Ombres et lumières sur Palais fédéral

L’armée ou l’obligation de sourire

Le charme du droit d’initiative est d’autoriser la convocation du peuple suisse pour lui poser une question inutile ou lui proposer un objectif impossible à atteindre. L’exploit du GSSA est d’avoir réuni ces deux défauts dans la même démarche.

D’une part, il n’était pas nécessaire de demander la suppression de l’obligation de servir, puisque celle-ci n’existe plus. Une petite moitié des jeunes suisses entre à l’école de recrues et, au final, à peine vingt pour cent des hommes déclarés aptes effectuent leurs devoirs militaires au complet. En fait, la diminution constante des effectifs ne permet d’enrôler qu’une petite part des citoyens concernés.

Par conséquent, dans un vote qui tient du déni de réalité, le peuple suisse a décidé de maintenir une règle qui a déjà disparu. L’obligation de servir ne concerne que ceux qui veulent bien la prendre au sérieux.

D’autre part, supprimer formellement l’obligation de servir représente un objectif impossible, puisque l’armée suisse n’est jamais discutée sous l’angle de la sécurité, mais dans une approche d’ordre culturel. En effet, pour la majorité de nos compatriotes, l’armée est d’abord « une école de suissitude ». Elle a pour mission de prendre en main les jeunes gens et de leur inculquer la ponctualité, l’obéissance, le goût de l’effort, ainsi qu’une vision traditionnelle d’une histoire nationale mythifiée. Autrement dit, l’armée sert d’abord à créer et nourrir un récit collectif sublimé sur les vertus helvétiques.

Par contre, s’agissant de son efficacité militaire, les Suisses ne sont pas fous. Par expérience, ils connaissent son côté folklorique. Sans oser le dire, ils savent qu’elle devrait être intégrée dans un dispositif européen pour être crédible. Ce tabou rend impossible la discussion sur ses buts et ses missions.

Au final, les Suisses ont l’obligation fictive de servir dans une armée fiction qui, elle, n’a pas l’obligation de servir à grand-chose.

Plus que jamais, pour celles et ceux qui en connaissent le contenu réel, l’expression « armée suisse » ne peut entraîner que « l’obligation de sourire ».

Quitter la version mobile