Quand la drogue gangrène la politique migratoire

Il aura fallu la prise de position d’un cinéaste humaniste pour que le serpent de mer de la drogue à Lausanne resurgisse dans les médias. Il y a quelques temps déjà, un article de la NZZ décrivait la situation de marché libre de la drogue dans le Görlitzer Park – parc public proche du centre de Berlin – et l’omniprésence des dealers qui y bénéficient d’une large impunité. Les lausannois n’y trouveraient rien de dépaysant. A certaines heures de la nuit, il est plus facile de se procurer de la cocaïne ou du haschisch à Lausanne que du lait ou des cigarettes. Malgré des opérations coup de poing périodiques et des déclarations d’intentions, les autorités s’avèrent impuissantes à juguler ce qu’il faut bien appeler un marché libre. Il y a quelques semaines encore, une promenade nocturne m’a fait dénombrer une bonne dizaine de vendeurs de drogue et j’ai pu observer que le rituel « salut ça va ? » des dealers accompagnait les sorties de clients d’un bar lausannois fréquenté pour une bonne part par des moins de vingt ans…

Avouons-le, il faut être solide et bien informé pour résister à un réflexe de stigmatisation et de rejet. Dépourvus de papiers, difficilement expulsables, porteurs de très petites quantités de drogue, même les dealers pris en flagrant délit se retrouvent rapidement dans la rue. Il en va de même à Berlin et la NZZ d’en conclure à l’époque « Görlitzer Park est un exemple parfait de l’échec de la politique migratoire ».

Il est vrai que le couple drogue-migration est un couple infernal. Ainsi au cours des dernières décennies, l’implication successive de demandeurs d’asile de différentes origines dans le trafic de drogue a largement contribué à dégrader l’image de la politique d’asile et des réfugiés en Suisse et à propager – avec l’appui des partis populistes – le stéréotype du faux réfugié et du réfugié délinquant. Des pratiques de renvois forcés inconséquentes de la part des autorités, vaudoises en particulier, ont fait empirer la situation. Le succès des attaques de l’UDC contre l’Etat de droit et pour le renvoi inconditionnel des délinquants étrangers doit beaucoup à l’image du réfugié dealer issue de cette situation.

Mais est-il juste de voir la politique migratoire comme la cause du problème de drogue ? Ne devrait-on pas inverser cette relation et considérer que c’est l’inapplicable prohibition qui joue le premier rôle dans les difficultés actuelles de la politique d’asile et de migration en général ?

  • Faillite de l’accueil puisque la population ne comprend plus que la plupart des requérants ont de légitimes besoins de protection.
  • Faillite des ressources puisque les autorités doivent mobiliser des moyens policiers et sécuritaires considérables pour tenter d’enrayer un phénomène incontrôlable.
  • Faillite des droits humains puisqu’on emploie – sans grand succès – des moyens de contraintes d’une grande violence pour expulser les dealers.
  • Faillite géopolitique aussi car à l’autre bout de la planète les conflits exacerbés par le marché illégal de la drogue sont des facteurs majeurs de déplacements forcés de populations.

Récemment un représentant du Norwegian Refugee Council soulignait ainsi à quel point, en Amérique latine, les guerres de gangs liées au trafic de drogue vers l’Amérique du Nord forcent des milliers de personnes à chercher protection aux Etats-Unis. Un phénomène tragiquement illustré ces dernières années par les exodes d’enfants à la frontière mexicaine qui accroit encore la pression sur les systèmes migratoires. Si pour la Syrie ce raisonnement ne vaut sans doute pas, il s’applique en partie à l’Afghanistan, l’un des principaux pays d’origine des demandeurs d’asile en Europe.

Plutôt que d’accuser la politique migratoire et d’asile – ou plus souvent encore les demandeurs d’asile eux même – d’être à l’origine d’une situation hors de contrôle sur le front de la drogue. Il semble que ce soit plutôt la politique prohibitionniste qui mérite d’être réexaminée sans tabou à l’aune de ses conséquences catastrophiques sur la politique migratoire.

Mise à jour d’un blog publié pour la première fois le 29.12.2016

Etienne Piguet

Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet s'exprime à titre personnel sur ce blog.

10 réponses à “Quand la drogue gangrène la politique migratoire

  1. Je crois comprendre votre constat et je m’inquiète aussi des échecs révélateurs de la difficulté à maîtriser ces difficultés avec des réponses locales.
    Si on veut comprendre l’origine de ces problèmes, non négligeables, ne faut il pas admettre qu’il y a un déséquilibre loco-regional historiquement induit par une succession de divers comportements politiques, industriels et/ou financiers ? Je sais que des tentatives de corrections existent, des changements de logiciels s’opèrent, mais cela prendra très certainement des générations.
    Les discours et parfois envolées lyriques des diverses visions populistes auxquelles nous sommes confrontés au quotidien, n’apporteront selon toute vraisemblance aucune solution pragmatique et durable.
    Devant des incertitudes pour lui et sa famille ou son clan, Homo Sapiens et ses prédécesseurs, depuis des milliers d’année, se déplace à pied sur les continents (migre) a la recherche de territoires moins hostiles, d’une sécurité alimentaire et physiques afin d’assurer sa descendance.

  2. “… il faut être solide et bien informé pour résister à un réflexe de stigmatisation et de rejet. Dépourvus de papiers, difficilement expulsables, porteurs de très petites quantités de drogue, même les dealers pris en flagrant délit se retrouvent rapidement dans la rue.”

    Ah bon! Vous vous contentez de ça? Cette racaille se débarrasse intentionnellement de ses papiers. Son seul but est de s’adonner au trafic de drogue et les autorités laissent faire, avec une totale passivité. Mais vous, ça ne vous dérange pas plus que ça. Vous en appelez même aux qualités morales des gens, à leur “solidité”, à leur “information” (comme si leur observation du réel ne suffisait pas), pour les exhorter à “résister à un réflexe de stigmatisation et de rejet”…

    Ben voyons…. puisque c’est un professeur de l’université de Neuchatel qui vous le dit.

    Arrêtez les sophismes! Ne prenez plus le peuple Suisse pour un ramassis de benêts! L’incompétence crasse des autorités, Mme Sommaruga en tête, n’a aucune justification ni aucune excuse. Il faut le dire. Il faut appliquer tout simplement un politique ferme et ne plus tolérer l’abus de droit. Car tout ça ce sont des abus de droit. C’est bien évident.

    Si les utilités veulent redevenir crédibles elles ne peuvent plus dire que quelqu’un est “difficilement expulsable”. Au premier flagrant délit de trafic de shit, hop, dans le premier charter et on n’en parle plus! Seule cette fermeté là rétablira la confiance en les autorités.

    Vous nous direz que ce serait contraire à telle ou telle convention internationale… Qu’est-ce qui nous empêche de résilier cette convention manifestement absurde? Et de toute façon, s’ils sont vraiment inexpulsables, quel texte de loi leur donne le droit de rester dans la rue en importunant la population et se livrant à des délits? Aucun evidemment. C’est donc une honte de les laisser rôder comme ça. Ne pourrait-on pas les interner dans des camps pour immigrés illégaux délinquants récidivistes, avec un traitement humain bien sûr, mais au pain sec et à l’eau. Je veux dire: pas d’aides financières. Il y aurait peut-être assez rapidement quelques milliers de pensionnaires dans ces camps, qui ne seraient pas des bagnes. Mais su moins cela dissuaderait les passeurs de diriger ces traines-savates chez nous. Il n’y aurait plus aucun avantage à venir en Suisse pour des abuseurs de l’asile. Rapidement le flux migratoire se tarirait. On pourrait s’occuper dignement des vrais réfugiés. Et après un certain temps les délinquants demanderaient à rentrer chez eux.

    Voila ce que vous devriez dire, si vous étiez quelqu’un de sérieux.

    1. Il y a un milliard de personnes dans le monde vivant en dessous du seuil de pauvreté, ie, 142 fois plus que d’habitants en Suisse. Même au pain et à l’eau, ils seraient mieux lotis que chez eux. De plus, Dutarte, le taré des Philippines qui enjoint ses compatriotes – civils donc – à TUER les drogués et dealers qu’ils croisent, même lui n’arrive pas à se débarasser des dealers! Dans le domaine de la drogue, la répression ne fonctionne pas. Jamais. Nulle part.
      En 1987 déjà, mon livre de macroéconomie utilisait la problématique de la drogue pour illustrer la notion d’élasticité (ou non, dans ce cas-ci) de la demande. En gros, la demande de drogue étant peu élastique (ie, le demandeur est d’accord de l’acheter à n’importe quel prix), la répression du trafic n’a aucun autre effet que d’augmenter le prix de la drogue et, ce faisant, d’accroître l’attractivité du deal.
      Plus on réprime, plus il y a de dealers! C’est arithmétique.
      Objectivement, la seule méthode efficace de se débarrasser du deal de rue est de légaliser l’achat de toutes les drogues et d’en confier la vente à des officines spécialisées. Il s’agit de battre les dealers à leur propre jeu, de ruiner leur négoce en ouvrant des “magasins” spécialisés à prix concurentiel et sans risques pour l’acheteur. Accessoirement, cela permettra à l’état d’augmenter ses recettes au travers de taxes sur la vente ainsi que de réguler la qualité du produit et ainsi éviter des intoxications. Enfin, cela permettrait aussi limiter la consommation de drogues chez les mineurs et d’accroître la prévention grâce au contact direct avec les consommateur. De plus, ça fera de la place dans les prisons pour y garder les vrais criminels.

  3. Votre propos est tout à fait lucide, merci. Il faut bien admettre que la prohibition des stupéfiants instaurée par les USA est un échec cuisant, comme le fut la prohibition de l’alcool au début du XXème siècle dans ce pays. Le coût est colossal pour la société, en argent et en ressources diverses (police, justice et… prisons), sans pour autant ni diminuer l’offre ni augmenter les prix. La prohibition contribue à enrichir les mafias comme la contrebande d’alcool enrichissait la pègre à l’époque. Il est grand temps de repenser le problème.
    Cela dit, la cause du trafic se trouve fondamentalement dans… le consommateur.

  4. C’est vrai ça, le problème fondamental n’est pas la drogue, c’est pourquoi des personnes en consomment… Plus les interdits sont stricts et radicaux, et plus ils nous attirent. Interdire n’est pas la solution, il faut responsabiliser les consommateurs.

  5. Enorme ! Monsieur le professeur déculpabilise des criminels. Encore un gauchiste universitaire qui se plaît dans son discours intello sans (vouloir) comprendre les vrais problèmes des gens qui habitent ce quartier… c’est ça, l’étude des flux de migrations à l’Université de Neuchâtel…

    Pourtant, il a raison quand il dit que la prohibition de la drogue est, au finale, vouée à l’échec.

    Mais tant que la vente de drogue est interdite, elle est interdite à tout le monde, ce qui veut dire – il faut le rappeler puisque Monsieur le professeur semble l’avoir oublié – aussi aux migrants ! C’est ça, l’état de droit !

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  7. La situation actuel est le naufrage complet de tous les grands esprits universitaires, et de leurs doctrines.
    Je m‘étonne que ces charlatans ne demandent la liberation de régle de circulations, pas de limite de vitesse, plus de stop, plus de priorité de droite, plus de 0,5, chaqu‘un pour soit!
    L‘industrie du social supplante l‘industrie des banques, les nouveaux millionaires sont simplement les nouveaux capitalistes sociales payé par nos impôts!
    La caste des intelo- socio-gaucho-millionaires juges, condamnent sans apporter de vrai solutions, que des théories. Le socialisme de Castro et Maduro-Chavez est donné en exemple, le paradis artificiel!

  8. Près d’un an après la fin officielle de la guerre, le 23 octobre 2011, la Libye
    n’est pas encore un État stable et démocratique. Le gouvernement de transition
    n’est pas parvenu à asseoir son autorité sur les différents groupes et factions
    qui ont contribué à renverser le dictateur Muhammar Khadafi, la situation
    sécuritaire est loin d’être stabilisée, l’économie n’a pas encore repris, sauf
    dans le secteur pétrolier. Le terrible héritage de 42 ans d’exercice d’un pouvoir
    totalitaire de plus en plus insensé par Khadafi et ses fils et les neuf mois de
    guerre civile et d’intervention militaire internationale, ont laissé le pays dans
    un état de chaos indéniable. Si l’élection d’un nouveau Congrès National
    Libyen en juillet 2012 constitue un premier pas positif, les défis que celui-ci
    devra relever pour construire un État de droit sont immenses.

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