J’ai la chance de faire partie d’un projet qui vise à développer la Maison des Innovations Sociales et des Solidarités (MISS) à Nyon. Ce projet devrait permettre d’incuber, et d’accélérer, des projets innovants. Cette maison abritera un pôle événementiel, une place de village, des espaces partagés et des commerces valorisant l’économie solidaire et sociale, ainsi qu’un bâtiment de logements pour des acteurs de l’innovation sociale. Elle ouvrira ses portes en 2027.
Tout part d’une fondation, la Fondation Esp’Asse (1), créée en 2000 pour racheter une friche industrielle pratiquement au cœur de Nyon. Une association active dans l’insertion des jeunes en rupture y est hébergée, ainsi que 50 locataires, artistes, associations, indépendants ou entités qui sont en lien avec la précarité – soit qui la vivent soit qui aident celles et ceux qui en souffrent.
La Fondation Esp’Asse, sans but lucratif, et forte de droits à bâtir, a approché la commune de Nyon et les HES-SO pour y concevoir et bâtir une « maison des innovations sociales et des solidarités ». Après une démarche collaborative qui a mêlé une centaine de participants de tous horizons (bénéficiaires de prestations sociales sur site, professeurs d’université, architectes, locataires d’Esp’Asse, spécialistes des questions environnementales ou sociales venant de Nyon comme d’ailleurs), des lignes directrices de cette MISS ont été dessinées. On y trouvera des commerces solidaires et un restaurant, ainsi que des salles collectives de travail pour des chercheurs du monde académique ou des associations d’entraide, pour des bénéficiaires de mesures d’insertion ou d’assistance, des entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, ou encore pour des seniors qui transmettront leurs savoirs à des étudiants et autres bénévoles d’associations.
Un concours architectural
Après cette démarche collaborative d’un genre nouveau appuyée par Innosuisse, le processus d’innovation va continuer sous la forme d’un concours architectural qui devra prendre en compte, dans la conception du bâtiment et de ses alentours, les besoins des potentiels locataires et les principes de l’économie circulaire et des réemplois, donc l’ADN de la Fondation. Cette inclusion à flux tendus des besoins et des ressources disponibles implique une planification architecturale toute autre que celles en cours dans notre pays. Une méthodologie de travail, plutôt que le dessin fini de l’édifice, va donc être demandée à un pool de mandataires, choisi donc sur la base d’un concours. Avec cette conception architecturale novatrice, la Fondation vise une construction qui soit la plus exemplaire possible du point de vue des ressources, de l’adaptation aux lieux et de des inclusions sociales et géographiques.
Ensuite, il s’agira de créer une dynamique d’innovation sociale continue, qui se régénère, essaime, et se nourrit de son propre écosystème… Ceci se fera par une gouvernance à inventer et par des liens à consolider ou à créer avec le tissu local, mais aussi romand. Vaste programme qui laisse entrevoir des projets autant dans les domaines énergétiques que culturels, architecturaux qu’économiques, environnementaux que sociaux.
L’innovation sociale, qu’est-ce ?
Cet exemple concret illustre bien l’importance que prend, ou reprend, l’innovation sociale. Mais qu’est-ce que ces deux mots signifient ? Ils résument l’action de faire émerger de nouvelles solutions aux défis environnementaux, sociaux et économiques actuels et futurs, par la mise en liens – créés selon une infinité de moyens – de personnes les plus variées et diverses qui, ensemble, vont inventer, expérimenter, créer et développer des projets.
Le Supplément 2050 publié par Le Temps le 14 avril 2023 classe la population suisse en 6 tribus majeures quant à leur rapport au dérèglement climatique, leur credo et actions y relatives. Entre les techno-optimistes, les écologistes, les apocalyptiques, les nostalgiques, les urbanophiles et les globalistes, décrits par la NZZ/Le Temps, il manque selon moi tout le pan de celles et ceux qui travaillent, précisément, à l’innovation sociale.
Il arrive qu’une discussion entre amis, voisins, connaissances, une conférence, une rencontre née du hasard donne naissance à de bonnes idées, ou même nous amène à prendre des décisions importantes. L’intelligence collective, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est accélératrice de projets ou testeuse d’idées ; elle n’a pas son pareil, en particulier technologique, car elle prend en compte notre humanité. Elle est à son optimum quand les personnes qui échangent viennent d’horizons différents (compétences, âges, sensibilités politiques, genres, milieux sociaux, formations, etc.).
Avec notre société vouée à l’économie de marché qui a poussé tout un chacun vers des spécialisations, des fonctionnements en silo et l’individualisme, ces rencontres-réflexions et entreprises faites d’interlocuteurs et partenaires les plus divers sont devenues rares. Les transversalités entre thématiques sont, de fait, souvent oubliées : la tendance est de traiter un problème pour soi, oubliant que tout est fait d’équilibres précaires et qu’une vision holistique est nécessaire. Le monde politique lui-même, pressé par le système de brèves législatures, le besoin d’être réélu et l’impatience humaine, a aussi tendance à proposer des solutions à courte vue. Le long terme et la complexité ne sont plus les bienvenus dans notre époque du « tout, tout de suite » et de la communication réduite à des slogans ou à un minimum de caractères graphiques.
De fait, l’innovation sociale a toujours existé, puisqu’elle consiste à faire réfléchir en commun des humains dans l’intérêt général. Ce thème prend maintenant de l’importance car on semble redécouvrir cette nécessité de penser plus globalement aux problèmes de notre société, non seulement multiples, souvent liés entre eux, mais aussi sans solution simple ni rapide. Les hautes écoles, les fondations philanthropes et les agences d’innovation étatiques se montent intéressés à se réapproprier le sujet et ouvrent qui un cours interdisciplinaire, qui un certificat ou un master, créent des postes de spécialistes ou apportent des soutiens financiers. Mais en sus de ces acteurs clés, la société civile est aussi protagoniste dans ce créneau ; et avec écoles, organisations philanthropiques, entreprises versées vers l’économie circulaire et la durabilité, elle peut contribuer à créer et porter des projets qui vont nous aider à faire face aux défis de demain.
Dernier article, mais la réflexion continue !
Ce papier constitue le point final de mes interventions dans les blogs du Temps. Ces dernières années, j’ai voulu porter un regard différent sur l’actualité, poser des réflexions et agir, à mon niveau, à des projets à impact social, environnemental et économique. A mon sens, l’innovation sociale est un chemin sûr à suivre, de même que, plus spécifiquement, le projet de la Maison des Innovations sociales et des solidarités : la société change en continu, de même que ses besoins ; l’adaptabilité et la souplesse sont donc les qualités essentielles de notre monde… Retrouvons-nous sur mon site, celui de la Fondation Esp’Asse, via des newsletters ou autres contacts et conférences pour suivre nos avancées vers un 2050 plus serein que ce début des années 2020. Au plaisir de futurs contacts.
(1) Fondation Esp’Asse (du nom de la rivière) à Nyon, www.espasse.ch