En Biélorussie, les migrants ne sont pas les seuls coincés…

« La frontière polonaise n’est pas seulement une ligne sur une carte. La frontière est sacrée – le sang polonais a été versé pour elle ». Cette phrase du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki[1] illustre le guêpier dans lequel le rusé président biélorusse vient de faire tomber l’Union européenne en laissant transiter par son pays des milliers de migrants.

Accuser M. Loukachenko de violer le droit international comme le fait l’UE est justifié puisqu’il instrumentalise scandaleusement la détresse. Mais ce même droit international est encore plus directement violé en cas de refoulement aux frontières de personnes qui pourraient avoir des motifs d’asile valables. Les pratiques de refoulement polonaise et lituanienne sont à cet égard pour le moins sujettes à caution. Selon les autorités polonaises, des milliers de migrants ont ainsi été bloqués lundi au poste de Kuznica.

Si l’UE et l’OTAN affirment sans ambages leur soutien à la Pologne et à la Lituanie, l’Organisation internationale des migrations et le HCR marchent sur des œufs dans leur communiqué commun et rappellent la nécessité « d’identifier les personnes ayant besoin de protection et celles qui souhaitent demander l’asile ».

C’est bien l’absence d’une politique d’asile cohérente qui est au cœur de cette crise : d’un côté les pays de l’UE accordent assez largement des permis de séjour humanitaires aux personnes qui parviennent en Europe en franchissant la frontière illégalement et font peu d’efforts pour l’exécution des renvois ou la mise en place de formes alternatives de protection hors d’Europe. D’un autre côté, de discrets refoulements aux frontières sont documentés tout autour de l’UE et aucunes modalités de protection ou d’assistance ne sont ouvertes aux personnes qui ne peuvent bénéficier des services de passeurs peu scrupuleux (dont le dernier en date est le président biélorusse).

La rhétorique guerrière adoptée par l’UE (qui stigmatise 20 pays pour avoir organisé des transferts de migrants vers la Biélorussie) peut évidemment se comprendre par le sentiment d’être pris au piège, mais une réflexion de fond s’impose sur les modalités de l’asile et sur l’asymétrie vertigineuse des droits entre une personne ayant réussi à mettre le pied à l’intérieur de l’UE et une personne bloquée ailleurs dans le monde…

Faute d’un tel aggiornamento, les dictateurs des pays limitrophes de l’Europe continueront à tenir par le manche un couteau redoutable.

[1] Rapportée par RTS – info. du 9.11.21

IMAGE: Une clôture à la frontière entre Pologne et Biélorussie en août 2021. — © Kacper Pempel/REUTERS Source : LE TEMPS 

Ce thème est traité dans FORUM RTS du 20.11.2021

Etienne Piguet

Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet s'exprime à titre personnel sur ce blog.

9 réponses à “En Biélorussie, les migrants ne sont pas les seuls coincés…

  1. Par objectivité, je vous invite à lire l’arrêt phare de la CEDH sur le sujet. 😅

    http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-201354

    231.  À la lumière de ces éléments, la Cour estime que ce sont les requérants qui se sont eux-mêmes mis en danger en participant à l’assaut donné aux clôtures frontalières à Melilla, le 13 août 2014, en profitant de l’effet de masse et en recourant à la force. Ils n’ont pas utilisé les voies légales existantes pour accéder de manière régulière au territoire espagnol conformément aux dispositions du code frontières Schengen relatives au franchissement des frontières extérieures de l’espace Schengen (paragraphe 45 ci-dessus). Dès lors, au regard de sa jurisprudence constante, la Cour estime que l’absence de décision individuelle d’éloignement peut être imputée au fait que, à supposer effectivement qu’ils aient voulu faire valoir des droits tirés de la Convention, les requérants n’ont pas utilisé les procédures d’entrée officielles existant à cet effet, et qu’elle est donc la conséquence de leur propre comportement (voir les références au paragraphe 200 ci-dessus). Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 4.

    2.  Appréciation de la Cour

    240.  L’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne permettant d’examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir un redressement approprié.

    241.  Pour autant que les requérants se plaignent de l’absence d’un recours effectif qui leur aurait permis de contester leur expulsion en arguant de son caractère collectif, la Cour note que le droit espagnol prévoyait certes une possibilité de recours contre les arrêtés d’éloignement à la frontière (paragraphes 32 et suiv. ci-dessus), mais qu’il fallait encore que les requérants respectent eux-mêmes les règles pour la présentation d’un tel recours contre leur éloignement.

    242.  Comme elle l’a déjà indiqué précédemment dans son examen du grief relatif à l’article 4 du Protocole no 4 (paragraphe 231 ci‑dessus), la Cour estime que les requérants se sont mis eux-mêmes dans une situation d’illégalité lorsqu’ils ont délibérément tenté, le 13 août 2014, d’entrer en Espagne en franchissant le dispositif de protection de la frontière de Melilla à des endroits non autorisés et au sein d’un groupe nombreux. Ils ont dès lors décidé de ne pas utiliser les voies légales existantes qui permettaient d’accéder de manière régulière au territoire espagnol, méconnaissant ainsi les dispositions pertinentes du code frontières Schengen relatives au franchissement des frontières extérieures de l’espace Schengen (paragraphe 45 ci-dessus) ainsi que la législation interne en la matière. Dans la mesure où la Cour a conclu que l’absence de procédure individualisée d’éloignement était la conséquence du propre comportement des requérants, à savoir une tentative d’entrée irrégulière à Melilla (paragraphe 231 ci‑dessus), elle ne saurait tenir l’État défendeur pour responsable de l’absence à Melilla d’une voie de recours légale qui leur aurait permis de contester ledit éloignement.

    243.  Il s’ensuit que l’absence de voie de recours contre l’éloignement des requérants n’est pas en elle-même constitutive d’une violation de l’article 13 de la Convention dans la mesure où le grief tiré par les requérants des risques qu’ils pouvaient courir dans le pays de destination a été écarté dès le début de la procédure.

    244.  Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 4 du Protocole no 4.

  2. Le machiavélisme de Lukashenko aura peut-être comme avantage de mettre l’Europe au pied du mur et la pousser à avoir enfin une politique intérieure commune pour répondre à l’arrivée de migrants autrement qu’en finançant les bateaux de Frontex sur ses frontières extérieures. Ironiquement la Pologne se retrouve tout à coup dans la situation de la Grèce ou l’Italie. Espérons que cela donnera à réfléchir à ses dirigeants et à ceux des pays voisins.

  3. Cette situation démontre en pratique l’inanité des théories sur la gouvernance mondiale et le multilatéralisme, qui se prétendent au dessus du droit à l’existence des peuples et des nations. En théorie il existe une convention sur le non refoulement. Mais on s’aperçoit qu’en cas de crise elle est inapplicable. Car face à un afflux massif il est impossible de faire le tri. On est fonc obligé de fermer la frontière. CQFD.

  4. L’Europe paie lourdement les interventions occidentales au Proche-Orient et en Libye ! On a donné un coup de pied dans cette fourmilière et il ne faut s’étonner d’être piqué …
    Il faut peut-être accueillir ces réfugiés , mais ensuite les renvoyer illico dans leur pays d’origine . Pas sur que Loukachenko puisse s’amuser longtemps ainsi …
    Mme Merkel avait fait la grosse bêtise d’ouvrir les frontières grandes ouvertes , puis une deuxième en les refermant brutalement , provoquant la gabegie que l’on sait !!!
    Comme disait un certain premier ministre :” on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ” …
    C’est aussi le résultat de la surpopulation humaine , ça déborde de toute part … elle devient ingérable …

    1. “L’Europe paie lourdement les interventions occidentales au Proche-Orient et en Libye .”

      Non.
      1. La Libye a toujours organisé la migration comme arme contre l’Europe.
      2.
      Aucun citoyen libyen ne fuit.
      3.
      Les populations du Proche-Orient qui migrent sont des minorités opprimées (kurdes notamment) et qui ont vu leur niveau de vie s’améliorer grâce aux interventions occidentales. Car, oui, il faut avoir de l’argent pour prendre le chemin de l’exil vers l’Europe. Les plus pauvres s’épuisent déjà pour rejoindre la ville d’à côté..
      4.
      Les migrations existaient déjà avant 2001.

      Je vous donne un point: le sentiment de “culpabilité” des élites européennes face à ces guerres les conduisent toutefois à des distinctions ridicules dans le domaine du droit d’asile.

      Un kurde irakien qui a zéro risque de persécution sera perçu comme un migrant fuyant la guerre alors qu’un camerounais (exposé lui à des persécutions de façon quasi-systématiques) sera perçu comme un migrant économique…

      Un érythréen sera accueill alors qu’il a un asile sûr en Ethiopie; un serbe du Kosovo sera, lui, expulsé en Serbie. Un coréen du Nord sera expulsé au Sud, alors qu’un Soudanais du Nord sera accueilli, etc.

      Il y a de l’arbitraire dans l’asile, car les associations humanitaires ont des ornières idéologiques. Et le parlement élit des “juges” qui proviennent de ces associations ! et sans aucune expérience juridique dans un vrai tribunal, pas même le brevet d’avocat…

    2. Soyons clair, les migrants peuvent déposer tjrs la demande d’asile aux postes frontières de passage officiels . La plupart ne veulent pas rester en Pologne ni demander lady le en Pologne, mais disent eux-mêmes vouloir aller en Allemagne, donc la Pologne ne peut l’as les accepter . C’est simple . Par ailleurs, à l’époque communiste en tant que Polinaus j’ai été expulsé d’Allemagne vers la Belgique car mon visa de transit allemand expirait avant minuit or ke train devait quitter l’Allemagne à 1 h du matin donc ils m’ont mis dans un train qui quittait le Kay’s avant minuit et comme par hasard je ne suis retrouvé en Velgique dans un sous . C’était ça l’humanité européenne . Qui nous défendait, les réfugiés des Kay’s communistes ? On était aussi parqué dans des camps de « transition «  ! Qzelje hypocrisie …

      1. Cette exigence fait que vous aviez du travail et que les enfants des migrants de l’époque ont fait des études universitaires. Et ont une belle vie.

        L’absence d’exigences des années 1990 et après fait que les enfants des migrants récents sont nombreux à nous détester et à ne pas trouver leur place.

        Dire non, parfois, c’est aimer autrui.
        Dire oui, tout le temps, c’est mépriser autrui.

        Une politique migratoire stricte, avec des règles transparentes et appliquées, est une chance pour le bien-être du pays. Je ne m’exprimerai pas sur les effets d’une politique laxiste… et soumise à l’arbitraire de la non-exécution des règles…

  5. Quand, enfin, arrêterons-nous de subventionner ces associations ?

    https://2014.laliberte.ch/info-regionale/universite-de-fribourg/recompense-contestee-par-les-defenseurs-des-migrants-625497

    Ils sont fiers de s’en prendre à un homme qui a voué sa vie à la protection des migrants, mais en tenant compte de la loi et des obligations d’une charge dévouée à l’intérêt public (et non aux lobbies subventionnés)… leur communiqué est honteux, inqualifiable.

    A qui le tour? vous? moi? l’état de droit? la démocratie?

  6. Quand cessera cette folie meurtrière ?

    https://www.lavoixdunord.fr/1104048/article/2021-11-24/traversee-de-la-manche-au-moins-cinq-morts-au-large-de-calais

    Quand cesserons-nous cette naïveté qui fait tant de morts? Quand commencerons-nous enfin à appliquer le droit? Quand nous montrerons dissuasifs afin que ces malheureux cessent de prendre des risques insensés ?

    Le seul moyen d’éviter des morts est la certitude du renvoi. Il faut un système d’asile européen qui impose le retour des déboutés dans les 3 mois sans exception qui suivent la décision de renvoi exécutoire, avec des sanctions financières lourdes pour les Etats défaillants, à l’image de la France.

    La France doit avoir honte de ne pas appliquer les OQTF!

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