Étude sur les effets d’un programme d’entraînement à la méditation de type « pleine conscience » auprès d’enseignant.e.s en Suisse romande

La méditation de type MBSR signifie Mindfulness-Based Stress reduction – en français réduction du stress par la pleine conscience. L’essor que connait la pleine conscience aujourd’hui dans le monde prend naissance dans ce programme créé en 1979 par Jon Kabat-Zinn. Depuis de nombreuses années, j’ai le privilège de proposer le programme de pleine conscience MBSR à des enseignant.e.s de Suisse romande. Certaines interventions ont donné lieu à une recherche publiée en 2020 portant sur les effets du programme MBSR.

J’ai posé quelques questions aux chercheurs-euses au sujet des résultats de l’étude. Il s’agit de :

Dr. Philippe Gay, professeur associé dans les domaines reliés aux sciences affectives et cognitives en lien avec enseigner/apprendre à la HEP

Dr. Katia Lehraus, docteure en sciences de l’éducation et chargée d’enseignement à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Genève

Dr. Sébastien Urben, psychologue, responsable de secteur de recherche au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois

Linda McCarthy, master en psychologie générale et pédagogique, psychologue-psychothérapeute FSP dans un cabinet privé à Sion

Quel était le but de cette étude ?

Rapporter des premiers résultats en Suisse romande sur le vécu, les ressentis des enseignant.e.s qui ont suivi le programme MBSR.

  • Quels résultats avez-vous obtenus ?

Les enseignant.e.s rapportent de nombreux bénéfices pour eux-mêmes, mais également pour leurs élèves.

Plus spécifiquement, les résultats indiquent une satisfaction très élevée par rapport au programme MBSR ainsi que divers bénéfices subjectifs (p. ex., meilleure régulation émotionnelle et meilleure gestion du stress). De plus, les bénéfices ressentis sont également décrits pour les élèves (p. ex., atmosphère plus positive en classe) ainsi que pour l’établissement (p. ex., plus de bienveillance et relations de meilleure qualité avec les collègues).

À la lumière des résultats obtenus, pourquoi pourrait-il être pertinent pour les enseignant.e.s de suivre le programme MBSR ?

Les programmes MBSR sont reconnus pour diminuer le niveau stress et améliorer le bien-être individuel ; c’est encore plus important pour les enseignant.e.s qui ont un travail éprouvant, qui peut être empreint d’émotions fortes. Par ailleurs, le stress étant contagieux, tout comme le bien-être, un.e enseignant.e peut avoir un impact positif sur le climat en classe, ce qui permet de faciliter l’apprentissage.

  • Selon les résultats de votre étude, le MBSR a un impact sur la stabilité émotionnelle et psychologique des enseignant.e.s. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Cette amélioration peut être en partie expliquée par le développement de ressources attentionnelles et de régulation des émotions que ce type de programme permet de développer. En effet, les stratégies de gestion des émotions semblent plus fonctionnelles après la participation à un programme MBSR. En particulier, les enseignant.e.s peuvent développer des stratégies cognitives de régulation des émotions (p.ex., se focaliser sur les éléments positifs et non pas ruminer le négatif, remettre en perspective ou accepter), mais également des stratégies plus comportementales (p.ex., mieux respirer, se relaxer musculairement).

Ainsi, l’entrainement de la capacité à porter notre attention sur l’instant présent tel qu’il est peut avoir pour effet le développement de ces stratégies, même si ce n’est pas le but premier du programme MBSR.

  • Comment expliquez-vous que la participation des enseignant.e.s au programme MBSR ait un impact sur les enfants ?

Il convient de préciser que dans notre étude, ce sont les enseignant.e.s qui rapportent ressentir un impact positif sur leurs élèves. Il faudra confirmer ces résultats par des évaluations plus directes et plus objectives auprès des élèves. Cela étant, il est évident que les émotions désagréables de l’enseignant.e peuvent parasiter les apprentissages des élèves (p.ex., le stress ou la colère qui vont diminuer les ressources cognitives – attention, mémoire – nécessaires pour bien apprendre). Au contraire, des émotions agréables comme la joie ou l’enthousiasme de l’enseignant.e contribuent à l’intérêt des élèves et améliorent les apprentissages ainsi que le climat en classe.

 

 

Quelle suite donner à cette étude ?

Cette première étude était rétrospective, c’est-à-dire qu’elle consiste en une seule évaluation après le programme MBSR, la prochaine étude devra réaliser plusieurs temps de mesure (notamment avant et après l’intervention) et comparer ces résultats avec un groupe de contrôle. Par ailleurs, au-delà des mesures subjectives, des mesures objectives devraient être réalisées. Par exemple, des mesures physiologiques (p.ex., voir si le taux de cortisol – hormone de stress – diminue ou si la variabilité de la fréquence cardiaque – indicateur de la régulation de nos émotions, pensées et comportements – augmente après la participation au programme) pourraient contribuer à mieux appréhender les mécanismes permettant de comprendre les améliorations observées. De plus, nous pourrions récolter des informations auprès des élèves ou des directeurs d’écoles pour avoir une évaluation par des tiers des bénéfices d’un programme MBSR.

  • Dans votre article de recherche, vous faites référence à une enquête menée auprès de 5’500 enseignant.e.s de Suisse romande1. Celle-ci avait révélé que plus de 40 % d’entre eux avaient obtenu un score de burn-out élevé et que plus de 2/3 d’entre eux avaient l’impression de devoir « tenir le coup ». Est-ce que le programme MBSR pourrait être une option pour mieux gérer ce stress ?

Évidemment, le programme MBSR est un moyen de prévention efficace pour le burn-out puisque ce syndrome est particulièrement lié au stress. Plusieurs études portant sur des enseignant.e.s et professionnels de la santé ont en effet mis en lumière que la probabilité de présenter un burn-out diminuait significativement après un entrainement de pleine conscience (Luken & Sammons, 2016)2.

  • Quelles sont les limitations de ce genre d’approches ?

Le temps qu’il est nécessaire d’investir pour apprendre cette technique peut être un frein. En outre, pour maintenir les bénéfices, il faut pouvoir pratiquer régulièrement.

  • Selon les résultats de votre étude, en quoi est-ce que l’entrainement de la pleine conscience a un impact sur la gestion de la colère et de l’impulsivité ?

Comme pour le stress, les stratégies de gestion de ses pensées, émotions et comportements s’améliorent suite au programme, du point de vue subjectif des enseignant.e.s ayant participé aux «  entrainements » MBSR.  De plus, en diminuant le stress, ce programme va également réduire le nombre d’opportunités de se mettre en colère ou de réagir impulsivement en offrant la possibilité d’apprendre à prendre de la distance avec ses pensées et ses émotions et ainsi mieux les contrôler.

Un programme intensif et prometteur

Il est bien clair que pour que ce genre de programmes soient efficaces, il est important de proposer des interventions de pleine conscience de qualité. Hélas, nous le voyons, de nombreuses personnes confondent encore la pleine conscience avec d’autres méthodes comme la sophrologie, la PNL, l’hypnose, etc. Si ces interventions ont leur propre valeur et efficacité, il est bien clair qu’elles ne doivent pas être confondues avec la pleine conscience. On ne peut pas généraliser les bénéfices mis en lumière par des études sur la pleine conscience à d’autres interventions.

Un autre élément important est que ce genre d’approche ne peut pas être imposé aux enseignant.e.s. Comme spécifié dans l’étude, le programme MBSR implique un investissement important en termes de temps (il s’agit en effet de 8 sessions de 2h30 par semaine plus une journée entière et 40 minutes de pratique à domicile cinq jours sur sept).

Si tous ces éléments sont réunis, il s’avère que ce genre d’interventions sont très prometteuses, tant pour la gestion du stress et des émotions des enseignant.e.s que pour l’atmosphère en classe qui devient ainsi plus propice à l’apprentissage.

 

Gay, P., Dini, F., Lehraus, K., McCarthy, L. et Urben, S. (2020). Programme Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) auprès d’enseignants de primaire : Résultats d’une enquête de satisfaction et bénéfices subjectifs ressentis. Formation et profession, 28(3), 36-48. http://dx.doi.org/10.18162/fp.2020.555

 

 

Références :

  1. Studer, R. et Quarroz, S. (2017). Enquête sur la santé des enseignants romands. Epalinges: Institut universitaire romand de Santé au Travail (IST).
  2. Luken, M. et Sammons, A. (2016). Systematic Review of Mindfulness Practice for Reducing Job Burnout. American Journal of Occupational Therapy, 70(2).

 

Fabrice Dini

Fabrice Dini est cofondateur de deux écoles et l’auteur d’un ouvrage préfacé par Matthieu Ricard "Une éducation intégrale pour grandir en s'épanouissant". Il intervient dans de nombreuses écoles et entreprises en Suisse romande. Fabrice s’est formé au CFM de l’Université du Massachusetts et enseigne la pleine conscience, la gestion du stress et l'éducation intégrale.

Une réponse à “Étude sur les effets d’un programme d’entraînement à la méditation de type « pleine conscience » auprès d’enseignant.e.s en Suisse romande

  1. Cher Le Temps,
    Merci de mettre fin au pseudonymat.

    Nous avons la chance de pouvoir lire une personne exceptionnelle, mais celle-ci va se décourager avec le flot de commentaires non signés.

    De mon côté, je trouve indigeste de lire des commentaires non signés par le nom de leur auteur !

    Suivez l’exemple de 20minutes, mettez-vous fin au règne des trolls.

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