Pour beaucoup d’apiculteurs, un voyage à l’étranger est l’occasion de s’informer sur les abeilles et les pratiques apicoles locales. On goûte les miels du crû, on s’arrête pour examiner les ruches et si par chance l’apiculteur est sur place, on engage la conversation avec le peu de mots que l’on connaît, les gestes et abondance de sourires.
… jamais je ne pourrais vivre sans abeilles...
(Torbjörn Andersen, apiculteur islandais)
Pour ce déplacement en Islande, sachant que les occasions seraient rares, j’avais pris les devants et décidé d’organiser un rendez-vous. Un rapide tour de l’Internet m’avait en effet rapidement montré que l’apiculture n’est pas une sinécure dans ce pays. S’il est inutile de dire que les pages web en islandais me sont inabordables, j’ai néanmoins déniché quelques sites en anglais, évoquant avant tout les difficultés d’hivernage, mais la plupart inactifs depuis plusieurs années. J’ai enfin abouti sur la page Facebook de Torbjörn Andersen, Beekeeping in Iceland, avec qui j’ai pris contact.
Médecin généraliste à Reykjavik, Torbjörn a généreusement fermé son cabinet pour me faire visiter ses ruches situées à une heure de route dans la région de Selfoss, au sud de l’île. Ce fut la seule journée de beau temps de notre séjour. Le ciel était radieux, la température aux alentours de 13°C. Nous avons effectué ensemble la dernière visite avant l’hiver de sa douzaine de colonies, retiré les nourrisseurs, réuni quelques colonies faibles ou sans reines.
Tourné vers le monde, Torbjörn achète ses ruches Langstroth aux USA. Il importe ses essaims et ses reines Buckfast des îles Åland en Finlande, une région où les abeilles sont exemptes de maladies, de varroa en particulier. Experimenté, il a débuté en apiculture dès l’âge de 14 ans dans sa Norvège natale. Très investi en apiculture, il a participé au dernier congrès Apimondia à Kiev et est actif dans la société icelandaise d’apiculture. L’Islande compte environ 90 apiculteurs auxquels il dispense cours et conseils aux débutants.
Des conditions climatiques invraisemblables…
Difficile d’envisager des conditions plus difficiles pour élever des abeilles. Imaginez-vous dans un paysage alpin, au-dessus de la limite des arbres, soit au-dessus de 2’000 m d’altitude en Suisse, par exemple dans les pâturages dominant le glacier d’Aletsch. Les conditions y apparaissent encore plus désertiques, car très peu d’arbres parviennent à se développer dans ce pays où le paysage est la plupart du temps dominé par les mousses. Par endroits, quelques “forêts” parviennent toutefois à se développer. Mais, formées de saules pour l’essentiel, elles vous arrivent à peine à hauteur de poitrine. Aux alentours des ruches, on peut voir voleter des lagopèdes, renforçant encore la sensation de se trouver à l’étage alpin.
Le volcan Eyjafjallajökull nous nargue au loin…
A part quelques espèces introduites par l’homme, la faune islandaise ne compte ni reptiles, ni mammifères terrestres. C’est donc vers les mammifères marins et les oiseaux que se tourne le naturaliste intéressé à la faune indigène. Sur ce plan il est gâté, car on peut observer de nombreuses espèces de phoques, de dauphins et de baleines, sans parler des macareux, des eiders et autres fous de Bassan aux abords des côtes. Dès l’altitude de 1’000 m, on accède au niveau des neiges éternelles et des glaciers.
Comment survivre à l’hiver?
Sous ces derniers sommeillent des volcans prêts à entrer en éruption sans crier gare, tel le fameux Eyjafjallajökull, qui nous nargue au loin.C’est dans ce type d’environnement que Torbjörn a installé ses ruches à quelques dizaines de mètres au dessus du niveau de la mer. Comme on est à l’étage alpin, on croise aux abords des ruches des lagopèdes alpins en livrée estivale, des grives mauvis et des bruants des neiges. De nuit, on pourrait y rencontrer le renard arctique.
Comment les abeilles parviennent-elles à survivre dans un environnement aussi hostile? Difficile à dire. Torbjörn, qui termine ses derniers préparatifs pour l’hivernage est inquiet et s’enquiert des pratiques helvétiques. Difficile de donner des conseils tant les conditions climatiques paraissent plus rudes qu’en Suisse. Une analyse des diagrammes climatiques indique que si les précipitations sont similaires à Reykjavik et à Genève, les températures divergent drastiquement, avec six mois durant lesquels la température moyenne mensuelle varie entre 10 et 20 °C à Genève, alors qu’elle ne dépasse jamais 10 °C à Reykjavik.
En raison des vents violents qui prévalent en Islande et que rien n’arrêtent puisqu’il n’y a d’autres obstacles que ceux de la topographie locale, les températures ressenties sont encore plus froides que celles indiquées par les moyennes.
On comprend alors mieux les difficultés auxquelles les apiculteurs islandais doivent faire face, ainsi que les craintes et les précautions prises pour protéger les colonies durant l’hiver. Torbjörn envisage de construire un rucher à l’avenir. Pour l’heure, il entoure ses ruches d’une couche de papier goudronné pour limiter la pénétration de l’air et de l’humidité au niveau des jointures des divers éléments de ruche et pour protéger les caisses elles-mêmes.
Bien que ses abeilles soient très douces, Torbjörn porte toujours une combinaison complète pour ouvrir ses ruches. Alors que nous nous déplaçons en voiture entre deux emplacements, je le sens tout à coup nerveux. Il arrête le véhicule et en descend pour chasser une abeille qui a réussi à se glisser dans son bas de pantalon. Il me raconte alors qu’il est devenu allergique aux piqûres, qu’il a suivi avec succès un programme de désensibilisation, mais qu’il reste très prudent.
Dans le cours de la discussion, je demande encore à Torbjörn s’il se plaît en Islande et s’il ne regrette pas sa Norvège natale. Sa réponse est sans détour: “Tant que je peux y élever des abeilles, je reste. Je ne pourrais concevoir mon existence sans elles”.
Belle conclusion pour ce voyage au pays des volcans et des baleines, où les abeilles trouvent difficilement une petite place. J’y pense chaque matin en dégustant un miel délicieux , délicatement parfumé de saveurs de thym arctique…
Les liens:
Beekeeping in Iceland: la page Facebook de Torbjörn Andersen
Diagramme ombrothermique: source des données climatiques utilisées dans les diagrammes
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