L’égalité à géométrie variable

Suite à l’acceptation par le peuple le 25 septembre dernier de la réforme AVS 21, nous avons dû assister à une pléthore de lamentations notamment sous forme de manifestations çà et là, s’insurgeant de la décision populaire et criant au scandale. Mais contre quoi exactement ? Contre la démocratie tout simplement. Cette démocratie typiquement helvétique que nous chérissons tant. Mais… ce n’est pas la première fois, et sûrement pas la dernière. Comme le relevait très justement le conseiller national PLR Philippe Nantermod dans une récente chronique, il y a de celles et ceux qui sont « démocrate[s] un jour sur deux ». À croire que contester les résultats des urnes est un sport national pour certain(e)s.

L’égalité à sens unique ?

Le projet AVS 21 était combattu, principalement, au motif qu’en termes d’égalité hommes/femmes, nous sommes encore loin du compte dans notre pays. On a d’ailleurs souvent entendu que tant que l’égalité salariale n’était pas atteinte, les opposant(e)s à la réforme refuseraient, catégoriquement et par principe, d’entrer en matière sur une quelconque augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Des inégalités au détriment de la gent féminine persistent : c’est vrai et c’est grave. Toutefois, celles et ceux qui se battent en faveur de cette égalité oublient un peu rapidement et trop fréquemment que l’égalité n’est pas à sens unique.

En matière de discrimination masculine, là aussi des progrès considérables peuvent et doivent être réalisés. Citons par exemple l’arrêt de la CEDH condamnant la Suisse en matière de rente de veuf : « La loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS) prévoit en effet l’extinction du droit à la rente de veuf lorsque le dernier enfant atteint l’âge de 18 ans, ce qu’elle ne prévoit pas à l’égard d’une veuve, qui a droit à une rente à vie. ». Et que dire encore de l’inégalité relative à la garde d’enfant(s) et à la pension à la suite d’une séparation ou d’un divorce ? Nous nous trouvons ici dans un schéma familial archaïque, à savoir de l’homme gagne-pain et de la mère au foyer.

Au motif qu’il est homme

Imaginez la naissance d’un enfant. Imaginez un père se retrouvant face à une épouse qu’il ne reconnaît plus et à une mère fuyant ses responsabilités, si ce n’est désorientée ou démissionnaire avant l’heure. Autrement dit, face à une mère totalement irresponsable et incapable d’élever un enfant. Continuez à imaginer ce père qui, alors que le nouveau-né est âgé de seulement quelques mois, se résout finalement à prendre une douloureuse décision : la séparation. C’est tout un monde qui s’écroule. Ce père, il s’agit du mien et il n’est pas le seul.

J’avais six mois quand mon père a demandé le divorce. Mais quel ne fut pas le combat qu’il s’apprêtait à mener contre une justice ô combien désuète. Je vous passe les détails, mais il importe quand même de préciser certains éléments de l’histoire afin d’appuyer mes propos. Si mon père ne s’était pas battu, la justice aurait décidé de m’envoyer dans un orphelinat plutôt que lui attribuer ma garde, au motif qu’il est homme. Mais où est passé le bon sens ? C’est effarant !

Une injuste justice

Et ce n’est pas tout… Tandis que mon père a réussi à obtenir l’exclusivité de ma garde et de l’autorité parentale malgré les nombreuses embûches qui ont été mises sur son chemin et qu’il a dû surmonter, cette injuste justice lui a imposé le versement d’une pension à ma mère. Que dire également de la surveillance démesurée dont il a fait l’objet, devant constamment montrer patte blanche aux services de protection de l’enfant ? Que dire des interrogatoires réguliers que ces derniers me faisaient endurer pour s’assurer qu’il me traitait correctement, qu’il n’avait aucun geste déplacé ? Le fardeau de la preuve était ici renversé : mon père devait sans cesse prouver son innocence alors que les mères ne subissent pas de telles pressions. Cette situation peut paraître extrême, mais elle existe et même après une séparation ou un divorce « normal » – si tant est qu’il y en ait –, les pères sont discriminés.

Ainsi, permettez-moi d’être, moi aussi, révoltée. Il existe tant de situations dramatiques vécues par des pères qui très souvent restent silencieux par crainte du jugement ou par désespoir. Je suis encore davantage révoltée quand je constate que des féministes contestent une décision populaire, soit s’asseyent sur notre démocratie, au nom de l’égalité alors qu’on ne les entend jamais se plaindre de discriminations à l’égard des pères, bien au contraire. Et pourtant… l’égalité, ce n’est pas uniquement quand ça nous arrange.