Accord sur la relocalisation de migrants: dissiper le flou…

Le changement de gouvernement en Italie a ouvert une fenêtre d’opportunité pour débloquer la politique d’asile en Europe. Suite à la rencontre des ministres de l’intérieur de France, d’Allemagne, d’Italie et de Malte et à la visite en Italie d’Emmanuel Macron, des déclarations encourageantes ont été faites : les États membres se répartiraient sur une base volontaire les migrants arrivés par la Méditerranée centrale. Les pays moins accueillants seraient tenus à des compensations financières. Sur le fond, ce mécanisme semble le seul à même de permettre réalistement un partage des responsabilités. Comme nous avons pu le montrer dans une simulation informatique, les déséquilibres dans l’accueil restent en effet considérables, mais il est illusoire de croire que tous les pays de l’UE soient prêts à ouvrir leurs frontières. Ouvrir le portemonnaie est un peu plus facile.

Deux ambiguïtés fondamentales demeurent cependant et risquent de faire capoter le projet.

D’une part la question de qui sera « accueilli » n’est absolument pas clarifiée. S’agit-il de toutes les personnes qui parviendront à traverser la méditerranée ? Dans ce cas, le risque de voir augmenter les tentatives de traversées périlleuses est bien réel et fournira des arguments aux partisans de la fermeture des ports. S’agit-il des seuls réfugiés au sens de la Convention de 1951 ? Mais dans ce cas – le seul qui semble réaliste – quelle autorité sera en charge de la procédure de reconnaissance de l’asile et où ? Mettre en place une vaste logistique pour déplacer des personnes à travers l’Europe si elles n’obtiennent ensuite aucun droit de séjour n’a aucun sens et sera refusé par les intéressés eux-mêmes. Les difficultés du renvoi des déboutés risquent par ailleurs de susciter des réactions de rejet au sein des population d’accueil.

D’autre part, la question de l’étendue géographique de l’accord est cruciale: à l’heure actuelle, la Grèce et l’Espagne sont plus exposées aux arrivées que l’Italie. Sans un mécanisme global de répartition des responsabilités, on voit mal qu’elles soutiennent un accord spécifique au cas italien. C’est donc tout le chantier de la politique européenne qui doit être remis sur la table après avoir été détruit en 2015 par le manque de coordination entre l’ouverture allemande généreuse mais téméraire et la réaction de fermeture de plusieurs pays de l’UE.

Soyons optimistes, l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne et la relative accalmie des arrivées de migrants pourraient donner la chance de reprendre ce chantier avant d’avoir à nouveau à agir dans l’urgence, mais on est encore très loin d’une politique d’asile commune en Europe. Prochain épisode le 8 octobre à Luxembourg lors de la rencontre des ministres des affaires étrangères.

Etienne Piguet

Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet s'exprime à titre personnel sur ce blog.

2 réponses à “Accord sur la relocalisation de migrants: dissiper le flou…

  1. “Dans ce cas, le risque de voir augmenter les tentatives de traversées périlleuses est bien réel”

    Je soutiens cet accord de répartition tant le modèle suisse m’a convaincu. Il doit cependant contenir deux points:
    – il doit être aléatoire, sous réserve de l’unité familiale. Ce serait la ruine de laisser les personnes choisir ou les concentrer par pays d’origine.
    – il doit s’ouvrir à d’autres pays du pourtour méditerranéen (l’Égypte, l’Algérie, le Maroc, la Turquie, etc) afin de rappeler l’universalité du droit d’asile. Cela n’a aucun sens que le fardeau soit porté par les seuls états européens, qui soutiennent déjà financièrement et matériellement les camps de réfugiés en Afrique.

    Donc, oui, à condition que l’accord ne soit pas trop naïf.

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