Une juriste devenue pionnière de l’éducation en Suisse romande

Mical Vuataz Staquet, juriste confortablement installée à un poste de collaboratrice scientifique dans un tribunal genevois a osé tout quitter pour créer un projet pédagogique innovant dans le canton de Vaud, le centre FEEL. Après trois ans, les résultats sont exceptionnels.

De l’enfer au paradis

Sur les quatre-vingts enfants présents actuellement au centre FEEL, certains d’entre eux, comme nous le confie Mical, ont passé de l’enfer au paradis. En effet, plusieurs d’entre eux étaient des enfants « difficiles » dont la situation était désespérée. Dans le système public, ils bénéficiaient d’un « suivi en réseau » qui remplissait leur quotidien de rendez-vous avec des pédopsychiatres, un suivi en institution spécialisée, des séances avec des logopédistes, une rencontre par semaine avec un psychologue, un suivi avec un enseignant spécialisé… Certains de ces enfants ne mangeaient pour ainsi dire plus, souffrant d’insomnie, de problèmes de concentration et de socialisation. Toute cette organisation épuisant tour à tour les enseignants, directeurs, grands-parents, certains des parents s’effondrant même dans la dépression, le burnout…. Tout un écosystème sombrant dans l’épuisement et le désespoir.

Quelques mois plus tard, vous pouvez rencontrer ces mêmes enfants au centre FEEL. Ils ont retrouvé la joie de vivre, la confiance en eux, ils ont à nouveau des contacts sociaux harmonieux. Ils peuvent ainsi à nouveau apprendre, à leur rythme…

J’ai demandé à Mical : quel est le secret de FEEL ?

C’est que la structure répond aux nouveaux besoins d’un nombre croissant de familles d’aujourd’hui.

En quelques mots, qu’est-ce que le centre FEEL ?

Le centre Faire l’Ecole En Liberté (FEEL) est un centre de rencontre et d’échange de 550m2 pour les familles qui pratiquent l’école à la maison. Aujourd’hui, c’est plus de quatre-vingts enfants qui s’épanouissent au centre FEEL. J’ai lancé ce projet parce que les parents qui souhaitaient élever leurs enfants en dehors d’un établissement scolaire public ou privé ne disposaient d’aucun lieu-ressource les aidant dans leur mission.

J’ai souhaité offrir aux enfants :

–      un lieu qui leur donne accès à des relations sociales riches, intergénérationnelles, fondées sur la vie communautaire, les liens collaboratifs, la coopération et la solidarité.

–      un lieu qui donne à leurs parents (et grands-parents) un accès à des ressources matérielles et communautaires qui leur procure l’envie et des moyens de les élever eux-mêmes et de les accompagner dans leur développement.

Les adhérents sont les familles et les enfants y viennent accompagnés d’un adulte (parent, grand-parent, oncle, gardien, etc).

Quel est le profil des parents intéressés ?

Les parents intéressés sont ceux qui ont décidé de prendre en charge la responsabilité de l’éducation et de l’instruction de leurs enfants. Ce sont souvent des personnes qui ont eu, à un moment donné, le fort désir de se dégager d’un mode de vie qui leur donnait l’illusion de la réussite avec le sentiment intérieur de ne pas être  heureux, et qui ont changé l’ordre de leurs priorités, en plaçant la réussite professionnelle et la réussite matérielle après des valeurs devenues plus fondamentales pour eux : passer du temps avec leurs enfants, retrouver de la liberté et de la mobilité, du temps pour créer leur vie et s’intérioriser davantage, donner de soi aux autres et s’engager dans des projets non rémunérateurs, avoir le temps de se cultiver, de lire, de construire des liens sociaux riches et profonds, etc.

Avez-vous dû faire des sacrifices pour créer FEEL ?

Oui, nous avons donné au projet toutes nos économies et avons choisi de renoncer momentanément à un logement ordinaire en optant pour l’achat d’une caravane et une vie nomade, le temps nécessaire pour absorber les déficits de FEEL et permettre à la structure de trouver un équilibre financier. Ce résultat a été récemment atteint, après deux ans et demi d’activité. Le centre se porte désormais tout seul, sans subventions, avec une cotisation de 200.- par mois par famille. Quant à nous, nous avons pris goût à cette vie dans la légèreté… !

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer dans une telle aventure ? 

Je pense que pour mener à bien un tel projet, il faut d’abord s’assurer que celui-ci est désintéressé et répond à un réel besoin. Quand on a obtenu cette assurance très profondément, il faut se mettre à l’ouvrage, courageusement, dans la confiance que les questions qui se poseront trouveront une réponse en temps utile et que la loyauté de notre engagement nous donnera toute la force et les ressources nécessaires pour faire face aux difficultés. Garder à l’esprit que rien ne résiste au travail, ne pas s’attribuer les fruits de nos actes, qui ne sont que des dons que la vie nous fait, prendre chaque difficulté comme un défi intéressant dont l’issue ne nous appartient pas, ne pas faire une affaire personnelle des réactions agressives ou inappropriées des gens autour de nous, qui ont le droit d’être aussi imparfaits que nous le sommes, aimer inconditionnellement chaque personne qui croise notre chemin, être tendre avec soi comme avec les autres et ne pas perdre de vue que la joie est le but ; voici quelques conseils qui me paraissent utiles.

Quelles sont les qualités nécessaires pour mener à bien les challenges d’un tel projet ?

Il faut de la conviction, du courage, savoir se remettre en question et ne pas craindre de changer de cap quand cela est nécessaire. Il faut aussi être doué d’un sens de l’abnégation. L’abnégation n’est pas se nier soi-même ; c’est un exercice qui permet de détruire l’égoïsme et de libérer la joie de vivre qui dort en nous.

Une anecdote à raconter par rapport à ce projet ?

Un jour, un petit garçon de 9 ans et une petite fille de 7 ans, tous deux membres de FEEL, se sont rendus dans la salle de spectacle pour y jouer. Ne les voyant pas revenir, je suis allée voir ce qui se passait ; ils étaient entrain de danser comme deux papillons tournant autour d’une fleur, concentrés dans leur jeu esthétique, sans  parler. Ce bal en silence a duré près d’une heure. C’était de toute beauté

Le site internet de FEEL : www.feel-vaud.ch

Fabrice Dini

Fabrice Dini est cofondateur de deux écoles et l’auteur d’un ouvrage préfacé par Matthieu Ricard "Une éducation intégrale pour grandir en s'épanouissant". Il intervient dans de nombreuses écoles et entreprises en Suisse romande. Fabrice s’est formé au CFM de l’Université du Massachusetts et enseigne la pleine conscience, la gestion du stress et l'éducation intégrale.