L’utilisation du glyphosate comme méthode de préparation des champs avant semis est l’une des aberrations les plus choquantes de l’agriculture moderne. Pensez-donc, plutôt que de labourer les terres selon la méthode traditionnelle, l’industrie agro-chimique a réussi à convaincre le monde agricole et ses techniciens de préparer les champs en éliminant chimiquement toute trace de végétation avant les semis à l’aide d’un herbicide total, le fameux glyphosate.
Traiter avec un herbicide total pour faire pousser des plantes, voilà
qui relève d’une étrange logique. Surtout si comme dans l’extrait de la figure ci-contre vous faites confiance à une firme qui prône un herbicide intelligent! Non seulement on propose aux agriculteurs un produit qui pense à leur place, mais on les incite à effectuer un second traitement juste avant la récolte pour accélérer le processus de maturation des graines, car, et c’est très tendance, il faut mourir pour mûrir!
Heureusement, ce traitement de maturation n’est pas autorisé en Suisse. Et comme le suggère un récent “Rapport du Conseil fédéral sur le glyphosate en Suisse“, ce deuxième traitement, qui est pratiqué à large échelle aux Etats-Unis, a pour conséquence une forte augmentation du glyphosate dans les céréales états-uniennes.
Une pratique indirectement subventionnée: autre constat choquant, et comme l’émission de la télévision suisse romande “A Bon Entendeur” (ABE) le signalait en 2015 déjà, l’utilisation du glyphosate est indirectement subventionnée en Suisse, en particulier dans les sols fragiles où l’agriculteur qui renonce au labour au profit du semis direct* peut bénéficier d’une prime à la production supplémentaire.
Une pratique en augmentation? Voilà une question à laquelle toutes celles et ceux qui se préoccupent de la protection de notre environnement souhaiteraient obtenir une réponse. C’est aussi l’une des questions à laquelle le même Rapport du Conseil fédéral n’a pas répondu. Mais selon les bonnes pratiques en Suisse, il n’existe aucun chiffre, aucune statistique, car selon l’idéologie libérale en vigueur, rien ne vaut l’autorégulation, les lois du marché et, en définitive, la liberté de polluer en toute impunité!
Mon sentiment personnel, subjectif et non encore fondé objectivement, est que ces pratiques sont en forte augmentation. Cette impression se fonde sur mes observations de l’évolution de son usage sur les 65 km qui me mènent depuis près de 20 ans de mon domicile en Gruyère à Neuchâtel. J’ai été particulièrement frappé ce printemps de voir, alors que tout verdissait d’un seul coup, “fleurir” au milieu de cette explosion de tendre verdure des taches jaunâtres et dépérissantes, typiques de l’application de glyphosate.
Mais sans chiffres à l’appui, comment évaluer le phénomène? J’ai donc décidé de mettre en place mon propre protocole d’observation. Il est simple et consiste à répertorier les surfaces traitées au glyphosate, à les cartographier et à en estimer la surface sur des trajets témoins.
Un traitement “visible”: contrairement à la plupart des pesticides et produits chimiques disséminés dans l’environnement et qui sont pour la plupart imperceptibles, l’application de glyphosate dans une culture devient rapidement”visible”. Dans les 8 à 20 jours qui suivent sont application, la culture passe par une succession de teintes, du vert-jaunâtre au brun, typique du flétrissement et de la mort des plantes. Puis, après le semis de la nouvelle culture, apparaissent des plantes en germination, d’un beau vert luisant, entre les restes brunis de la précédente. Il est donc possible d’identifier, voire de cartographier les cultures précédées d’un désherbage total au glyphosate et de les distinguer de celles précédées d’un labour traditionnel.
Une fois le relevé effectué, j’ajoute à la carte le périmètre des surfaces examinées, délimitées souvent par des bois ou forêts, des aspérités du terrain, des barrières naturelles ou construites qui ferment l’horizon et limitent la vue. En calculant le rapport entre la somme des surfaces traitées et la surface à vocation agricole examinée, on obtient un indicateur chiffré et fiable en terme de pourcentage des surfaces agricoles utiles traitées à l’herbicide total en pré-semis. La couleur n’étant pas un critère suffisant, chaque parcelle suspecte est examinée de près pour y déceler les traces de l’action de l’herbicide. En cas de doute, la parcelle n’est pas répertoriée comme ayant été traitée.
La figure ci-dessous en donne un exemple. Sur une surface couvant 176 ha de terres cultivées, 8 parcelles (marquées en rouge) couvrant un total de 20 ha ont été traitées au glyphosate en mai 2018, soit 11,4% de la surface agricole de cette région. La carte reporte également en jaune, une zones de jachère ou “prairie fleurie”, un verger hautes tiges récemment planté, en bleu des aménagements pour favoriser la faune, ici essentiellement des amoncellements de cailloux dans des récipients grillagés, et en vert, devinez quoi, deux “Hôtels” à abeilles sauvages fièrement mis en évidence et visibles loin à la ronde (tous ces aménagements à vocation “écologique” sont sujets à rémunération supplémentaire, y compris les bancs improvisés avec deux planches et deux souches). Pour couronner le tout, des affiches le long d’un ruisseau aux berges soigneusement endiguées et cachées par une foisonnante arborescence vous informent sur la richesse du patrimoine local et sur les efforts réalisés pour le préserver. Ce ruisseau, qui serpentait autrefois au milieu d’un insalubre marécage fort judicieusement “assaini” porte le nom charmant de Bibera, ce qui indique que le castor en était le roi autrefois. En somme, un très bel exemple de mise en oeuvre de la nouvelle politique fédérale de soutien à la biodiversité et de protection des pollinisateurs en milieu agricole déjà évoquée dans ce blog.
Figure 1: exemple de cartographie entre Fribourg et Morat
Cet exemple, n’est qu’un exemple. Mais je sais pour avoir parcouru ce trajet quotidiennement depuis 20 ans que jamais une telle surface n’a été traitée au glyphosate en une seule saison dans ce périmètre. Et l’observation s’applique aussi à d’autres tronçons. Par le passé, j’avais plutôt l’habitude d’y dénombrer les oiseaux (cigognes, hérons, aigrettes, buses, milans et faucons crécerelle) et les quelques mammifères vivants (chevreuils, lièvres) ou écrasés (renards, blaireaux, fouines et hermines) qui émaillent mes trajets. Ce n’est qu’en multipliant et poursuivant de tels relevés qu’une règle générale pourra en être tirée.
Figure 2 : les 3 étapes du traitement à l’herbicide total
|
Figure 3: Les mesures de compensation écologique
Figure 4 : aménagement d’un terrain de football
Figure 5 : autres exemples hors site
*: le semis direct est un méthode de semis sans labour. Le sol est travaillé superficiellement pour éliminer les restes de la récolte précédente, ou plus “simplement” en désherbant chimiquement. Il est évident que la dernière approche est économiquement avantageuse en termes d’heures de travail.
Quand ils auront coupé le dernier arbre,
pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson.
Alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas.
Tatanka Yotanka – Sitting Bull, guerrier sioux
La terre cultivée est un milieu biologique, vivant (microbes, déchets végétaux, eau et minéraux, insectes, vers de terre, courtilières parfois, etc.). Ce milieu est en équilibre. Il sera donc affecté par l’usage du Glyphosate ou autres agents similaires. Quelles conséquences si comparé au labourage (Manuel, mécanique avec tracteur ou cheval) ?
Bravo Monsieur,
Un “scientifique pédagogique et pragmatique avec éthique”, c’est ce qui me vient à la lecture de votre blog et là est sans doute la solution, pour sortir de ce bourbier et Dieu sait si la science et moi font…deux ou trois!
Courage
Bonjour,
Je commence un projet personnel en ville de faire un petit écosystème sur mon balcon avec des plantes mellifères, projet inspiré de ce que font les anglais depuis pas mal d’années.
Je vais tenir un petit journal sur mon site de la progression de ce projet, des abeilles viendront-elles butiner sur mon balcon ?
Je suis en train de rédiger une page d’introduction pour laquelle je cherchais une courbe de l’évolution de la population des abeilles, en France ou en Europe depuis disons 20-30 ans, afin de bien mettre en avant la baisse cette population.
Je n’ai pas trouvé cela sur internet mais comme votre site est très riche en renseignements, je me demandai si vous avez cette statistique ?
Vous remerçiant d’avance de votre réponse,
Très cordialement
Nathalie
Bonsoir Nathalie,
Pour les statistiques, je vous conseille le site web de la FAO (http://www.fao.org/faostat/fr/#data/QA). Je ne sais pas trop quelle en est la qualité, mais elles ont un statut “officiel” qui permet des comparaisons… Attention toutefois à l’interprétation… On considère actuellement “normal” de perdre 10-20% des colonies chaque année. Je vous laisse calculer ce qui vous reste après 20 ans…si vous ne faites rien. Mais l’apiculteur qui a perdu 20 colonies sur 100 et sort de l’hiver avec un effectif de 80 en produira peut-être 40 nouvelles pour reconstituer sa population durant l’été. Il se retrouvera ainsi à 120 avant l’hiver, puis à 96 au printemps suivant s’il en perd à nouveau 20%, soit une augmentation de 16 par rapport au printemps précédent. Donc les chiffres peuvent cacher une réalité contrastée, qui ne rend pas compte du travail considérable que l’apiculteur doit produire pour maintenir un effectif qui lui permette de survivre avec des pertes énormes…
Bravo pour vos textes… vous m’avez fait voyagé… et continuez de “donner pour donner”, c’est si beau, un peu ce que pour nous font les abeilles…
F. Saucy
Bonjour,
Merci beaucoup de cette réponse, très instructive, et le lien. Cela me fait aussi toujours plaisir lorsque ce que j’écris fait passer un bon moment ^^.
Suite à votre réponse, je pense qu’il va falloir que je creuse plus le sujet, en particulier rôles abeilles sauvages/abeilles domestiques/bourdons… et l’évolution de leurs populations respectives.
J’ai pas mal d’articles à lire sur internet…et sur votre blog !
Je me remets cette année à l’écologie, en tant que sciences, un sujet tellement complexe et si passionnant !!!
Très bonne semaine à vous
Nathalie
Tous les semis directs sous couverts ne requièrent pas du glyphosate : il peut y avoir des couverts gélifs qui meurent pendant l’hiver, ou des couverts “tués” ou affaiblis par roulage afin de permettre à la culture de s’implanter. Mais quand bien même, pour juger le glyphosate il faut analyser le sol après plusieurs saisons de ce traitement : est-il plus ou moins fourni en bactéries / matière organique / micro faune / nutriments utiles au culture que les champs traités en labour profond ? Comment réagit il en cas de forte pluie : lessivage ou stabilité ? Et ces labours, qu’utilisent-ils comme herbicides (y compris les labours bio ?)
etc… de simples photos aussi moches soient-elles ne suffisent pas à juger du pour ou du contre.