A la table du capitaine Nemo, lait de baleine et confiture d’anémone de mer

Pour inaugurer ces posts sur la nourriture en littérature,  j’ai choisi une de mes épopées favorites: 20 000 lieues sous les mers. J’aurais pu vous parler de poulpe à la galicienne, en hommage à la terrible bataille qui oppose les hommes du Nautilus aux céphalopodes géants. (La taille des bestioles laisse songeur quand à la quantité phénoménale de nourriture qu’elles auraient pu fournir!). Mais je me suis intéressée à l’intégrisme culinaire du capitaine Nemo, qui veut qu’aucun met ou condiment, venu de la terre, ne soit servi à la table du Nautilus. D’où la présence de crème de lait de cétacé, de foies de dauphin et surtout de confiture d’anémone de mer. Pas de méduse dans ce repas concocté par Jules Verne. Dommage, sa texture est savoureuse…

Pas de tambouille gargantuesque donc, genre tapas de poulpes géants, à bord du sous-marin. Nous nous trouvons entre gens civilisés, même s’ils coulent des vaisseaux. Jules Verne fait du capitaine Nemo un misanthrope, mais aussi un homme cultivé et gourmet qui offre au professeur Aronax, océanologue distingué qui est à la fois son hôte et son prisonnier, des plats inattendus mais raffinés.

«Goûtez à tous ces mets. Voici une conserve d’holothuries qu’un Malais déclarerait sans rivale au monde, voilà une crème dont le lait a été fourni par la mamelle des cétacés, et le sucre par les grands fucus de la mer du Nord, et enfin, permettez-moi de vous offrir des confitures d’anémones qui valent celles des fruits les plus savoureux.»

Ce qui m’a intéressé, c’est l’étrange dessert que propose le capitaine Nemo à son invité. La crème au lait de cétacé, qui doit être épaisse tout naturellement, puisque les naturalistes nous disent qu’elle ressemble à du cottage cheese. Quand à son goût, il est à imaginer. Mais ce qui m’a beacoup intrigué ce sont ces «confitures d’anémones de mer» qui parachèvent ce moment d’anthologie gastronomico-littéraire qui a pour cadre la sévère et somptueuse salle à manger du Nautilus.

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La mer est tout

A bord du sous-marin, pas question de consommer des produits terrestres. «La mer est tout», rappelle le capitaine Nemo, qui veille, avec un zèle quasi religieux, à ce qu’aucun met issu de la terre, n’arrive à sa table.

Pourtant, Aronax, s’y trompe:

«Je ne comprends plus du tout qu’une parcelle de viande, si petite qu’elle soit, figure dans votre menu.
— Aussi, monsieur, me répondit le capitaine Nemo, ne fais-je jamais usage de la chair des animaux terrestres.
— Ceci, cependant, repris-je, en désignant un plat où restaient encore quelques tranches de filet.
— Ce que vous croyez être de la viande, monsieur le professeur, n’est autre chose que du filet de tortue de mer. Voici également quelques foies de dauphin que vous prendriez pour un ragoût de porc.»

 

Lorsque l’Amérique s’empare de Jules Verne, la scène du repas figure en bonne place. Dans le film 20 000 lieues sous les mers de Richard Fleischer, sorti en 1954, les scénaristes exagèrent aux dépens de Ned Land, les inventions culinaires de Nemo. On en rajoute dans le peu ragoûtant, avec un pudding de poulpes mort-nés! Caramba

 

L’anémone est comestible, mais pas en confiture

Mais revenons à notre anémone de mer, dite aussi ortie de mer. Jules Verne et son capitaine en font des confitures et assurent qu’elles valent «les fruits les plus savoureux». Mais hélas l’anémone de mer n’a rien à voir avec la rose, la fraise ou la framboise. Malgré ses «pétales» et ses couleurs vives, c’est bel et bien un animal.

Pourtant, comme souvent chez Jules Verne, on n’est pas loin du vraisemblable.
Car l’anémone de mer est bel et bien comestible. Et l’on consomme cette «tomate de mer», apprêtée de préférence en beignet, sur les côtes de l’île de Beauté.
Mais son goût très iodé est, dit-on bien plus proche de l’oursin, que de celui de la tomate cerise… Difficile de l’imaginer en dessert. Cela dit, l’anémone de mer a fait les riches heures d’El Bulli, et continue d’être cuisinée dans le sud de la France, et surtout en Corse, frite en tempura légère, accompagnée d’un filet de citron. (Une recette ici)

 

Consolons-nous avec la méduse en salade

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Les anémones de mer sont demeurées introuvables sur les rives du Léman. Je n’ai pas pu les tester et vous faire part de mes impressions. Pour se donner quand même quelques frissons gastronomiques façon Nautilus, on peut se gaver d’algues (dans toutes les bonnes officines japonaises), préparer un pudding sucré à l’agar-agar (une algue qui a les propriétés de la gélatine) ou alors, belle alternative même si elle n’est pas littéraire en l’occurence, tenter la méduse.

On la trouve apprêtée en salade dans certains restaurants asiatiques. J’adore sa texture croquante et légèrement gélatineuse à la fois.bureau

On peut également s’en procurer en conserves, sous le nom de «instant natural jellyfish», dans les épiceries asiatiques. C’est pratique on rince le contenu, et il n’y a plus qu’à l’assaisonner.

  • En s’inspirant de la cuisine chinoise, avec du vinaigre de riz, du sucre, un peu de sauce soja, de l’huile de sésame et du piment frais haché (optionnel). Rassembler tous les ingrédients et mariner une heure au frigo. Saupoudrer de coriandre fraîche et de sésame grillé.
  • Façon cuisine vietnamienne en l’accompagnant d’une julienne de carotte et de concombre. Arroser avec une sauce composée de nuoc man (sauce de poisson), de jus de citron, d’une pointe de sucre et de sambal (purée) de piment et d’une tombée d’eau. Garnir de cacahuètes pilées, de feuilles de menthe et de rondelles d’échalotes préalablement frites dans l’huile.

Mais je dois bien l’avouer: l’intégrisme culinaire exclusivement maritime de Nemo n’y trouverait pas son compte…