Politique migratoire

Voyages, covid, quarantaines : « Je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils nous font »

Sans la population, pas de victoire contre le virus. Tel était, à juste titre, le sens du message de la présidente de la Confédération le 17 octobre dernier. En Suisse, cette population est, pour un bon tiers, issue de la migration. L’OFSP en est bien conscient puisque pas moins de 24 langues sont utilisées pour transmettre ses directives. Mais les autorités prennent-elles la mesure de l’importance, non seulement de régenter, mais de convaincre une collectivité à multiples facettes ?

La politique de mise en quarantaine des voyageurs poursuivie depuis l’été dernier est à cet égard problématique et potentiellement contre-productive si elle cible sans raisons solides certains groupes de populations. Subir une quarantaine peut sembler anodin à un fonctionnaire (comme moi) mais c’est une catastrophe pour une indépendante, un travailleur sur appel ou un statut fragile. Le risque de perte d’emploi – et en tout cas de salaire – est rédhibitoire.

Les prémisses en avaient été donnés en plein été avec la mise à l’index du Kosovo qui avait plongé cette communauté dans le désarroi. Pour de nombreux migrants il n’est pas question ici de vacances et encore moins de tourisme. Le retour périodique au pays permet de maintenir un lien essentiel avec des proches, parfois un conjoint et des enfants.

La décision d’imposer une quarantaine de dix jours aux personnes de retour du Portugal dès le 14.12.2020 suscite ces jours une grande incompréhension dont témoignent les pétitions demandant le retrait de la mesure. Parmi les milliers de messages accompagnant les signatures, on retrouve « injustice », « manque de respect », « absence de reconnaissance », etc…  Pour nombre de Portugais, il s’agit d’une mesure égoïste : « C’est une injustice contre les émigrants portugais, parce que à mon avis, ça joue pour le bien de l’économie suisse et pas pour notre bien de vivre ! Une prison pour qui travaille tout l’année pour ça ? C’est ça la motivation qu’ils nous donnent pour continuer à travailler, gagner, payer les impôts, etc. ? ».

Il ne s’agit pas ici de nier que des quarantaines puissent s’avérer indispensables d’un point de vue épidémiologique en cas d’écarts de contamination avérés entre deux régions, mais, de ce point de vue, la justification des mesures prises à l’encontre des Portugais semble extraordinairement fragile. On peut même s’interroger sur sa légalité actuelle. Pour qu’une mise en quarantaine soit appliquée, il faut en effet que la moyenne sur 14 jours des taux de contamination au virus dans le pays ou la région considérée dépasse de 60 pour 100’000 le taux observé en Suisse. Pour le Portugal, le cas ne s’est présenté qu’à 3 reprises et avec très peu d’écarts les 27, 28 et 29 novembre (+61, +77 et +61 pour cent-mille [cercle vert sur le graphique]). Depuis lors les taux sont à nouveau plus bas au Portugal: on y risque moins la contamination qu’en restant en Suisse !

Source : European Centre for Disease Prevention and Control – An agency of the European Union

L’impression qui se dégage de la mesure prise à la veille des fêtes à l’encontre des Portugais est que les justifications épidémiologiques des quarantaines imposées aux voyageurs s’accompagnent d’une vieille défiance que la Suisse et son administration ont de la peine à surmonter vis-à-vis de migrants auxquels ont fait bien peu confiance pour respecter dans leur propre pays des mesures sanitaires qu’avec bon sens et responsabilité, ils appliquent déjà en Suisse. Elle véhicule la vieille idée selon laquelle les épidémies viennent toujours d’ailleurs, de l’autre, du dehors…

La bataille contre le virus implique des sacrifices de tous et du bon sens de chacun. Si l’administration pense sa politique en termes de “eux” et “nous” sans inclure les migrants et si les migrants, en retour ne sont « pas d’accord avec ce qu’ils… nous font », aucune politique reposant sur la solidarité collective n’atteindra son but.

 

« C’est difficile rester loin au noël de notre famille. Vous savez pas ce que c’est attendre chaque jour pour partir… vous comprend le sacrificie que nous on fait loin de notre famille et pays ? Nous on sait pas quand sera la dernière fois qu’on voit notre papa et maman…😢😢 »

 

Les textes en italique sont extraits de la pétition « Retirar Portugal da lista de quarentena obrigatória para as festas de fim de ano » signée par 11’710 personnes au 13.12.2020.

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