Après la psychologie, la sociopsychologie et la didactique, les neurosciences se sont emparées du champ scolaire. Leurs résultats de recherche, sans grande surprise, confirment ce que les précédentes montraient déjà, mais sans l’autorité des imageries cérébrales, qui confèrent à cette dernière arrivée une autorité et un sérieux des plus “scientifiques”.
Prenons un exemple qui me semble tout à fait révélateur. En 1998, André Giordan, alors professeur en sciences de l’éducation à l’université de Genève, publiait un livre intitulé Apprendre!. Cet ouvrage explique on ne peut mieux les mécanismes à l’oeuvre au moment où un enfant est soumis à un apprentissage, ou face à une information nouvelle. Plus encore, il décrit l’environnement didactique qui doit être proposé à cet enfant pour qu’il puisse apprendre dans les meilleures conditions, et que cet apprentissage soit le plus efficient.
Vingt ans plus tard, en 2018, Stanislas Dehaene, psychologue cognitiviste et neuroscientifique travaillant à l’Inserm (France), écrit un livre dont le titre est exactement le même, au point d’exclamation prêt. Certes, leur contenu n’est pas identique, leurs champs de recherche n’étant pas les mêmes, mais pourtant, une évidence apparaît: ce qu’André Giordan présentait de manière empirique est confirmé par les expériences en laboratoire. Il ne me reste plus, qu’en tant que didacticienne, de me réjouir de voir que nos recherches ont su inspirer d’autres champs disciplinaires et que, si la technologie qui entoure les neurosciences leur confère une scientificité qui peine à être reconnue à la didactique, nous travaillons depuis 40 ans sur des résultats probants.
Revenons à nos deux auteurs. Quels sont les messages communs qu’ils nous transmettent à travers leurs ouvrages?
Le premier est qu’il n’est pas possible d’apprendre si on ne porte pas attention à l’objet étudié. En d’autres ternes, si l’on n’est pas intéressé par ce qui nous est proposé, on pourra éventuellement mémoriser un certains lots de connaissances pour les recracher lors d’un test, mais aucun véritable apprentissage ne sera réalisé. Car, sitôt la note obtenue, notre cerveau s’empressera d’oublier ces “détails” qui l’encombrent et dont il ne trouve pas le sens.
Dans son “environnement didactique favorable à l’apprendre” (voir la figure proposée dans mon article du 28 janvier 2019), André Giordan rappelle donc que l’élèves doit être interpellé, concerné par le sujet d’apprentissage proposé. Ce sujet d’apprentissage doit faire partie d’un contexte qui lui confère du sens, un intérêt, et qui titille sa curiosité. Autant de précautions que peu d’enseignants prennent le temps de mettre en place, surtout si l’on se dirige vers la fin de l’école primaire ou le secondaire I.
Le deuxième élément commun est l’engagement actif. Confucius disait : “J’entends et j’oublie, je vois et je me souviens, je fais et je comprends”. Encore faut-il que le geste ne soit pas réalisé de manière automatique ou comme celui que l’on fait quand on réalise une recette de cuisine ou un mode opératoire d’une expérience bien préparée. Le geste n’est pas synonyme d’engagement actif. Celui-ci n’apparaît que dans la réflexion, qu’elle soit ou non suivie d’une action. Certes, l’approche kinesthésique est importante et, surtout, permet à beaucoup d’apprenants de s’engager activement. Comme si les mains aidaient le cerveau à dépasser la seule conceptualisation pour véritablement plonger dans la problématique à résoudre. L’attention cognitive portée à la tâche à accomplir est à nouveau essentielle pour que l’élève soit pleinement actif.
Dès que l’on parle d’engagement actif, il faut accepter l’idée que l’apprenant va tâtonner, chercher, essayer. L’erreur y est donc fatalement convoquée, ce qui va permettre à l’apprenant de se questionner sur la source de son erreur, et d’évoluer vers une compréhension du problème. Comme c’est lui-même qui aura résolu ce dernier, il aura véritablement compris ce qui l’aura conduit à cette réussite et cette compréhension est garante de la construction véritable de ses connaissances. Le troisième point essentiel est donc le statut même de l’erreur. Plutôt que d’être pourchassée et sanctionnée par de mauvaises notes, elle doit être acceptée comme le moteur même de l’apprentissage.
“L’erreur est la condition même de l’apprentissage. J’estime que les notes ne sont pas un bon système d’évaluation: elles ne donnent pas une information précise sur l’endroit où l’élève s’est trompé. Elles n’ont pas vraiment d’intérêt pédagogique, mais génèrent du stress. Or on sait que les émotions positives nourrissent la curiosité et l’enthousiasme de l’enfant, mais que les émotions négatives bloquent les apprentissages: elles figent les réseaux de neurones.” (Dehaene interviewé par Le Temps, 2018”
Enfin, dernier élément, la consolidation des apprentissages afin qu’ils deviennent des acquis. Même si le problème a été résolu par l’élève et qu’il a clairement compris la démarche qui l’a conduit à sa résolution, il est évident que si ce type de problème ne se présente plus jamais, le cerveau va finir par oublier la manière dont il s’y est pris. C’est ce que nous nommons, en didactique, la mobilisation du savoir. Plus ces savoirs seront en lien avec le vécu des apprenants, plus ceux-ci auront l’occasion de le mettre en oeuvre et donc, de les consolider.
Les similitudes entre ces deux auteurs ne s’arrêtent pas là et leurs différences sont aussi intéressantes à aborder. Je ne peux que recommander la lecture autant du premier que du second ouvrage. L’un comme l’autre nous rappelle que l’école pourrait être un lieu bien différent de celui que nous connaissons, un lieu où l’élève serait vraiment placé au centre, et où sa réussite se mesurerait à l’aune de son épanouissement et de sa capacité à trouver sa place au sein des autres êtres humains et non à travers l’obtention de notes et de diplômes.
Intellectuel.le (notez l’inclusif) c’est une compétence, comme l’artisan boulanger pétrit, le céramiste aussi, non?
Ne le prenez pas contre vous, je ne suis qu’un artisan 🙂
Je me posais juste la question de la souffrance d’un intellectuel, serait-elle proche de celle d’un créatif ou d’un scientifique (bon, de vrais de vrai) ?
Celo životno učenje , mislim , da je šansa za sve.