A la veille du 8 mars, journée internationale des femmes, on voit que la proportion de femmes dans les conseils d’administration est misérable. Chez nos voisins, seuls les pays qui ont légiféré en la matière, avec sanctions à la clef, ont réussi à atteindre la parité. La loi suisse doit donc être beaucoup plus contraignante.
Quel beau résultat statistique… Dans les 100 plus grandes entreprises de Suisse, la proportion de femmes dans les directions est passée de 6% en 2016 à 8% en 2017 ! Les femmes dans les fonctions dirigeantes de haut niveau à la Confédération et dans les cantons sont un peu mieux loties : elles représentent 14% des cadres supérieurs. Dans les conseils d’administration des entreprises suisses, leur représentation a progressé de 16 à 18% durant le même laps de temps. Le tout soudain 8 mars, journée internationale des droits des femmes et le prochain 14 juin 2019, jour de grève nationale des femmes, arrivent à pic pour nous rappeler ces chiffres, que je trouve désastreux. Pour comparaison, 20,4% des sièges des conseils d’administration des plus grandes entreprises mondiales sont occupés par des femmes en 2018. La France est championne en la matière avec 42 % des femmes en leur sein. La Belgique, la France, l’Allemagne, la Suède et l’Italie comptent en moyenne quatre femmes ou plus par conseil d’administration.
Cooptation et manque d’ouverture
La cooptation dans les organes décisionnels résulte beaucoup de la tendance des chasseurs de tête à recruter dans leurs réseaux de toujours ; les responsables des entreprises aussi. On continue ainsi à tourner dans les mêmes cercles, alors que justement la diversité de parcours, la souplesse, la différence d’expériences et de liens avec la société seront de véritables valeurs ajoutées pour l’entreprise.
Un autre frein puissant à l’engagement de femmes dans les fonctions dirigeantes, de mon constat personnel, est le manque d’ouverture des « recruteurs », des directions et des conseils d’administration à des cheminements de carrière différents, comportant d’éventuels changements de cap, arrêts ou spécialisations inhabituelles. En effet, les femmes, de par leur parcours de vie, de mère, avancent dans leur vie professionnelle différemment que les hommes, ne collant ainsi pas à l’image conventionnelle et historique du manager (« think manager-think male ») ou à du chemin de carrière suivi du « recruteur » (biais de la reproduction de l’image de soi).
Diversité et résultats
La représentation des femmes dans le monde de l’économie est un domaine dont on parle peu, mais ô combien important. Les hautes directions des entreprises influencent évidemment leur stratégie. Elles ont par là même aussi un impact qui les dépasse, sur la politique, l’économie globale, l’environnement. La composition des hautes directions est donc cruciale : les femmes doivent y être présentes, et en nombre suffisant, pour pouvoir peser sur les décisions qui touchent notre société… composée pour moitié de femmes.
Les femmes à la haute direction d’une entreprise apportent leurs compétences, mais pas seulement. Leur expérience et leur sensibilité sont parfois différentes. De plus, une entreprise qui atteint la parité à sa tête améliore son image. Ces compagnies seront aussi plus à l’écoute de leurs clientes. Enfin, la présence de femmes dans les fonctions dirigeantes d’entreprises améliore leur rentabilité (les organisations où les femmes sont représentées dans le management et les organes stratégiques réalisent de meilleurs résultats en moyenne pluriannuelle) .
La corrélation entre la présence des femmes dans les sphères dirigeantes et la rentabilité est controversée, de même que ses raisons. Les statistiques sont cependant claires; et les résultats de ces études sont stables dans le temps.
Expérience faite, la parité dans les conseils d’administration, les municipalités, les conseils de fondation ou autres comités d’association permet de prendre de meilleures décisions. Elle permet en effet de prévoir un maximum de cas de figure, de prévenir et d’anticiper des risques, de faire des arbitrages plus complets, grâce à la variété des profils et des sensibilités des membres qui les composent.
Personnellement, j’ai toujours constaté que des interventions de bon sens, pratiques, de quelqu’un ou quelqu’une qui a à la fois distance et intérêt pour le sujet traité, qui a un autre angle d’approche, apporte une richesse au débat. L’ouverture à des problématiques, à des solutions et stratégies, sans cette diversité de sensibilité et ces questions différentes, auraient été oubliées, négligées ou reportées…
Aucune femme n’est alibi
Si tous (Conseil fédéral, OCDE, economiesuisse,…) s’accordent aujourd’hui pour dire que cette complémentarité est bénéfique, on constate qu’à l’heure de l’appliquer, les obstacles sont nombreux. L’argument de la femme alibi ou du manque de compétence revient encore et toujours.
Or, il n’y a pas ou plus de femmes alibi ou de compétences féminines manquantes: le vivier de candidates appropriées est riche, aidé en cela par diverses banques de données de femmes disposées et aptes à assumer des tâches de direction et des postes à responsabilité. Pourquoi donc se priver des talents de 51% de la population ? A noter aussi le nombre plus que proportionnel d’étudiantes diplômées des hautes écoles: elles sont toutes désignées pour devenir cadres, monter les échelons, et plus généralement être qualifiées pour accéder aux organes de direction et aux postes stratégiques de l’économie.
Il faut légiférer plus clairement
Mais comment faire alors pour augmenter cette représentation et dépasser ces écueils? Force est de constater que des progrès dans la représentativité des femmes n’ont été notables que quand des pays ont pris des mesures actives pour favoriser la promotion des femmes dans l’économie, avec sanctions à la clé, ou incitations négatives (par exemple dans le cadre de l’octroi de subventions et de l’attribution de marchés publics). Certains secteurs de l’économie reçoivent des aides étatiques, il est donc assez normal de leur demander de contribuer à la réalisation des principes constitutionnels d’égalité et d’équité de traitement! Les pouvoirs publics eux-mêmes doivent d’ailleurs montrer l’exemple : à noter le volontarisme politique du Canton de Vaud qui a fait passer de 26% en 2013 à 30% en 2016 la proportion de femmes dans les nominations de l’Etat dans les conseils d’administration où il a des représentants . Quand on veut, on peut…
Pour sa part, le Conseil fédéral se contente de fixer un seuil global de 30% de femmes au sein des conseils d’administration et de 20% pour les entreprises cotées en bourse. Il ne prévoit pas de sanctions, juste une explication et des mesures correctives si les objectifs ne sont pas atteints. A la réception de cette modification de la loi, les faîtières de l’économie suisse ont crié à l’entrave à la liberté économique. On peut donc douter que des progrès significatifs soient prochainement réalisés.
En bref
Je suis convaincue qu’il faut légiférer plus clairement, comme l’Espagne vient de le faire en visant la parité dans les conseils d’administration dès 2023. Il faut notamment fixer des objectifs, par étapes, des délais et poser des incitations, mais aussi des sanctions. Il est capital de prévoir des mesures d’accompagnement, accessibles et connues, telles que des banques de données ou des offres de formation continue. Ainsi, naturellement, une démarche plus volontariste de la part des entreprises pour le recrutement des femmes (appels à candidatures ciblés, interdiction de l’élimination précoce des candidatures féminines, etc.) se généralisera.
Les quotas ont montré leur efficacité comme catalyseurs. S’ils sont prévus comme transitoires, ils peuvent vraiment faire la différence pour changer la culture d’entreprise. Ceci a été démontré en politique. Ce n’est pas incompatible avec le talent et les compétences, qui sont également distribués entre les femmes et les hommes. Il faut en effet une vraie volonté politique, et entrepreneuriale, pour surpasser ces biais du recrutement des membres des fonctions dirigeantes, où la tendance est de coopter qui nous ressemble, en l’occurrence des hommes. Au vu de nos statistiques, les Suisses doivent accélérer le mouvement, et pas qu’un peu.
Oui, on aurait souhaité plus de cooptation, de concertation ou de consensus!
Mais peut-être avez-vous raison, c’est l’unique solution?