Mortalité des abeilles: nouveau mutant du virus des ailes déformées

La lutte contre les virus ne concerne pas que les humains. Les abeilles ont les leurs aussi, avec leur suites de variants. C’est le cas du virus des ailes déormées (DWV pour Deformed wing virus) dont un nouveau variant vient d’être décrit. Et ce nouvel agent pathogène est non seulement plus agressif que son prédécesseur, mais il se propage à grande vitesse. Ceci pourrait expliquer la surmortalité observée durant l’hiver 2021-2022.

On peut s’en douter, une abeille aux ailes déformées aura de la peine à voler et comme le montre l’image ci-contre les ailes sont déformées au point qu’il n’en reste que des moignons.

Selon les résultats d’une, récemment publiée dans “International Journal for Parasitology : Parasites and Wildlife”, l’agent pathogène mutant se propage rapidement dans le monde entier. “Le nouveau mutant DWV-B est plus mortel et peut-être aussi plus facilement transmissible que l’agent pathogène d’origine”, explique Robert Paxton, zoologiste à l’université allemande Martin-Luther de Halle-Wittenberg. “Les animaux infectés meurent généralement au bout de 10 à 14 jours”.

La manière dont le virus tue les abeilles n’est pas tout à fait claire. Les ailes déformées typiques de la maladie n’apparaissent  que chez les animaux qui ont déjà été infectés à l’état de nymphe et qui éclosent ensuite avec des ailes défectueuses en raison de l’infection. Mais même les abeilles adultes, dont l’apparence extérieure ne laisse rien paraître, peuvent être infectées par l’agent pathogène et en mourir. “Les animaux malades se déplacent beaucoup moins et ne peuvent plus remplir aussi bien leurs tâches dans la ruche”, explique Paxton. La plupart des colonies infectées meurent en hiver. Il faut deux à trois ans pour que le virus détruise toute la colonie.

“La plupart des colonies infectées meurent alors en hiver”, explique Paxton. Il n’existe pas encore de médicament contre le virus lui-même qui est transmis par le varroa. Ce parasite de l’abeille mellifère, qui mesure environ un millimètre de long et un millimètre et demi de large, suce le sang, ou plus précisément l’hémolymphe, des abeilles et transmet ainsi le virus des ailes déformées. “C’est un peu comme les moustiques et l’agent pathogène du paludisme”, explique Paxton.

Selon les auteurs de l’étude, il existe des indices selon lesquels le nouveau mutant DWV-B, contrairement au virus original, n’est pas seulement transmis par l’acarien Varroa, mais qu’il se multiplie également à l’intérieur du parasite. “Cela pourrait représenter un mécanisme supplémentaire qui augmenterait le taux d’infection du DWV-B par rapport au DWV-A”, supposent les scientifiques dans leur étude. La variante B du virus de la déformation des ailes a été détectée pour la première fois en 2001 aux Pays-Bas.

Seize pour cent de son génome sont modifiés par rapport à la variante A. Ces modifications semblent conférer au virus d’énormes avantages. C’est la seule façon d’expliquer que la variante agressive DWV-B se propage aussi rapidement et supplante le virus d’origine. Pour déterminer l’ampleur de la propagation de la nouvelle variante, Paxton et son équipe ont analysé les données génétiques et les publications sur les virus DWV trouvés chez les abeilles mellifères du monde entier entre 2008 et 2021. En outre, les chercheurs ont eux-mêmes prélevé des échantillons en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie.

Et voici ce qu’ils ont trouvé: “La nouvelle variante du virus est désormais présente sur tous les continents, à l’exception de l’Australie” où le varroa est également absent. Dans les années 2000, le DWV-B s’est donc surtout propagé en Europe et en Afrique. Depuis 2010, il sévit également en Amérique du Nord et du Sud, et depuis 2015, il est détectable en Asie. “En Allemagne, il n’existe plus que la variante B”, explique Paxton. Selon lui, elle a complètement supplanté la variante A.

Les abeilles sauvages sont également concernées. On sait que certaines espèces, comme les bourdons terrestres, peuvent contracter le virus des ailes déformées. Heureusement pour les abeilles sauvages, la transmission du virus à ces dernières par les varroas est heureusement rare, voire exclue, car ces parasites s’attaquent surtout aux abeilles mellifères.

Source: Tina Baier, Tages-Anzeiger Online, 19.06.2022

 

Francis Saucy

Francis Saucy, Docteur ès sciences, biologiste, diplômé des universités de Genève et Neuchâtel, est spécialisé dans le domaine du comportement animal et de l'écologie des populations. Employé à l’Office fédéral de la statistique, Franci Saucy est également apiculteur amateur et passionné, et il contribue par ses recherches et ses écrits à l'approfondissement des connaissances sur les abeilles et à leur vulgarisation dans le monde apicole et le public en général. Franci Saucy fut également élu PS à l'exécutif de la Commune de Marsens, dans le canton de Fribourg de 2008 à 2011 et de 2016 à 2018. Depuis mars 2019, Franci Saucy est rédacteur de la Revue suisse d'apiculture et depuis le 15 septembre 2020 Président de la Société romande d'apiculture et membre du comité central d'apisuisse Blog privé: www.bee-api.net

11 réponses à “Mortalité des abeilles: nouveau mutant du virus des ailes déformées

  1. Des études montrent que les fourmis dans les ruches peuvent être les vecteurs du virus des ailes déformées !
    Il y a lieu de creuser la question et d’avoir un grand échantillonnage.
    Meilleures salutations
    Max Huber

    1. Je trouve étrange que les fourmis puissent être en cause, car elle restent en dehors des ruches .
      Si des fourmis sont dans une ruche, c’est que la ruche est morte.

      1. On trouve fréquemment des fourmis dans divers compartiments des ruches, mais effectivement en dehors du corps de ruche ou des hausses occupées par les abeilles. Il est vraisemblable que les fourmis cherchent à entrer dans les ruches et qu’elles soient repoussées par les gardiennes. On peut donc imaginer que des transmissions de virus puissent avoir lieu à ces interfaces de rencontres entre fourmis et abeilles.

        1. J’ai pu constater que des fourmis rentrant dans la ruche par la planche d’envol ne sont pas repoussées par les gardiennes.
          Au contraire, les fourmis d’après certains apiculteurs seraient plutôt des alliées des abeilles car produisant de l’acide formique préjudiciable aux varroas.
          Certes, cela ne suffira pas à les éliminer tous.

    2. Bjr
      Si des particules virales du cbpv sont bien presentes dans les fourmies et le miellat, sait on pour autant dire qui est le vecteur du virus? Abeilles ou fourmies.?

      Les travaux de faucon / aubert n’ont pas ete publies. Il montraient cette presence des virus.

      1. Max Huber (https://www.instagram.com/urbanwildbee/) me communique la réponse suivante:
        Au sujet de la détection des virus associés aux abeilles mellifères ( Apis mellifera) chez les fourmis, voir la publication ci-dessous:
        Alexandrie N. Payne ,Tonya F. Shepherd &Juliana Rangel, The detection of honey bee (Apis mellifera)-associated viruses in ants, Nature Scientific Reports 10(1) (2020), DOI: 10.1038/s41598-020-59712-x

        Cette étude concerne les USA et une étude faite à Berlin et en France , il se pourrait donc que le même type de transmission se retrouve en Suisse !

        Dans les espèces prélevées dans les ruches en Suisse, la fourmi Camponotus vagus (fourmis charpentière) est très présente. II s’agit de la même espèce que celles citées dans les études US, allemandes et françaises.

        En effet, la première étude visant à détecter la réplication d’un virus associé aux abeilles chez une fourmi a été menée en France. Les chercheurs ont trouvé à la fois le génome viral et réplicatif du virus de la paralysie chronique des abeilles (CBPV) chez la fourmi Camponotus vagus!

        D’autre part, dans une étude récente, les chercheurs ont trouvé que les fourmis Lasius niger, particulièrement présentes dans les échantillons prélevés, ainsi que d’autres espèces de fourmis, se nourrissent de nectar et de pollen, ce qui est nouveau ! Ainsi les fleurs, lieu de rencontre entre abeilles et fourmis, pourraient être propices à la diffusion du virus !

    3. On trouve l’avis contraire ; les fourmis qui s’installent dans la ruche, plus précisément dans la couvre-cadres feraient fuir les varroas en produisant l’acide formique.
      Beaucoup d’apiculteurs qui constatent cette invasion n’interviennent pas et il n’est pas constaté de ravages.

  2. Pourquoi faut-il tuer une espèce vivante?, pour le simple fait qu’elle veut remplacer celles et ceux qui vivent ici depuis des millénaires…

    Ce n’est pas une richesse que des freulons mieux adaptés au réchauffement climatique déciment les espèces plus faibles. Le climat change; c’est un fait. D’autres espèces seront remplacées par plues résistantes; et c’est une chance, non ?

    https://www.blick.ch/fr/news/suisse/linvasion-a-commence-le-canton-du-jura-declare-la-guerre-au-frelon-asiatique-id17782663.html

    1. Bonjour Beluga,

      Merci de ces remarques. Je partage en grande partie votre point de vue (voir mon article de 2017 : …étaient aussi des invasives).

      En ce qui concerne le frelon asiatique, il n’est pas arrivé en Europe par ses propres moyens, mais comme passager clandestin de la mondialisation il y a une vingtaine d’années. C’est une menace pour les abeilles mellifères, comme d’ailleurs le Varroa, parasite des abeilles importé d’Asie lui aussi il y a quarante ans et qui tue une colonie en 2 à 3 ans si on n’intervient pas. L’objectif des mesures contre ce frelon vise à protéger les abeilles mellifères d’une source supplémentaire de mortalité, abeilles qui en ont suffisamment avec le Varroa, les pesticides, le manque de nourriture et le changement du climat… De ce point de vue, on peut donc comprendre ces interventions. L’espoir est de tenter de ralentir la progression de ce prédateur des abeilles, même si les expériences dans les autres pays montrent que sa progression est inexorable et que les apiculteurs finissent par s’y habituer et “vivre avec”. Il existe d’autres moyens qui consistent à protéger les ruches, avec des muselières anti-frelons par exemple.

      L’humain occidental est ainsi fait qu’il imagine avoir solution à tout, qu’il peut, doit et a le droit de tout gérer, y compris dans la nature qu’il doit dominer. Cette folie de toute puissance est aussi vieille que notre civilisation: elle est érigée en doctrine dans la Bible, dans le livre de la Genèse. Elle traverse ensuite toute la philosophie occidentale jusqu’à une prise de conscience tardive initiée et esquissée à la fin du 20ème siècle par le philosophe français Michel Serres.

      Du point de vue plus général de l’environnement, avec la crise de de la biodiversité et une nouvelle phase d’extinction massive provoquée par l’homme, c’est probablement aussi une chance, en effet.
      Déclarer la guerre aux espèces invasives nous occupe, répond au besoin de faire quelque chose, même si c’est inutile. C’est un vieux réflexe de paysan (peut-être une contrainte de l’esprit humain) qui consiste à dichotomiser, à diviser le monde par deux (trois cela devient déjà compliqué), à classer les espèces en deux catégories, les utiles et les nuisibles, puis à déclarer la guerre à ces dernières. Malheureusement, en matière d’environnement cela détourne les faibles moyens financiers à disposition de la nature des vrais problèmes et, entre autres, à cesser de détruire les espèces locales qui survivent encore chez nous.

      C’est aussi une chance, car ces espèces apportent des richesses génétiques qui seront peut-être à la base des nouvelles espèces qui émergeront de cette crise d’extinction massive. Nous sommes encore peu à partager ce point de vue. Il n’est en effet pas simple de gérer la nature…

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