En Israël, la start-up est une arme. En Suisse, c’est un gadget

« Tu nous gonfles, avec tes start-up ». « Va te faire f… le monde de la start-up ». J’ai reçu une vingtaine de messages de ce type en réaction à mes chroniques. On y dénonce « des entreprises dont le but avéré est de faire un maximum d’argent ». Au Parlement, c’est (presque) pareil. Un collègue en veut à « mes gaillards qui gagnent des milliards sans payer d’impôts ». C’est emblématique d’une tendance de fond: en Suisse, les start-up ne sont pas populaires. Dans un pays d’assureurs, on se méfie de tout qui se développe de manière moins prévisible qu’une complication horlogère. Conséquence logique, l’Etat ne fait rien pour les start-up (qui n’existent pas, lire notre dernière chronique).

En Israël, c’est tout autre chose. J’y suis retourné pour le séminaire parlementaire d’ICT Switzerland. L’occasion de mesurer l’ampleur du fossé qui nous sépare de la « Start-up nation ». L’Etat israélien investit massivement, sur tous les fronts: 500 millions de dollars par année d’aides directes aux entreprises (de l’argent qu’elles ne devront pas restituer en cas de faillite), une prise en charge d’une partie des salaires (20% de tous les nouveaux jobs sur le parc scientifique de l’université du Néguev, par exemple), des centaines de millions pour la recherche, des mesures fiscales pour les VC, sans oublier l’armée (le principal incubateur à start-up du pays)  ou les énormes fonds d’investissement qui dopent le capital-risque (comme Yozma, créé par l’Etat en 1993, privatisé depuis). Et d’autres mesures encore. Dont aucune n’existe en Suisse. 

Israël investit pour encourager ses entrepreneurs à prendre des risques. En Suisse, on fait l’inverse

L’Etat israélien n’est pas dépensier, il investit. Nuance. Et ça rapporte. A la tête de l’agence de promotion de l’innovation, Uri Gabaï résume l’état d’esprit: « Nous sommes là pour inciter les entrepreneurs à prendre des risques ». C’est tout l’inverse en Suisse. Pour trois raisons: 1) une aversion au risque; 2) des dogmes intouchables (l’Etat ne doit surtout pas intervenir); 3) une autosatisfaction aiguë (nous sommes les meilleurs du monde). Résultat: les Israéliens ont créé un des plus puissants écosystèmes à start-up au monde, alors qu’ils n’avaient rien. La Suisse n’y est pas parvenue, alors qu’elle avait tout. Et le problème est là: tout va trop bien, en Suisse. A la fin des années 80, Israël est un pays pauvre – et en guerre – qui vit d’exportation d’oranges. « Nous sommes en survival mode, explique Dana Gavish, à la tête du parc d’innovation de l’Université Ben-Gurion du Néguev. Que ce soit pour l’eau potable, ou notre sécurité, nous avons besoin de technologie et d’enfants ». Des cerveaux et des start-up, voilà les armes d’Israël, pour sa sécurité et sa prospérité. Un programme stratégique de l’Etat.

De quoi inspirer notre politique d’innovation? J’ai posé la question à un haut fonctionnaire bernois en voyage avec moi à Tel Aviv. Réponse: « Non. La Suisse n’est pas Israël ». Ça valait bien la peine de faire le voyage. En effet, la Suisse est un pays riche, et en paix. Une start-up est donc un luxe. Un gadget. En Israël, c’est une arme. N’attendons pas d’être en guerre, ou pauvre, pour corriger le tir.

11 réponses à “En Israël, la start-up est une arme. En Suisse, c’est un gadget

  1. Je suis moins pessimiste que vous, il y a de belles choses qui se font à un niveau plus local.

    Comme d’habitude en Suisse, tout ça prendra du temps.

    La clef pour accélérer un peu le processus se trouve peut être au niveau cantonal avant même les niveau fédéral.

    1. Oui, c’est juste, des actions sont menées au niveau cantonal, par exemple Innovaud dans le Canton de Vaud. D’excellentes initiatives. Mais rien n’est entrepris au niveau fédéral, et nous sommes à mille lieues des moyens massifs mis en place par l’Etat israélien. J’insiste: de toutes celles que j’évoque dans la chronique, aucune des mesures prises par Israël ne le sont en Suisse. Aucune. Faut-il être surpris du décalage en matière de résultats?

      1. Monsieur Derder, je partage globalement vos conclusions, tout comme je partageais déjà en grande partie celles de votre livre.

        Tout ce que je dis c’est que comme d’habitude en Suisse le processus sera lent car il commencera dans son ancrage le plus local.

        je comprends toutefois la frustration de quelqu’un qui investi autant de son temps et de son énergie à faire passer l’economie suisse au 21eme siècle.

        Je pense toutefois qu’on a quelques raisons d’esperer.

        D’une part les fonds de capital risque augmentent depuis quelques années.

        D’autre part, certains poids lourds économiques commencent à réaliser qu’il est dans leur intérêt de voir émerger des start-ups innovantes. On l’a vu avec les banques et la Fintech. Depuis, on a (enfin) eu droit à un régime particulier pour ces Fintechs.

        Novartis et Roche joueront (ou jouent elles dejà ?) le même rôle pour les biotechs, je n’en sais rien, mais le terreau est en tous cas fertile.

        Enfin, on sent bien que certains cantons sont de plus en plus enclins à monter au front à Berne. J’imagine en effet que Zoug (et Zürich ?) n’est pas complètement innocent dans le soudain intérêt de la FINMA pour les ICO.

        Bref, il faudra probablement attendre que tous ces acteurs aient mis assez de pression sur Berne pour que ça bouge. On peut le regretter, mais il en est ainsi en Helvétie.

        A titre personnel, je patiente en me disant que c’est déjà miraculeux qu’en l’absence de politique publique concertée, les start-ups suisses soient au niveau où elles sont.

  2. Merci pour votre analyse éclairée.
    Finalement assez similaires ( taille, niveau académique, armée..) malgré ce que vous décrivez, les deux pays ont bcp à apprendre l’un de l’autre et définitivement la suisse doit développer son modèle propre tenant compte de son ADN pour soutenir l’écosystème indispensable à l’emergence de start up !
    Plus les entrepreneurs voyageront et partageront leurs expériences mieux les économies et les sociétés se développeront.

  3. Ne devrait-il pas être un des rôle de nos banques de jouer ce rôle? Subventionner à tout va… ca me fait penser aux énergies renouvelables… une intention louable de départ… et finalement rien de bon… et beaucoup d’argent utilisé…

  4. Désespérant … ne pas être “dans la norme” dérange beaucoup apparemment parce que vous avez compris la nécessité de les encourager, de les aider et surtout d’être leur voix aux Chambres fédérales !

    Je me sens moins “hors norme” après vous avoir lu …

    Belle semaine à vous

  5. Les start-up sont non populaires en suisse, oui, il y a 20 ans…aujourd’hui ça change, surtout avec les étudiants.

    L’état n’investit pas autant que d’autre pays, mais rien s’est aussi erroné. Les aides étatiques, privées et le tissu économique des start-up suisse n’a jamais été aussi favorable que ces dernières années.

    De mon côté, je suis favorable à une grosse partie de ces mesures que vous décrivez en Israël…c’est juste du bon sens à mon gout quand un pays part de rien comme Israël. Ils n’ont rien à perdre…et la proximité avec la guerre facilite énormément les jeunes à prendre des risques dans leur business.

    Pour vos trois raisons…du bon sens à nouveau 1) quand on a tout facilement niveau business pourquoi prendre des risques !!!! 2) l’état prend son temps vu que nous ne sommes pas en mode survival …mais ca vient doucement 3) pour les champions du monde…sortez de Genève, car le suisse moyen est plutôt modeste…oui pour l’autosatisfaction, mais elle est plus liée au bien être que la suisse propose niveau business et loisirs, tranquillité…et donc motivait pas trop les gens à sortir de leur bulle et prendre des risques.

    1. Précision centrale: je ne suis pas Genevois (Dieu m’en préserve ;-))
      Pour le reste, je réponds la même chose qu’à “Yoyo”: oui, c’est juste, des actions sont menées au niveau cantonal, par exemple Innovaud dans le Canton de Vaud. D’excellentes initiatives. Mais rien n’est entrepris au niveau fédéral, et nous sommes à mille lieues des moyens massifs mis en place par l’Etat israélien. J’insiste: de toutes celles que j’évoque dans la chronique, aucune des mesures prises par Israël ne le sont en Suisse. Aucune. Faut-il être surpris du décalage en matière de résultats?
      La question est simple: voulons-nous que la Suisse devienne un écosystème à start-up? Si oui, prenons les mesures qui marchent, et surtout celles qui ont marché dans un pays de la même taille que la Suisse. Ou prenons-en juste une ou deux… au moins….

      1. Vous n’êtes pas “Genevois” et , par votre blog, vous vous exprimez à la manière genevoise c’est-à-dire en écrivant ce que vous pensez !!!
        Et pourtant c’est très “Genevois” … :-)))

  6. Je suis rassuré qu’il existe des personnes
    comme vous qui dépensent autant d’énergie pour pousser la Suisse à améliorer sans cesse son système d’innovation et les conditions cadres de ses start-up. Toutefois, ne peignez pas le diable sur la muraille SVP. Je pense que la Suisse fait besucoup pour attirer des startups ou favoriser leur création dans certains domaines d’activité à l’instar de la « blockchain ». Plus de 500 entreprises actives dans ce secteur se sont ainsi établies où se sont créées en Suisse ces dernières années, tout en se finançant à travers des « ICO ». Je ne pense pas qu’un autre pays ait connu de si bons résultats dans ce domaine proportionnellement à son nombre d’habitants.

    Cordialement

    N.M.

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