…trop c’est trop… je franchis le pas… et j’invite tous les apiculteurs à en faire de même…
(english translation “if the bees… took their destiny in hand“)
(Übersetzung: “wenn die Bienen … ihr Schicksal in die Hand nahmen … “)
Cela fait environ 20 ans que les apiculteurs suisses ont tiré la sonnette d’alarme sur la mort des abeilles…
Ces appels ont été entendus, largement relayés dans les media et transmis aux diverses autorités nationales et régionales…
Des mesures ont été annoncées, prises et sont actuellement mises en oeuvre. Mais répondent-elles aux attentes des apiculteurs? Aux besoins des abeilles domestiques ou sauvages? C’est à notre avis très loin d’être le cas.
Les apiculteurs et leurs abeilles sont confrontés à deux problèmes principaux:
- le parasite Varroa qui décime les colonies et propage nombre de maladies
- les pesticides répandus dans les cultures qui empoisonnent les abeilles et se déposent insidieusement dans la cire et dans le miel et les autres produits de la ruche
Après toutes ces années, la Confédération a mis en place un “plan abeilles” et un “plan produits phytosanitaires” qui n’offrent pas de véritable réponse à ces deux problèmes. Bien au contraire, on introduit des contraintes et des entraves supplémentaires sous forme de contrôles sanitaires renforcés, sans offrir de véritables perspectives de résoudre la crise auxquelles les abeilles doivent faire face.
Une récente publication vient de confirmer que les abeilles domestiques et sauvages apportent gratuitement l‘équivalent de CHF 350 millions à l’agriculture helvétique, et cela sans retour aucun pour les abeilles et les apiculteurs. Au contraire, la Confédération instaure de timides mesures visant à réduire les pesticides répandus sur les cultures, avec un objectif chimérique de 30% en dix ans, alors que les mesures envisagées parviendront au mieux à une réduction de 12%.
Face à ce déplorable constat, force est de constater que les apiculteurs et les abeilles domestiques et sauvages sont livrés à eux-mêmes. Il ne reste plus à la profession que de prendre en mains son destin. Si le problème du Varroa requiert encore des travaux de recherche importants pour être jugulé, celui de l’empoisonnement insidieux des abeilles et des produits de la ruche peut être évité dès aujourd’hui.
Pour ma part, ma décision est prise, je retire mes abeilles des zones où elles pourront s’intoxiquer, pour les implanter dans des exploitations bio qui s’engageront à ne pas les empoisonner et à qui je suis prêt à offrir mes services et ceux de mes abeilles gratuitement, pour me concentrer sur la question du varroa. Il ne me restera ainsi plus qu’un problème apicole à affronter, mes produits seront de meilleure qualité et la production des produits bio ne s’en portera que mieux.
Voici une revue critique des mesures prises en Suisse ces dernières années:
Comédie (ou tragédie?) en huit actes…
- 2004: “La Motion Gadient” de la députée grisonne UDC du même nom, (Motion 04.3733 du 16.12.2004), intitulée “Promouvoir l’apiculture en Suisse” est déposée auprès du Conseil fédéral, cosignées par 101 députés. La motion demande que la promotion de l’apiculture soit inscrite dans la loi sur l’agriculture, qu’un groupe de travail soit mis en place et que des moyens soient mis à disposition de l’apiculture.
- 2005: La motion est rejetée par le Conseil fédéral avec pour arguments: “ce n’est pas du ressort de la Confédération” et “des moyens suffisants sont déjà disponibles”.
- 2007: Le gouvernement est désavoué par le parlement et la motion est adoptée par les chambres fédérales, en 2006 par le Conseil National et en 2007 par le Conseil des Etats.
- 2008: Un rapport de 47 pages intitulé “Stratégie pour la promotion de l’apiculture suisse” est publié le 19 juin 2008 par un groupe de travail piloté par l’Office de l’agriculture (OFAG). Ce rapport fait un état des lieux de l’apiculture en Suisse, qui dès la page 17 dévoile le premier axe de cette stratégie: la formation. Ceci deviendra un leitmotiv par la suite: les apiculteurs sont des amateurs sans formation… Le 2ème axe de cette stratégie est de mettre en place une série de mesures de contrôle des apiculteurs, compétences, marquage des ruchers, contrôle de l’état sanitaire des colonies, limitations de déplacements dans le cas du feu bactérien. Ce dernier point est révélateur de l’état d’esprit du groupe de travail, si l’on reconnaît le rôle de l’apiculture et des abeilles sauvage dans la pollinisation des cultures, l’apiculture reste un moyen au service de l’agriculture. De la mort des abeilles, on ne se préoccupe pas vraiment
- 2014: le Conseil fédéral publie un rapport intitulé “Plan national de mesures pour les abeilles” résultant d’un nouveau rapport d’experts de 47 pages “Expertenbericht- Vorschläge für Massnahmen zur Förderung der Gesudheit der Bienen“. Publié en mai 2014, ce rapport qui n’est disponible qu’en allemand, a été établi en réponse à la motion de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE) du 6 mai 2013 (13.3372). On y retrouve évidemment les éléments de contrôle et de formation des apiculteurs. Le plan national énumère les moyens “colossaux” déjà mis à disposition, soit CHF 300’000.- par an pour les services sanitaires dès 2012, CHF 482’000.- de soutien à 4 projets de recherche depuis 2007, CHF 350’000.- de l’OFEV pour les abeilles sauvages et enfin une contribution non précisée de la Confédération à la fondation Vinetum (5 millions sur 10 ans) pour le financement d’une chaire vétérinaire à l’université de Berne. A côté de ces miettes pour la recherche et la santé des abeilles, le Conseil fédéral mentionne 307 millions sous forme de paiements directs aux agriculteurs pour la promotion de la biodiversité en 2014, montant qui devrait atteindre 352 millions en 2017. On met ici en avant la promotion de bandes fleuries pour offrir de meilleures conditions aux abeilles domestiques et sauvages. Le rapport mentionne également la motion CSEC 13.3367 demandant au Conseil fédéral “de prendre une série de mesures visant à une utilisation durable des produits phytosanitaires”.
- 2016: En décembre, le conseil fédéral publie un “Rapport sur la mise en oeuvre du plan d’action national pour la santé des abeilles” de 37 pages faisant un premier bilan sur les mesures mises en place en 2014. Le rapport fait un bilan des pertes de colonies d’abeilles, de la situation des abeilles sauvages, et de la diminution des colonies et des apiculteurs au cours des dernières décennies. On reconnaît le rôle essentiel des pollinisateurs (p.13) : “Au niveau mondial, 75% des cultures principales et 35 % du rendement mondial dépendent de la pollinisation (…) estimée globalement à 153 milliards d’euros“. Pour la Suisse, les principales cultures dépendant de la pollinisation sont le colza (22’000 ha), le tournesol et les pois (ca 4’000 ha chacun) et bien entendus les cultures fruitières (31’000 ha), soit au total 61’000 ha de cultures dépendant de la pollinisation par les abeilles en Suisse. Le reste n’est qu’une apologie de la bande fleurie et d’autres mesurettes à la mode “greenwashing”. Une analyse de la distribution des abeilles laisse toutefois suspecter que la mort des abeilles pourrait vraiment coûter cher à l’agriculture suisse.
- 2017: 12 septembre : Agroscope, nouvelle dénomination de l’institution nationale de recherche agrono
mique, publie un communiqué de presse intitulé: “La pollinisation par les abeilles également importantes pour les grandes cultures“. On nous annonce fièrement que pour la première on est capable d’estimer en chiffres sonnants et trébuchants l’apport économique des abeilles sauvages et domestiques à l’agriculture. Cet apport est estimé à 350 millions de CHF, ce qui ne fait que confirmer ce que l’on savait depuis plus de 20 ans (cf le billet … et si les abeilles contribuaient à la prospérité du pays... dans ce blog) et que relevait déjà la motion Gadient en 2004. L’article donne une carte détaillée des principales cultures agricoles dépendantes de la pollinisation
- 2017: 6 septembre Le conseil fédéral publie son “Plan d’action visant à la réduction des risques et à l’utilisation durable des produits phytosanitaires“, sous forme dun rapport de 81 pages, et d’un communiqué et d’une conférence de presse de Doris Leuthard, présidente de la Confédération helvétique. Les huit objectifs du plan d’action sont décrits au chapitre 5 (pp. 20-22). Nous nous contenterons d’analyser ici le premier de ces objectifs décrit ci-dessous, à savoir de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires de 30% jusqu’en 2027.
5.1 Réduction de l’utilisation et des émissions de PPh (PPh=Produits phytosanitaires) |
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Objectif | Les risques liés aux PPh sont réduits de moitié grâce à une diminution et à une limitation des applications ainsi qu’à une réduction des émissions6. |
Objectif inter-médiaire 1 | L’utilisation de PPh présentant un potentiel de risque particulier7 est réduite d’ici 2027 de 30 %8 par rapport à la période 2012–2015. |
Objectif inter-médiaire 2 | Les émissions de PPh dues aux applications restantes seront réduites de 25 % d’ici 2027 par rapport à la période 2012–2015. |
Les notes 6, 7, 8 sont reproduites ci-dessous, car elles ne sont pas anodines et permettent une marge d’interprétation presque sans limite.
6 Sont considérées comme des émissions les quantités de PPh qui, par volatilisation, dérive, lessivage ou ruissellement lors de l’utilisation du PPh (préparation, application, nettoyage des appareils, élimination des restes), ne parviennent pas sur la sur-face cible ou sont épandues en dehors de la surface cible. 7 Les substances des PPh susceptibles de présenter un risque particulier sont répertoriées à l’annexe 9.1. 8 Le potentiel qui pourra être exploité dans les dix prochaines années pour réduire toutes les applications de PPh est estimé à 12 % sur la base des mesures énoncées au ch. 6.1.1 et des estimations des spécialistes. Les PPh présentent cependant des risques divers ; il s’agit surtout de restreindre les produits comportant des risques potentiels particuliers. C’est à cette fin que l’objectif de réduction a été revu à la hausse et fixé à 30 % pour ces produits.
Evaluation critique de ces mesures:
- Les résultats du “Plan abeilles” suggèrent que les problèmes rencontrés dans l’apiculture sont, en grande partie tout au moins, liés à l’incompétence et à l’état d’impréparation des apiculteurs. Le plan se concrétise par des contrôles sanitaires nouveaux, des mesures de formation des inspecteurs nécessaires à ces contrôles, la mise en place de structures administratives nouvelles qui absorbent le peu de moyens financiers dégagés pour l’apiculture. Le plan ne vise pas de manière conséquente la résolution des problèmes principaux que rencontre l’apiculture d’aujourd’hui, à savoir:
- estimation effective de la disparations de colonies
- recherches de méthode de lutte contre le varroa sans produits chimiques
- élimination des principaux pesticides soupçonnés de nuire aux abeilles
- Les huit mesures mises en oeuvre dans le cadre du “Plan PPh” ne visent nullement à identifier les substances pouvant nuire aux abeilles, ni à leur interdiction ciblée, mais à une réduction globale de l’ensemble de la charge en PPh.
- Comment l’objectif de 30% a -t-il été fixé? La note 8 du rapport (cf. ci-dessus) annonce clairement que les mesures prévues permettront au mieux d’atteindre une réduction de 12% des PPh. “C’est à cette fin que l’objectif de réduction a été revu à la hausse et fixé à 30 % pour ces produits (sic)”. Il s’agit donc d’un objectif chimérique, car il n’est pas prévu de mesures appropriées pour l’atteindre. Ceci relève pour le moins d’une étrange politique…
- Que signifie 30%? Il n’est nulle part précisé dans le rapport du Conseil fédéral ce que 30% signifie. S’agit-il d’un objectif quantitatif? Exprimé en tonnes de PPh? ou d’un objectif qualitatif? Exprimé en pourcentage de la liste des produits, c’est-à-dire par exemple 30% des produits de la liste ne seront plus utilisés du tout et interdits à l’avenir.
- Si nous partons de l’idée qu’il s’agit d’un objectif quantitatif, peut-on chiffrer cet objectif? Aucune information ne figure dans ce rapport. Il n’existe apparemment pas de données officielles sur les quantités de produits phytosanitaires actuellement utilisées. Une émission du TJ de la RTS du 16 mai 2016 l’estime à 2’000 tonnes par année. On peut estimer sur cette base que l’objectif de réduction de 30% correspond au déversement de (seulement?) 1’400 tonnes de PPh en 2027. Si cet objectif est réalisé sur la base d’une réduction régulière au cours des années, on peut aussi estimer que ce sont au total un cumul de 17’000 tonnes de PPh qui seront déversées dans nos cultures au cours des 10 prochaines années, comme l’illustre le tableau ci-dessous.
- Le rapport PPh énumère une liste de 57 substances actives “dont on envisage la substitution”. Le rapport ne mentionne pas le glyphosate, soit l’un des produits les plus controversés au niveau mondial, et qui continuera vraisemblablement à être déversé en quantités incontrôlées dans nos cultures.
- Les mesures préconisées, en particulier le soutien aux “bandes fleuries”, une aide de 350 millions de CHF sous forme de paiements directs aux agriculteurs, protégeront-elles les abeilles? Non, bien au contraire! Ces bandes fleuries ne serviront qu’à soutenir et à attirer des abeilles qui seront intoxiquées dans les champs adjacents.
- Enfin, le rapport ne dit en rien comment ces mesures sont combinées de sorte que “Les risques liés aux PPh sont réduits de moitié”
Tableau simulé des mesures de réduction des PPh au cours des 10 prochaines années (objectif de réduction quantitative de 30% par année)
Annuel | Cumul | |
2018 | 2 000 | 2 000 |
2019 | 1 933 | 3 933 |
2020 | 1 867 | 5 800 |
2021 | 1 800 | 7 600 |
2022 | 1 733 | 9 333 |
2023 | 1 667 | 11 000 |
2024 | 1 600 | 12 600 |
2025 | 1 533 | 14 133 |
2026 | 1 467 | 15 600 |
2027 | 1 400 | 17 000 |
Bravo Franci pour ces explications, hélas pas très encourageantes… Si jamais, j’ai chez mois environs 1000 m2 de prairie naturelle, avec jardin-potager et quelques arbres fruitiers, le tout préservé de tout PPh, de même que les deux propriétés voisines. Si tu cherches une place pour des ruches, je les accueille volontiers… A discuter…
Cordial salut
Cher Philippe,
merci pour ta réponse et ta sympathique proposition. La prochaine étape sera effectivement de mettre en place des mesures pratiques et d’établir un réseau de sites “propres”. J’y réfléchis et ce sera l’objet d’un prochain billet. Une des difficultés est de trouver des sites suffisamment étendus. On estime que les abeilles domestiques effectuent l’essentiel de leur récolte dans un rayon d’1km autour de la ruche. Donc pour 1 km, il faut une surface “propre” de 3,14 km2 ou 3,14 millions de m2… Pour une mise en oeuvre efficace, il faudra donc placer les ruches au centre d’un cercle le plus propre possible… Je retiens en tout cas ta proposition, inattendue, mais riche de potentiel, et peut-être qu’avec l’aide d’autres internautes serons nous capables de définir des zones favorables à l’implantation de colonies
Lieber Françis
vielen Dank für deine umfangreiche und vor allem informative, lehrreiche Dokumentation. Es ist langsam mühsam zu sehen wie zaghaft unsere Politiker Massnahmen ergreifen, dass unsere Bienen geschützt und demzufolge ihre Gesundheit und jene der Menschheit respektieren würden. Es ist wie in der Natur sonstwo. Es braucht zuerst Katastrophen (Bondo, Saas Grund, Antarktis, Hurrikane über Zentralamerika, usw. bis man endlich wirksame Massnahmen ergreift. Ist es nicht längst schon zu spät?
Weiter viel Mut zu neuem Engagement in dieser Sache
Lieber Werner,
Vielen Dank für die Interesse, deine Antwort, Bemerkungen und Unterstützung.
Je dois admettre ici que j’étais terriblement sceptique lorsqu’il y a 20 ans tu attirais notre attention sur le recul des colonies dans notre région. Malheureusement, la suite t’a entièrement donné raison. Merci encore pour le travail effectué au cours de ces années, car c’est grâce à ce travail de pionnier que la cause des abeilles est devenue si populaire,,, Cela au moins c’est une grande bataille de gagnée
Mit besten Grüssen
Francis
Une simple visite de hasard, mais toutes mes félicitations pour vos propos clairs.