…venaient des Galapagos…

Un voyage de rêve m’a récemment permis de visiter des sites magiques et mythiques, dont les îles Galapagos, berceau de la théorie de l’évolution et étape incontournable pour un naturaliste en voyage dans les îles de l’océan pacifique. En dehors des tortues géantes et des iguanes terrestres et marins, mon attention s’est naturellement aussi portée sur les abeilles présentes dans l’archipel.

Iguane marin

Ici pas de ruches. En effet, ces îles au taux d’endémisme élevé (c’est-à-dire d’espèces uniques que l’on ne trouve nulle part ailleurs) ont fort heureusement été préservées de toute introduction d’abeilles domestiques. Des efforts énormes sont mis en œuvre par le gouvernement équatorien et le parc national depuis la fin des années 1950 pour préserver ces fragiles vestiges d’une époque où l’homme n’avait pas encore conquis l’ensemble de la planète. Malheureusement, depuis la découverte des îles, et la description qu’en fit Darwin lors de son séjour en 1835, de nombreuses espèces étrangères à l’archipel y ont été introduites, tels que les rats qui accompagnent immanquablement l’arrivée des hommes, mais également d’animaux domestiques, chèvres en particulier, qui ont gravement perturbé la

Elevage de tortues

flore locale, sans compter de nombreuses espèces végétales introduites volontairement ou accidentellement.

Ainsi, les populations de tortues géantes ont été décimées par les marins, les pêcheurs hauturiers et les brigands des mers qui ont souvent trouvé refuge dans ces îles après avoir perpétré leurs méfaits. Décimées à un point que certaines espèces sont désormais éteintes et que d’autres ne survivent que grâce aux strictes mesures de protection et aux efforts de réintroduction du parc national.

Mais le gouvernement favorise aussi un tourisme de masse, riche, mais peu éduqué, souvent peu intéressé et peu conscient de la richesse unique de ces îles. Touristes qui cherchent le plus souvent dépaysement, plages et bronzette, au point que la capitale de l’archipel, ressemble à n’importe quelle station balnéaire, avec ses étals de bibelots, tee-shirts et des prix qui s’envolent, au détriment de la population locale qui ne peut

Xylocope de Darwin (individu femelle)

s’offrir le luxe auquel sont habitués les touristes occidentaux.

Pour revenir aux hyménoptères, on trouve plusieurs espèces de fourmis, dont certaines introduites, une espèce de guêpe coloniale, et une abeille solitaire, l’abeille charpentière ou Xylocope de Darwin (Xylocopa darwini). Native de l’archipel, cette abeille a l’allure d’un gros bourdon dont les femelles (les plus abondantes) sont presque tout noir. Elle est très fréquente et se rencontre sur presque toutes des îles (sinon toutes ?) butinant les fleurs de diverses espèces de plantes locales ou introduites.

Nid de la guêpe invasive Polistes versicolor

La guêpe Polistes versicolor, originaire du continent sud-américain, est apparue aux Galapagos 1988. Elle s’y répand rapidement et est considérée comme une espèce indésirable et « invasive ». Elle construit de petits nids de quelques dizaines de cellules disposées sur un seul rang et suspendues par un mince filament à divers supports. Elle est plutôt agressive et ses piqûres très douloureuses. Cette espèce semble coloniser rapidement divers habitats et l’objectif de son éradication paraît bien illusoire.

L’absence d’abeilles domestiques dans l’archipel est une situation rarissime dans la distribution de cet insecte qui a été introduit partout où les occidentaux et l’agriculture se sont installés. Son contrôle est ici relativement aisé et l’on peut espérer que les mesures de protection mises en place par les autorités du parc national permettront d’éviter que l’abeille native ne soit jamais menacée par d’intempestives introductions.

… ou de Tahiti…

Les ruches de Pikui à Arutua

Il n’en va pas de même à Tahiti et dans les îles des différents archipels qui composent la Polynésie française. On trouve en effet des abeilles domestiques dans la plupart des îles régulièrement habitées. La race préférée et dont la promotion est le plus intense est notre « carnica ». On la trouve toutefois mélangée à des abeilles « ligustica » et des « Buckfast ». Le miel produit est de bonne qualité et présente des goûts variés et intéressants, voire surprenants. On trouve également au moins deux commerces de matériel apicole, dont un situé au centre de la capitale Papeete, qui importe du matériel depuis la métropole.

Les ruches que j’ai eu l’occasion de voir sont toutes du modèle Langstroth, le plus souvent en bois, avec des toits en aluminium. On voit aussi parfois des fonds, grilles à reine et hausses en plastic.

… ou encore des îles Toamotu…

C’est toutefois à Arutua, un atoll de l’archipel des Toamotu à mi-chemin entre Tahiti et les Marquises, que j’ai fait l’expérience apicole la plus étonnante du voyage. L’atoll, éloigné des circuits touristiques, vit essentiellement des ressources locales dont la pêche, le coprah (noix de coco séchée dont on tire de l’huile) et la perliculture constituent l’essentiel.

Grâce à mes amis de Tahiti, j’ai eu la chance d’y rencontrer un jeune apiculteur … d’une soixantaine d’années. Surnommé Pikui et connu comme le loup blanc en Polynésie française, ancien espoir du football de Tahiti, navigateur expérimenté, il s’est reconverti voici quelques années à l’apiculture après avoir abandonné la culture des huîtres perlières suite à un cyclone (ou « coup de vent » comme on dit ici). En moins de trois ans, il s’est constitué un cheptel de quelques 300 colonies, logées dans des ruches de sa construction et réparties par groupes de 5 à 10 unités, sur divers motu inhabités de l’atoll (un motu est une île corallienne (paradisiaque) sur laquelle la végétation a pris pied et où chacun d’entre nous rêve de passer quelques jours à la Robinson Crusoé).

Pikui devant son extracteur

Pikui récolte son miel durant toute l’année, car le climat ne varie guère sur l’atoll, la température ne descendant guère en dessous de 25°C en hiver (juillet-août) et ne dépassant guère les 30°C en été, avec des précipitations réparties sur l’ensemble de l’année, mais surtout en hiver. Les abeilles collectent nectar et pollen sur les fleurs locales, les cocotiers étant particulièrement riches en pollen.

Toutefois, tout n’est pas si simple. En effet, il n’est guère aisé de maîtriser le métier et un tel cheptel en si peu de temps. Les pratiques apicoles sont donc encore balbutiantes. Les abeilles (des « carnica » matinées de « ligustica » ?) sont très douces, mais les ruches peu populeuses, pas suffisamment du moins pour assurer une récolte importante. Les cadres sont souvent irrégulièrement espacés, peu ou mal construits et la cire gaufrée de piètre qualité. Pas d’élevage de reines, bien entendu.

Pikui a fait cette année sa première récolte, environ 100kg de miel qu’il a exporté à Tahiti. Tout comme la quantité, la qualité laisse encore à désirer. En effet, le miel conditionné que j’ai pu goûter était fermenté et d’un goût peu attrayant. En revanche, celui que j’ai dégusté au rucher était tout-à-fait excellent et d’un goût subtil, variant d’un groupe de ruches à l’autre.

Comme tous ses collègues polynésiens, notre apiculteur est confronté à un délicat problème de gestion du contenu en eau de son miel. L’humidité relative de l’air est bon an mal an supérieure ou égale à 80% dans ces contrées, ce qui requiert des mesures appropriées, soit un contrôle de l’humidité du miel durant tout le processus d’extraction et de conditionnement du miel.

Dégustation à 20 doigts sur le bateau

Pikui dispose pour tout matériel d’un enfumoir neuf (et qu’il a utilisé pour la première fois lors de notre visite ; en général il se contente d’une torche de paille ou prend ses jambes à son coup si nécessaire) et d’un petit extracteur manuel à 3 cadres. Il ne connaissait pas l’usage du réfractomètre et encore moins celle du déshumidificateur, instruments indispensables dans de telles conditions. De plus, il se rend en bateau à ses abeilles (1 heure de navigation au moins dans une barque à moteur pouvant emmener 5-6 personnes) et extrait son miel en mer où il déplace son petit extracteur et stocke momentanément le miel récolté, avant de remettre les cadres extraits dans les ruches. Il navigue ainsi de motu en motu en faisant le tour de ses divers emplacements. Difficile d’assurer un taux d’humidité convenable dans de telles conditions (20% est considéré comme tout à fait acceptable en Polynésie française et correspond aux normes admises dans l’Union européenne). Les miels que j’ai dégustés et testés à Tahiti avaient pour la plupart un contenu en eau proche de 20% et se conservent apparemment assez bien.

… ou enfin de l’Île de Pâques…

Dernière étape de notre périple dans lef Pacifique, l’Île de Pâques constitue un monde à part dans les îles polynésiennes. Non seulement, elle fascine par son histoire unique et par ses statues géantes, les moais, qui jalonnent le pourtour de l’île et son intérieur, mais elle offre une occasion inégalée de vivre quelques jours à plusieurs milliers de km de toute terre habitée. En dehors de la seule localité de Rango Roa (6000 habitants) et d’une route partiellement goudronnée, l’homme n’a plus rien construit de permanent depuis la fin de l’ère des moais. Ceci rend l’expérience particulièrement troublante, car on le sentiment très fort en contemplant ces statues de retourner aux

Ruche au centre d’information de Rano Raraku

temps immémoriaux de l’âge de pierre, même si la civilisation des moais est bien plus récente. Elle est en effet contemporaine de notre ère médiévale, mais les polynésiens de l’époque ne maîtrisaient que la pierre taillée.

Ici encore, on trouve des ruches comme en témoigne la photo ci-jointe prise sur le site de Rano Raraku, carrière où les moia étaient sculptés. La ruche est décorée du mythe de l’homme-oiseau, croyance qui a succédé à l’ère des moais après l’arrivée des Européens, avant que la population locale ne soit exterminée par ces derniers. Le miel, acheté au marché local, cristallisé comme un miel de pissenlit était très correct.

 

Francis Saucy

Francis Saucy, Docteur ès sciences, biologiste, diplômé des universités de Genève et Neuchâtel, est spécialisé dans le domaine du comportement animal et de l'écologie des populations. Employé à l’Office fédéral de la statistique, Franci Saucy est également apiculteur amateur et passionné, et il contribue par ses recherches et ses écrits à l'approfondissement des connaissances sur les abeilles et à leur vulgarisation dans le monde apicole et le public en général. Franci Saucy fut également élu PS à l'exécutif de la Commune de Marsens, dans le canton de Fribourg de 2008 à 2011 et de 2016 à 2018. Depuis mars 2019, Franci Saucy est rédacteur de la Revue suisse d'apiculture et depuis le 15 septembre 2020 Président de la Société romande d'apiculture et membre du comité central d'apisuisse Blog privé: www.bee-api.net

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