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Et si la Nature avait ses propres droits ?

À l’occasion de son cinquantième anniversaire, la communauté internationale se réunit à la Conférence de Stockholm+50 afin d’évaluer le bilan des avancées du dernier demi-siècle ainsi que de regarder vers le futur en discutant des actions novatrices qui permettront de changer le paradigme environnemental et social. Sabrina Nick, co-responsable du programme Environnement, transport et énergie au sein du foraus, pose la question: et si la nature avait ses propres droits ?

 

Du 5 au 16 juin 1972, la première Conférence des Nations Unies sur l’environnement avait lieu à Stockholm. Une série de principes pour une gestion écologiquement rationnelle de l’environnement y a été adoptée. À l’occasion de son cinquantième anniversaire, la communauté internationale se réunit à la Conférence de Stockholm+50 afin d’évaluer le bilan des avancées du dernier demi-siècle ainsi que de regarder vers le futur en discutant des actions novatrices qui permettront de changer le paradigme environnemental et social. Un de ces concepts, à la popularité croissante et qui a le potentiel de changer complètement la perception de notre environnement, est celui d’attribuer des droits à la Nature.

 

Un changement de paradigme en faveur de la Nature

D’un point de vue environnemental, le bilan des derniers 50 ans est effrayant. La situation est d’autant plus dramatique que nous ne disposons que de peu de temps pour atténuer les conséquences de la dégradation de notre environnement sur l’Homme. Un changement de nos cadres légaux et réglementaires est plus que jamais nécessaire. Pourtant, un cadre légal est d’ores et déjà existant, puisque certaines lois et certains règlements protègent déjà la Nature dans une certaine mesure. Toutefois, ces normes sont insuffisantes et ne parviennent pas à réaliser leur objectif, soit celui de véritablement conserver notre environnement. Le problème est donc plus fondamental.

 

Le traitement juridique de la Nature en tant que propriété est au cœur de la problématique et représente l’obstacle principal empêchant la législation environnementale d’arrêter ou inverser la dégradation de l’environnement. Ce paradigme législatif dominant a considérablement contribué à la transgression de plusieurs limites planétaires. Scientifiquement corroborées, ces limites planétaires sont les seuils naturels de fonctionnalités des systèmes terrestres. Ce n’est que récemment que l’économie a commencé à prendre en compte la valeur de la Nature dans la logique financière. Ne serait-il pas temps de faire de même pour notre ordre juridique et de changer de paradigme afin de conserver le fonctionnement de notre environnement ?

 

Le problème en pratique réside dans le fait que l’intégrité des écosystèmes n’est pas juridiquement protégée. Cette intégrité comprendrait le droit d’exister, de persister ainsi que de maintenir et de régénérer ses cycles vitaux. Si cette intégrité est violée, une dégradation en découle. Une analogie peut être faite avec le noyau dur des droits fondamentaux. Le noyau dur est l’essence d’un droit fondamental devant être garanti à tout prix selon la Constitution Fédérale. De la même manière, des normes juridiques devraient garantir le respect de l’intégrité de nos écosystèmes.

 

Et si la Nature pouvait faire valoir ses propres droits ?

Vous êtes-vous déjà imaginé ce qui se passerait si les écosystèmes, les espèces ou les espaces naturels avaient une personnalité juridique et les droits qui en découlent, soit le droit d’exister, de prospérer, de se régénérer et de jouer leur rôle au sein du vivant? C’était l’idée du professeur Christopher Stone d’attribuer des droits à la Nature. Il le mettait en avant pour la première fois dans l’article « Should trees have standing – toward legal rights for natural objects » rédigé peu après la Déclaration de Stockholm de 1972.

 

Aujourd’hui, plus de 30 pays reconnaissent les écosystèmes, comme les rivières, les lacs ou les biomes naturels, au niveau local ou national dans leurs systèmes légaux. Souvent ces normes juridiques sont issues d’initiatives populaires. Les gens voient les écosystèmes qui les entourent se dégrader et les bénéfices et services qu’ils en tirent diminuer.

 

Attribuer des droits à la Nature en Suisse contribuerait à améliorer la gouvernance environnementale et ainsi à protéger plus efficacement la biodiversité. Si les écosystèmes d’une certaine importance environnementale pouvaient être considérés comme des sujets de droit, l’intégrité et la diversité de la Nature pourraient être conservées de manière plus efficace. Les décisions juridiques autant que politiques seraient fondées sur ce qui est bénéfique pour la planète Terre (y compris les personnes et la Nature), et ce, sur le long terme, d’une manière holistique et durable. Ce que cela signifierait plus concrètement en Suisse peut être consulté dans la publication du foraus « Grassroots ideas to halt biodiversity loss » dans le chapitre « Nature as legal entity».

 

Conclusion pour les prochains 50 ans

En tant qu’êtres humains, nous nous devons d’explorer tous les moyens efficaces pour conserver la Nature. L’attribution de droits aux écosystèmes et aux espèces semble être l’une des voies à suivre pour y parvenir. Bien qu’il s’agisse d’une approche de gouvernance innovatrice pour protéger la Nature et la biodiversité, celle-ci permet toutefois d’offrir de nouvelles pistes de réflexions, ce qui apparaît indispensable pour les futures discussions concernant la conservation de notre Planète.

 

 

Sabrina Nick est co-responsable du programme Environnement, transport et énergie, au sein du foraus, le think tank suisse de politique étrangère. Elle travaille à l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et contribue à ce titre aux missions liées à l’engagement dans les forums internationaux et aux organes de gouvernance de l’UICN. En terminant son Master en droit, sa véritable passion était le droit international de l’environnement, une vocation qui a guidé sa voie depuis lors, tantôt en travaillant pour la Confédération tantôt en s’engageant sur le terrain avec une ONG au Kenya.

 

 

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