Les vrais perdants de «l’immigration de masse» ne seront pas les travailleurs de l’UE

Le peuple et les cantons ont accepté l’initiative «Contre l’Immigration de masse». Les leçons de Schwarzenbach n’ont pas été tirées. La stratégie risquée poursuivie par le Conseil fédéral a échoué.

Des contingents d’immigration devront être mis en place (maintenus en fait car – fait largement occulté durant la campagne – la Suisse a, «clause de sauvegarde oblige», actuellement un contingent de 2180 autorisations B pour les Etats de l’UE-8 et 53 700 pour les Etats de l’UE-17 en vigueur jusqu’au 31 mai 2014).

La négociation des contingents avec l’UE sera difficile. Elle pourrait conduire à la résiliation des accords de libre-circulation voire à celle d’autres accords bilatéraux mais rien n’est sûr.

Sur la base de l’expérience historique, il n’y a pas trop de soucis à se faire pour l’immigration économique. Que l’Accord sur la libre circulation (ALCP) soit résilié ou non, les entreprises et le Conseil fédéral feront tout pour que des contingents suffisants restent disponibles. Un quota assez large pourrait ainsi être octroyé à l’UE, dans un ALCP modifié, si elle adopte une ligne pragmatique et ne fait pas de la libre-circulation absolue un principe.

Ce sont donc les autres catégories d’immigration qui payeront le prix fort de la volonté de réduire la migration. L’initiative – et désormais la Constitution – spécifie en effet «Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées».

En première ligne, les immigrants des pays non européens sur lesquels il est facile d’agir sans froisser l’UE. On espère que nul n’osera toucher aux engagements fondamentaux du domaine de l’asile, mais le regroupement familial et l’immigration d’étudiants risquent bien de subir un plafonnement explicite ou des chicaneries administratives destinées à les décourager. Si l’ALCP était résilié et les relations tendues avec l’UE, ce serait alors le regroupement familial de l’UE qui serait limité, en particulier celui lié à l’immigration non-qualifiée en provenance du Sud et de l’Est de l’Europe, bien avant que les travailleurs eux-mêmes ne soient touchés. Enfin, si les mesures d'accompagnements sont réduites afin de compenser la bureaucratie des quotas, les travailleurs suisses et résidants pourraient souffir paradoxalement d'un dumping salarial accru mais profitable à l'économie.  

Dans tous ces cas de figure, on constate que l’arrivée de  travailleurs «utiles» sera favorisée.  L’économie tirera son épingle du jeu dans le contexte d’une entrouverture typiquement helvétique mais où les droits  humains à l’unité de la famille, à la reconnaissance du statut de réfugié et à l’éducation, sont perdants.

Il appartient maintenant au Conseil fédéral et au parlement d’éviter une telle dérive.

Etienne Piguet

Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et Vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet s'exprime à titre personnel sur ce blog.