Le Nomes rompt le silence!

1) L’isolement se rapproche dangereusement *

18 mois après le vote du 9 février 2014, qui a vu la Suisse attaquer frontalement la libre circulation des personnes, socle des accords bilatéraux, aucune issue ne se dessine. Au contraire, les évolutions en cours montrent une aggravation de la crise.

Côté suisse, la loi de mise en œuvre élaborée par le Conseil fédéral ne résout rien. Elle prévoit notamment des contingents applicables aux pays européens, pour autant que l’UE les accepte. Or, nous le savons, cette condition est irréalisable.

De  plus, la question de la Croatie n’est nullement réglée. Suite à la votation, la ratification de l’accord de libre circulation des personnes avec le 28e Etat membre de l’UE a été suspendue. Certes, un arrangement provisoire a été trouvé pour compenser cette discrimination, mais aucune piste n’est avancée pour trouver une solution durable.

Côté européen, les responsables ont tous répété que le principe de libre circulation des personnes n’était pas négociable. Ni des contingents, ni la préférence nationale, ni une clause de sauvegarde n’ont été déclarées compatibles avec ce principe fondateur de l’UE.

De plus, l’UE n’entend pas poursuivre l’addition d’accords sectoriels. Elle ne signera aucune nouvelle convention avec la Suisse sans l’instauration d’un cadre institutionnel transversal, garantissant la reprise du droit européen et de son interprétation.

Dans l’immédiat, seul un dialogue sans calendrier avec la Suisse est prévu. Aucune négociation n’est en cours et aucun mandat de négociation n’est en chantier.

Or, les articles adoptés en 2014 prévoient l’introduction de contingents et de la préférence nationale par voie d’ordonnances si la loi d’application n’est pas en vigueur d’ici à 2017.

Dans ce contexte, il paraît évident que le risque d’un rejet effectif de la libre circulation des personnes, synonyme de rupture des accords bilatéraux et d’isolement de la Suisse, grandit chaque jour.

 

2) Le silence sur l’Europe est un déni de démocratie

Cette crise, qui s’aggrave sans perspective de solutions, crée des tensions graves :

Elle divise les Suisses, incapables de gérer les conséquences de leurs propres décisions. Elle pénalise l’économie, qui craint d’être déstabilisée par des problèmes de recrutements, voire par une rupture des accords bilatéraux. Elle menace la recherche et l’innovation, tant qu’une solution durable à la question de la Croatie n’est pas trouvée. Elle maintient des tensions dans les cantons voisins de l’Europe.

Or, seul le silence répond à toutes ces incertitudes !

Alors que la Suisse s’apprête à renouveler les Chambres fédérales, cette « tabouisation » de la crise européenne est en train de devenir un déni de démocratie.

On peut comprendre la réticence des partis à fournir des solutions précises à une crise où les variables sont nombreuses. Mais on ne peut accepter qu’ils escamotent par confort un thème qui touche à l’identité et au destin de la Suisse.

On peut comprendre la prudence juridique du Conseil fédéral, confronté à des devoirs contradictoires, mais on ne peut accepter sa désertion politique, tant en termes de stratégie que de communication.

Dans ce sens, la désignation d’un négociateur en chef, si qualifié soit-il, donne l’impression que le Conseil fédéral chercher d’abord à gagner du temps et surtout à se protéger.

Plus grave, les pressions effectuées par le Conseiller fédéral Schneider-Amann sur une association qui défend l’ouverture de la Suisse ne sont simplement pas acceptables.

Pourquoi le Conseil fédéral craint-il le débat démocratique ? Pourquoi ne soutient-il pas le camp de l’ouverture ? Pourquoi ne prépare-t-il pas l’opinion à un nouveau vote européen qu’il sait inéluctable ?

Pour le Nomes, ce silence collectif doit être rompu, parce qu’il est à la fois dangereux et anti-démocratique.

La Suisse, qui se veut une démocratie modèle, ne peut aborder les élections fédérales sans un débat de fond sur son destin européen, où tous les acteurs politiques se positionnent clairement.

 

3) Deux propositions concrètes du Nomes

Le 10 mai 2014, aux Etats généraux européens de Berne, le Nomes a été le premier mouvement à demander un « vote de clarification », permettant aux citoyens de se prononcer sans ambigüité sur la relation de la Suisse avec l’UE.

Par la suite, le Nomes a présenté une feuille de route esquissant diverses pistes pour sortir de la crise.

Aujourd’hui, compte tenu des risques aggravés d’isolement, le Nomes avance deux propositions concrètes :

Deux traitements de la crise sont possibles. Le premier se situe à l’échelon législatif, avec la loi d’application de l’article 121a. Sur ce plan, le Nomes demande au Parlement d’adopter une loi qui, d’une part, préserve les accords signés avec l’UE et, d’autre part, intègre la Croatie dans le dispositif législatif.

En effet, il ne sert à rien d’adopter une loi qui protégerait nos relations avec l’UE, sans que les 28 Etats membres soient pris en compte. Discriminer un Etat maintiendrait la crise ouverte.

Une telle loi susciterait probablement un référendum des nationalistes. Mais celui-ci peut-être gagné, notamment parce qu’il se jouerait uniquement à la majorité du peuple.

Par ailleurs, même si une loi parvient à limiter les effets de l’article 121a, ce dernier maintiendrait dans la Constitution une attaque potentielle contre la libre circulation des personnes. De plus, si elle n’est pas retirée, l’initiative RASA devra être votée.

Par conséquent, le traitement du problème à l’échelon législatif ne dispense pas la Suisse d’une clarification à l’échelon constitutionnel.

Sur ce plan, le Nomes propose qu’au moment voulu un contre-projet soit opposé à l’initiative RASA. A l’abrogation pure et simple de l’article 121a préconisée par RASA, le Nomes demande d’opposer un amendement stipulant en chiffre 5 « Sont réservées les relations entre la Suisse et l’Union européenne ».

Le peuple pourrait ainsi choisir entre supprimer les dispositions contre l’immigration ou soustraire l’Union européenne de leur champ d’application.

Dans tous les cas de figure, on constate que de nouvelles votations européennes sont inévitables. Il est donc urgent de les préparer.

 

4) Le retour de l’intégration européenne

L’attentisme et le silence actuels n’apportent aucune solution et ne font pas gagner du temps, mais aggravent la crise, en accentuant les incertitudes et les tensions.

De même, le statu quo n’est pas possible. D’une manière ou d’une autre, la Constitution doit être appliquée. De plus, l’Union européenne attend de savoir ce que la Suisse veut mettre en œuvre s’agissant de la libre circulation des personnes. Enfin, l’économie et la société suisse ont besoin que les incertitudes sur le destin européen du pays soient levées.

Or, pour éviter la rupture, l’immobilisme ne suffit plus. Sortir de la crise générée par la votation du 9 février 2014 implique d’oser faire un pas en avant.

En particulier, il convient de rappeler que la fameuse « voie bilatérale », que tant veulent « sauver » n’existe plus dans la forme actuelle. Pour que de nouveaux accords entre la Suisse et l’Union européenne puissent voir le jour, un nouveau cadre institutionnel transversal doit organiser la reprise et l’interprétation du droit européen.

C’est donc un pas supplémentaire dans l’intégration que les Suisses devront immanquablement effectuer s’ils veulent préserver le bilatéralisme. Et pour que ce nouveau seuil soit franchi, il est évident qu’une campagne permanente en faveur d’une Suisse plus européenne doit être conduite.

Par ailleurs, les grands problèmes du continent, comme l’afflux de réfugiés fuyant la guerre, montrent clairement que l’Europe a besoin de plus d’intégration, plus de coopération, plus de solidarité pour faire face aux défis du siècle.

Sur le dernier point, la comparaison entre l’Allemagne et la Suisse est particulièrement cruelle. La première préconise des quotas pour accueillir les réfugiés fuyant la guerre, quand la seconde rêve d’en établir pour refuser des travailleurs européens.

Pour le Nomes, il est temps que ce repli xénophobe soit combattu par une vraie promotion des coopérations européennes. Et cette démarche de promotion de l’intégration doit se poursuivre à long terme, jusqu’à l’adhésion pleine et entière, seule solution permettant à la Suisse de défendre dignement ses intérêts sur son propre continent.

Intégrer la Croatie dans une loi protégeant les relations européennes, permettre au peuple suisse de choisir entre l’abrogation du 121a et son amendement ; reprendre un discours favorisant l’intégration européenne sont les trois revendications prioritaires du Nomes.

 

5) L’attentisme crée des situations explosives dans les cantons frontaliers

Pour le Nomes, l’attentisme n’est plus possible. La Suisse soit sans tarder se positionner clairement sur la libre circulation des personnes. Dans ce sens, les déclarations du Conseiller fédéral Burkhalter indiquant qu’une solution ne serait peut-être pas trouvée d’ici à 2017 et que cela n’avait guère d’importance sont inquiétantes.

Les incertitudes actuelles pénalisent l’économie, mais elles créent aussi des situations ingérables dans les cantons frontaliers.

Ainsi, dans le canton du Tessin, des mesures ont été prises contre les travailleurs frontaliers, non conformes avec les accords européens existants. Ces discriminations ont aussitôt suscité les protestations du gouvernement italien.

Les mouvements populistes profitent des incertitudes actuelles et du « vide politique » à l’échelon fédéral pour développer un discours haineux dans les cantons frontaliers. A Genève aussi, ce phénomène est visible.

Plus la Suisse attend pour régler la crise européenne qu’elle a elle-même ouverte, plus le risque de voir des situations explosives se développer dans les zones sensibles du pays grandit.

C’est une erreur de croire que les cantons peuvent attendre indéfiniment un règlement des questions liées à la libre circulation des personnes. Le « vide politique » actuel complique leur tâche et favorise le développement des mouvements populistes dans les zones frontalières.

 

6) Les candidats aux élections fédérales souhaitent s’exprimer: le Nomes leur en donne la possibilité !

Aujourd’hui, le Nomes apporte une contribution directe à cette défense de l’intégration. Il rompt le silence européen qui nuit au bon déroulement démocratique des élections fédérales 2015.

Pour cela, il a lancé une nouvelle plateforme internet (www.elections15.eu) sur laquelle les candidats aux élections fédérales ainsi que toutes les personnes intéressées peuvent exprimer leur position sur la question européenne. En outre, grâce à une fonction de filtre, chaque visiteur de la page peut savoir qui sont les candidats qui s’engagent dans son canton.

Parallèlement, le Nomes organise un grand cycle de conférences dans les plus grandes villes de Suisse du 16 septembre au 8 octobre prochains. A peine les invitations envoyées, de nombreux candidats avaient répondu présent, montrant ainsi la volonté et le besoin de ceux-ci de s’exprimer sur le futur européen de la Suisse.

Enfin, afin d’améliorer la visibilité de ses actions, le Nomes lance également un nouveau site internet (www.europa.ch). Ce dernier est un instrument important pour la communication du mouvement et il incarne la volonté du Nomes d’avancer vers de nouveaux objectifs européens. 

 

* Texte de la conférence de presse du 9 septembre

RASA ou le temps des décisions claires

Crédule, la Suisse a suivi les chimères de l’UDC. Divinisant la démocratie directe, elle s’est fragilisée par des votations multiples aux conséquences incertaines. Diabolisant l’Europe, elle a saboté ses relations avec l’Union. Détournant l’histoire, elle s’est réfugiée dans des mythes passéistes.

Or, l’UDC est une machine à perdre! A terme, son action est vouée à l’échec. Parce qu’ils sont insensés, ses objectifs n’ont aucune chance de se réaliser durablement. Située au cœur du projet européen, la Suisse ne pourra jamais s’en affranchir. Soucieuse de sa stabilité juridique, elle devra réguler sa démocratie directe. Urbaine, elle ne redeviendra pas une petite méritocratie alpine.

Toutefois, l’UDC a la capacité d’entraîner, même provisoirement, le pays au fond d’un ravin, dont il sera très pénible de sortir. En fait, comme pour tous les mouvements populistes, la question n’est pas de savoir si les nationalistes suisses échoueront, mais quand ils seront mis hors d’état de nuire et au terme de quelles déprédations.

C’est tout l’enjeu des élections fédérales 2015. En effet, la prochaine législature sera décisive. Dans quatre ans, soit la Suisse aura reprit son intégration européenne, rénové sa démocratie et retrouvé le goût de l’innovation. Soit elle aura poursuivi ses régressions politiques et mentales, avec de graves conséquences économiques et sociales.

La Suisse déteste choisir. Elle croit toujours le statu quo préférable au moindre mouvement. Elle privilégie les demi-mesures même quand celles-ci n’apportent rien. Le problème est que certaines périodes de l’histoire exigent des orientations claires et précises. Pendant de longues années, la Suisse a pu naviguer à vue, marcher à reculons, tenter de gérer ses pulsions nationalistes sans les combattre. Cette procrastination politique n’est plus possible.

L’initiative RASA illustre parfaitement ce phénomène. En demandant une abrogation pure et simple des dispositions constitutionnelles contre l’immigration adoptées le 9 février 2014, elle propose une solution drastique. Ce n’est pas par hasard qu’une démarche aussi tranchée apparaît maintenant sur la scène politique. D’une part, les normes voulues par l’UDC ont créé un imbroglio ingérable. D’autre part et surtout, la Suisse ne peut plus tergiverser : elle doit choisir entre faire cavalier seul ou s’associer à l’Union, se recroqueviller dans un conservatisme nostalgique ou devenir un Etat moderne.

Certes, la brutalité de RASA rend son acceptabilité délicate, mais elle comporte aussi un triple mérite. Premièrement, elle préserve une issue de secours, quand toutes les pistes visant à concilier la restriction de la libre circulation des personnes et le maintien de la voie bilatérale s’avèreront impraticables. Deuxièmement, elle rappelle de manière tangible que la moitié des citoyens a refusé les propositions de l’UDC, constat susceptible de donner un peu de courage à un Conseil fédéral qui en manque tant. Troisièmement, elle indique que le peuple peut toujours revenir sur ses propres décisions, notamment quand il a été induit en erreur par une votation préconisant des contingents sans dire ouvertement que leur introduction entraînerait de facto la rupture des accords signés avec l’UE.

Cet automne, les citoyens devraient s’interroger sur l’UDC avec une netteté similaire à celle adoptée par la démarche RASA. Compte tenu des enjeux de la prochaine législature, n’est-il pas urgent d’organiser la décrue de la formation populiste? L’attentisme est-il encore possible ? Ne faut-il pas trancher dans le vif et donner une victoire sensible aux partis classiques ? N’est-ce pas du masochisme que de prolonger une calamiteuse domination d’un nationalisme haineux, qui ne produira jamais la moindre solution ?

Pour sortir de la crise européenne, l’issue risque bien de se nommer RASA. Pour éviter que la Suisse tombe au fond du ravin populiste, il convient de réduire nettement les effectifs de l’UDC aux Chambres fédérales. Le temps des décisions claires est venu.

Pour une vraie leçon de démocratie européenne

« Donner une leçon de démocratie à l’Europe », telle fut l’ambition d’Alexis Tsipras en organisant un référendum sur ses négociations avec ses créanciers.

Certes, nul ne conteste le droit des citoyens de se prononcer sur leur avenir ! La Grèce est exsangue. Elle étouffe sous une dette qu’elle ne peut rembourser. Une cure d’austérité drastique a mis son économie au tapis. Les drames sociaux se multiplient. Une sortie de crise devient chaque jour plus urgente. A l’évidence, la volonté populaire ne saurait être écartée de la recherche de solutions équitables et efficaces.

Toutefois, si la démocratie joue un rôle clé dans une société en danger, son exercice n’est pas sans exigence. En particulier, le recours au vote direct du peuple réclame de nombreuses précautions. Premièrement, la question posée doit être claire, stabilisée, susceptible de faire l’objet d’une information compréhensible. Deuxièmement, les partis, les associations, les médias et les citoyens doivent avoir le temps de développer leurs arguments, débattre et se faire une opinion. Troisièmement, condition essentielle pour que le peuple ne soit pas abusé, il est impératif que les principales conséquences d’une approbation ou d’un rejet soient connues.

Malheureusement, la démarche de M. Tsipras n’a pas satisfait à ces exigences. La question posée touchait une négociation en cours. L’opération fut conduite à la hussarde. Les conséquences réelles d’un oui ou d’un non étaient parfaitement ignorées, même du gouvernement. Dès lors, quel pouvoir a reçu le peuple grec, sommé de choisir entre deux chemins dont personne ne pouvait dire où ils menaient ?

En fait, le premier ministre grec n’a pas organisé un référendum, mais un plébiscite. Il n’a pas confié à son peuple une prise de décision, mais a exigé de sa part un acte de foi. Il ne lui pas donné la parole, mais a utilisé sa voix pour renforcer la sienne, dans une volonté d’augmenter son propre pouvoir. Cette instrumentalisation brutale est violente. Elle met les citoyens au service du gouvernant et non l’inverse. Elle les conduit en outre à cautionner l’inconnu. Quel sera l’état d’esprit des votants qui ont cru mettre fin à l’austérité si elle perdure, soit parce qu’Alexis Tsipras finit par accepter les demandes des créanciers, soit parce que la Grèce, même allégée de ses dettes, ne sort pas de la crise économique ?

Par ailleurs, le gouvernement Tsipras a organisé une asymétrie dangereuse entre un peuple grec présenté comme pur, juste, noble, victime, humilié et des dirigeants européens qualifiés d’arrogants, prédateurs, criminels. Déchaîné, il n’a pas craint d’assimiler les représentants des institutions créancières à des terroristes. Manichéen, il a peint d’un côté des prolétaires en révolte, de l’autre des élites illégitimes. Or la crise actuelle n’oppose pas un peuple à des bureaucrates, mais des peuples aux intérêts tous respectables. Dans cette optique, chaque Etat membre de l’Union peut organiser les votations qui lui conviennent, mais en restant conscient que leurs résultats ne s’appliquent pas automatiquement aux autres. Hélas, avec un simplisme attristant, la dramaturgie grecque a effacé les Portugais, les Italiens, les Français, les Polonais et tous les autres Européens. Quant aux Allemands, ils n’ont pas semblé constituer un peuple, ni même des êtres humains. Leur existence a paru réduite à une « puissance néolibérale » ou à la « dictature Merkel ». Question embarrassante, quelle serait l’attitude des travailleurs allemands si, par souci de démocratie, leur gouvernement les interrogeait sur la gestion de la dette grecque ?

Il est significatif que le plébiscite de M. Tsipras ait suscité l’enthousiasme de la gauche radicale, notamment française. Pour elle, la démocratie se résume à renverser la table, monter aux barricades, prendre la Bastille. De manière romantique, elle limite la participation du peuple à la séquence où il dépose le roi, pour ceindre à sa place la couronne de souverain.

Toute autre est la vraie démocratie. Pacificatrice, elle commence après la guerre, pour que celle-ci ne se reproduise plus. Mesurée, elle ne dresse pas les citoyens contre leurs dirigeants, mais organise leur dialogue. Permanente, elle dépasse l’addition de scrutins, pour instaurer un processus complexe de discussions et de consultations. Protectrice, elle construit des majorités, sans écraser les minorités. Humble, elle régit un territoire, tout en reconnaissant la valeur des démarches similaires autour d’elle. Vivante, elle encourage l’affrontement passionné des idées et des programmes, mais écarte par principe la violence.

Une telle culture de la décision collective, toujours turbulente, jamais destructrice,  fait encore défaut à l’échelon européen. Le Parlement et les autres instances démocratiques n’ont pas transcendé les invectives nationales. Or, sur notre continent, la défense des intérêts légitimes des peuples peut s’effectuer dans le respect d’une conscience européenne forte. La crise grecque livrera-t-elle demain cette vraie leçon de démocratie ?

Place à la négociation autonome

L’annonce de la prochaine nomination d’un « négociateur en chef européen » est à la fois dérisoire et inquiétante.

Dérisoire, puisque ce diplomate devra faire semblant de poser aux Européens une question dont la réponse est connue. Depuis de longs mois, Mme Ashton, Mme Mogherini, M. Juncker, le Parlement, les 28 ont indiqué à maintes reprises que la libre circulation des personnes n’était pas négociable. Ni des contingents, ni la préférence nationale, ni une clause de sauvegarde ne sont compatibles avec un principe qui est le socle des accords bilatéraux conclus avec l’UE.

Si d’ailleurs M. Gattiker avait obtenu la moindre ouverture sur la question migratoire, il n’aurait pas été mis sur la touche. L’enthousiasme du Conseiller fédéral Burkhalter indiquant une multiplication des efforts à partir des discussions effectuées s’apparente donc à la joie du salarié apprenant que sa rétribution est triplée, alors que sa fiche de paye est égale à zéro.

Inquiétante, parce que cette gesticulation fédérale n’a d’autre finalité qu’interne. D’une part, le terme de négociateur permet de relancer la fiction d’une vraie négociation, alors qu’il n’existe aucun mandat européen pour en ouvrir une. D’autre part, l’apparence de changement offre au Conseil fédéral une nouvelle tranche de silence, quand il faudrait impérativement dire la vérité pour espérer sortir de l’impasse.

Persévérant dans l’erreur, le Conseil fédéral entretient l’illusion qu’il sera possible d’introduire des contingents, tout en maintenant une voie bilatérale qui les exclue et doit en outre être repensée pour avoir une chance de survivre. Plus le temps passe, plus la sortie de ce déni de réalité sera cruelle.

Mais aujourd’hui, la Suisse croit utile de se leurrer pour ne pas trop souffrir. Elle préfère le mensonge collectif à la moindre réflexion sur son destin. Elle se bouche les oreilles pour ne pas entendre les avertissements venant de l’extérieur. Ainsi, après la « reprise autonome » du droit européen, elle a inventé la « négociation autonome ». Evacuant les questions de fond avancées par ses partenaires, elle se parle d’elle-même à elle-même, dans une sorte de jouissance narcissique et idiote, qui est en train de devenir une prison fermée à doubles tours.

 

Sur le même sujet ne manquez pas non plus l'opinion de Jacques Neirynck 

http://www.hebdo.ch/les-blogs/neirynck-jacques-blog-politique/le-vaudeville-suisse-%C3%A0-bruxelles

Les Romands sauvent la LRTV, le débat continue

L’USAM, l’UDC et la presse écrite, qui ont fait bloc, ont échoué d’un rien. Naturellement, dans leur esprit, le contenu de la loi n’avait guère d'importance ; l’objectif était de stopper les médias de service public, trop puissants, trop protégés, trop couteux. Heureusement, malgré les millions investis, cette opération commando n’a pas fonctionné. Toutefois, nul ne peut se réjouir d’une campagne qui laisse les problèmes ouverts.

Premièrement, l’offensive des référendaires laisse un goût amer. Avec des moyens considérables, ils ont multiplié les mensonges et les insultes. A nouveau, les débats ont été sciemment détournés des normes soumises à votation, pour être orientés vers des interprétations fallacieuses. Une fois de plus, la démocratie directe a vécu une séquence de désinformation populiste, qui ne la grandit pas.

Deuxièmement, les critiques massives des journaux contre la SSR ont suscité un certain malaise. Alors qu’un refus de la LRTV ne leur aurait pas fait gagner un seul franc, ni un seul lecteur, ils n’ont pas craint de renforcer l’illusion que la démocratie pouvait se satisfaire des seules lois du marché. Dans cette optique, la coupure forte entre les positions souvent idéologiques de la presse francophone et la réalité de la région est inquiétante.

Demain, le débat sur le service public va reprendre. Tant mieux ! Il est nécessaire. Mais il doit s’élever au-dessus des attaques populistes contre les méchants fonctionnaires trop payés, pour s’ouvrir aux questions qui n’ont pas encore été abordées :

Quelles sont les conditions nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie et au maintien de sa cohésion sociale ? Quels rôles jouent les médias dans ces processus ? En quoi le service public ne fait-il pas le même travail que les privés ? Quelles sont ses missions et ses exigences spécifiques ? Pourquoi ne peut-il pas être remplacé par des entités soumises à des facteurs purement économiques ?

La Suisse romande a défendu la pérennité de l’institution SSR. En réalité, une crise peu féconde a été évitée. Par contre, les prémisses d’un débat de fond exigeant sont réalisées.

Retrouvez ici le sommaire des votations de ce 14 juin

L’initiative populaire ou l’irresponsabilité collective

En Suisse, l’opinion dominante affirme que le droit d’initiative populaire, joyaux de la démocratie directe, favorise la responsabilité des citoyens. Un examen sérieux de son fonctionnement infirme ce postulat.

Au départ, le comité d’initiative ne fait que lancer une idée ; nul n’est obligé de la cautionner et son destin dépend du peuple suisse. Dans le même esprit, celui qui appose sa signature au bas de la disposition proposée ne se sent responsable de rien ; il ne fait qu’accepter d’ouvrir le débat, sans être l’instigateur de la démarche, qui sera tranchée dans les urnes. Le jour de la votation, le citoyen raisonne de même ; on lui demande son avis, il le donne ; mais il n’est pas l’auteur de la proposition ; quant aux conséquences du résultat, elles sont du ressort du Parlement ; d’ailleurs, personne n’est en mesure de les décrire ; de surcroît, il n’a qu’une voix parmi des millions, ce n’est pas son vote personnel qui forgera la décision.

Avec des raisonnements similaires, le Conseil fédéral, les partis, les élus jouent leur partition, sans être ni le compositeur, ni le chef d’orchestre. Chacun produit sa petite musique, nul ne se sent en charge du pays.

Certes, une fois que le peuple a parlé, sa responsabilité est engagée. Mais il n’est qu’une entité anonyme, à la quelle rien ne peut être reproché et qui ne devra pas gérer les conséquences de ses choix.

Au plan institutionnel, le peuple a toujours raison et ses décisions ne peuvent être renversées que par lui-même ; cette convention est un axiome de base de la démocratie. Au plan politique, le peuple est aussi faillible que chaque être humain ; il peut se montrer juste, avisé, raisonnable, mais aussi sot, égoïste, haineux. Pourtant, il n’est jamais fautif, parce qu’il n’est pas une entité sociologique cohérente ; insaisissable, il n’est qu’un terme pour désigner la somme d’une incroyable diversité, où chaque individu compte autant qu’un autre.

Enfin, les médias ne sont pas responsables des errances de la démocratie directe, qu’ils ont le devoir de couvrir. Même quand ils mettent de l’huile sur le feu, ils ne font qu’amplifier les débats que certains acteurs veulent bien agiter.

L’acceptation de l’initiative contre l’immigration donne une illustration magistrale de ces phénomènes. Aujourd’hui, le désarroi est total face à des conséquences pourtant annoncées et parfaitement logiques. La Suisse a choisi d’attaquer la libre circulation des personnes, socle des accords bilatéraux qu’elle avait elle-même demandés. C’était son droit, mais elle ne pouvait espérer que cette rupture du contrat européen reste sans effet.

Or, au lieu de s’interroger sur elle-même, avec lucidité, au lieu de se demander comment elle en est arrivée là et comment sortir de l’impasse, la Suisse incrimine les autres, tandis que le Conseil fédéral se cache comme lièvre dans son terrier. Nouvelle charge de Bruxelles, les Européens durcissent le ton, la Commission intransigeante, les Vingt-huit sans pitié ! Tels sont les cris de l’opinion. Finira-t-on par dire que c’est l’Union européenne qui a voté contre la Suisse le 9 février 2014 ?

La démocratie directe est un système fascinant, qui donne la responsabilité aux citoyens, aime à dire en substance, Simonetta Sommaruga, Présidente de la Confédération. Vraiment ? Loin de la liturgie officielle, l’observation du réel montre au contraire que l’initiative populaire encourage souvent l’irresponsabilité collective.

Avantage suisse, jeu européen

Emmenée par les entrepreneurs Hans-Jörg Wyss et Jobst Wagner, l’économie s’engage contre l’isolement de la Suisse, en lançant l’association «Avantage suisse». Il était temps! Afficher quelques pommiers avant une votation ne suffit plus. Les thèses blochériennes ont passé dans l’ADN citoyen. Seule une vaste campagne, audacieuse et durable, peut les contrer efficacement.

Une mobilisation générale contre l’Alleingang est d’autant plus nécessaire que le Conseil fédéral a volontairement disparu des écrans radar. Plus soucieux de préserver son image que de dire la vérité au pays, il a abandonné aux associations le soin de préparer un nouveau vote européen, qu’il sait pourtant inéluctable.

Aujourd’hui encore, le négociateur en chef de l’UE, M. Maciej Popowski, confirme dans La Liberté que ni les contingents, ni la préférence nationale, ni une clause de sauvegarde ne sont acceptables. Après Mmes Ashton et Mogherini, après le rapport des Vingt-huit sur les pays de l’AELE, une nouvelle déclaration douche les fantasmes helvétiques: la libre circulation des personnes ne sera ni renégociée, ni amendée.

Dans ce contexte, la création d’Avantage suisse constitue une bonne nouvelle. Toutefois, son action ne sera féconde qu’à la condition d’intégrer deux paramètres essentiels.

Premièrement, les défenseurs de la voie bilatérale doivent se rappeler qu’elle est morte dans sa forme actuelle. Sans un nouveau cadre institutionnel organisant la reprise du droit européen et de son interprétation, les relations avec l’UE finiront de s’asphyxier. Par conséquent, leur discours ne peut se limiter à la célébration d’un statu quo moribond. C’est une avancée dans l’intégration qu’il convient de promouvoir, pour détourner nos compatriotes de l’isolement.

Deuxièmement, pour renverser la vapeur, il ne suffira pas d’affirmer que nos liens avec l’UE sont vitaux pour l’économie. Ce mantra n’opère plus. Le souverainisme a si bien intoxiqué les Suisses qu’ils attribuent leur prospérité à leurs seules vertus. Démasquer le dénigrement quotidien de l’Union, construire peu à peu une conscience européenne, inscrire le destin de la Confédération dans celui de son propre continent, tels sont les défis à relever sans attendre.

En fait, une campagne strictement défensive, matérialiste et helvéto-centrée ne produira pas d’effet. Personne ne renonce à faire cavalier seul, s’il ne voit ni l’orage qui menace, ni les escadrons qui galopent autour de lui.

La prochaine votation ne se gagnera donc pas en alignant des bilans et des statistiques, mais par des arguments politiques réconciliant le pays avec sa véritable histoire. Autrement dit, aucun avantage suisse ne peut se développer sans entrer ouvertement et avec ardeur dans le grand jeu européen.

Quel bonheur de souffrir entre Suisses !

L’an dernier, la campagne de votation sur l’initiative UDC contre l’immigration de masse nous avait peint une Suisse en grande souffrance.

A entendre les uns et les autres, le pays était au bord de l’explosion sociale, tant les conditions de vie des habitants devenaient précaires. Même la gauche était tombée dans le piège tendu par les nationalistes en validant leurs diagnostics. Certes, elle s’opposait vivement aux contingents, mais elle voyait dans les élucubrations contre les travailleurs étrangers de mauvaises réponses à de vrais problèmes.

Or, stupéfaction, la première réaction à la victoire de l’UDC fut de proposer l’augmentation joyeuse des présumées souffrances helvétiques. Pour se passer des immigrés, on allait mobiliser les femmes et les retraités. Un sursaut collectif permettrait de mettre au travail les forces vives de la nation, rendant inutile l’apport des étrangers.

Aujourd’hui, nouvelle stupéfaction, le choc du franc fort suscite un réflexe similaire. Après une première vague de protestations, un consensus semble se dessiner pour travailler plus en gagnant moins.

Or, nul ne parvient à montrer ce que la Suisse gagnera en se privant de la libre circulation des personnes. De même, nul n’est en mesure d’expliquer l’intérêt d’une souveraineté monétaire fictive, puisque le franc est dépendant de l’euro, qu’il flotte ou s’arrime à ses flancs.

Dès lors, soit les Suisses ont le sentiment de ne pas travailler assez pour un salaire immérité. Soit ils aiment souffrir. Et si la deuxième hypothèse est la bonne, quel est le bénéfice secondaire de ce masochisme ?

En fait, le gain de cette péjoration économique et sociale volontaire est considérable, puisqu’il permet de nier l’extérieur. Penser comme si l’Europe n’existait pas ; faire campagne sans jamais parler d’elle ; réduire les choix politiques à des facteurs nationaux ; affirmer que les problèmes des citoyens peuvent être traités dans un petit périmètre rassurant ; autant d’artifices, mais quelles satisfactions !

Mentalement, la Suisse rejoint peu à peu l’Albanie d’Enver Hoxa. Exister, c’est se couper du monde, puis souffrir pour mériter le bonheur de la solitude. Jusqu’à quel degré d’absurdité et d’inconfort la Suisse poursuivra-t-elle l’expérience ?

Dénis suisses, vérités européennes

Deux siècles après le Congrès de Vienne, la Suisse traverse une crise qui la voit à nouveau fortement dépendante de l’Europe. En 1815, déchirée, au bord de la guerre civile, elle remet son destin entre les mains des « puissances européennes ». Aujourd’hui, elle aimerait bien que l’Union européenne lui donne la solution miracle, qui lui permettrait de transcender ses divisions.

Hélas, les temps ont changé. La balle reste désespérément dans le camp d’une Confédération incapable de dire ce qu’elle veut, après son acceptation de normes constitutionnelles attaquant la libre circulation des personnes. Toutefois, les entretiens que les dirigeants Européens accordent aux Suisses agissent comme autant de révélateurs. Si chaleureux qu’ils soient, ils dispensent un certain nombre de vérités, qui éclairent les dénis dans lesquels le pays s’est enfermé. En particulier :

1) Conformément aux mises en garde qui avaient été effectuées avant la votation du 9 février 2014, l’introduction de contingents ou de la préférence nationale ne sont pas compatibles avec le principe de la libre circulation des personnes, socle des accords bilatéraux conclu avec l’Europe.

2) Cette incompatibilité ne tient pas à des facteurs politiques ou diplomatiques variables, mais à la nature même de l’Union, qui est définie par un certain nombre de libertés créant un espace commun.

3) Connaissant ces faits, le Conseil fédéral a commis une faute grave, en ne s’engageant que mollement dans la campagne. Certains se sont battus, d’autres se sont abrités. Si l’exécutif avait bataillé avec ardeur, les dix mille oui de trop auraient aisément basculé dans le camp du non.

4) Bien qu’il ait perdu une votation stratégique, le Conseil fédéral n’a tiré aucune leçon de son échec. Douze mois ont été perdus en laissant croire aux citoyens qu’il serait possible d’appliquer l’article contre l’immigration, tout en renforçant la voie bilatérale.

5) Aujourd’hui, seuls les Suisses de mauvaise foi parlent de « négociations » avec l’UE, alors que le Président de la Commission vient de les exclure au profit d’un simple dialogue et qu’aucun mandat n’est en chantier côté européen.

6) Par conséquent, les contingents à géométrie variable et autres clauses de sauvegarde sont des bricolages sans avenir. Il n’y aura pas d’astuce permettant de bénéficier des accords bilatéraux sans accorder la libre circulation aux Européens.

7) De même, la tournée des vingt-huit capitales pour exposer les souffrances de la Suisse et tenter d’attiser les vieilles complicités anti Bruxelles n’a guère de sens, puisque la Commission a établi un dialogue direct.

8) Lucide, La Conseillère fédérale Eveline Widmer Schlumpf a tiré les conclusions qui s’imposent. En substance, elle a indiqué qu’un nouveau vote lui paraissait nécessaire pour sortir de l’impasse. Le 10 mai 2014 déjà, Les Etats généraux européens de Berne l’avaient affirmé avec force : seul un nouveau vote, clarifiant la décision du 9 février et protégeant la libre circulation des personnes avec l’UE, permettra à la Suisse d’éviter l’Alleingang.

9) L’attentisme ne conduira à rien. Plus le temps passe, plus l’incertitude augmente, plus l’économie se dégrade… et plus le Conseil fédéral perd pied. Sans tarder, la Suisse doit dire ce qu’elle préfère : renoncer aux accords bilatéraux ou renoncer aux dispositions qui les attaquent.

10) De manière plus fondamentale, la Suisse est à la croisée des chemins. Elle doit choisir entre l’isolement et une relation toujours plus étroite avec l’Union. L’illusion de pouvoir prospérer dans le marché européen et hors de ses règles est terminée.

Lire aussi: Bravo, Eveline Widmer-Schlumpf. De Michel Guillaume

Lire l'Edito de Chantal Tauxe: L'hypocrisie, le prix du mensonge

 

 

 

 

 

 

Désappartenir

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Ils n’ont pas ciblé le Front National, qui stigmatisent les Musulmans depuis tant d’années. Ils n’ont pas visé le Schweizerische Volkspartei, qui a su faire interdire les minarets en Suisse. Ils n’ont pas attaqué un Ministre, rouage de l’Etat. Ni même une banque, actrice du capitalisme mondialisé.

Ils ont tué des saltimbanques, en ajoutant au massacre quelques juifs et policiers pour faire bonne mesure. Ils n’ont pas tiré sur le camp d’en face, sur les durs, les intransigeants, les islamophobes, mais sur les doux rebelles qui osaient prétendre en riant n’appartenir à aucun camp. L’idéologie ne peut tolérer l’insolence, quand elle affirme qu’aucun mot n’est digne de porter majuscule. La dictature n’accepte pas la dérision, qui dévoile les manipulations de son catéchisme.

Stupéfiante volte-face, le peuple, qui n’aime guère l’anarchie, s’est levé en masse pour défendre le droit à la provocation sans tabou. Sursaut  historique, des foules immenses se sont formées pour pleurer l’assassinat d’une poignée d’artistes libertaires issus de Mai 68, cette révolution culturelle que les notables et les bourgeois ont tant méprisée.

Spontané, un nuage de fraternité grave et légère a enveloppé l’Europe, étendant ses volutes dans le monde entier. Aujourd’hui, le défi est de garder sur la peau ses parfums de tolérance et de liberté. Demain, le risque est qu’il se transforme en cumulus sombre, où les convictions citoyennes se cristallisent en certitudes nationales.

Par leurs créations, y compris dans leur choix d’une vulgarité souvent pesante, les victimes de la tuerie ont toujours tourné le dos aux clans, aux factions, aux partis, aux communautés, aux républiques en tout genre. Leur mort nous rappelle que si la culture permet l’appartenance rassurante au groupe, la véritable civilisation garantit aux humains la liberté décapante de "désappartenir".