Requérants d’asile aux Verrières, le retour des « Bourbakis »

« Ne vous comportez pas comme des Bourbakis ». J’entends encore cette injonction de ma grand-mère inquiète de nos turbulents jeux d’enfants. Née en 1903, où avait-elle glané cette expression ? Je l’ignore, mais la source historique est claire : les soldats du général français Bourbaki furent accueillis en Suisse en 1871 et leur présence occasionna certaines tensions liées au comportement parfois rude de ces hommes. Le plus grave incident fut en mars les « émeutes de la Tonhalle » à Zurich : les troupes fédérales durent intervenir et l’événement se solda par cinq morts…

C’est aux Verrières – dans le Val de Travers – qu’une bonne partie des internés français passèrent la frontière et c’est aussi aux Verrières qu’est inauguré, cette semaine de 2018, le centre spécial de la Confédération destiné au séjour temporaire et disciplinaire des demandeurs d’asile « qui perturbent le bon fonctionnement des centres fédéraux ». On n’aurait pas pu choisir lieu plus propice à un rappel historique et à quelques parallèles entre asile d’hier et d’aujourd’hui.

« Jamais dans l’histoire on n’avait assisté à l’internement en pays neutre d’une armée aussi considérable et dans des conditions aussi dramatiques. ». C’est ainsi que l’historien de la Croix-Rouge François Bugnion décrit l’arrivée des soldats français encerclés par les troupes prussiennes en 1871. Ils passèrent la frontière jurassienne en plein hiver. Un épisode immortalisé par le panorama du peintre Edouard Castres désormais exposé à Lucerne. Le rapport officiel est saisissant : « Les versants du Jura, couverts de neige, à travers lesquels trois ou quatre routes, seules praticables dans cette saison, conduisaient en Suisse, offraient un étrange spectacle. De longues lignes noires serpentaient à travers la campagne et se mouvaient sans interruption comme un torrent dont les eaux se précipitent dans la vallée; des milliers de voitures coupaient, par-ci, par-là, le flot humain qui passait; point de halte, point de repos. Sans cesse poussés par derrière, traversant une contrée peu habitée et n’ayant que des ressources insignifiantes pour de si pressants besoins, les soldats descendaient dans la vallée pour rencontrer une ville ou de grands villages où ils pussent enfin trouver un moment de repos. » (…) « Un très grand nombre d’entre eux marchaient les pieds nus ou enveloppés de misérables chiffons. Leurs chaussures faites avec un cuir spongieux, mal tanné, et la plupart du temps trop étroites, n’avaient pu supporter les marches dans la neige et la boue […] aussi beaucoup de ces malheureux avaient ils les pieds gelés ou tout en sang. Les uniformes étaient en lambeaux et les soldats, s’étant appropriés tous les vêtements qu’ils avaient trouvés pour remplacer ceux qui étaient détruits, présentaient une bigarrure inimaginable. Plusieurs d’entre eux avaient encore les pantalons de toile reçus à l’entrée en campagne et grelottaient à faire pitié. ». Huitante sept mille hommes et douze mille chevaux passent par Les Verrières, Sainte-Croix, Vallorbe et la vallée de Joux puis sont répartis entre les cantons. L’internement ne durera pas et la population se montrera dans l’ensemble accueillante, mais si la majorité des internés se comportèrent de manière adéquate la presse dénonça aussi l’attitude de certains, leur incivilité et leur propension à la violence.

L’épisode des Bourbakis restera un haut fait de l’action d’assistance de la Croix-Rouge suisse nouvellement créée. Il aura aussi des conséquences sur la codification du droit de la guerre. L’internement des Bourbakis est aussi propice à relativiser les reproches parfois adressés aux demandeurs d’asile d’aujourd’hui. Tout comme les Bourbakis ce sont en majorité des hommes seuls qui ont parfois vécus des épisodes de violence. Tout comme les Bourbakis, la majorité d’entre eux se conforment aux us et coutumes suisses, même si une minorité doit parfois être rappelée à l’ordre. Puisse le centre des Verrières s’acquitter de cette tâche dans le respect des droits fondamentaux de chacun et puissent ses futurs pensionnaires comprendre qu’il leur appartient à eux aussi de contribuer par leur attitude vis-à-vis du pays hôte à conserver une tradition humanitaire tout particulièrement ancrée en ce haut lieu du Jura.

Nb. L’association “Bourbaki Les Verrières” perpétue le souvenir de l’accueil des Bourbakis

 

Die Bourbakis, Albert Anker, 1871, 95 x 151 cm, Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel

 

Etienne Piguet

Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet s'exprime à titre personnel sur ce blog.

8 réponses à “Requérants d’asile aux Verrières, le retour des « Bourbakis »

  1. Vu vos responsabilités, vous pourriez ajouter trois choses:
    1. Les 87000 soldats français ont été internés pour les empêcher de reprendre leur place dans les combats (après leur avoir évité d’être massacrés à la frontière). Alors que le centre d’hébergement est là pour ceux qui ne veulent pas, pour des motifs ne relevant ni de l’asile (donc pas de persécution) ni humanitaires (donc ils ne fuyent pas une guerre!), rentrer chez eux…

    2. L’accueil a été négocié (convention des Verrières) et a duré du 1er février au 22 mars ! On parle de la durée d’exécution des renvois?

    3. La France a payé 12,1 millions de francs (de l’époque!) pour indemniser la Suisse des frais publics de cet accueil. On parle de l’argent que verse les pays d’origine des requérants d’asile pour l’hébergement de leurs ressortissants en Suisse?

    Sincèrement, votre vision de l’asile est tellement minoritaire que cela en devient …. Par exemple, que répondez-vous au fait que depuis que l’Aquarius est à quai, il n’y a quasiment plus de morts au départ de la Libye ??
    Source:
    https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean?migrant_route%5B%5D=1376

    Face à la réalité des faits, je serais intéressé par votre expertise. Et merci de ne pas ergoter sur l’ouverture de nouvelles voies de migration, vu qu’il ne s’agit pas des mêmes personnes/filière d’origine…

  2. Votre article est consternant de sottise.

    C’est le monde des bisounours à vous lire.

    Allez demander aux allemands ce qu’ils pensent maintenant de l’accueil de presque 1 millions de réfugiés syriens….

    La Suisse c’est 25 pour cent d’étrangers dans sa population, 73 pour cent d’étrangers dans ses prisons (source 2016) et 80 pour cent d’étrangers dans les prisons romandes (2018).

    Les petits fleuves font les grandes rivières.

    1. Et Si on se contentait sur ces blogs d’avancer des arguments, plutôt que des insultes? Vous êtes libre de penser ce que vous voulez et de l’écrire, mais cela ne vous autorise pas à utiliser des propos désobligeants. Toutes les opinions doivent pouvoir librement s’exprimer, à chacun ensuite de se faire sa propre opinion; la vôtre n’est pas LA vérité et n’est pas partagée par tout le monde, contrairement à ce que vous semblez présomptueusement croire.

      1. “La Suisse c’est 25 pour cent d’étrangers dans sa population, 73 pour cent d’étrangers dans ses prisons (source 2016) et 80 pour cent d’étrangers dans les prisons romandes (2018)” —– > LA vérité.

        Libre à vous de contester LA vérité.

        1. @Kris
          Vous exposez, sans analyse critique, des chiffres probablement corrects. Mais, p. ex.:
          1. La criminalité itinérante/transfrontalière est très importante (mais leurs auteurs ne sont pas comptés dans la population étrangère);
          2. Vous mélangez détention préventive/exécution des peines;
          3. Vous ne mentionnez pas le taux de délits des Suisses (mais prenez en compte les seules statistiques pénitenciaires). Je vous invite à lire:
          https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/publiservice/publikationen/berichte.html
          4. et vous oubliez de mentionner que les Suisses commettent suffisamment de délits pour qu’une justice militaire d’exception existe pour seulement 1 ecole de recrues/1 CR par année 🙂

          Loin de moi l’idée de nier la surreprésentation de la population étrangère dans les statistiques criminelles; j’appelle toutefois à une analyse mesurée et objective. 🙂

          Et je combattrais également les divagations de celui qui dira que l’on vit dans un matricat, du fait que les hommes sont surreprésentés dans les délits et les peines (vous savez, cette vieille et stupide idée qui voudrait que la classe dominante définirait des délits pour réprimer les faibles/pauvres de la société)…

          1. Bonjour
            Bon, déjà, on part du bon pied, je vous cite, “Vous exposez[…..] des chiffres probablement corrects”.

            Si déjà vous ne contestez pas les faits, c’est un bon point.

            Ensuite, point par point.

            1 : vous dites que la criminalité itinérante/transfrontalière est importante, ce sont vos propos, pas les miens, et qu’ils ne sont pas comptabilisés dans la population étrangère.
            Ce qui viendrait donc, de fait, alourdir la proportion des criminels étrangers dans le pays puisque par définition, cette criminalité là est étrangère.

            2: je ne mélange rien, je sors des chiffres qui relatent des faits. Que vous y soyez de passage ou condamné n’est pas de mon ressort. Et d’ailleurs, ceux qui font de la détention préventive restent largement minoritaires par rapport à ceux qui sont définitivement condamnés.
            Les chiffres viennent de la confédération.
            https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit-penal/execution-penale/personnes-placees-detenus.html

            4 : et ensuite, qu’est ce que ça peut me faire que les suisses commettent des délits ?? On est en suisse non ? ce serait étonnant que les suisses ne commettent pas de délits.
            Comme il serait étonnant qu’en France des français ne commettent pas de délits.

            Le débat porté par l’auteur de l’article dégouline de bisonourssisme (terme que je viens d’inventer), et c’est dans ce cadre que je sors mes chiffres, qui ne sont que des faits.

            Je vous invite d’ailleurs à relire l’excellent premier post publié par un certain Thibaut Mayo, vous apprendriez sans doute des choses….. 🙂

            Quand vous êtes invité chez quelqu’un, ou que vous invitez quelqu’un chez vous, la première des politesses c’est de respecter les règles en vigueur chez vous, si c’est vous qui recevez, ou chez les autres, si vous êtes l’invité.

            Et cette règle de bon sens doit s’appliquer à tous les invités d’un pays, quel qu’ils soient.

            Si vous enfreignez les lois d’un pays qui a accepté de vous tendre la main, c’est comme si l’un de vos invités mettait les pieds sur la table, ou pire, s’en prenait physiquement à quelqu’un de votre famille.

            Que feriez vous ? Il volerait à travers la porte, ou une fenêtre, et bien c’est ainsi que doit se régler la question des étrangers qui ne respectent pas les lois du pays d’accueil.

            Ca s’appelle le bon sens.

  3. Cher Monsieur,
    J’aimerais connaître votre position sur ce communiqué d’Amnesty:
    https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2018-4/le-courage-de-desobeir

    Je suis en particulier choqué par ce parralèle entre les cas Dublin et le régime nazi, qui déshonore à mon avis l’Eglise protestante et Amnesty, et de façon plus générale le manque flagrant d’objectivité de la présentation du système d’asile suisse.
    Et de façon plus générale, le fait que le résultat du travail minutieux du SEM, du Tribunal administratif fédéral et du tribunal fédéral n’est jamais cité par les médias (outre le terme “débouté” ou que cet examen a pris “trop” de temps), par exemple par des références aux arrêts anonymisés sur internet (comme en matière civile ou pénale), comme si ce travail était totalement déconsidéré ou synonyme d’injustice systémique, … la version subjective de la personne concernée prenant systématiquement le pas (sans aucune mise en perspective).

    J’aimerais aussi savoir si vous – et la Commission que vous représentez – trouvez normal que les médias diffusent massivement le fait même de l’existence d’une demande d’asile et l’identité des demandeurs d’asile, dont les cas sont médiatisés, sans respecter la loi (art. 97 al.1 2e phrase LAsi) et leur charte déontologique qui les contraint à mettre en balance le consentement de ces personnes et le risque pour eux ou pour leur famille restée sur place d’une persécution. La presse ne diffusera d’ailleurs jamais l’identité d’un repenti de la mafia, son adresse, son domicile, son canton de résidence, etc, Or la dignité élémentaire des réquérants d’asile est à mon avis systématiquement bafoué au nom d’un intérêt mercantile/putaclic des médias… une photo et un nom faisant par exemple plus vendre/parler de l’article…

    Je sais que vous avez à coeur de maintenir vivant le débat et que vous prendrez dès lors le temps de débattre objectivement de ces questions sur votre blog. Pas comme en France, où tout débat est confisqué, voire impossible:
    https://m.youtube.com/watch?v=B6E_bnFPNsg

  4. Cher Monsieur,
    Alors que la Suisse n’a pas connu depuis une décennie aussi peu de demandes d’asile, pourquoi les budgets en faveur des requérants d’asile sont en hausse?

    https://www.nzz.ch/schweiz/der-bund-gibt-fuer-die-migration-immer-mehr-aus-obwohl-die-zahl-der-asylgesuche-sinkt-ld.1412746

    Pourquoi est-ce que la Confédération engage encore de nouveaux fonctionnaires au SEM, des juges au TAF, etc

    N’existe-t-il pas un risque que les fonctionnaires vont s’inventer du travail pour conserver leur travail, p. ex. bloquer les renvois Dublin vers l’Italie ou nous créer une nouvelle jurisprudence “désolante” type Erythrée bis??

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