Exploitation animale et humanisme

Ci-dessous, le point de vue antispéciste de mon ami Yves Bonnardel sur l'”affaire Fricker”, que je partage dans les grandes lignes.

Ce 28 septembre, dans le cadre d’un débat au parlement suisse sur l’initiative FairFood, le député Jonas Fricker exprimait que des images de transport de cochons vers l’abattoir lui avaient fait penser aux convois qui transportaient des Juifs vers Auschwitz dans le film La Liste de Schindler. L’ensemble du monde politique a alors dénoncé une comparaison inacceptable. Monsieur Fricker, à la suite de cela, a démissionné.

De telles comparaisons sont sensibles et doivent être maniées avec prudence. De nombreuses catégories d’êtres humains restent considérées comme inférieures et indésirables et sont régulièrement l’objet d’agressions. Les comparaisons entre ce qu’elles subissent et ce que subissent les animaux sont délicates, parce que beaucoup de gens pressés passent vite de la comparaison entre ce qui est subi par l’une ou l’autre catégorie considérée, à un amalgame des catégories elles-mêmes. Et paraître être comparés à des animaux peut non seulement raviver des plaies bien actuelles, mais s’avérer dangereux : c’est parce que ces humains sont en partie “déshumanisés” et marginalisés, qu’ils sont en butte à des discriminations et violences.

En même temps, comment ne pas comprendre ces comparaisons ? Le terme holocauste lui-même désigne un massacre d’animaux… Si l’on est horrifié-e que des Juifs aient été traités comme des animaux, que cela révèle-t-il du traitement que l’on réserve à ces animaux justement ? N’y a-t-il pas lieu de s’indigner non seulement de ce que les animaux soient maltraités, mais aussi, de ce qu’on préfère s’indigner qu’une telle comparaison ait été faite au lieu d’œuvrer pour que ces horreurs cessent ? Le mépris de notre civilisation pour les animaux, le spécisme, est illégitime et indéfendable au même titre que sont indéfendables le racisme ou l’antisémitisme.

J’aimerais partager avec vous cette courte tribune vidéo d’un rescapé du camp de Treblinka, Alex Hershaft, désormais militant pour que le Plus jamais ça s’applique au sort que l’on fait subir aux animaux. (Cliquer sur les sous-titres en français)

Toute comparaison doit pouvoir s’effectuer dans les deux sens. Mais lorsqu’ils récusent la comparaison entre ce que subissent des humains rabaissés (les Juifs, les Noirs, les peuples colonisés, les femmes, les parias, etc.) et ce dont sont victimes les animaux, les spécistes imposent en fait une drôle de comparaison, à sens unique. Ils veulent signifier que des humains ont été traités comme des bêtes, c’est-à-dire dégradés – ce qui est une façon de réaffirmer que les animaux sont bien des inférieurs, des sous-êtres. Que seuls les humains comptent, et qu’ils comptent d’autant plus que les animaux, eux, ne comptent pas. Evidemment, alors, la comparaison n’est plus symétrique: on ne peut plus dire à l’inverse: “les animaux sont traités comme l’ont été tant de Juifs” (ou de Noirs, ou de femmes, ou de parias, ou toute autre catégorie humaine qui s’est heurtée à la férocité humaine, qu’elle se revendique blanche, masculine, etc.), parce que notre société n’admet pas que les animaux eux aussi sont injustement méprisés.

Pourtant, non, les animaux ne sont pas des inférieurs, des moins-que-rien massacrables et torturables pour un oui ou pour un non, et ils ne doivent plus continuer à servir de repoussoir pour décrire les atrocités basées sur une dégradation d’humains (“ils ont été traités comme du bétail, comme des chiens…”) sans qu’on s’indigne dans le même temps que l’on traite mal les chiens, et le bétail…

D’autant que c’est justement sur le lit du spécisme que se bâtissent le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, etc.: si des catégories entières d’êtres humains sont animalisées, déshumanisées, pour être mieux marginalisées, exploitées, voire exterminées… cela n’est possible que dans un contexte où la référence à l’animalité reste dégradante. Où l’animalité elle-même est perçue comme inférieure. Où les animaux eux-mêmes sont exploités, dominés voire exterminés pour un oui ou pour un non.

Quand déciderons-nous d’en finir avec le spécisme, injustifiable, moralement inacceptable et d’une brutalité sans nom? Quand donc abandonnerons-nous ces inepties de “supérieur” et d’inférieur”, qui sont responsables de tant d’atrocités au cours de notre histoire ?

François Jaquet

François Jaquet est docteur en philosophie (UniGe). Spécialisé en éthique, il s'intéresse en particulier au statut moral des animaux. À ses heures perdues, il est un peu musicien et haltérophile. Il est l’inventeur d’une omelette végane qui ne plaît à personne.​

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