Covid-19: SOS enseignants en détresse! Troisième partie

Dans les deux posts précédents, et plus particulièrement dans celui destiné aux sciences humaines et sociales, nous avons commencé une approche systémique, globale du Covod-19 et de son implication sur notre vie, notre monde et son évolution. Mais pour bien comprendre la situation et la manière de la vivre, nous ne pouvons faire l’impasse sur les sciences de la nature et les mathématiques. Le post d’aujourd’hui va donc s’efforcer de tisser des liens entre la propagation du Covid, ses effets sur la santé et la manière dont les états ont réagi face à cette crise.

Développer des connaissances contextualisées pour comprendre la complexité du monde et y faire face de manière responsable.

La respiration chez les plus jeunes, la cellule chez les plus grands, le corps humain d’une manière générale est le sujet de prédilection de la biologie, cette dernière faisant partie du domaine plus large de MSN (maths et sciences de la nature) dans le Plan d’études romand (PER). Cela tombe bien. Pour comprendre comment le Covid-19 s’y prend pour être mortel, il faut avoir certaines notions sur ces sujets. Alors, pourquoi ne pas l’utiliser pour les apprendre?

Pourquoi devons-nous respirer? Que devient l’air une fois entré dans nos poumons? Pourquoi ne plus respirer entraîne la mort? Le Covid-19 déclenche une réaction inflammatoire qui, finalement, induit la présence d’eau dans les alvéoles pulmonaires, empêchant le passage de l’oxygène dans le sang. Cette vidéo des HUG présente de manière assez simple ce phénomène: https://www.youtube.com/watch?time_continue=4&v=9aHlFkatMIk&feature=emb_logo.

Découvrir cela peut-être proposé comme une intrigue digne de la police scientifique. Nous connaissons le tueur, nous savons que la mort est provoquée par une sorte d’étouffement… mais comment l’assassin s’y prend-il? Pour répondre à cette énigme, les élèves doivent comprendre comment l’oxygène (plus précisément, le dioxygène) traverse la paroi alvéolaire du poumon pour entrer en contact avec les capillaires. Ils doivent aussi comprendre pourquoi le corps a besoin de ce dioxygène et ce qu’il devient dans le corps. Voici une vidéo pas trop compliquée expliquant le mécanisme du passage alvéoles-capillaires: https://www.reseau-canope.fr/corpus/video/la-respiration-92.html. Le didacticiel Pulmo de P. Perez, est un excellent support pour comprendre le fonctionnement de la respiration humaine, mais n’est pas disponible pour les Mac (du moins, pas pour le mien) : https://disciplines.ac-toulouse.fr/svt/les-logiciels-de-pierre-perez.

Pas besoin d’un cours en présentiel pour aborder ce sujet, mais d’un scénario qui va motiver les élèves à chercher par eux-mêmes les explications scientifiques. Là encore, en fonction de l’âge des élèves, des supports vont être proposés, des liens, des sites, des schémas, ou alors, le travail de recherche est laissé à la responsabilité des élèves. Les niveaux de formulation exigés vont varier en fonction des connaissances préalables et de ce que les élèves ont déjà vu en classe. L’utilisation d’un vocabulaire scientifique n’est pas toujours nécessaire. En effet, il masque souvent de grandes lacunes de compréhension.  L’explication phénoménologique, à travers un vocabulaire courant, est souvent plus pertinente, car elle oblige l’élève à expliquer “avec ses mots” ce qui se passe réellement. Pour rendre compte de ce phénomène, on peut très bien demander à l’élève de se filmer lorsqu’il réalise un dessin qu’il va commenter, avec la consigne: “explique comme si tu devais faire comprendre cela à un enfant plus jeune que toi”. Bien sûr, un temps limite est donné pour le film, mais pas forcément des objectifs trop précis, qui enfermeraient les explications dans le cadre de “ce que veut le prof”…

Avec les plus grands, même si un premier travail peut également porter sur cette thématique -histoire également de rappeler quelques connaissances de base- les principaux éléments constitutifs de la cellule doivent être convoqués. L’occasion de parler de membranes, de cytoplasme, de noyau, de transcription, d’ARN, mais également d’acidité, le pH devant être modifié par le virus pour permettre la fusion de son enveloppe avec la membrane vésiculaire de la cellule dans laquelle il s’est introduit par endocytose. Un article extrêmement complet “Antiviraux et vaccins : le point sur les pistes pour freiner le coronavirus” mais assez ardu est proposé sur le site de The Conversation. En choisissant certains paragraphes, il peut devenir un très bon support destiné aux élèves pour comprendre les mécanismes qu’utilise le virus pour entrer dans la cellule et s’y reproduire. Cet article propose également une vision très précise de comment la science fonctionne et plus encore pour faire face à cette crise planétaire. L’occasion de faire entrer les élèves dans une vision globale de ce que signifie “la science en train de se faire”.

Dans le même registre et pour suivre les pérégrinations des scientifiques, plusieurs articles de la même auteur sur les questions qui entourent l’origine animale du Covid-19 montrent comment la science avance, recule, cherche, teste, se confronte à ses pairs et rebondit: https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-coronavirus-mystere-origines-animales-epaissit-79290/. Il va sans dire que l’approfondissement de ce sujet conduit lui aussi jusque dans les profondeurs de la cellule et fait référence à d’autres maladies transmises par les animaux, tels que le SRAS ou Ebola. Des ressources “clé-en-main” pour des élèves de 12 à 16 ans abordent certains de ces sujets, à découvrir sur le site: https://blog.hepfr.ch/engage/. Pour ne pas faire croire qu’il n’y a qu’en Chine ou plus largement en Asie que l’on peut manger des animaux apportant des maladies à l’homme, un petit retour sur la “vache folle” peut être le bienvenu…

Si certains savent faire la différence entre un virus et une bactérie, ce n’est peut-être pas le cas de tous les élèves. Avant d’aller plus avant sur le lien entre virus et cellule, une petite recherche individuelle pour ceux qui ne sauraient pas dire en quoi un virus se différencie d’une bactérie et l’influence que cette différence fait sur les méthode de traitement et de prévention serait bienvenue. Cela permettrait d’ancrer certaines connaissances de base et, surtout, de comprendre les mesures prises et le sens que prennent les recherches, notamment celles portant sur un vaccin. Un excellent article, court et concis propose un éclairage sur ces différences, et met le doigt, en plus, sur une différence de grandeur notoire entre ces deux microbes: http://www.linternaute.com/science/biologie/expliquez-moi/virus-bacterie/virus-bacterie.shtml. L’occasion de parler d’ordres de grandeur et d’échelles, de transformations d’unités et d’extrapolation. Si un virus mesurait 1cm, quelle serait la taille d’une bactérie? D’une puce? Et moi, à cette échelle, quelle serait ma taille? Pour rappel, la taille d’une bactérie se situe entre 0.1 et 10 µm (micromètres). Le virus, quant à lui, mesure en 10 et 400 nm (nanomètres). 1mm = 1000 micromètres et 1000000 nanomètres. Une mise en bouche mathématique qui va nous permettre d’aller plus loin…

Car, pour réellement comprendre les mesures d’urgence imposées par les différents gouvernements, une approche mathématique est indispensable. Pour commencer cette réflexion et situer le problème, donner à lire l’article du Temps qui questionne la différence entre grippe et Covid-19: https://www.letemps.ch/sciences/covid19-bien-pire-quune-grippe tout en donnant des informations sur le nombre annuel de morts par la grippe. Ensuite, il faut s’intéresser à deux facteurs clé: le temps d’incubation, pouvant aller jusqu’à 14 jours pour le Covid contre 3 à 6 pour la grippe et le RO (nombre moyen de personnes auxquelles un malade risque de transmettre la maladie), qui se situe entre 2 et 3 pour le Covid, quand il n’est que de 1 pour la grippe saisonnière. Ces informations sont disponibles dans un article très court: https://sante.journaldesfemmes.fr/maladies/2619471-coronavirus-ou-grippe-differences-symptomes-incubation-diagnostic-mortalite/#incubation-coronavirus-grippe.

Comprendre la propagation du Covid passe par la compréhension des courbes exponentielles, et donc des puissances. Deux objectifs mathématiques importants qui peuvent être abordés dès le cycle II, surtout si l’on reprend l’histoire du roi Shirham qui n’a jamais pu payer sa dette en grains de blé à ben Dahir… Un excellent article présente cette légende et explique très clairement le mécanisme mathématique, tout en faisant le lien avec le Covid-19. A ne pas manquer! https://lactualite.com/sante-et-science/mathematiques-grains-de-ble-et-coronavirus/. Une fois le principe compris, on peut l’appliquer à la propagation de 3 personnes plutôt que de 2 et regarder la différence de courbe que cela produit. Il est intéressant, par la suite, de comparer ces courbes théoriques à celles que présente la situation actuelle mondiale et celles des différents états, pour voir dans quelle mesure elles suivent ou non les pronostics mathématiques. Une grille présentant les différents RO de plusieurs maladies contagieuses permet de mieux comprendre pourquoi certaines, bien que plus graves en termes de mortalité, ne conduisent pas aux mêmes mesures sanitaires.

Les mathématiques permettent également de comprendre en quoi les mesures de confinement permettent de gérer la crise. Là encore, un article (canadien) explique parfaitement la manière d’infléchir les courbes afin de permettre aux hôpitaux de ne pas crouler sous le nombre de malades: https://lactualite.com/sante-et-science/covid-19-aplatir-la-courbe-pour-gagner-au-limbo/. Ces réflexions sont à mettre en parallèle avec les non mesures prises (au début) par la Grande-Bretagne, misant sur “l’immunité de masse”. Lire à ce propos: https://www.letemps.ch/monde/royaumeuni-boris-johnson-tente-limmunite-masse. Une comparaison peut ensuite être faite entre le nombre de morts comptabilisés dans les pays les plus touchés -en proportion avec la population, encore une base mathématique importante- et les 32’000 morts attendus au Royaume-Uni.

L’idée d’immunisation de masse peut d’ailleurs être également étudiée en biologie, pour comprendre le mécanisme des anticorps et être mis en lien avec la manière dont fonctionne les vaccins vu précédemment.

Mais le domaine des mathématiques ne s’arrête pas là. Pour comprendre l’effondrement économique qui touche déjà certains secteurs et que redoutent les états, le recours aux mathématiques peut être très utile. En effet, plusieurs questions peuvent être posées: tout d’abord, qu’est-ce que le PIB et comment se calcule-t-il? Qu’est-ce qui, dans ces paramètres, contribuerait à une chute du PIB (en rester au cas de la Suisse)? Face au problème du financement de l’AVS et des caisses de retraite que rencontre la confédération, le coronavirus, en s’attaquant aux personnes âgées, n’apporte-t-il pas une solution économique? Comment les états peuvent-ils faire en sorte que les PME, les indépendants et même certaines grandes entreprises dont l’activité est gelée ne fassent pas faillite? Quel est le rôle des banques là au milieu? Et celui des impôts? Toutes ces questions, très terre-à-terre et basiques -mais qui posent souvent des questions éthiques- permettent de mieux comprendre ce qui se joue actuellement avec cette période de confinement. Ces informations peuvent bien sûr être mises en relation avec les textes demandés en français (voir premier post de SOS enseignants en détresse) où il s’agissait de s’intéresser à des personnes en difficulté.

Ces bases établies, grâce à des recherches organisées de manière individuelles ou par groupes et compilées, soit dans un document écrit, soit lors d’une visio où ces informations seraient partagées, permettraient de rebondir sur les coûts prévisionnels d’un effondrement dû au changement climatique, évalué en 2006 par l’économiste Stern (une approche de ces données est proposé en sciences humaines et sociales (SHS) dans la deuxième partie de ces posts sur SOS enseignants en détresse) et celui que l’on peut prédire dans la situation actuelle. Si le “monologue du virus” (https://lundi.am/Monologue-du-virus) n’a pas été traité en SHS, il peut très bien servir de base de réflexion pour ce chapitre de mathématique qui tient de la résolution de problème. Il s’agit, dans ce cas, moins de chiffrer que de comprendre la complexité des paramètres dont il faut tenir compte et la manière dont ils interfèrent entre eux. Pour varier les supports, une carte conceptuelle peut être réalisée de manière collective. Une importance toute particulière sera portée sur les liens entre les items, ceux-ci méritant d’être explicités, car leur relation n’est pas forcément la même, et des boucles de rétroaction peuvent y apparaître, ce qui nécessite de s’y attarder de manière spécifique puisque leur résultat va augmenter ou diminuer l’effet initial et augmenter la complexité de la situation.

Plus tournée vers la chimie de l’atmosphère, on peut également rappeler que la pollution atmosphérique participe de deux manières à augmenter la dangerosité du virus. Tout d’abord, elle participe à développer chez les individus des faiblesses du système respiratoire et des maladies chroniques -telle que l’asthme- qui créent la fameuse “population à risque” chez laquelle le Covid-19 peut être mortel. Ensuite, elle favorise, grâce à ses microparticules en suspension dans l’air, la propagation du virus d’un individu à l’autre. Sans compter la mortalité qui l’accompagne en “temps normal”, elle doit donc être prise en compte dans le calcul du coût économique d’une telle pandémie et des économies potentielles auxquelles peut conduire une réduction de la pollution et des gaz à effet de serre. Un article intéressant, complémentaire à celui proposé en lien avec ce thème dans le post précédent, et mettant en évidence les composés de l’atmosphère qui participent à cette diffusion est proposé par Le Point : https://www.lepoint.fr/sciences-nature/quand-les-effets-du-covid-19-se-voient-depuis-l-espace-11-03-2020-2366739_1924.php.

Ce sujet est d’ailleurs infini pour ce qui est de la physique et de la chimie de l’atmosphère.

A nouveau, je le répète, ces propositions ne sont pas exhaustives et je serais tout à fait heureuse si d’autres propositions ou d’autres manières d’aborder ces sujets venaient les compléter. N’hésitez pas à utiliser les commentaires pour faire part de vos expériences, de vos suggestions ou de vos questionnements. Je me ferai un plaisir de les proposer dans la poursuite de ces posts. Je remercie d’ailleurs Gilles Blandenier, de la HEP BEJUNE, pour ses suggestions, déjà intégrées dans ce post!

Le dernier post sur ce sujet abordera les arts et les langues seconde et troisième et un petit bilan sur l’ensemble des compétences que cette drôle de situation peut développer chez nos élèves… à bientôt

Covid-19: SOS enseignants en détresse! Deuxième partie

Suite au post précédent, axé essentiellement sur des objectifs de français, les pistes que je propose aujourd’hui sont plus dirigées vers les sciences humaines et sociales. Reprenons. Le travail proposé aux élèves en français pour construire des textes d’anticipation peut être grandement facilité par des travaux d’investigation menés en parallèle dans différents champs disciplinaires. Pour donner plus de cohérence à l’ensemble de cette réflexion, un travail d’équipe au sein des enseignants serait des plus bénéfiques pour les élèves. Il permettrait de développer tout le potentiel que peut apporter une approche interdisciplinaire et donnerait plus de sens aux savoirs abordés. Mais cette coordination n’est pas non plus totalement indispensable.

Pour développer la pensée complexe, l’approche systémique, la prospective mais aussi l’esprit critique et la créativité.

Envisager le futur, comprendre si ce dernier peut être pensé en continuité ou en rupture avec le passé est plus facile lorsqu’on peut se référer à l’Histoire. Y a-t-il déjà eu des pandémies comparables à celles que nous vivons aujourd’hui? Qu’est-ce qui les rapproche et qu’est-ce qui les différencie? Et quelle est la part des échanges internationaux dans leur diffusion? Depuis la peste de Justinien en 541 en passant par les maladies apportées par les colons aux Amérindiens à partir de 1492, la peste de Londres en 1664, jusqu’au Covid-19, plusieurs grandes épidémies, voire pandémies, ont participé à modifier le cours de l’Histoire. Plusieurs sites donnent une vue rapide des pires pandémies au cours des siècles. J’en ai retenu 2, qui résument très bien ces différentes attaques et les situent dans leur contexte tout en apportant quelques éléments plus complexes :
https://www.passeportsante.net/fr/Actualites/Dossiers/DossierComplexe.aspx?doc=Les-pires-epidemies-du-monde
http://www.sympatico.ca/actualites/decouvertes/histoire/plus-grandes-epidemies-histoire-1.1661474

En fonction de l’autonomie des élèves à travailler à distance, on peut tout à fait imaginer que, par groupe, ils s’intéressent plus particulièrement à l’une de ces pandémies, et qu’ils réalisent un petit dossier qu’ils présenteront lors d’une séance en visio, sur Teams, Zoom ou Skype. A nouveau, en fonction de l’âge et de l’autonomie des élèves, des supports peuvent être ou non proposés et les exigences quant au contenu du dossier vont également varier et être adaptés. Des éléments simples comme l’époque (date), la ou les régions touchées, le nombre de morts, le type de maladie, la manière dont elle se transmet peuvent être complétés par des éléments plus difficiles à identifier tels que les moyens pour la combattre -ce qui peut conduire à prendre conscience de l’évolution de la médecine et de l’importance de l’hygiène- et la part des échanges commerciaux et ou internationaux dans sa diffusion. A ce propos, la pollution de l’air semble un facteur important de propagation du coronavirus:
https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-pollution-air-autoroute-coronavirus-80173/

Une synthèse présentant ce qui les différencie et ce qui les rapproche peut être faite dans un deuxième temps, une fois les présentations de chacun réalisées. Un tel travail de recherche, de compilation et de mise en forme nécessite du temps. Ne stressez pas les élèves et laissez-leur assez de temps pour qu’ils découvrent aussi le plaisir de chercher et d’être curieux.

Parallèlement, en prenant appui sur la géographie -c’est elle qui, au cycle III, est chargée d’aborder les changements climatiques- il est tout à fait intéressant de se demander si le Covid-19 et les restrictions qu’il impose ne seraient pas une manière d’éviter d’autres catastrophes humaines mondiales tout aussi susceptibles de faire au moins autant de morts, voire plus que le Covid. En effet, l’arrêt brusque de la majeure partie des déplacements et des industries induit une diminution telle des émissions polluantes que celle-ci est visible même depuis les satellites. Parmi les nombreux articles à disposition, j’ai opté pour celui de France 24, qui offre des images vidéo de l’évolution de l’importance de la pollution.
https://www.france24.com/fr/20200322-la-pollution-de-l-air-diminue-avec-le-confinement-li%C3%A9-au-coronavirus

D’autres articles intéressants sur le sujet qui peuvent aider les élèves dans leurs recherches:
https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/moteur-de-recherche/segments/chronique/159280/covid-19-environnement-pollution-diminution-carbone
https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/coronavirus-baisse-de-la-pollution-de-l-air-dans-le-nord-de-l-italie_142534
https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/13/le-coronavirus-un-repit-pour-la-planete_6032848_3244.html

Bien sûr, on est en droit de se demander si cet arrêt des activités doit être vu comme un avantage ou un inconvénient. A nouveau, se mettre dans la peau des autres est porteur de sens pour comprendre ses arguments et entrer en dialogue. On réalisera donc l’activité suivante.

Si possible par groupe, proposer la réalisation de cartes pour un jeu de rôle dont le titre serait: le Covid-19 pourrait-il permettre d’atteindre les objectifs de la COP? Plusieurs personnages peuvent être convoqués à ce débat: un·e représentant·e du GIEC (une présentation du GIEC et un résumé de leur rapport en vidéo sont disponibles sur: https://citoyenspourleclimat.org/2019/03/24/informations/), un·e représentant·e de l’ industrie, d’une compagnie aérienne, des parents de jeunes enfants, un·e représentant·e de “l’Affaire du siècle” (https://laffairedusiecle.net/qui-sommes-nous/), un·e économiste favorable au rapport Stern (wikipédia donne des informations de base intéressantes. Pour des infos actualisées sur ce rapport datant de 2006: https://www.actu-environnement.com/ae/news/Climat-et-economie-rapport-Stern-II-32094.php4), etc.

L’occasion de découvrir certaines instances comme le GIEC, et ce que sont les COP, des réflexions sur l’économie du climat avec le rapport Stern ou des mouvements citoyens tel que “l’Affaire du siècle” qui traîne un gouvernement en justice pour un problème sociétal, mais surtout de se mettre dans la peau des autres. Des arguments basés sur des faits, mais également des ressentis, des peurs ou encore des valeurs auxquelles on tient et que l’on veut défendre.
Pour réfléchir à cette vision systémique, le “monologue du virus” (dont je n’ai pas trouvé l’auteur) peut être un texte à décortiquer (je dis bien décortiquer, car la lecture n’est pas facile et les références très multiples) : https://lundi.am/Monologue-du-virus.

Une attention particulière sera portée aux sources utilisées. Chez les élèves plus jeunes, demander au moins de les identifier. Pour les plus âgés, en plus de l’identification, demander qu’ils vérifient la scientificité. Qui est l’auteur? Le site fait-il de la propagande? Si oui, jusqu’à quel point les informations données sont-elles fiables et s’appuient-elles sur des faits reconnus? Des pièges peuvent être proposés, comme par exemple des articles tirés de sites climatosceptiques ou dits “climatoréalistes”, dont les auteurs n’ont (dans la plupart des cas) pas de légitimité académique à parler du climat, même s’ils sont scientifiques par ailleurs.

Il est évident que le jeu de rôle ne peut être joué à distance. Le garder pour le retour en classe, ou alors demander à chacun de se positionner en tant que “spectateur du débat” à travers un texte ou, moins conséquent, à travers un forum, après que chacun ait pris connaissance des cartes argumentatives des autres. Cet échange devrait permettre de mettre en évidence les éléments suivants : quels sont les arguments qui me touchent ? Pourquoi ? Est-ce que je peux facilement prendre position ? Y a-t-il des ambiguïtés, des ambivalences face auxquelles je ne sais pas comment me positionner ? Et moi, au final, qu’est-ce que j’aimerais le plus voir comme évolution pour notre société ?

Cette dernière projection vers un avenir souhaité, loin des “yaka” et des “faukon” pourrait même faire l’objet d’une lettre ouverte au Conseil Fédéral ou à des instances plus proches, en fonction des propositions des élèves qui vont, bien évidemment être différentes selon leur âge et leur maturité.

Pour terminer ce post sur des propositions plus légères mais tout aussi sérieuses, on peut aussi imaginer proposer aux élèves de faire un “best of” de la meilleure manière dont les réseaux sociaux, les youtubeurs ou autres artistes prônent le confinement et les règles d’hygiène. Par exemple les vidéos de Squeezie ou de Norman (https://www.youtube.com/watch?v=9R1VO9xB0cE) ou des chansons revisitées, comme celle de Barbara par 2 médecins sur le front : https://www.youtube.com/watch?v=THPEGDAyOus.

Encore une fois, ces idées ne se veulent pas exhaustives et ne proposent que des pistes qu’il s’agit de développer. Les travaux proposés ci-dessus prennent du temps et doivent s’étaler sur plusieurs semaines si l’on veut que les élèves s’investissent pleinement dans ces multiples recherches. Sans devenir spécialiste de la question, les élèves auront certainement l’impression de mieux comprendre la situation, ce qui participe à diminuer le sentiment d’anxiété lié à sa non maîtrise. En développant ces connaissances autour de ce sujet omniprésent, ils peuvent également apporter un certain réconfort à leur entourage en ayant des références sérieuses et une réflexion poussée sur la situation que nous sommes tous en train de vivre.

 

 

 

 

Covid-19: SOS enseignants en détresse! Première partie

Tous les élèves sont à la maison, mais comme bien précisé par les enseignants et les directeurs, ils ne sont pas en vacances. C’est normal et bienvenu. Par contre, comment s’y prend-on pour enseigner à distance ? Au vu de ce que j’ai pu observer cette semaine avec mes deux enfants (14 et 16 ans), les réponses à cette question ne semblent pas si simples à donner et, surtout, ne sont souvent pas à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre dans ce monde super connecté. A cela, deux raisons principales : la connaissance que l’on a des outils qui permettent un enseignement à distance, et la vision que l’on a de ce que les élèves doivent apprendre.

Je ne vais pas m’attarder sur la première cause. Tout d’abord parce que cela dépend de la manière dont chaque institution envisage l’utilisation des nouvelles technologies dans l’enseignement, et des formations qui ont été offertes jusque-là pour maîtriser ces outils. Mais également parce que les outils ne font pas tout. En fonction de ce que l’on met derrière l’idée d’apprendre, on peut même imaginer se passer de ces béquilles que sont les environnements informatiques spécifiques. Ou, du moins, les utiliser avec modération pour que nos enfants ne passent pas toutes leurs journées derrière un écran. En outre, il serait dommage de ne pas varier les outils de communication.

Cette période exceptionnelle que nous vivons aujourd’hui est l’occasion de nous poser des questions fondamentales sur ce qu’il est nécessaire que les élèves apprennent. Quels sont les outils, les connaissances, les compétences nécessaires pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui et appréhender cette réalité de manière sereine en envisageant tous les possibles de demain? Car une chose est sûre : quelle que soit l’évolution de la situation, demain ne se fera pas dans la continuité d’hier. Alors? Qu’apprendre?

Sous forme de plusieurs petits posts, je vais tenter de proposer des pistes concrètes qui, je l’espère pourront inspirer certains enseignants.

 

Pour développer l’empathie, la solidarité et l’anticipation.

A l’heure où les personnes âgées sont confinées et éloignées de leurs descendances, où les indépendants se demandent comment ils vont payer leur loyer et où les petites entreprises craignent de devoir mettre la clé sous la porte, il est primordial de montrer que leur sort ne nous laisse pas indifférent. Quel que soit l’âge des élèves, il est alors tout à fait possible d’imaginer demander à chacun de prendre contact par téléphone avec une personne de son entourage, qu’elle fasse partie de la famille, du quartier, de l’immeuble, etc.

En fonction des objectifs d’apprentissage, de l’âge des élèves et de leur autonomie, on peut alors envisager que chacun rédige un “article” sur la personne contactée. Décrire sa situation, parler de ce qu’elle vit, de ce qu’elle ressent, de la manière dont elle envisage le futur. Le style, journalistique, vise à enrichir un journal, un blog ou un site, en fonction de ce que peut proposer l’enseignant. Cela demande de penser les questions de l’interview pour obtenir les renseignements dont on a besoin en tant que “journaliste”, mais également de penser à la personne à laquelle on va s’adresser pour trouver le “bon ton”, les formules, et être capable de partager véritablement avec elle la situation qu’elle est en train de vivre.

Pour travailler spécifiquement l’empathie et la décentration en ce temps de confinement en même temps que des objectifs de français, on peut aussi imaginer un texte en “si”. Si j’étais une personne de 86 ans…., si j’habitais dans un appartement de 3 pièces avec mes parents et mes 5 frères et soeurs…., si j’étais infirmier/ère….., si j’habitais à la campagne…, si j’apprenais que mes grands-parents étaient atteints du Covid-19…. etc. Les situations peuvent varier en fonction de l’environnement habituel de l’élève, pour l’amener à réaliser ce que vivent d’autres personnes. En fonction des objectifs, le style du texte peut varier, du simple récit en prose à la poésie en vers.

Quels que soient les pistes choisies, ce travail peut conduire à la réalisation d’un texte plus conséquent, dont le style, romanesque cette fois, va s’inspirer de ces descriptions vécues ou imaginaires pour développer une fiction faisant appel à une démarche prospective (capacité à anticiper et à se projeter dans le futur). Chaque élève, partant d’une situation unique, va proposer plusieurs scénarios conduisant à des dénouements différents. Pour chacun de ces scénarios, des valeurs vont présider aux choix des protagonistes. Quelles sont ces valeurs? Quelles sont celles qui, immanquablement conduisent vers une fin désastreuse et celles qui permettraient d’envisager un futur positif ou chacun·e trouverait sa place?

Ce travail d’anticipation peut être fait avec de jeunes élèves -dès 10 ans- et conduire à un véritable débat philosophique qui peut être mené sur un forum, soit sous forme écrite dans un document partagé (sur “moodle”, “google drive”, “dropbox”, “framapad”, “edupad”…), soit lors d’un moment en visioconférence (sur “teams”, “skype”, “claroline”, “switch” ou un autre support plus ou moins professionnel). Cet échange devrait permettre de mettre en évidence que l’évolution d’une situation dépend avant tout des valeurs des différents protagonistes et de la manière dont nous-mêmes envisageons de défendre ou non ces valeurs. Là encore, un travail individuel peut être demandé pour envisager ce que ces valeurs modifieraient dans notre vie de tous les jours si nous les vivions complètement.

Il est bien évident que ces pistes ne sont pas exhaustives. Mon prochain post se concentrera plus sur les sciences humaines et sociales et sur les sciences de la nature et les mathématiques.

N’hésitez pas à poser des questions si un point ou l’autre n’est pas clair ou si vous désirez des précisions dans la mise en oeuvre d’une piste proposée. Si vous avez vous-mêmes des idées, n’hésitez pas à les partager! Je me ferai un plaisir de les ajouter à un prochain post.

Une réflexion sur la manière de penser un enseignement à distance est également proposé dans cette vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=EXAz7oArsLA&feature=emb_logo

Apprendre! De Giordan à Dehaene

Après la psychologie, la sociopsychologie et la didactique, les neurosciences se sont emparées du champ scolaire. Leurs résultats de recherche, sans grande surprise, confirment ce que les précédentes montraient déjà, mais sans l’autorité des imageries cérébrales, qui confèrent à cette dernière arrivée une autorité et un sérieux des plus “scientifiques”.

Prenons un exemple qui me semble tout à fait révélateur. En 1998, André Giordan, alors professeur en sciences de l’éducation à l’université de Genève, publiait un livre intitulé Apprendre!. Cet ouvrage explique on ne peut mieux les mécanismes à l’oeuvre au moment où un enfant est soumis à un apprentissage, ou face à une information nouvelle. Plus encore, il décrit l’environnement didactique qui doit être proposé à cet enfant pour qu’il puisse apprendre dans les meilleures conditions, et que cet apprentissage soit le plus efficient.

Vingt ans plus tard, en 2018, Stanislas Dehaene, psychologue cognitiviste et neuroscientifique travaillant à l’Inserm (France), écrit un livre dont le titre est exactement le même, au point d’exclamation prêt. Certes, leur contenu n’est pas identique, leurs champs de recherche n’étant pas les mêmes, mais pourtant, une évidence apparaît: ce qu’André Giordan présentait de manière empirique est confirmé par les expériences en laboratoire. Il ne me reste plus, qu’en tant que didacticienne, de me réjouir de voir que nos recherches ont su inspirer d’autres champs disciplinaires et que, si la technologie qui entoure les neurosciences leur confère une scientificité qui peine à être reconnue à la didactique, nous travaillons depuis 40 ans sur des résultats probants.

Revenons à nos deux auteurs. Quels sont les messages communs qu’ils nous transmettent à travers leurs ouvrages?

Le premier est qu’il n’est pas possible d’apprendre si on ne porte pas attention à l’objet étudié. En d’autres ternes, si l’on n’est pas intéressé par ce qui nous est proposé, on pourra éventuellement mémoriser un certains lots de connaissances pour les recracher lors d’un test, mais aucun véritable apprentissage ne sera réalisé. Car, sitôt la note obtenue, notre cerveau s’empressera d’oublier ces “détails” qui l’encombrent et dont il ne trouve pas le sens.
Dans son “environnement didactique favorable à l’apprendre” (voir la figure proposée dans mon article du 28 janvier 2019), André Giordan rappelle donc que l’élèves doit être interpellé, concerné par le sujet d’apprentissage proposé. Ce sujet d’apprentissage doit faire partie d’un contexte qui lui confère du sens, un intérêt, et qui titille sa curiosité. Autant de précautions que peu d’enseignants prennent le temps de mettre en place, surtout si l’on se dirige vers la fin de l’école primaire ou le secondaire I.

Le deuxième élément commun est l’engagement actif. Confucius disait : “J’entends et j’oublie, je vois et je me souviens, je fais et je comprends”. Encore faut-il que le geste ne soit pas réalisé de manière automatique ou comme celui que l’on fait quand on réalise une recette de cuisine ou un mode opératoire d’une expérience bien préparée. Le geste n’est pas synonyme d’engagement actif. Celui-ci n’apparaît que dans la réflexion, qu’elle soit ou non suivie d’une action. Certes, l’approche kinesthésique est importante et, surtout, permet à beaucoup d’apprenants de s’engager activement. Comme si les mains aidaient le cerveau à dépasser la seule conceptualisation pour véritablement plonger dans la problématique à résoudre. L’attention cognitive portée à la tâche à accomplir est à nouveau essentielle pour que l’élève soit pleinement actif.

Dès que l’on parle d’engagement actif, il faut accepter l’idée que l’apprenant va tâtonner, chercher, essayer. L’erreur y est donc fatalement convoquée, ce qui va permettre à l’apprenant de se questionner sur la source de son erreur, et d’évoluer vers une compréhension du problème. Comme c’est lui-même qui aura résolu ce dernier, il aura véritablement compris ce qui l’aura conduit à cette réussite et cette compréhension est garante de la construction véritable de ses connaissances. Le troisième point essentiel est donc le statut même de l’erreur. Plutôt que d’être pourchassée et sanctionnée par de mauvaises notes, elle doit être acceptée comme le moteur même de l’apprentissage.

L’erreur est la condition même de l’apprentissage. J’estime que les notes ne sont pas un bon système d’évaluation: elles ne donnent pas une information précise sur l’endroit où l’élève s’est trompé. Elles n’ont pas vraiment d’intérêt pédagogique, mais génèrent du stress. Or on sait que les émotions positives nourrissent la curiosité et l’enthousiasme de l’enfant, mais que les émotions négatives bloquent les apprentissages: elles figent les réseaux de neurones.” (Dehaene interviewé par Le Temps, 2018

Enfin, dernier élément, la consolidation des apprentissages afin qu’ils deviennent des acquis. Même si le problème a été résolu par l’élève et qu’il a clairement compris la démarche qui l’a conduit à sa résolution, il est évident que si ce type de problème ne se présente plus jamais, le cerveau va finir par oublier la manière dont il s’y est pris. C’est ce que nous nommons, en didactique, la mobilisation du savoir. Plus ces savoirs seront en lien avec le vécu des apprenants, plus ceux-ci auront l’occasion de le mettre en oeuvre et donc, de les consolider.

Les similitudes entre ces deux auteurs ne s’arrêtent pas là et leurs différences sont aussi intéressantes à aborder. Je ne peux que recommander la lecture autant du premier que du second ouvrage. L’un comme l’autre nous rappelle que l’école pourrait être un lieu bien différent de celui que nous connaissons, un lieu où l’élève serait vraiment placé au centre, et où sa réussite se mesurerait à l’aune de son épanouissement et de sa capacité à trouver sa place au sein des autres êtres humains et non à travers l’obtention de notes et de diplômes.

 

 

 

Plaidoyer pour une éducation à la « condition terrestre »

Incapable de préparer une transition écologique radicale et volontaire, l’éducation au développement durable doit se réinventer d’urgence.

Un article co-écrit avec Richard-Emmanuel Eastes, (Haute école spécialisée de Suisse occidentale – HES-SO)

Comment les aider à affronter l’aggravation des crises environnementales ? Anna Samoylova/Unsplash

 

Parfois à la peine pour canaliser la contestation manifestée par les jeunes lors des récentes grèves de l’école pour le climat, l’Éducation nationale aurait pourtant de quoi se réjouir : l’éducation au développement durable (EDD), entrée formellement dans les programmes français en 2007, n’a-t-elle pas fini par porter ses fruits ?

Sans doute. Mais paradoxalement, cette crise pourrait bien en même temps rebattre les cartes de ce champ pédagogique interdisciplinaire qu’est l’EDD, notamment parce qu’elle interroge désormais la pertinence du concept de développement durable lui-même.

Il faut bien l’admettre, cet idéal de développement humain conciliant à parts égales les sphères économique, sociale et environnementale donne à bien des égards l’impression de ne plus être le concept le plus opératoire pour imaginer les termes et conditions d’une transition écologique radicale et volontaire. Il est même probable qu’en s’appuyant sur une vision continue et non-disruptive du développement humain, le développement durable joue le rôle de « concept-sédatif » et créée des taches aveugles dans les imaginaires nécessaires à l’anticipation du « grand basculement » de la civilisation.


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Comment alors repenser les contenus et la mise en œuvre de l’éducation qui était sensée le promouvoir ? Surtout, comment faire entrer à l’école, qui se veut à la fois laïque et garante d’une certaine stabilité face aux soubresauts de la société, ces deux repoussoirs que sont pour elle l’urgence de l’action et les enjeux politiques, intriqués avec la recherche de solutions à la crise ?

Pour tenter de comprendre sur quels principes nouveaux il pourrait être possible de rebâtir une éducation à ce que nous pourrions a minima appeler la « transition écologique », il est nécessaire d’interroger les fondements de l’actuelle éducation au développement durable. À savoir les visions du monde sur lesquelles elle repose et ce qu’elles impliquent d’un point de vue éducatif.

Des visions du monde

Dans la conception « forte » du développement durable, l’écologie est clairement posée comme une condition sine qua non de l’existence des sphères sociales et économiques. Sans ce que nous offre la Terre, pas de possibilité de développement social et, sans ce dernier, pas d’économie. Le capital environnemental est fini et non renouvelable, comme l’envisageait déjà en 1920 l’économiste Alfred Marshall avec sa loi des rendements non-proportionnels.

La vision du monde qui émane de cette conception apparaît en rupture avec le modèle dominant au XXe siècle dans le monde occidental, et donc potentiellement militante. La logique est linéaire, simple et efficace : si l’on protège la nature, on permet aux humains de subvenir à leurs besoins essentiels et de développer une économie au service de l’amélioration de leur confort. C’est dans cette vision que l’éducation relative à l’environnement (ERE) et à l’éco-citoyenneté a évolué, se démarquant d’ailleurs souvent ostensiblement de l’éducation au développement durable.

La conception « faible » du développement durable émane quant à elle de l’approche économique de Hartwick (1977). Ancrée dans une économie libérale classique, elle s’autorise l’idée de marchandisation de la nature afin de maintenir un équilibre artificiel entre les trois sphères que sont l’économie, l’écologie et le social. Cette représentation de la durabilité est plus ancrée dans son époque : lorsqu’en 1987, Gro Harlem Brundtland rédige le rapport pour l’ONU qui va ensuite fixer la notion de développement durable pour les décennies à venir, elle part du constat que l’économie est omniprésente et que c’est sa croissance non régulée qui conduit aux déséquilibres sociaux et aux perturbations environnementales auxquels le monde assiste. Plutôt que de nier la primauté de l’économie, elle affirme l’interdépendance des trois pôles et donc la nécessité de les maintenir en équilibre.

À la fin du XXe siècle, l’enjeu essentiel étant de sensibiliser les milieux économiques et politiques sans les effrayer, c’est cette seconde conception qui finira par s’imposer. Élaborée pour toucher le plus grand nombre, elle conduit à une vision du monde consensuelle et donc peu militante, ne désignant aucun responsable mais définissant des responsabilités réciproques pour tous les acteurs.


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Une éducation au développement durable sous pression

C’est sur cette conception « faible » que les préoccupations environnementales ont été intégréee dans les programmes éducatifs dans les années 2000. Un bienfait en matière de sensibilisation, sans doute, mais qui a peut-être également contribué à promouvoir une vision angélique d’une civilisation occidentale qui n’aurait qu’à « faire un peu moins mal » pour pouvoir continuer à vivre comme avant.

Si l’idée de développement durable a vécu, l’éducation au développement durable doit donc également se réinventer d’urgence. Or s’il convient de préparer les futurs citoyens de ce monde à endiguer les extraordinaires crises environnementales, politiques, économiques et sociales à venir, il y a deux manières de le faire : en enseignant à nos enfants les connaissances et compétences qui leur permettront de résoudre ces crises, ou en leur prodiguant celles qui leur permettront de s’y adapter. Préparer la résilience plutôt que le changement, c’est faire un douloureux constat d’échec. Mais ne serait-il pas temps de leur apprendre à penser le monde d’après et à y vivre, voire à y survivre ? Il en va de notre responsabilité de penseurs de l’éducation.

Accompagner la transition écologique : la nécessité d’une transition pédagogique (UVED, 2018). 

Du grain à moudre pour l’éducation

Les réponses à ces questions sont évidemment éminemment politiques. Comment penser l’éducation en vue d’une transition écologique radicale sans faire entrer au sein de l’école des visions du monde qui seront inévitablement accusées d’être orientées idéologiquement ?

C’est d’ailleurs ce que ses opposants reprochent à Greta Thunberg, l’accusant soit de manipulation politique, soit de préparer la « dictature verte ». Pourtant, au vu de la gravité de la situation environnementale, l’entrée d’une certaine radicalité écologique à l’école nous semble indispensable.

Mais jusqu’où déplacer le curseur ? Quels verrous sommes-nous prêts à faire sauter ? Quels garde-fous devrons-nous préserver quoiqu’il arrive ?

Il y a une différence énorme entre un élève qui répète les gestes que l’on attend de lui et un élève qui choisit délibérément de les accomplir parce qu’il en a compris le bien-fondé et estime que c’est de son devoir, de sa responsabilité de les perpétuer. Alors quelles que soient les réponses à ces questions, il est une valeur qui ne saurait être négociable : l’école devra garantir des objectifs d’autant plus élevés en matière de compétences, de compréhension et d’autonomie de pensée qu’elle se verra chargée d’orienter la société vers une transition plus radicale. Pour justement ne pas tomber dans le despotisme écologique.

Nous avons conscience que ce positionnement relève de l’utopie démocratique ; mais c’est une utopie que nous devons nous imposer avant de commencer à penser, comme l’historien narrateur de l’essai d’anticipation de Naomi Oreskes (L’Effondrement de la civilisation occidentale), que la dictature est le seul régime propre à nous protéger de notre inaction chronique.

Un basculement, trois questions

Comment, dans ces conditions, inventer le courant éducatif qui succédera à l’éducation au développement durable ? Pour y réfléchir, nous nous inspirons des travaux de Bruno Latour et proposons une grille d’analyse susceptible de clarifier quelque peu les pistes à suivre dans la perspective du « grand basculement » évoqué plus haut. Elle consiste à distinguer les trois questions : où sommes-nous ? Où voulons-nous aller (Bruno Latour dirait « Où atterrir ? ») ? Comment pourrions-nous y aller ? Des questions qui reviennent respectivement à prendre acte sans ambiguïté de l’état environnemental de notre planète, à penser et négocier les conditions de notre existence future, ainsi qu’à définir les mesures à prendre pour habiter la Terre dans son nouvel état.


Trois questions pour penser l’avenir.
Author provided.

 

Emerge alors immédiatement une ultime interrogation : comment organiser les modalités de ces négociations pour être collectivement en mesure de prendre des décisions admises par tous ? La récente crise des « gilets jaunes » a montré combien il était difficile d’y répondre.

À la première question « Où sommes-nous ? » – et contrairement à ses habitudes consistant à n’enseigner que des connaissances stabilisées depuis des décennies –, l’école se doit de faire preuve de courage en intégrant les données scientifiques environnementales produites récemment. Quitte à les réviser ou à revenir en arrière, mais en se montrant intraitable face aux tentatives de désinformation climatosceptiques qui gangrennent les médias sociaux, jusqu’aux sites d’information pour enseignants. Et comme l’éducation au développement durable le préconisait déjà, certes sans grand succès, elle doit développer encore plus largement l’enseignement de la pensée systémique et complexe : non plus la linéarité mais les interdépendances, les rétroactions, la gestion du flou, de l’aléatoire, de l’incertain. Pour littéralement « changer le logiciel » de la manière dont nous enseignons aux élèves à penser le monde.

La pensée complexe : pas si compliquée ! (UVED/Youtube, 2016).

 

À la deuxième question « Où voulons-nous aller ? », l’école doit donner aux futurs citoyens que sont ses élèves la capacité d’élaborer collectivement la réponse. Aux compétences systémiques évoquées ci-dessus, elle ajoutera la pensée prospective et créative et visera le développement d’individus capables d’une pensée autonome et critique, mais surtout collaborative. Car la difficulté principale ne résidera pas dans le fait de répondre à cette question mais, comme nous l’avons vu, de mettre en place des conditions permettant d’y répondre.

Il faudra enfin peut-être laisser un peu de côté la troisième question « Comment y aller ? », pourtant favorite d’une éducation au développement durable fondée sur des propositions destinées à faire évoluer nos modes de vie. Parce qu’il est vain de chercher à décider du chemin et du véhicule si l’on ne sait ni d’où on part, ni où on va. On remplacera alors les approches prescriptive et normative de l’EDD par une approche plus programmatique, non plus fondée sur des écogestes mais visant à développer de véritables compétences.

Pour une éducation à la condition terrestre

En 2011, nous affirmions que l’éducation au développement durable avait pour mission « d’insuffler un changement d’état d’esprit pour « voir plus loin », anticiper sur l’avenir et agir en conséquence ». En ce sens, elle entendait déjà préparer une hypothétique transition écologique, même si le terme était encore peu populaire. Cette définition reste pour nous d’actualité, mais elle nécessite désormais de prendre acte du caractère inévitable de la catastrophe, comme nous y incite le philosophe Jean‑Pierre Dupuy depuis quinze ans déjà. À ce stade, et alors que la pertinence du concept de « transition » est elle-même déjà contestée, même une « éducation à la transition écologique » nous semble devenue insuffisamment forte. Alors quoi ?

Combiner une vision du monde militante où l’urgence est reconnue, avec une vision de l’école démocratique où l’opinion et la liberté d’expression et de pensée sont respectées : tel est le défi que nous proposons à la communauté éducative de relever pour fonder une nouvelle forme d’action. Au-delà du développement durable, de la transition écologique, de l’éco-citoyenneté et de la préservation de l’environnement, l’éducation qu’il convient de bâtir devra être soucieuse de construire une société capable de définir démocratiquement les moyens de protéger radicalement des humains les biens communs que sont la biosphère et son enveloppe atmosphérique, en prenant acte des limites de la Terre.

Une éducation relative à la condition terrestre.

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

A la recherche des recherches

Les statistiques sont impitoyables. Comme le relève Antoine de Cabanes dans son article Ces trois « jeunesses » qui se mobilisent pour le climat du 14 mars 2019 dans The Conversation, la majorité des grévistes estudiantin.e.s pour le climat sont issu.e.s de « la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures ». Il faut donc se rendre à l’évidence : les jeunes qui participent à ces actions ont acquis ailleurs qu’à l’école les connaissances et les compétences nécessaires pour appréhender les enjeux et les mécanismes complexes qui président à la situation actuelle. Mais aussi la confiance en leur pouvoir d’agir, qui leur permet de croire que leur mobilisation pourra encore changer les choses.
Pourtant, depuis 2005 en France et 2011 en Suisse, l’éducation au développement durable (EDD) est intégrée aux programmes de l’enseignement obligatoire. Dès lors, nous ne pouvons que partager l’avis de cet autre auteur du média TheConversation, Sylvain Wagnon (3 février 2019), lorsqu’il déclare que « cet enseignement apparaît bien en deçà de l’urgence d’une transition écologique ».
En d’autres termes, l’école ne fait pas son boulot. Pourquoi ?

Les inerties sont multiples –force de l’habitude des enseignant.e.s, découpage disciplinaire hérité du XIXe siècle, reproduction de l’école vécue, peur de l’innovation, de la nouveauté, pratiques d’évaluations, lacunes dans la formation des enseignant.e.s et des formateurs ou formatrices d’enseignant.e.s, etc. – mais la responsabilité incombe, une fois de plus, à la politique. Non que les responsables politiques ne s’intéressent pas à l’école. Au contraire, elle constitue pour eux un enjeu de taille. En France, chaque ministre de l’éducation y va de sa « réformette », qui ne fait qu’alimenter l’animosité et le ras-le-bol des enseignant.e.s.
Si la Suisse ne souffre pas des mêmes travers, les différentes directives cantonales enferment pourtant de plus en plus l’école dans une vision dogmatique, fondée sur une volonté chimérique d’homogénéisation des apprentissages. Le tout reposant sur un principe d’égalité des chances illusoire, tenant plus du principe de rentabilité que de responsabilité. Les épreuves cantonales (IRDP 2016-2017) qui fleurissent de plus en plus en sont un exemple frappant. Elles sont supposées montrer que tous les élèves d’une classe d’âge ont réussi à ingurgiter, au même rythme, des savoirs dont le sens leur échappe la plupart du temps faute de les avoir suffisamment contextualisés. Un carcan temporel qui va bien à l’encontre de ce que nous dit la recherche. Ce d’autant plus que le risque est grand que les enseignant.e.s se donnent pour mission de faire réussir les élèves à ces tests plutôt que de les former aux compétences dont ils/elles auront besoin plus tard.

La recherche…. Voilà bien celle qui apparaît comme la grande absente des réflexions portant sur le système éducatif. Pourtant, elle nous apporte toutes les clés de compréhension des mécanismes d’apprentissage. La psychologie (Piaget de 1923 à 1988 et son contemporain Russe, Lev Vygotsky), puis la didactique (Giordan, 1998 ; Develay, 2004 ; Meirieu, 1987, pour ne citer que les plus connus) et enfin les neurosciences (Dehaene, 2018 ) nous disent clairement les facteurs qui favorisent l’apprendre et ceux qui l’entravent.

Parmi ces mécanismes, nous savons depuis belle lurette que l’apprentissage par cœur de connaissances notionnelles ne favorise que les élèves qui bénéficient d’une bonne mémoire et sont issus d’un milieu socio-économique élevé.
Les neurosciences nous rappellent que les adolescent.e.s, de par leur évolution physique et hormonale, décalent leurs heures de sommeil et ont besoin de se reposer le matin. Or, certains élèves de l’école secondaire débutent tous matins à 07h20, quel que soit le trajet qu’ils doivent effectuer pour atteindre l’école.
La recherche nous apprend également que seuls les élèves qui ont confiance en eux et en leur potentiel à réussir sont capables d’apprendre efficacement. Que l’erreur est un facteur important d’apprentissage et qu’elle devrait être considérée comme telle plutôt que d’être soulignée en rouge et considérée comme une faute à sanctionner d’une mauvaise note. Comment les élèves peuvent-ils croire en eux et en leur potentiel si, à chaque fois qu’ils répondent, leur note les renvoie à une vision d’incapables ?
Enfin, il n’y a guère qu’à l’école où la collaboration et l’apprentissage à travers le développement de l’intelligence collective s’appelle « tricherie » et est sanctionnée comme telle.

Ces quelques exemples n’ont pour fonction que de mettre en évidence l’incapacité de nos responsables politiques à intégrer dans leurs décisions les données fondamentales de la recherche. L’exemple du ministre de l’éducation en France, Jean-Michel Blanquer, qui s’est étroitement associé à Stanislas Dehaene, pourrait-il faire changer cet état de fait ?
En tous les cas, les résultats de l’étude internationale Pisa devraient leur montrer que d’autres ont réussi à le faire et que les résultats qui en découlent sont plus que probants.

La Finlande meilleure élève aux tests internationaux de Pisa, a réformé son système scolaire en tenant compte de ces éléments triviaux et essentiels. Pourtant, toujours selon cette étude, les élèves Finlandais sont ceux qui ont le moins d’heures d’école et le moins de devoirs. Comment réussissent-ils alors, ce tour de force ? Simplement en faisant confiance aux élèves et en leur capacité à se responsabiliser et à se prendre en main. Loin des procès d’intention faits par certains chefs de l’instruction publique aux lycéens qui ont participé à la grève du climat –soupçonnés de profiter de la grève pour ne pas aller aux cours–, l’école finlandaise offre à ses élèves des espaces de liberté qui leur permettent de développer leur créativité, les compétences nécessaires à monter des projets, à s’investir, à s’impliquer et, surtout, leur sens des responsabilités. Celui-ci apparaît notamment à travers le fait que l’élève est responsable de ses apprentissages. A lui de les gérer –bien sûr avec l’aide de l’enseignant– de les faire évoluer, de les approfondir. L’élève n’apprend plus pour des notes ou des appréciations, pour faire plaisir à ses parents ou à l’enseignant, ou plus trivialement pour ne pas redoubler. Il apprend parce que cela devient un véritable enjeu pour lui, en même temps qu’un plaisir, et que le système lui en laisse le temps nécessaire.
Pour arriver à ce tour de force, l’école finlandaise n’a pas transformé la forme, mais le fond de son système scolaire. Elle a appliqué ce que les recherches ont permis de mettre au jour : l’erreur fait partie inhérente de l’apprendre. L’évaluation, le nerf de la guerre de tout apprentissage, ne devrait donc jamais sanctionner ni mettre en compétition les élèves. Elle devrait être, au contraire, ce qui stimule, encourage, donne confiance en soi en montrant l’évolution accomplie en même temps que le chemin à parcourir et les étapes à franchir.

Alors, notre système scolaire saura-t-il, lui aussi, tirer des apprentissages de ses erreurs et proposer une école en adéquation avec les besoins des élèves du XXIe siècle ?

Et si nous étions créatifs?

A l’heure où le GIEC nous donne 12 toutes petites années avant de franchir une barrière qui, bien qu’invisible, sera irréversible, il faut bien se rendre à l’évidence. L’imminence du danger ne semble pas affoler les « grands de ce monde ». Si des manifestations citoyennes apparaissent un peu partout, les politiques ne semblent pas prendre à sa juste valeur la mesure du danger. Pas plus que les grandes entreprises ou les marchés. Seules les entités à taille humaine semblent conscientes de l’ampleur des changements qui se profilent à l’horizon 2030.

L’action au cœur
Deux conférences sont à l’origine des réflexions que je partage aujourd’hui sur ce blog : la première a eu lieu le 20 novembre au Club 44 de la Chaux-de-Fonds. Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom, présentait son combat pour la défense des pêcheurs artisans et la biodiversité marine contre les multinationales qui surexploitent les milieux halieutiques, détruisant une biodiversité essentielle à notre propre existence et provoquant chômage et exode des « petits pêcheurs » de tous les continents. Son discours, toujours appuyé sur des preuves scientifiques et une analyse économique poussée, est fondamentalement politique, puisqu’il se préoccupe de questions publiques en y apportant des solutions concrètes. De fait, par ses interventions auprès de la commission européenne, Claire Nouvian tente d’influencer activement les lois et les règlements qui y sont votés. Malgré des résultats plus que probants –Bloom a réussi à interdire le chalutage en dessous de 800m et se bat actuellement contre la pêche électrique- Claire Nouvian reconnaît le faible impact que peut avoir sur le politique des ONG telles que la sienne. La pression des lobbies dans ce domaine est trop forte, alors même que l’argent distribué par les subventions publiques sont les impôts des citoyens.

Malgré l’humour qui teinte son discours, malgré la ferveur qu’elle met dans ses propos et dans ses actes, Claire Nouvian n’est pas une optimiste. Bien au contraire. Elle se revendique de ce réalisme inhérent au catastrophisme éclairé que j’évoquais dans mon dernier article. Mais ce qui lui donne cette énergie incroyable, cette volonté de changer le monde, c’est sa croyance en notre capacité à tous à créer du nouveau, du différent, du meilleur. Tout étant à repenser, tout le monde a la place, tout le monde est le bienvenu pour inventer un futur plus respectueux de l’autre dans sa diversité. Ce n’est donc pas par hasard qu’elle crée, avec Raphaël Glucksmann et Thomas Porcher le mouvement politique Place Publique. Ce mouvement se veut être un lieu où chacun pourra penser un monde meilleur pour tous, dans tous les domaines de la vie quotidienne, du travail, des déplacements, etc. Car, comme le rappellent les soixante youtubeurs qui se sont mis ensemble pour sensibiliser la population, « on est prêt ». Prêt à changer, prêt à modifier nos habitudes, prêt à questionner nos besoins, prêt à œuvrer ensemble pour un monde meilleur. Autant de mouvements qui nécessitent confiance en soi et créativité, l’un n’allant souvent pas sans l’autre.

Susciter la créativité de chacun
Cette croyance en la créativité de chacun, je l’ai retrouvée lors d’une deuxième conférence à laquelle j’ai assisté, le 6 décembre 2018. Le Temps, en collaboration avec la HEAD de Genève, organisait une journée de réflexion dont le titre évocateur était « Imagine ». Si cette capacité à créer est reconnue par les neurosciences représentées ce jour-là par Henry Markram, il faut bien avouer que, dans le milieu bien-pensant helvétique, elle semble avant tout réservée aux milieux artistiques. Et pourtant, pour Nicolas Nova, professeur associé à la HEAD, il faut être à l’écoute des changements du monde. La créativité doit être là pour les accompagner, le langage de l’art permettant la transdisciplinarité et la formation d’ambassadeurs d’un genre nouveau, apportant aux différentes problématiques un regard divergent.
D’accord. Eh bien, passons aux actes. Car, comme le disait le chanteur Stress il y a dix ans déjà, « les grands discours c’est bien, mais les petits gestes c’est mieux » et « tout le monde crie au drame mais personne n’a l’air pressé ».
Alors, que fait l’école pour répondre à cette urgence ? Que font les HES, les HEP, les universités pour nous sortir de l’ornière profonde où notre course à l’argent nous a enfoncés ? Les arts restent la partie la plus pauvre de l’enseignement, de l’école primaire aux études supérieures. Quand ils apparaissent, ils sont perclus de jugements de valeurs, ce qui ne peut que contribuer à tuer dans l’œuf l’innovation et la créativité. Car celle-ci a besoin d’espace pour se développer, de temps et de confiance en soi. Combien d’adultes sont persuadés qu’ils ne sont pas créatifs ? D’où leur vient cette conviction ? Certainement de cette croyance forte véhiculée par leurs enseignants en le « don » qu’auraient certains élèves et dont d’autres seraient dépourvus. Ils oublient que, dans le code déontologique des enseignants, « le principe de l’éducabilité, qui suppose que chacun est en mesure d’apprendre si les conditions lui sont favorables et que l’enseignant, l’élève et l’environnement y contribuent » (CIIP, PER, 2011) est l’un des fondements de la profession.

Développer la confiance en soi
Il incombe donc à l’enseignant de donner à l’élève les conditions favorables pour apprendre. Ces conditions sont connues. Elles se déclinent sous la forme d’un « environnement didactique » dont les items, tous interconnectés, se retrouvent dans ce schéma :

Je ne vais pas ici décortiquer ce schéma. J’aimerais juste mettre le doigt sur deux éléments fondamentaux au développement de la créativité : la confiance et la capacité à « se lâcher ».

La confiance est essentielle. Elle doit passer, d’abord, par celle que l’élève va ressentir et développer auprès de son professeur. Si ce dernier croit en la capacité de cet élève à apprendre, à évoluer, il va reconnaître, dans les erreurs de celle ou celui-ci, les essais indispensables qui jalonnent la construction des connaissances, des compétences, des savoir-faire. Son attitude, en tant qu’accompagnateur de l’élève, va être déterminante pour assurer la confiance qui va pouvoir se développer durant la situation d’apprentissage –on ne peut pas apprendre si, dès le premier essai, les élèves se mettent à rigoler ou à se moquer. Ce n’est que dans ce contexte que l’élève a des chances de pouvoir ressentir une assez grande confiance en elle/lui-même, en ses capacités, en ses idées, pour oser créer. Le milieu familial n’y est, bien sûr, pas étranger.
« Se lâcher », « lâcher » ses a priori, ses peurs, le besoin d’exister dans le regard de l’autre, ne peut apparaître que lorsque la confiance en soi est assez grande. C’est ce « lâcher prise » qui va réellement autoriser l’émergence d’idées divergentes, novatrices, créatrices.

De la créativité à l’innovation au service du monde
Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de libérer l’esprit. Il faut aussi apprendre des techniques, ne serait-ce que pour les combiner, les détourner, en inventer de nouvelles. Il faut également avoir des connaissances approfondies sur certains sujets pour comprendre comment la problématique peut être abordée pour ne pas perdre de vue toute sa complexité. Il n’y a jamais de « y a qu’à » dans notre monde. Etre capable de problématiser, de poser des hypothèses, d’investiguer, autant de compétences où la créativité a toute sa place. On l’oublie souvent, mais les scientifiques n’auraient pu faire évoluer leurs domaines s’ils n’avaient pas été créatifs dans leurs postulats et la manière de les corroborer. Il en va de même pour le développement des technologies. La créativité est bien plus présente qu’on l’imagine, et elle dépasse, de loin, le seul contexte artistique.

Reste que le grand défi actuel est de mettre cette créativité au service d’une transition humaine et écologique. Si je rebondis sur les propos de Claire Nouvian, notre seul objectif actuel devrait être de mettre collectivement ces questions au cœur de nos préoccupations et de mobiliser toute la créativité de tous les acteurs pour que chacun, à son échelle, dans son contexte, imagine, propose, vive des propositions alternatives. La motivation n’est pas qu’humaine et écologique. Elle est également économique. Cela fait depuis belle lurette que les études montrent que l’économie de moyens et le respect de l’individu sont favorables, économiquement, aux entreprises –nous ne parlerons pas ici d’Amazon ou autres supermultinationales qui mettent directement à la poubelle les retours faits par les clients. Envisager des procédés moins dispendieux, le remplacement de ressources à fort impact écologique par d’autres, plus adaptés, la transformation d’un marché axé sur la croissance vers un marché axé sur la durabilité, revaloriser le service, la réparation, la réutilisation, autant d’innovations qui demandent créativité et connaissances scientifiques et techniques.
Mais l’innovation peut également viser à rendre plus harmonieux le monde du travail afin d’éviter les burn-out, les congés maladies intempestifs, la robotisation, le travail répétitif et l’anonymat, situations qui portent préjudice tant à l’entreprise qu’à l’individu. Sans perdre de vue qu’un être humain bien dans sa peau aura moins tendance à « acheter son image » à travers une consommation excessive, voire compulsive (Couderc), compensation futile et illusoire à un mal-être tombé dans le fossé qui sépare vie affective et professionnelle.

Et l’école dans tout cela ?
L’école n’échappe pas à ce besoin de créativité. Quelles pistes pour favoriser la confiance en soi, le lâcher prise, la curiosité, la collaboration, l’acceptation de la diversité, la frugalité, tant matérielle que numérique ? Comment faire émerger cette créativité latente qui devrait permettre à tous les élèves de devenir partie prenante de ces changements nécessaires, tant dans nos façons de manger, de nous déplacer, de penser nos loisirs et nos besoins consuméristes ? L’urgence à laquelle nous devons faire face est-elle suffisante ou faut-il imaginer une motivation extrinsèque ? Comme le propose James Dyke (2015), « L’attribution d’un prix Nobel du développement durable pourrait-il y changer quelque chose ? Pris isolément, bien sûr que non. Mais je me plais à penser que Nobel lui-même serait en mesure de comprendre que dans ce XXIe siècle, ce qui apporte le plus grand bénéfice à l’humanité consiste à regarder plus loin que nous-mêmes pour prendre conscience de la façon dont nous interagissons avec la vie qui nous entoure. » (James Dyke, 2015, Et le Nobel du DD c’est pour quand ?).

Lunettes noires pour une vie en rose ?

Doit-on forcément voir la vie en rose pour être optimiste ?
Refuser de se bander les yeux porte-il en soi les germes du pessimisme ?

Loin de stimuler l’envie d’agir, le catastrophisme fait tomber les bras et hausser les épaules dans des gestes d’impuissance. Pire encore est le discours culpabilisant, tenu parfois à de très jeunes enfants, visant à rappeler que l’être humain est responsable de tous les maux de la planète. Certes, mais la culpabilité n’a jamais fait avancer les choses. Ceci d’autant plus quand les enfants à qui on le dit ne sont nullement responsables des comportements et des choix des générations précédentes.

Faut-il alors faire preuve d’un optimisme naïf, laissant supposer que le monde va bien et que nous pouvons, moyennant un peu de tri des déchets et d’économie d’énergie, continuer à profiter sans vergogne de ce que nous offre notre planète ? Et que, grâce à la technologie, nous finirons bien par trouver les solutions aux problèmes actuels ? Car nous sommes bien face à des catastrophes imminentes et c’est bien l’être humain –ou du moins une partie de cette espèce- qui, par son progrès, ses évolutions technologiques et l’accroissement démographique qui en découle, son besoin de confort et son économie capitaliste ultra-libérale, est à l’origine des dysfonctionnements que l’on peut observer.

Entre les deux postures extrêmes du catastrophisme et de l’optimisme, comment tirer la sonnette d’alarme sans provoquer de panique et tétaniser les potentiels acteurs ?

Dans un récent article publié sur le site TheConversation, Anne-Caroline Prévot (2018) pose la question de manière différente : « Qu’est-ce donc qui nous empêche de considérer cette crise pour ce qu’elle est, à savoir une crise écologique et sociale d’une ampleur sans précédent ? ». Pour y répondre, je vais, comme elle, m’appuyer sur les recherches portant sur l’accompagnement des malades chroniques (Giordan, Lagger, Golay) ou des personnes en fin de vie (Élisabeth Kübler-Ross). Face à un bouleversement émotionnel brutal ou un choc psychologique, l’être humain passe par différentes phases, qui ne sont d’ailleurs pas forcément linéaires.

Le déni
La première est en général le déni. En ce qui concerne les changements climatiques, celui-ci se traduit par une attitude « climato-sceptique » dont la rhétorique prend en otage les modifications climatiques qui ont ponctué l’histoire de notre planète. En fonction des connaissances sur le sujet, certains y ajoutent l’influence des éruptions solaires ou la confusion entre prévisions météorologiques et climatiques. « On ne peut déjà pas prédire le temps pour demain, comment pourrait-on prédire le climat dans 20 ans ? » sont des arguments largement avancés.

Pour ceux qui ne réfutent pas l’idée que l’homme est à l’origine de ces multiples dysfonctionnements, on retrouve des croyances fortes sur la toute-puissance de l’homme. En d’autres termes, si l’homme a été capable de détraquer le climat, il arrivera bien à rétablir l’équilibre. Ce raisonnement, teinté d’une confiance indéfectible en l’évolution technologique, fait totalement abstraction des mécanismes complexes qui régissent le climat. En l’occurrence, une incompréhension des boucles de rétroaction qui peuvent conduire à des spirales et des emballements difficilement modélisables. Ainsi, le dégel du permafrost –ces terres qui, jusqu’à présent, étaient constamment gelées- libère des quantités énormes de méthane, un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. Celui-ci augmente l’effet de serre, qui va augmenter le dégel du permafrost… et la boucle est bouclée. Plusieurs mécanismes similaires sont à l’œuvre –la diminution de l’albédo due à la raréfaction des surfaces blanches, l’acidification des océans, la transformation de la salinité des océans, etc. Autant d’emballements que l’être humain est bien incapable de maîtriser.

Une autre croyance, sociale celle-là, pousse à dire qu’il n’y a qu’à attendre que la situation devienne vraiment dramatique pour que l’être humain change ses comportements. L’Histoire ne cesse de nous prouver que ce « bon sens » n’a jamais été un moteur de changement. Tous les indicateurs peuvent être au rouge, rien ne bouge. Je ne m’aventurerai pas dans des analyses historiques pour lesquelles je ne revendique aucune compétence. Mais rappelons-nous que, plusieurs années avant le début de la guerre en Syrie, nombre d’analyses portant sur l’évolution de la situation montraient clairement que le conflit serait inévitable –avec son lot de réfugiés cherchant à sortir de l’enfer- si des modifications drastiques –économiques et politiques- n’étaient pas entreprises. La situation actuelle n’a fait que prouver la justesse de ces prédictions.

La colère
La seconde phase est la colère. Toujours face aux changements climatiques, cette colère s’exprime souvent à travers la recherche d’un responsable extérieur. « De toute manière, on ne peut rien faire tant que l’industrie, l’agriculture, l’économie, etc. ne changent pas ». Tout comme le déni, cette attitude traduit une forme de déresponsabilisation. Certes, nos « petits gestes quotidiens », ces « éco-gestes » qu’on enseigne volontiers dans les écoles –prendre des douches plutôt que des bains, fermer le robinet pendant qu’on se lave les dents, éteindre les lumières en sortant d’une pièce, etc.- semblent bien dérisoires par rapport aux multiples pollutions dont sont responsables les industries, les transports ou l’agriculture. Mais être sensible à ces éléments ne peut-il conduire l’individu à entreprendre d’autres actions, à procéder à d’autres choix dans sa vie d’adulte ? C’est en tout cas là-dessus que mise cette forme d’éducation. Apprendre à devenir responsable de ses choix, aujourd’hui en procédant à son hygiène ou en éteignant sa lampe de bureau, laisse supposer qu’une fois adulte, cet individu conservera cette conscience responsable dans des choix plus conséquents.

La négociation
Pour ma part, j’ai parfois peur que ces « petits gestes » ne conduisent que plus sûrement à la « négociation », cette troisième forme d’attitude que l’on peut observer face à un bouleversement émotionnel brutal. En l’occurrence, cette attitude peut prendre la forme d’un « je fais déjà tout cela, alors ne m’importunez plus, moi, j’ai fait ma part ». Or, nous le savons tous, fermer l’eau du robinet lorsqu’on se lave les dents ne permettra pas d’éviter la crise de l’accès à l’eau potable au niveau planétaire. Négocier revient, une fois de plus, à se déresponsabiliser, à ne pas vouloir prendre conscience que nous avons un impact, et qu’il serait préférable pour tout le monde –à commencer par soi-même- que ce dernier soit positif.

La dépression
Dernière phase négative dans ce processus, la dépression. Dans le cas qui nous occupe ici, je préférerais plutôt parler de résignation. Quand rideaux et persiennes sont fermés, aucune lumière ne peut plus entrer. Dès lors, qu’importe ce que l’on fait à l’intérieur, de toute manière, tout est foutu. Or qui dit dépression ou résignation dit fin de l’action et c’est certainement la dernière chose dont la planète et l’humanité ont besoin pour tenter de résoudre les problèmes du monde. Comment alors retransformer cette résignation en action ?

L’acceptation
Comme le dit Anne-Caroline Prévot, ce n’est que « l’acceptation du présent qui permet de construire une nouvelle réalité. » Cette acceptation du présent, dans le cas des changements climatiques, revient à ne pas se boucher les yeux sur les multiples risques auxquels est soumise l’espèce humaine.

Oui, nous allons vers des problèmes migratoires énormes puisque des îles entières sont vouées à disparaître, au même titre que des terres aussi vastes et aussi peuplées que le Bengladesh. Oui, ces terres étant également des « greniers de la planète » et la désertification aidant, nous allons vers une crise alimentaire qui nous obligera à repenser notre manière de nous alimenter. Oui, les catastrophes naturelles augmenteront, provoquant encore plus de déstabilisation au niveau des populations, mais également au niveau économique et politique. Des conditions idéales pour favoriser la montée des populismes de tous poils, conjuguée à celle du nationalisme et du protectionnisme. Autant de visions à court terme dont la planète ne pourrait que pâtir.

Oui, ces risques, et encore bien d’autres, sont réels. Pour y faire face, nous devons apprendre à les connaître, à les reconnaître et à les anticiper. En maîtrisant certaines connaissances, en comprenant les mécanismes qui président à ces événements, en réfléchissant à nos différentes visions du monde, en clarifiant nos valeurs et nos priorités, nous avons le pouvoir de participer, chacun à notre niveau, à faire de ces événements dramatiques des opportunités de transformations de nos modes de production et de consommation, mais également de rencontres et d’échanges enrichissants.

Le catastrophisme éclairé
Même le monde économique prône cette lucidité. Ainsi, dans un autre article de TheConversation, Christian Thimann (2016) propose d’adopter une vision claire des dangers que comporte la situation actuelle. « Cette plus grande transparence permettra aux acteurs financiers (fonds d’investissement et de pension, banques, assureurs, etc.) de prendre des décisions éclairées face au risque climatique. » C’est l’attitude que Jean-Pierre Dupuy, en 2004 déjà, préconisait lorsqu’il parlait d’un « catastrophisme éclairé ». Voir également la conférence de R-E. Eastes pour l’UVED (août 2018) : Accompagner la transition écologique nécessite une transition pédagogique.

Alors, que peut tenter l’école ?
Revenons à présent sur cette base à la question qui nous préoccupait au début de cet article : «Entre les deux postures extrêmes du catastrophisme et de l’optimisme, comment tirer la sonnette d’alarme sans provoquer de panique et tétaniser les potentiels acteurs ? ».
L’école est clairement là pour aider les élèves à envisager l’avenir avec à la fois lucidité et optimisme. Comme le rappellent très justement Mainguy, Taddei et Chevrier (13 sept. 2018) : « Faire face à des problèmes de telles ampleurs sans avoir le sentiment de pouvoir contribuer est anxiogène, conduit à l’inhibition, voire au déni. » (…) Il ne s’agit pas seulement de comprendre l’urgence et la complexité des enjeux. Apprendre à agir, innover, coopérer, créer des solutions chacun dans sa vie, à son échelle, et avec les autres, sont essentiels pour faire évoluer nos modes de vie. »

Voilà de quoi doit se nourrir l’éducation en vue d’un développement durable. Acquérir des connaissances pour développer des compétences créatrices, développer l’esprit d’initiative et l’autonomie de pensée, la confiance en soi qui autorise l’innovation et permet la collaboration fructueuse –car on est toujours plus intelligent à plusieurs que tout seul- développer la réflexion autant que la résilience, la prise de distance, la capacité à comprendre la complexité. Tels sont les objectifs vers lesquels devrait tendre l’école. Certains enseignants sont précurseurs en la matière et font déjà cela de manière admirable.

Mais l’urgence dans laquelle nous nous trouvons ne nous permet pas de ne compter que sur les enfants. Une prise de conscience globale et rapide doit avoir lieu afin que tous les acteurs, depuis le consommateur lambda aux dirigeants des multinationales, proposent des changements visant non pas un « toujours plus », mais un « enfin mieux ».

Merci à Valéry Laramée de Tannenberg qui a posté cette illustration sur Facebook.

Cas d’école

Ça y est. La cloche a sonné sur une nouvelle année scolaire. Mes enfants préparent leur cartable, chargé de tous les classeurs qui vont peu à peu se remplir. Plus encore qu’eux, j’ai la boule au ventre.  Que devront-ils encore ingurgiter cette année ? Les sempiternelles frontières d’un monde pourtant fluctuant, sans se poser la question de savoir pourquoi elles existent et pourquoi elles changent ? Les noms des différentes familles de batraciens, sans se demander pourquoi la biodiversité disparaît et en quoi les zones humides sont indispensables à la vie ? La nomenclature de la république romaine, sans en profiter pour mettre en perspective les différentes démocraties à l’œuvre dans notre monde contemporain et les menaces qui pèsent sur elles ? A chaque devoir à apprendre par cœur pour une évaluation sommative dont ils ne retiendront que la note qu’ils auront obtenue, je désespère…

 

Que devraient apprendre ces enfants du XXIe siècle pour faire face à la complexité du monde dans lequel ils évoluent déjà ? Cette question, je l’ai posée à mes étudiants, futurs enseignants primaires, mais également à des enseignants confirmés, engagés dans un master visant l’enseignement spécialisé. Les réponses obtenues sont à peu près les mêmes : être réflexif, curieux, autonome, avoir un esprit critique, savoir coopérer, avoir confiance en soi, être ouvert aux changements et créatif. Nous ne sommes pas très loin de ce que proposent les grands penseurs de l’éducation, tels que Ken Robinson, André Giordan, Philippe Meirieu ou Edgar Morin pour ne citer que les plus connus. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si les théoriciens et les praticiens se retrouvent dans les objectifs que les enfants devraient atteindre, nous voilà assurés de pouvoir compter sur une école de qualité.

 

Mais voilà que la deuxième question que je pose à mes étudiants met tout de suite un bémol à ce tableau. Car, lorsque je leur demande d’évaluer, sur une échelle allant de ++ à – – ce que fait concrètement l’école pour atteindre ces objectifs, force est de constater que, si elle tente de rendre les élèves autonomes, cette autonomie s’arrête bien souvent à celle qu’il faut pour gérer ses devoirs de la semaine. Quant à la réflexivité, si elle apparaît dans la manière dont les élèves s’y prennent pour résoudre un problème mathématique, elle n’est jamais mise en pratique pour répondre à des questions touchant le quotidien ou les grandes questions socio-techniques qui jalonnent pourtant les grands titres des médias. Certains items, tels que la curiosité, le développement de l’esprit critique, la confiance en soi ou la créativité se voient même attribuer  de – ou même de – -, preuve de leur (quasi) absence des objectifs scolaires.

 

Pourtant, le monde a urgemment besoin de citoyens responsables, sachant prendre des décisions réfléchies, issues d’une réflexion où l’éthique et les valeurs prennent le pas sur l’économie. La démission de Nicolas Hulot du gouvernement français après 15 mois en tant que ministre de la transition écologique et solidaire est révélatrice d’un état de fait qui laisse pantois. Tous les signaux sont au rouge –mort des océans, pénurie d’eau potable, terres arables qui disparaissent sous les flots, glissements de terrain, fonte des pôles, désertification et, bien sûr réchauffement climatique à l’origine de tous ces maux- et nous restons figés dans une vision du monde axée sur l’économie de marché. Pourtant, quand les denrées alimentaires ne suffiront plus à nourrir l’humanité, je doute que les billets verts, même accommodés à la sauce tartare ou tomate, ne soient très digestes. Au nom d’une certaine vision du développement durable, nous mettons un équilibre artificiel entre l’économie, le développement social et l’écologie. C’est oublier que, sans nature, il n’y a plus de société, et sans société, plus d’économie. Le raisonnement est simple, mais il semble totalement échapper à nos dirigeants, nos économistes, nos entrepreneurs. Comme le rappelait Nicolas Hulot dans son interview, les lobbies sont partout et oeuvrent à faire capoter toutes les décisions qui pourraient mettre en péril les monstrueux bénéfices des multinationales et des organisations professionnelles… jusqu’au lobby de la chasse ! Après nous le déluge… sauf que le déluge, nous risquons tous, à moyen, voire à très court terme, de nous le prendre sur la tête.

 

L’école accueille en son sein tous les enfants, quelles que soient leurs origines socio-culturelles. Aucun enseignant ne peut affirmer qu’il n’aura pas, un jour ou l’autre, dans sa classe, le ou la futur.e directeur/trice de la banque mondiale, le ou la prochain Bill Gates –version helvétique, bien sûr- le ou la pdg de Nestlé ou de Bayer ou encore un.e politicien.e de notre gouvernement. L’école a donc le devoir de leur donner les outils pour penser le monde afin de le rendre viable, vivable et équitable. Si les connaissances sont indispensables pour comprendre les problèmes actuels, c’est avant tout la manière dont nous sommes capables de les comprendre, de les mettre en perspective et de les utiliser qui est importante. Et cette compréhension ne peut se faire qu’en croisant les disciplines. Si nous parlons de problèmes globaux, c’est bien parce que nous avons fonctionnés dans des paradigmes disciplinaires, qui n’ont pas permis de comprendre les enchaînements et les boucles de rétroactions à l’œuvre. Les changements climatiques sont un exemple parfait de ces multiples interactions.

Les conséquences de l’augmentation de l’effet de serre, Pellaud, 2015, UVED (MOOC EDD) CC BY-SA 3.0

Il n’y a plus un instant à perdre. Nous devons offrir à nos élèves l’opportunité d’être plus intelligents que nous ne l’avons été jusqu’à présent. Nous devons leur offrir la capacité à transformer en profondeur nos manières de vivre et de penser et à sortir de cette torpeur qui fait de nous des grenouilles qui ne sentent pas que l’eau de la casserole où elles baignent est en train d’augmenter et qu’elle finira par les cuire. Pour ce faire, ils doivent acquérir la confiance en eux, en leur capacité d’action pour, qu’à travers leur créativité et leur esprit d’initiative, ils soient capables d’envisager des solutions différentes, mieux adaptées à une coexistence pacifique entre la nature et nous. Le plan d’études romand (PER) offre cette opportunité de transformer l’école que nous connaissons en une école tournée vers la construction d’un avenir. Certains enseignants expérimentent déjà cette mise en place de nouveaux paradigmes. Et c’est du devoir des HEP, mais aussi des directeurs ou des responsables d’établissements scolaires, de les soutenir dans ces initiatives. Nous n’en sommes qu’aux prémisses, mais je reste optimiste. Ayant la chance de travailler avec quelques enseignantes et enseignants motivé.e.s, je me dis que tout n’est pas perdu…

 

Et pour tous ceux qui, sensibilisés ou non aux conséquences du changement climatique, ont de la peine à voir ce que cela donnera, je conseille le livre d’Erik M. Conway et Naomi Oreskes, « L’effondrement de la civilisation occidentale », éd. Les Liens qui libèrent, 2015

L'effondrement de la civilisation occidentale -.... Erik M ...