Les statistiques sont impitoyables. Comme le relève Antoine de Cabanes dans son article Ces trois « jeunesses » qui se mobilisent pour le climat du 14 mars 2019 dans The Conversation, la majorité des grévistes estudiantin.e.s pour le climat sont issu.e.s de « la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures ». Il faut donc se rendre à l’évidence : les jeunes qui participent à ces actions ont acquis ailleurs qu’à l’école les connaissances et les compétences nécessaires pour appréhender les enjeux et les mécanismes complexes qui président à la situation actuelle. Mais aussi la confiance en leur pouvoir d’agir, qui leur permet de croire que leur mobilisation pourra encore changer les choses.
Pourtant, depuis 2005 en France et 2011 en Suisse, l’éducation au développement durable (EDD) est intégrée aux programmes de l’enseignement obligatoire. Dès lors, nous ne pouvons que partager l’avis de cet autre auteur du média TheConversation, Sylvain Wagnon (3 février 2019), lorsqu’il déclare que « cet enseignement apparaît bien en deçà de l’urgence d’une transition écologique ».
En d’autres termes, l’école ne fait pas son boulot. Pourquoi ?
Les inerties sont multiples –force de l’habitude des enseignant.e.s, découpage disciplinaire hérité du XIXe siècle, reproduction de l’école vécue, peur de l’innovation, de la nouveauté, pratiques d’évaluations, lacunes dans la formation des enseignant.e.s et des formateurs ou formatrices d’enseignant.e.s, etc. – mais la responsabilité incombe, une fois de plus, à la politique. Non que les responsables politiques ne s’intéressent pas à l’école. Au contraire, elle constitue pour eux un enjeu de taille. En France, chaque ministre de l’éducation y va de sa « réformette », qui ne fait qu’alimenter l’animosité et le ras-le-bol des enseignant.e.s.
Si la Suisse ne souffre pas des mêmes travers, les différentes directives cantonales enferment pourtant de plus en plus l’école dans une vision dogmatique, fondée sur une volonté chimérique d’homogénéisation des apprentissages. Le tout reposant sur un principe d’égalité des chances illusoire, tenant plus du principe de rentabilité que de responsabilité. Les épreuves cantonales (IRDP 2016-2017) qui fleurissent de plus en plus en sont un exemple frappant. Elles sont supposées montrer que tous les élèves d’une classe d’âge ont réussi à ingurgiter, au même rythme, des savoirs dont le sens leur échappe la plupart du temps faute de les avoir suffisamment contextualisés. Un carcan temporel qui va bien à l’encontre de ce que nous dit la recherche. Ce d’autant plus que le risque est grand que les enseignant.e.s se donnent pour mission de faire réussir les élèves à ces tests plutôt que de les former aux compétences dont ils/elles auront besoin plus tard.
La recherche…. Voilà bien celle qui apparaît comme la grande absente des réflexions portant sur le système éducatif. Pourtant, elle nous apporte toutes les clés de compréhension des mécanismes d’apprentissage. La psychologie (Piaget de 1923 à 1988 et son contemporain Russe, Lev Vygotsky), puis la didactique (Giordan, 1998 ; Develay, 2004 ; Meirieu, 1987, pour ne citer que les plus connus) et enfin les neurosciences (Dehaene, 2018 ) nous disent clairement les facteurs qui favorisent l’apprendre et ceux qui l’entravent.
Parmi ces mécanismes, nous savons depuis belle lurette que l’apprentissage par cœur de connaissances notionnelles ne favorise que les élèves qui bénéficient d’une bonne mémoire et sont issus d’un milieu socio-économique élevé.
Les neurosciences nous rappellent que les adolescent.e.s, de par leur évolution physique et hormonale, décalent leurs heures de sommeil et ont besoin de se reposer le matin. Or, certains élèves de l’école secondaire débutent tous matins à 07h20, quel que soit le trajet qu’ils doivent effectuer pour atteindre l’école.
La recherche nous apprend également que seuls les élèves qui ont confiance en eux et en leur potentiel à réussir sont capables d’apprendre efficacement. Que l’erreur est un facteur important d’apprentissage et qu’elle devrait être considérée comme telle plutôt que d’être soulignée en rouge et considérée comme une faute à sanctionner d’une mauvaise note. Comment les élèves peuvent-ils croire en eux et en leur potentiel si, à chaque fois qu’ils répondent, leur note les renvoie à une vision d’incapables ?
Enfin, il n’y a guère qu’à l’école où la collaboration et l’apprentissage à travers le développement de l’intelligence collective s’appelle « tricherie » et est sanctionnée comme telle.
Ces quelques exemples n’ont pour fonction que de mettre en évidence l’incapacité de nos responsables politiques à intégrer dans leurs décisions les données fondamentales de la recherche. L’exemple du ministre de l’éducation en France, Jean-Michel Blanquer, qui s’est étroitement associé à Stanislas Dehaene, pourrait-il faire changer cet état de fait ?
En tous les cas, les résultats de l’étude internationale Pisa devraient leur montrer que d’autres ont réussi à le faire et que les résultats qui en découlent sont plus que probants.
La Finlande meilleure élève aux tests internationaux de Pisa, a réformé son système scolaire en tenant compte de ces éléments triviaux et essentiels. Pourtant, toujours selon cette étude, les élèves Finlandais sont ceux qui ont le moins d’heures d’école et le moins de devoirs. Comment réussissent-ils alors, ce tour de force ? Simplement en faisant confiance aux élèves et en leur capacité à se responsabiliser et à se prendre en main. Loin des procès d’intention faits par certains chefs de l’instruction publique aux lycéens qui ont participé à la grève du climat –soupçonnés de profiter de la grève pour ne pas aller aux cours–, l’école finlandaise offre à ses élèves des espaces de liberté qui leur permettent de développer leur créativité, les compétences nécessaires à monter des projets, à s’investir, à s’impliquer et, surtout, leur sens des responsabilités. Celui-ci apparaît notamment à travers le fait que l’élève est responsable de ses apprentissages. A lui de les gérer –bien sûr avec l’aide de l’enseignant– de les faire évoluer, de les approfondir. L’élève n’apprend plus pour des notes ou des appréciations, pour faire plaisir à ses parents ou à l’enseignant, ou plus trivialement pour ne pas redoubler. Il apprend parce que cela devient un véritable enjeu pour lui, en même temps qu’un plaisir, et que le système lui en laisse le temps nécessaire.
Pour arriver à ce tour de force, l’école finlandaise n’a pas transformé la forme, mais le fond de son système scolaire. Elle a appliqué ce que les recherches ont permis de mettre au jour : l’erreur fait partie inhérente de l’apprendre. L’évaluation, le nerf de la guerre de tout apprentissage, ne devrait donc jamais sanctionner ni mettre en compétition les élèves. Elle devrait être, au contraire, ce qui stimule, encourage, donne confiance en soi en montrant l’évolution accomplie en même temps que le chemin à parcourir et les étapes à franchir.
Alors, notre système scolaire saura-t-il, lui aussi, tirer des apprentissages de ses erreurs et proposer une école en adéquation avec les besoins des élèves du XXIe siècle ?
Moi, je trouve que vous êtes canon, chère Francine, pour une intellectuelle.
Je dis ça, car ce doit être un cauchemar de travailler dans l’éducation!
Pisa y bla, compétition, QI, règles cantonales, fédérales et autres délicatesses, franchement, congrats 🙂
Et à ceux qui répondent que la Finlande ne possède pas autant de classes avec 80% d’élèves dont aucun parent ne parle la langue locale???
Il y a des conséquences et…des causes.
Je suis convaincu qu’un enfant allophone peut réussir – et même mieux – comme mes nièces. Mais encore faut-il leur donner une chance, en valorisant le travail, l’excellence et… le français par des dictées.
De mon expérience, ce n’est pas le cas… et votre méthode conduit à un nivellement par le bas.
Cher Monsieur,
A aucun moment je ne dénigre la dictée, ni l’acquisition de connaissances. Je regrette une analyse de mes propos très réductrice. Cela ne fait aucun doute que, selon la courbe de Gauss, une majorité d’élèves sont capables de s’adapter au système scolaire “classique”. Néanmoins, à l’heure et à l’ère des changements auxquels nous devons faire face, il me semble moins important d’apprendre les capitales d’un monde qui risque bien de voir ses frontières évoluer très rapidement plutôt que de comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans ces modifications. L’excellence reste valorisée, et, quel que soit le système, les élèves ayant des facilités ne seront pas mis en situation d’échec. Par contre, cela permettrait peut-être aux autres de vivre l’école en découvrant le plaisir d’apprendre, de découvrir, d’être curieux et solidaire plutôt que de subir dès leur jeune âge une sélection qui ne porte que sur une seule capacité, celle d’avoir une bonne mémoire. Je vous remercie néanmoins d’avoir pris le temps de lire mes propos et de les avoir commentés.