Dans la campagne acharnée autour des initiatives anti-pesticides du 13 juin 2021, deux nouvelles d’importance concernant le glyphosate sont passées relativement inaperçues. La première concerne la double décision des chambres fédérales de refuser les initiatives cantonales des cantons du JU et de GE visant son interdiction en Suisse. La seconde, l’annonce de Bayer de le retirer du marché américain. Et pourtant, tous les miels sont contaminés, parfois au-delà des normes. Décryptage…
Au prétexte que le glyphosate ne présente aucun danger pour la santé, les chambres fédérales viennent de refuser les initiatives cantonales des cantons du JU et de GE demandant l’interdiction de cet herbicide en Suisse. La décision se fonde sur le rapport de la Commission de l’économie et des redevances du 2 novembre 2020 qui est des plus clair: “La commission considère donc qu’il n’y a pas lieu d’agir du point de vue sanitaire et qu’il faudrait plutôt déployer des mesures là où la toxicité est élevée. Par ailleurs, elle rappelle que la tolérabilité des substances de ce type est systématiquement examinée en Suisse et qu’il ne serait pas judicieux d’exclure certaines substances arbitrairement. Elle relève en outre que l’utilisation du glyphosate en Suisse est soumise à des conditions strictes : contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays, l’utilisation du glyphosate n’est autorisée que sur les plantes qui ne sont pas récoltées“. Voilà qui est rassurant.
Examen systématique? A ma connaissance, il n’existe qu’un rapport officiel en Suisse sur la question du glyphosate dans les aliments. Il date de 2018. J’en dénonçais l’inénarrable inconsistance dans un billet du 27.05.2018 intitulé “15 miels sur 16 contaminés par le glyphosate en Suisse“. J’en rappelle ci-dessous l’invraisemblable échantillonnage:
“L’OSAV rapporte avoir analysé “243 échantillons de denrées alimentaires, réparties dans 19 catégories (…) prélevées dans le commerce de détail”. L’échantillonnage réalisé laisse plus que dubitatif : on se serait attendu à un échantillon représentatif de la nourriture consommée quotidiennement par un Suisse moyen au cours de ses 3 repas, sur la base, par exemple, d’une assiette type (salade, pâtes/riz, légumes, fruits) permettant d’évaluer la dose en glyphosate à laquelle la population est effectivement exposée. Au lieu de cela, une liste à la Prévert (avec toutes mes excuses aux grand poète dont les listes n’avaient aucune prétention scientifique):
- – produits à base de céréales: 93 (38% de l’échantillon)
- – boissons: 49, dont vin (21), bière (15), jus de fruits (11), eau minérale (2);
- – eau du robinet? non pas d’eau du robinet…
- – oeufs: 1 (oui, vous avez bien lu, un seul oeuf !)
- – produits laitiers : lait (3), ni fromages, ni yogurts
- – pommes de terre et produits dérivés, légumes: 10
- – fruits? non pas de fruits
- – riz? non pas de riz
- – miel: 16″
Décision prise par les chambres malgré des résultats très alarmants en 2020:
Dans son numéro de mars dernier, la Revue suisse d’apiculture rapporte ce qui suit (RSA, mars 2021, p. 102): “Plusieurs articles parus dans les médias concernant des résidus de glyphosate dans les denrées alimentaires nous ont amené à une réflexion: trouve-t-on également des résidus de glyphosate dans nos miels suisses? Afin de répondre à cette question pertinente, nous avons mené en 2020 une campagne d‘analyses, ciblant des ruchers en suisse romande. Pour cette étude, 7 miels issus de 7 ruchers situés dans un rayon inférieur à 3 km de parcelles susceptibles de traitements aux pesticides dont le principe actif est le glyphosate, ont été analysés par un laboratoire accrédité. Contre toute attente, dans 3 des 7 miels analysés, des concentrations significatives de glyphosate ont été mesurées. Il en ressort même qu’un miel dépasse la valeur légale autorisée. Le lot complet de cette récolte de miel a dû être retiré de la vente et éliminé.”
Précisons que les autorités cantonales concernées et l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) ont été informés de ces faits et qu’aucune mesure n’a été édictée. Précisons encore, qu’il n’existe aucun dédommagement pour les apiculteurs concernés, mais, et heureusement, car les lois sont bien faites, ces derniers ont l’interdiction de vendre les produits contaminés et pourraient être poursuivis s’ils ne respectaient pas ces prescriptions. La “tolérabilité” est assurée.
Bayer parle de retirer le glyphosate du marché américain La seconde nouvelle concerne l’annonce faite le 27 mai dernier par le Financial Times relative à l’annonce de Bayer de retirer le glyphosate du marché américain en raison d’une décision de justice défavorable dans l’un des procès qui l’oppose à quelques 125’000 plaignants souffrant de problèmes de santé graves (cancers) liés au glyphosate. Comme le rappelle le Financial Times, l’allemand Bayer avait racheté en 2018 l’entreprise Monsanto, leader mondial de la vente de glyphosate (commercialisé sous le nom du Roundup) pour quelques 63 milliards de dollars, alors que Monsanto était déjà confrontée à des problèmes judiciaires dans ce dossier. Toujours selon le Financial Times, Bayer aurait déjà perdu 37 milliards d’euros, soit 40 %, de sa valeur boursière dans cette désastreuse opération, alors que les ventes de Roundup ne représentent que 300 millions d’euros, soit moins de 2 % des ventes globales de son unité de produits phytosanitaires.
Enfin, Bayer a déclaré que si elle cessait de vendre du glyphosate aux détaillants américains, ce ne serait pas pour des raisons de sécurité, mais pour réduire le risque de litige: “Les autorités de réglementation du monde entier continuent de conclure que les produits Roundup à base de glyphosate peuvent être utilisés en toute sécurité et ne sont pas cancérigènes, et nous sommes tout aussi confiants dans leur sécurité“.
Voilà donc qui est rassurant et qui doit conforter Christian Lüscher, président de la Commission de l’économie et des redevances, dans les conclusions de son rapport.
Comment comprendre la stratégie de Bayer? Si vous êtes parvenus à ce point de l’article, vous devez probablement aussi vous poser cette question. Comment comprendre qu’une entreprise que l’on imagine conduite par des dirigeants avisés se lance dans une telle galère? En 2018, les premières décisions de justice étaient déjà tombées aux Etats-Unis. La déroute était donc plus que prévisible.
De même, comment comprendre l’annonce de Bayer d’envisager de se retirer du marché américain? Chantage? Peut-être, quoi qu’infirmé par Bayer auprès du journaliste du Financial Times: “Aucune de ces discussions n’affectera la disponibilité des produits à base de glyphosate sur les marchés des utilisateurs professionnels et agricoles”, a ajouté la société.”
La réponse réside peut-être dans le lancement d’un nouveau pesticide, car “Liam Condon, (…) a déclaré aux analystes et aux journalistes lors d’une conférence téléphonique jeudi matin qu’il ne s’attendait pas à un impact financier de l’arrêt des ventes de glyphosate aux consommateurs américains. Bayer conserverait la marque Roundup mais changerait ses ingrédients actifs, a-t-il ajouté.”
Tiens donc… un nouveau produit miracle? Déjà homologué selon les normes en vigueur, à savoir les déclarations incontrôlables du producteur? Et nous voilà repartis pour 30 ans…
Réfléchissez bien avant de voter…
Références:
18.308 INITIATIVE DÉPOSÉE PAR LE CANTON DU JURA: Glyphosate et principe de précaution
Rapport de la Commission de l’économie et des redevances du 2 novembre 2020
Bonjour. Il est hélas inexact de dire que Bayer parle de retirer ses produits au glyphosate du marché américain. Il envisage uniquement de se retirer de la vente aux particuliers, soit seulement 20 à 25% du marché.
Merci de la précision
Bonjour Francis,
Je lis avec intérêt les commentaires de ce blog, sachant que j’ai travaillé jusqu’à l’année passée à l’OSAV, comme responsable de la législation relative à l’eau potable. Je regrette cependant que certaines allégations ne soient pas plus fondées. Mes anciens collègues de l’OSAV étant certainement prêt à expliquer les bases de leurs investigations
Ce qui me fait réagir aujourd’hui: la “liste à la Prévert” mentionnée pour l’analyse du glyphosate et notamment le fait que l’eau potable n’est pas citée.
Si la liste des produits analysés ne tient pas compte de l’exposition liée à la “nourriture consommée quotidiennement en Suisse”, elle a par contre été établie sur la base d’une analyse de risque permettant de mettre en évidence les sources de contamination.
Plus précisément à propos de l’eau potable: cette denrée alimentaire de première importance avait déjà fait l’objet d’une campagne des chimistes cantonaux en 2019. Cette campagne avait permis d’affirmer que les résidus de glyphosate dans l’eau potable ne sont pas détectables:
https://www.ge.ch/actualite/produits-phytosanitaires-eau-potable-rapport-campagne-12-09-2019
Merci d’en prendre note et encore toutes mes félicitations pour la présidence de la SAR !
Pierre
Cher Monsieur, ce que vous dites sur les eaux n’est pas juste, puisque comment cela se fait-il que toutes les sources d’eaux, bassins dans les villages du LAvaux soient interdit à la consomation?
L’étude des eaux qu’avait effectué les chimistes cantonaux s’est basé sur des eaux en provenance de moyenne montage, sans risque de pesticide bien entendu. Ils n’ont jamais analysé l’eau qui est sortie de la fontaine à Riez, elle est contaminé au Glyphosate car depuis les premières vignes au dessus du village de Chenaux comprenant la petite rivière Segnirequi coule entre des vignes qui sont TOUTES désherbé à grand coup de Roundup (Glyphosate) l’eau est pollué !
Donc permettez moi de mettre en doute les rapports complaisants des chimistes cantonaux, car si c’est les mêmes qui ont dit par exemple qu’en Valais pendant 40 ans que le site de Lonza n’était pas pollué …..
Excellents commentaires de Monsieur Saucy
Un petit volet à ajouter.
La mort biologique de nos ruisseaux, rivières, fleuves
et enfin lacs… pour l’instant en sursis pour certains
grâce à leur volume d’eau.
Dans le Lavaux, c’est un écocide sur toute la nature qui est pratiqué !
Les vignerons utilisent ce produit Roundup depuis 2 mois et tuent toute vie biologique et animale.
Promenez vous dans les vignes ce WE et regarder les lignes de vignes brulées et sèches, ce n’est pas la faute au manque d’eau!
Plutôt que d’éliminer le miel en question, il serait peut être bénéfique pour le pays d’en faire cadeau à certains parlementaires de la CER…
C’est à prendre au second degré, bien évidemment, et un moyen détourné pour moi de signaler l’excellent billet de Mme Valentine Python, dans un blog voisin (Glyphosate ou quand la science est prise en otage).