’entreprise

 

L’été de la St-Martin à Ferpècle

La langue du glacier de Ferpècle s’est effondrée en un tour géant
La langue du glacier de Ferpècle s’est effondrée en un trou géant

 

Ferpècle, un petit matin d’automne serein: mélèzes couleur d’or, chamois couleur ébène, torrents gelés malgré la douceur ambiante. Les pentes d’herbe ont viré au brun et il devient difficile d’y distinguer le pelage du bouquetin. Pourtant, ça et là, fleurissent encore quelques pensées ou violettes automnales, témoins d’une abondance printanières colorée. Un mince filet d’eau s’est figé à même les dalles jadis polies par le glacier; il est contraint à l’immobilité par un vent frais qui dévale des hauts sommets. Le courant descendant siffle une mélodie triste, amplifiée par de profonds tuyaux d’orgue sculptés dans la moraine surplombante. Le glacier a revêtu un fin manteau dont la blancheur contraste avec le décor flamboyant.

Un réseau de crevasses étranges entaille la langue terminale du glacier de Ferpècle. Vu depuis Bricola, elles forment un faisceau de rides autour d’un œil taillé dans la masse de glace bleuâtre. La caverne frigorifique est entourée de blocs de glace écroulés. Un torrent plat s’en échappe un peu plus bas, puis se prélasse dans quelques gouilles couleur bleu crème.

Un torrent plat s’en échappe un peu plus bas, puis se prélasse dans quelques gouilles couleur bleu crème.
Un torrent plat s’en échappe un peu plus bas, puis se prélasse dans quelques gouilles couleur bleu crème.

 

Dans ce décor superbe, cet œil pleure au cœur de l’observateur attentif. Il taille une vaste brèche dans la langue glaciaire et marque le recul accéléré du glacier. La couche de glace devenue un jour trop faible s’est effondrée, créant cette figure surréaliste mais temporaire, car amenée un jour à fondre entièrement. Manifestation unique d’un phénomène commun: partout dans les Alpes les glaciers reculent car les températures se font de plus en plus douces.  Novembre n’est-il pas en train de battre tous les records de douceur? La plupart du temps, les glaciers abandonnent dans leur retraite un décor de roches en ruine et de sable fin abandonnés sur des dalles lisses. Mais parfois la masse en peine abandonne une caverne latérale, un portique glacé,  isolé de sa masse par un lac ou un bout de moraine.

Il en est ainsi dans toutes les alpes. La langue du glacier du Rhône fait place à un lac profond enserré dans un verrou rocheux. Celle de l’Unteraar délaisse une vaste plaine sablonneuses dans laquelle méandre un torrent brunâtre chargé de limons. Les ogives du glacier d’Aletsch disparaissent petit à petit et de vastes pentes jadis immaculées font place désormais à de tristes et gris dévaloirs de roches disloquées. Telle est la triste mélodie du réchauffement climatique, qui ailleurs se manifeste de manière plus funeste encore.

Dominé par les tuyaux d’orgue de la moraine et par le Mont-Miné, le glacier de Ferpècle s’effondre sur lui-même
Dominé par les tuyaux d’orgue de la moraine et par le Mont-Miné, le glacier de Ferpècle s’effondre sur lui-même

 

La langue du glacier du Rhône fait place à un lac profond enserré dans un verrou rocheux
La langue du glacier du Rhône fait place à un lac profond enserré dans un verrou rocheux

Quand les sommets s’illuminent

Illumination nocturne du massif des Combins dans le cadre du bicentenaire de l'entrée du Valais dans la Confédération Suisse
Illumination nocturne du massif des Combins dans le cadre du bicentenaire de l’entrée du Valais dans la Confédération.

 

Les Valaisans avaient cette année l’embarras du choix pour célébrer le 200e anniversaire de l’entrée de leur canton dans la Confédération Suisse. Une trentaine de manifestations leur étaient avant tout destinées. Sans parler du 1500e anniversaire de l’Abbaye de Saint-Maurice et du 150e de la première ascension du Cervin – pour une fois que cette montagne emblématique doit le respect à un autre monument – citons l’initiative des deux quotidiens cantonaux, le Walliser Bote et le Nouvelliste, pour retracer l’histoire du vieux pays depuis son devenir national.

Rajeunir les clichés traditionnels

Un bel et grand ouvrage de deux cent pages réunit les articles qui ont retracé le Valais d’hier jusqu’à aujourd’hui de manière fort instructive. Plusieurs créations culturelles originales ont montré le pouvoir créatif des artistes valaisans dans le cadre du Oh! Festival ainsi que par le magnifique opéra musical chanté et joué par les jeunes chanteurs de la Schola de Sion et de l’école de chant haut-Valaisanne Cantiamo. Dernièrement, le concept artistique des « Cinphonies 2015 » présentées par l’orchestre symphonique du Valais sous la direction d’Etienne Mounir à Viège, Sierre et Saint-Maurice s’est construit en sons et en images à partir du profil topographique des frontières de la Suisse et du Valais.

Décidément, la montagne valaisanne a beaucoup à dire et à montrer durant ces festivités, notamment par le film « 13 Faces du Valais » qui rajeunit quelque peu ce canton carte postale, des clichés traditionnels dont il s’avère vraiment difficile de se départir, même à l’aide de sports fun.

Val d'Hérens et Dents de Veisivi. Test dans le cadre du projet 13 étoiles au sommet
Val d’Hérens et Dents de Veisivi. Test dans le cadre du projet 13 étoiles au sommet.

Parmi cette multitude de projets il en est un qui restera gravé dans l’imaginaire populaire. Mieux encore, qui restera gravé jaune sur noir malgré sa brièveté – trois petites minutes – et qui a connu un écho médiatique international dépassant largement les seules frontières cantonales. Je veux parler de l’illumination de treize sommets valaisans dans le cadre du projet « 13 étoiles au sommet. » Une idée simple, lumineuse, celle d’éclairer de manière pyrotechnique quelques sommets emblématiques des alpes valaisannes. Mais un projet complexe à organiser, qui a vu l’implication d’une septentaine de guides de haute-montagne et d’une trentaine de photographes pour conserver la trace de cette aventure éphémère dans un beau livre tout juste paru.

Je revis le premier essai réalisé par des températures glaciales sur les hauts d’Arolla, la vue de l’Aiguille de la Tsa et du Pigne illuminés de rouge puis de jaune. Je me remémore la montée à peau de phoque pour accéder au point de vue choisi sur le massif des Combins, les premiers réglages avant le crépuscule, l’espoir que les bancs de nuages troublant la scène se dissipent à temps, la longue attente et la fébrilité des quelques prises de vues dans le temps bref imparti. Puis la descente dans la nuit au seul faisceau d’une lampe frontale. Mais le résultat, bien là, en vaut la gageure. Il restera dans beaucoup de mémoires comme le symbole d’une année festive bien garnie.

Tests d'illumination du massif de la Tsa dans le cadre du projet 13 étoiles au sommet
Tests d’illumination du massif de la Tsa dans le cadre du projet 13 étoiles au sommet.
Tests d'illumination en novembre 2013, dans le cadre du projet 13 étoiles au sommet
Tests d’illumination du Pigne d’Arolla en novembre 2013, dans le cadre du projet 13 étoiles au sommet.

Photos: François Perraudin

À l’ombre de la terre

Ils sont nombreux, au matin du 28 septembre dernier, à avoir lorgné par la fenêtre et, déçus par le plafond de nuages, à avoir rejoint leurs plumes pour quelques heures de sommeil de plus. C’est qu’il fallait monter, cette nuit-là, fort haut jusqu’au-dessus de la mer de brouillard, pour découvrir le phénomène. À 1800 mètres d’altitude, les persévérants ne le regrettent pas.

Le phénomène est celui de la super-lune, lorsque le satellite de la terre, au plus proche de celle-ci, passe dans son ombre, s’éteint et vire à l’orange, presque au rouge. Ou lorsque, malgré la pleine lune, on peut observer toute la beauté de la voie lactée sans être importuné par une trop forte luminosité lunaire. Il s’est même trouvé quelque étoile filante pour strier le ciel et appeler au vœu le plus sincère.

Lune rouge a son apogee (le plus proche de la terre)
Lune rouge à son apogée, au plus proche de la terre. (photos: François Perraudin)

Ne serait-ce que pour le spectacle de cette lune pleine et si proche, cela valait le déplacement. Lorsque l’on observe même à l’œil nu le relief lunaire et lorsque de simples jumelles dévoilent ci une vaste pleine, là un cratère ou encore une montagne. Nul besoin de lampe de poche pour progresser sur terre, on y voit presque comme en plein jour, mais en monochromie: les couleurs s’effacent et rendent la nuit mystérieuse pour quelques heures de méditation.

L’éclipse débute de manière imperceptible, juste une zone d’ombre qui, petit à petit, recouvre son bord droit. Puis le disque devient croissant, la lumière diminue et vire gentiment à l’orange. Lorsque tout rayonnement direct disparaît de la surface lunaire, celle-ci s’efface presque et revêt une robe rouge-orangé. Une heure durant, l’imaginaire se plaît à sombrer dans une ambiance d’apocalypse. Jusqu’à ce que, subrepticement, une lueur apparaisse sur le côté gauche, un croissant pâle tout d’abord, bientôt éclatant de lumière à force de s’épaissir.

La pleine lune entre dans l'ombre de la terre
La pleine lune entre dans l’ombre de la terre

Et l’orangé de disparaître de la face ombragée, et la face éclairée de dévoiler petit à petit les cicatrices de son relief. Jusqu’à ce que la lune dans son entier devienne à nouveau normale et poursuive sa trajectoire vers le couchant d’une nuit insolite.

 

Alors que les premiers chasseurs rejoignent leur poste, sur la lune, ce jour-là, il y avait une éclipse solaire.

L'éclipse touche à sa fin
L’éclipse touche à sa fin.