…vous contaient le marché du miel…

cher Philippe Ligron! Vous posiez la semaine dernière dans l’émission “Bille en tête” la question du prix du miel, vous demandant comment il est possible de trouver à des prix si bas des produits de si haute qualité…

Voici quelques éléments de réponse collectées lors du 21ème Congrès de l’Union nationale d’apiculture française (UNAF) qui s’est déroulé du 27 au 30 octobre 2016 à Clermont-Ferrand.

Le marché du miel est grossièrement composé de trois acteurs majeurs:

  • les producteurs
  • les revendeurs
  • les fraudeurs

Les producteurs

Comme souvent, les producteurs sont ceux qui ont les connaissances, portent les investissements, offrent leur force de travail,  supportent les risquese et ont le moins d’influence sur les marchés. En Suisse, la plupart des apiculteurs sont des amateurs (au sens premier), dont les revenus ne dépendent pas de leur production pour vivre. En effet, notre pays se caractérise par le plus haut taux d’apiculteurs au km2 et par la plus faible production de miel par ruche. Vivre d’apiculture en Suisse n’est donc pas une sinécure: il faut se diversifier, commercialiser des produits variés, ou vendre du matériel aux dits amateurs. Enfin, l’essentiel de la faible production est vendue localement, mais ne suffit de loin pas aux besoins du pays, puisque 2/3 du miel consommé dans notre pays est importé de l’étranger (pour plus de détails voir l’article …contribuaient à la prospérité du pays… ).

Il en va différemment des pays voisins, où les surfaces sont plus grandes, les conditions climatiques plus favorables et la productivité souvent beaucoup plus élevée. En France, en Italie ou en Espagne, on trouve de nombreux apiculteurs professionnels qui vivent de leur production ou de la location de leurs ruches pour féconder les fleurs des vergers et des cultures.

Les revendeurs

Les revendeurs se divisent en commerce de gros et grande distribution (ou commerce de détail). En définitive, comme sur la plupart des marchés agricoles dominés par peu d’acteurs, ce sont les acteurs de la grande distribution qui fixent les prix. Ils ont en effet le pouvoir de s’approvisionner directement auprès des producteurs locaux, des négociants en gros et surtout sur les marchés étrangers.

Les fraudeurs

Les fraudeurs se rencontrent aussi bien chez les producteurs que chez les négociants. Jusqu’à récemment, le problème était surtout restreint aux seconds, qui mélangeaient et chauffaient des miels de différentes provenance, qu’ils achetaient à bas prix et revendaient très cher. Avec l’intervention des pays asiatiques et de la Chine sur les marchés, la fraude s’est étendue aux producteurs dans des proportions difficiles à imaginer. En effet, ce ne sont plus des miels de pauvre qualité qui sont commercialisés, mais des miels additionnés de sirops de sucre qui ne transitent plus par les ruches, mais sont produits industriellement dans des usines de transformation de produits sucrés.

Effondrement du marché mondial du miel en 2016

L’année 2016, fut, en raison de conditions climatiques désastreuses, une année calamiteuse pour les producteurs de miel européens. Contrairement à ce qui se passerait sur un marché “honnête” régi par les lois de l’offre et de la demande, les prix auraient dû fortement augmenter. C’est exactement l’inverse qui s’est produit en 2016, avec un effondrement des prix du miel sur l’ensemble des marchés mondiaux. En voici quelques exemples:

  • France: famille Michaud, Apidis, représentants de divers syndicats apicoles
    • avec 20% de part du marché, la PME “Famille Michaud” installée dans les Pyrénées atlantiques se présente comme “leader européen du miel”. 
    • Chez “Famille Michaud”, la part de miel d’origine française est passée en 20 ans de 50% à 20% malgré un doublement des volumes écoulés.
    • Durant la même période, la production indigène a été divisée par trois, soit de 32’000 tonnes en 1995 à 10’000 tonnes en 2014.
    • Dans la coopérative Apidis, les prix d’achat de miel “toutes fleurs” au productieur sont passés de 5-6 euros en 2015 à 4,5-5 euros en 2016.
    • Les spécialités (miels mono-floraux) sont achetées plus cher, mais à des niveaux toujours inférieurs à ceux de 2015 (châtaignier: 6,5 euros; acacia: 8,5 euros; lavande: 9,5 euros).
    • Différentes explications sont avancées pour expliquer ces replis des prix:
      • les vitesses d’écoulement sont faibles
      • les miels se vendent de moins en moins bien en grande surface, en raison de leur mauvaise presse
      • les stocks des années précédentes s’accumulent
      • les prix d’achat et de vente sont fixés en début d’année, soit avant la récolte de l’année, en fonction des prix et des stocks de l’année précédente
  • Espagne: prix_miel_espagne
    • Manuel Izquierdo, apiculteur d’Andalousie membre de la Coordination des organisations d’agriculteurs et d’éleveurs (COAG), rapporte que le prix du miel en vrac a régulièrement augmenté d’un misérable 1,4 Euro/kg en 2005 à 3,5 Euro en 2015 et  s’est soudaind effondré en 2016 à 2,9 Euro, soit une baisse de 34% et un retour au prix de 2009, malgré une récolte très mauvaise.
    • Il explique également que l’essentiel du miel produit en Espagne (35’000) est exporté, alors que des quantités supérieures, mais de moindre qualité est importée à très bas prix et consommée par les Espagnols qui n’ont pas les moyens de payer la qualité espagnole
  • Italie:
    • la situation est plus favorable en Italie, où les producteurs locaux écoulent leurs produits sur les marchés locaux à des prix décents couvrant leurs frais d’exploitation
  • Amériques:
    • Norberto Garcia Girou explique que malgré une augmentation du nombre de ruches, la production a augmenté et les prix ont baissé ausi bien aux USA qu’en Argentine
  • Asie et reste du monde: les exportations à bas prix explosent
    • Toujours selon Norberto Garcia Girou, alors que le nombre de ruches a stagné, les quantités de miel exportées ont plus que doublé en l’espace de 10 ans en Chine, quadruplé au Vietnam et en Thaïlande, décuplé en Inde et en Ukraine et ont été multipliées par 20 en Turquie.
    • de nombreux pays exportent comme produits locaux, à prix élevé et en quantités excédent largement la production indigène, des “miels” de sirop importés à très bas prix, y compris en Europe où ils sont revendus comme produits d’origine “européenne”
    • plus de 95% des miels importés et consommés en Europe proviennent d’Asie et sont d’une qualité qui a peu de rapport avec ce que tout un chacun considère comme un bon miel

Adultération des miels:

  • c’est par ce terme un peu barbare que l’on désigne les divers procédés d’altération des caractéristiques origninelles des miels
  • les procédés sont multiples, chauffage à haute température, mélanges de miels divers, dilution massive avec des sirops bon marché

Contrôles de la qualité des miels:

  • les contrôles de qualité ne sont pas aisés.
  • ils requièrent des compétences qu’un seul laboratoire maîtrise en Europe, celui de l’entreprise Famille Michaud
  • ces contrôles se fondent, entre autres, sur la détection du chauffage excessif, de l’dentification des pollens et de la très sophistiquée technique de la résonance magnétique nucléaire (RMN) utilisée en médecine moderne
  • lorsque de tels contrôles sont effectués, ils montrent que la majorité des échantillons de miels importés se révèlent adultérés
  • comble de tout, l’Union européenne a récemment renoncé à effectuer ces contrôles pour les déléguer aux exportateurs eux-mêmes…

Masquages de l’adultération des miels:

  • les fraudeurs utilisent différents procédés de masquage, filtrent les pollens originels et rajoutent des pollens provenant d’autres origines
  • les spécialistes du contrôle des miels conseillent également les exportateurs, dont il s’ensuit que, comme dans la lutte anti-dopage, les fraudeurs ont toujours une longueur d’avance

Le constat est accablant. Heureusement, les commateurs attentifs peuvent échapper à la fatalité des fraudeurs en observant quelques règles simples:

Quelques conseils au consommateur:

  • privilégiez les circuits courts :

    • achetez directement chez un producteur local de votre connaissance qui vous expliquera la composition et la provenance de son miel
    • achetez dans les commerces locaux qui s’approvisionnent directement chez les producteurs du crû
    • examinez l’étiquetage: les petits producteurs indiquent leurs coordonnées, contactez-les pour leur donner votre avis
    • choississez des miels labellisés (un bandeau reliant le récipient au couvercle garantit que le pot n’a pas été ouvert : c’est un gage de propreté)
  • privilégiez les miels cristallisés :

    • tous les miels cristallisent naturellement:
      • après quelques jours déjà pour certains miels de fleurs du premier printemps comme les miels de pissenlit ou de colza
      • après quelques semaines ou quelques mois seulement pour les miels de forêt
      • un miel liquide peut donc provenir d’un miel cristallisé qui a été réchauffé. Lors du réchauffement, plus la température est élevée, plus le miel perd de ses qualités et de ses propriétés initiales. Une fois re-liquéfié, un miel, quelque soit son origine, ne re-cristallise pas ou très, très lentement. Il est possible, mais difficile sans un laboratoire de chimiste, de détecter le processus d’excessif réchauffement. Techniquement, on dose les 5-HMF (5-Hydroxyméthylfurfural) dont la teneur ne devait pas excéder 40 mg/kg dans nos régions
    • les miels crémeux:
      • sont une forme de cristallisation contrôlée par l’apiculteur et très appréciée des consommateurs. Par brassage mécanique, l’apiculteur assure une cristallisation très fine et très régulière qui donne à son miel un aspect crémeux qui persiste dans le temps. Les miels crémeux sont donc obtenus  sans altération du produit et peuvent être considérés comme des miels cristallisés
    • les miels “marbrés”:
      miel_marbre
      “marbrures”
      • des “marbrures”, souvent considérées comme peu esthétiques, apparaissent dans la plupart des miels cristallisés. Elles correspondent à des irrégularités dans le processus de cristallisation des miels non brassés mécaniquement. Elles sont le signe d’une cristallisation “naturelle”survenant après la mise en pot.
    • si vous préférez les miels liquides:
      • réchauffez-les lentement et délicatement au bain-marie à 40°C
      • demandez à votre producteur de le faire pour vous
      • les propriétés du produit ne seront ainsi pas altérées
  •  privilégiez les miels et les producteurs locaux :

    • on trouve des miels excellents partout dans le monde, ils reflètent la richesse et la diversité de la flore locale
    • les rrisques d’adutération sont beaucoup plus faibles si vous achetez un miel étranger chez un producteur local, plutôt que dans votre super-marché  habituel
  • évitez les miels à prix cassés :

    • le miel est un produit généralement très bon marché (p.ex. en comparaison des prix usuels de la viande et des fromages au kilo…)
    • en acheteant des miels à prix cassés, par rapport aux prix du marché local, le risque d’acquérir des miels adultérés augmente fortement

Francis Saucy

Francis Saucy, Docteur ès sciences, biologiste, diplômé des universités de Genève et Neuchâtel, est spécialisé dans le domaine du comportement animal et de l'écologie des populations. Employé à l’Office fédéral de la statistique, Franci Saucy est également apiculteur amateur et passionné, et il contribue par ses recherches et ses écrits à l'approfondissement des connaissances sur les abeilles et à leur vulgarisation dans le monde apicole et le public en général. Franci Saucy fut également élu PS à l'exécutif de la Commune de Marsens, dans le canton de Fribourg de 2008 à 2011 et de 2016 à 2018. Depuis mars 2019, Franci Saucy est rédacteur de la Revue suisse d'apiculture et depuis le 15 septembre 2020 Président de la Société romande d'apiculture et membre du comité central d'apisuisse Blog privé: www.bee-api.net

5 réponses à “…vous contaient le marché du miel…

  1. Cela fait 40 ans que j’explique tout çà a mes clients, ils sont fidèles et exigent notre qualité de miel
    petit producteur ( entre 5 et 15 tonnes) aucun mélange aucun coupage et le prix le plus juste en fonction
    des récoltes et de la dispo !! Mais c’est du sérieux et de la fiabilité dans le temps, à la sortie c’est un commerce de producteur à consommateur “gagnant-gagnant” et nos clients ne vont pas acheter du miel de centrale d’achat et grande distribution.

  2. C’est la triste réalité, la faute comme dans bien des cas vient de nos politiques qui n’ont de volonté à s’attaquer à la cause, mais le profit reste maître dans l’affaire. Pauvre Europe !

  3. Ce type de problème doit se régler au niveau européen. D ou l importance de voter. Et de se battre contre un étiquetage, devenu systématique, type ” miel originaire de la comm. Européenne et non européenne) … Je veux savoir si j achete du miel chinois à mon insu. Et pourquoi pas multiplier les initiatives visant à installer des ruches dans les écoles? Simple, pas cher, éducatif…. Une façon de générer de l intérêt pour le futur.

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