… étaient contrôlées…

Journée spéciale que ce mercredi 30 août 2017…

Une semaine après mon retour d’un magnifique périple de 6 semaines dans les îles du  Pacifique (cf billet précédent) et alors que je rentrais de l’aéroport où j’étais allé cherché des amis canadiens rencontrés 30 ans plus tôt en Tasmanie, je reçois un téléphone m’annonçant une visite inopinée de mon “exploitation apicole” pour le mercredi suivant, intitulée “Contrôle primaire”…

Kesako? Jamais entendu parler de ce nouveau contrôle… On est habitué au contrôle de l’état sanitaire de nos colonies qui est réalisé périodiquement (tous les 3 ans dans ma région), aux directives cantonales rappelées en début de saison, à la tenue du registre annuel des colonies… et au recensement cantonal agricole (GELAN).

Il s’agit apparemment d’une conséquence immédiate de la nouvelle politique du Département fédéral de l’agriculture et des services vétérinaires cantonaux pour “soutenir” l’apiculture. En effet, depuis le 1er janvier de cette année ce nouveau contrôle est introduit dans le canton de Fribourg, selon une nouvelle loi, ordonnance ou directive, nouveauté qui à ma connaissance n’a pas été communiquée de manière claire aux apiculteurs fribourgeois (merci aux lecteurs de me corriger si ceci est incorrect…).

Au téléphone, l’inspectrice m’explique qu’il s’agit d’un contrôle général de l’ “exploitation”, du respect des normes d’hygiène du local et du matériel d’extraction du miel, de la qualité des bidons, du stockage du miel et du matériel apicole, en gros ce que les apiculteurs ont mis en place de manière spontanée dans le cahier de charges “Label d’or” pour la commercialisation de leur miel dans le cadre de la Société suisse d’apiculture (SAR).

Mon rucher à Onnens (FR) Merveilleuse récolte de miel de Tilleul

Pour ma part, avec 3 brebis et 20 colonies colonies d’abeilles, j’ai un numéro d’exploitant BDTA, un id GELAN, et une “entreprise” avec 8 (sic) “Etablissements” sans activité commerciale, avec autant de numéros d’identification, c’est-à-dire un UID, un ENTID, un RECHT-ID et huit BURNR dans le Registre des entreprises et des établissements de l’Office de la Statistique où je suis fier de travailler.

Je remplis en janvier le questionnaire (GELAN) qui dans le canton de Fribourg nous demande d’annoncer les pertes hivernales à fin janvier!!! quand les abeilles dorment encore…  de quoi produire des statistiques crédibles et fondées…, je remplis et mets à jour le registre de mes colonies d’abeilles, de leurs déplacements et le registre des médicaments. Toutes ces formalités sont assez mal organisées au niveau cantonal, les modifications annoncées ne sont généralement pas transmises d’un service à l’autre, les autorités sanitaires sont incapables de vous fournir des formulaires où vos données de base seraient préimprimées, tels que no BDTA, PID de l’apiculteur, commune, localité, lieu-dit et coordonnées GPS (au mètre près) de chaque emplacement de détention d’abeilles, qu’il faut entrer à nouveau chaque année, alors que rien n’a changé.

En plus, je paie les cotisations à la SANIMA, assurance qui rembourse misérablement les pertes de colonies dues aux maladies, dont la principale cause, la varroase est exclue. En gros, tondu comme mes brebis… à la différence qu’elles apprécient le traitement avant les grosses chaleurs de l’été… et que la laine se vend à 2 CHF/kilo.

Donc, rendez-vous est pris avec l’inspectrice, durant les heures de bureau, car en tant que “chef d’exploitation” sans activité commerciale, je prends naturellement un congé non-payé auprès de mon employeur pour satisfaire aux exigences de l’Etat. Non sans quelque appréhension, car malgré la volonté de faire au mieux et seulement 35 ans d’expérience apicole, je ne sais pas exactement à quelle sauce je vais être contrôlé. Rajoutons que deux jours plus tard, l’inspecteur de l’un de mes trois emplacements d’abeilles m’annonce qu’il souhaite également visiter mes colonies. J’essaie de combiner les deux inspections, en vain, car dans les services de l’Etat, on ne collabore pas forcément… L’inspectrice renoncera toutefois à une seconde visite de cet emplacement.

Dans l’ensemble tout s’est bien passé. Les locaux d’exploitation et de stockage du matériel sont conformes, de même que le matériel d’extraction du miel (extracteur et maturateur en inox, bidons en plastique alimentaire), les colonies sont saines, les reines sont marquées, les traitements varroa ont été effectués et l’apiculteur a “quelques notions” sur les maladies des abeilles. Le registre des colonies est à jour, de même que celui des médicaments.

L’inspectrice relève toutefois trois “manquements” qualifiés de “minimes”.

D’une part, l’apiculteur utilise encore du soufre pour la protection des cadres contre la fausse-teigne (un papillon nocturne dont les larves se nourrissent de cire). C’est pourtant, la méthode qui nous avait été recommandée après l’interdiction de la naphtaline (paradichlorobenzène), l’anti-mite de nos grands-parents. On me conseille plutôt l’acide formique, qui à ma connaissance se dépose facilement dans la cire et le miel, mais qui est tolérable car on en trouve, mais en quantités infimes, dans la ruche et le miel… A quand son interdiction? Et à quand l’interdiction du soufre en viticulture? … mais c’est une autre histoire … et les vignerons savent mieux se défendre que les apiculteurs…

Second manquement, l’étiquetage du miel est non conforme. Les étiquettes réalisées par mes soins avec des dessins de mes filles sont qualifiées de “jolies”. L’origine et la provenance du miel sont indiquées, mais il manque le poids, le no de lot et la date de péremption. Comme chacun sait, il n’y a pas de limite à la conservation du miel, mais “voyez-vous mettre une date vous protège”, “mais quelle date?”, “mettez deux ou trois ans, comme cela on ne pourra rien vous reprocher dans dix ans”. C’est pourtant un service que j’offre oralement, et sans étiquetage, aux amateurs de miel qui me font l’honneur d’apprécier ma production et à qui j’explique comment et combien de temps conserver un miel…

 

Le dernier manquement, me laisse sans voix. Il s’agit de l’ “acide oxalique dehydrate” acheté voici deux ans chez mon revendeur de matériel apicole, Bienen Meier. L’acide oxalique est un produit utilisé et recommandé par toutes les instances apicoles comme traitement d’hiver contre le varroa. Dans le cas présent, il s’agit d’un produit cristallisé, entièrement pur, et que vous pouvez vous procurer dans toutes les pharmacies ou drogueries du pays. Dans le cas présent, les flacons ne comportent pas le tampon D octroyé par Swissmedic. Donc il s’agit d’un produit désormais interdit! Pourquoi? Simplement, parce que Bienen Meier, n’a pas investi les quelques dizaines de milliers de francs en frais administratifs pour obtenir l’homologation d’un produit déjà testé et déjà reconnu. Du coup, seul BioVet Andermatt, a encore le droit d’en commercialiser en Suisse, la mafia ne fait pas mieux…

L’inspectrice fait encore quelques prélèvements. l’un de cire et des échantillons de miel. Dans quel but? Suite à des résultats inquiétants l’an dernier, le canton de Fribourg recherche la présence d’amitraze…. Pour faire court, l’amitraze est un produit acaricide utilisé dans le traitement des Varroa, interdit en Suisse, mais que vous pouvez aisément vous procurer en France voisine, lors de vos achats du week-end, au prix d’un léger détour chez votre fournisseur de produits apicoles. L’amitraze a été largement utilisée (et est peut-être encore utilisée) de manière illégale en Suisse, sous le nom de traitement au “furet”. En gros, lorsque en suivant scrupuleusement les recommandations de l’Agroscope nous perdions néanmoins nos abeilles en masse dans les pires années, les seuls qui n’avaient aucune perte avaient traité au furet et vendaient à prix d’or des colonies aux apiculteurs restés sans abeilles…

Soudain, comme une fulgurance, l’idée que ma cire ou mon miel puisse contenir des traces d’amitraze, me traverse l’esprit. L’inspectrice s’en rend compte et, dans son regard, je perçois clairement, qu’un doute traverse son esprit à elle. Et me voilà suspect “à l’insu de mon plein gré” comme un célèbre coureur cycliste. Et si ma cire contenait de l’amitraze? Comment me justifier? Comment convaincre les autorités de ma bonne foi? Simplement impossible… Quelle désillusion pour moi qui suis co-auteur d’un article sur la propreté de la cire dans un volume à paraître dans le BEEBOOK Tome 3, la nouvelle bible de la méthodologie en apiculture publié par le groupe de travail COLOSS et l’IBRA (International Bee Research Association).

Les résultats ne seront connus et  communiqués qu’en automne ou en fin d’année… affaire à suivre donc..

Quelques jours plus tard, je reçois la copie du rapport que je vous livre dans son intégralité…

Rapport de l’inspection primaire du 30 août 2017

J’ajoute également à toutes fin utiles le “Manuel de contrôle”

Manuel_KHB_Kontrollen_Primärproduktion_ohne_TW_fr_2017

et comme nul n’est censé ignoré la loi, voici un petit extrait de la législation à laquelle sont soumis les apiculteurs tirée (du “Manuel de contrôle”,10.2 Annexe 2, pp. 46-61)

Bonne lecture et à très bientôt

10.2 Annexe 2 :(pp. 46-61/106)

Manuel de contrôle relatif aux contrôles officiels dans la production primaire (hygiène dans la production primaire animale, médicaments vétérinaires, santé animale et trafic des animaux) pour les unités d’élevages détenant des abeilles Version 2017

  1. Les rayons à couvain et les rayons de miel vides sont propres à la consommation et sont stockés dans un endroit propre, inodore et exempt d’organismes nuisibles.
    OHyg, art. 1 à 3, Objet
    OPPr, art. 4, Obligations des exploitations
  2. Le miel est récolté et traité de façon réglementaire.
    OPPr, art. 4, Obligations des exploitations
    ODAOA art. 96 à 98, Miel
    ODAOA, art. 99 à 101, Gelée royale
    ODAOA, art. 102 et 103, Pollen
    OHyg, art. 6, Prescriptions générales s’appliquant aux établissements du secteur alimentaire
    OHyg, art. 13 et 14, Équipements et Présence d’animaux de compagnie
    OHyg, art. 16, al. 1 et 2, Alimentation en eau
  3. Le miel est stocké de façon règlementaire.
    OPPr, art. 4, Obligations des exploitations
    OHyg, art. 6, Prescriptions générales s’appliquant aux établissements du secteur alimentaire
    OHyg, art. 14, Présence d’animaux
    OHyg, art. 19, Conditionnement et emballage des denrées alimentaires
  4. Traçabilité
    OPPr, art. 5, L’exploitant doit être en mesure de fournir des renseignements sur la nature, la quantité et l’acquéreur des produits primaires.
    a) Documents à l’appui (bulletins de livraison/factures)
    b) Délai de conservation de 3 ans
    c) Cette exigence ne s’applique pas lorsque les produits sont vendus directement aux consommateurs ou à des commerces locaux pratiquant la vente au détail.
  5. La récolte hygiénique et irréprochable des produits apicoles est garantie.
    Remplie si: La récolte hygiénique et irréprochable des produits apicoles est garantie.
  6. Seuls des médicaments et des méthodes bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché sont utilisés dans les ruchers.
    LPTh, art. 9, al. 2, let. a à cbis,
  7. Autorisation de mise sur le marché OMédV, art. 7,
  8. Importation de médicaments vétérinaires par des personnes exerçant une profession médicale
    OMédV, art. 12, al. 4,
  9. Reconversion de médicaments autorisés OMédV, art. 14, al. 3,
  10. Médicaments selon l’art. 9, al. 2, let. a à a-cbis, LPTh OMédV, annexe 2, Liste des principes actifs en médecine vétérinaire qui, dans le respect des domaines d’application et des modes d’administration mentionnés, n’exigent pas de délai d’attente OMédV, annexe 4, Substances et préparations
  11. Autres bases
    www.tierarzneimittel.ch
    www.rpc.admin.ch
    https://www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home.html
    Swissmedic : Modification de la pratique concernant la classification de substances ou préparations végétales destinées à une administration par voie orale aux animaux et concernant les produits pour les abeilles
    Apiservice : Liste des préparations apicoles recommandées
  12. Les médicaments vétérinaires sont conservés correctement.
    OHyPPr, art. 2, al. 5 et 6, Exigences en matière de production animale
  13. OMédV art. 22, Devoir de diligence
  14. L’utilisation de médicaments vétérinaires est consignée dans un journal.
    LDAl, art. 26, Autocontrôle
    OPPr, art. 4, al. 1, Obligations des exploitations
    OMédV art. 26, Objet du registre OMédV art. 28, Détenteurs d’animaux de rente et vétérinaires OMédV art. 29, Durée d’archivage
  15. Les colonies d’abeilles sont saines.
    OFE, art. 59, al. 1,
    Les colonies d’abeilles saines
    a) sont actives et pleines de vie. Les effectifs doivent être conformes à la période de l’année
    b) doivent avoir du couvain à tous les stades, des larves ne présentant aucun symptôme de maladie et des rayons sans défaut dus à la maladie
    c) nettoient le sol des ruches
    d) ne présentent que quelques individus dont les ailes sont atrophiées
    e) disposent de réserves de nourriture.
  16. Les ruchers occupés et inoccupés sont suffisamment bien entretenus pour que tout risque d’épizootie soit exclu.
    OFE, art. 39, al. 1
  17. OFE, art. 59 al. 3,
  18. OFE, art. 61 al. 3, Obligation d’annoncer
  19. OFE, art. 62 al. 1, Premières mesures du détenteur et du vétérinaire
  20. Le parasite varroa est combattu de manière efficace et les infections font l’objet d’une surveillance.
    OFE, art.. 5, Épizooties à surveiller
  21. OFE, art. 59 OFE, art. 291
  22. OPPr, art. 4, al. 3, let. f, Obligations des exploitations
  23. Les ruchers font l’objet d’une surveillance régulière quant à la présence de symptômes cliniques des deux formes de loque des abeilles
    OFE, art. 4, Épizooties à combattre
  24. OFE, art. 61, Obligation d’annoncer
  25. OFE, art. 62, al. 1, Premières mesures du détenteur d’animaux et du vétérinaire
  26. OFE, art. 269 à 272, Loque américaine des abeilles
  27. OFE, art. 273, Loque européenne des abeilles
  28. Les dispositions nécessaires au maintien en bonne santé des colonies d’abeilles sont prises.
    Remplie si: Les dispositions nécessaires au maintien en bonne santé des colonies d’abeilles sont prises.
  29. L’élevage d’abeilles est enregistré dans les règles et le trafic des abeilles est vérifiable.
    L’apiculteur a enregistré correctement ses ruches et chaque ruche est identifiée dans les règles et de manière bien visible de l’extérieur.
    OFE, art. 18a, al. 2, 3 et 4, Enregistrement des unités d’élevage détenant des équidés ou de la volaille domestique, enregistrement des ruchers
    OFE, art. 19a, al. 1, Identification des ruchers et annonce d’un déplacement
  30. Le registre des effectifs est tenu conformément aux prescriptions en vigueur.
    OFE, art. 20,

Francis Saucy

Francis Saucy, Docteur ès sciences, biologiste, diplômé des universités de Genève et Neuchâtel, est spécialisé dans le domaine du comportement animal et de l'écologie des populations. Employé à l’Office fédéral de la statistique, Franci Saucy est également apiculteur amateur et passionné, et il contribue par ses recherches et ses écrits à l'approfondissement des connaissances sur les abeilles et à leur vulgarisation dans le monde apicole et le public en général. Franci Saucy fut également élu PS à l'exécutif de la Commune de Marsens, dans le canton de Fribourg de 2008 à 2011 et de 2016 à 2018. Depuis mars 2019, Franci Saucy est rédacteur de la Revue suisse d'apiculture et depuis le 15 septembre 2020 Président de la Société romande d'apiculture et membre du comité central d'apisuisse Blog privé: www.bee-api.net

Une réponse à “… étaient contrôlées…

  1. Très bien écrit et sort droit du cœur de tout apiculteur. Il y a encore du chemin à faire en Suisse. Et le pire: s’il trouvent des traces de l’amitraze vous êtes considéré comme le pire criminel même si vous en avez jamais utilisé et même si vous vous efforcé d’être en règle avec tout! Je me réjouis déjà du contrôle primaire chez nous ?
    Bon courage
    B. Broillet

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