Les leçons de Jim Acosta

Aux Etats-Unis, personne n’ignore qui il est. Il suscite autant d’admiration qu’il agace. Jim Acosta est ce journaliste de CNN, désormais responsable de la cellule du média à Washington, aux faux-airs de George Clooney, qui aime se frotter à Donald Trump jusqu’à provoquer des étincelles. Et comme l’on sait, les étincelles peuvent déclencher un incendie. C’est un peu «grâce à lui» que le président des Etats-Unis a traité les journalistes d’«ennemis du peuple». Un peu grâce à lui aussi que Donald Trump qualifie les médias de «fake news».

Privé de son accréditation

Jim Acosta donc, a écrit un livre, «L’ennemi du peuple. Une époque dangereuse pour raconter la vérité aux Etats-Unis». Il raconte, sur un ton très personnel, ses contacts difficiles avec Donald Trump, qui remontent à bien avant sa présidence, mais qui se sont fortement détériorés depuis. Tenace, insistant, n’en fait-il pas un peu trop en se donnant en spectacle? En conférence de presse, personne ne peut passer à côté de Jim Acosta, incarnant à lui tout seul la détestation de Donald Trump pour les médias. Surtout depuis une scène qui a provoqué la polémique, lors d’un point presse en novembre 2018.

Jim Acosta insiste pour poser une nouvelle question. Debout, il ne lâche pas son micro. Donald Trump veut passer à un autre journaliste. Jim Acosta insiste. Donald Trump refuse. Une collaboratrice tente alors de lui arracher le micro et le journaliste la frôle avec sa main. Même quand un autre journaliste pose une question, Jim Acosta se lève à nouveau, prêt à en découdre. S’ensuivra une polémique qui se solde par le retrait de l’accréditation de Jim Acosta à la Maison-Blanche, son fameux hard pass. Soutenu par CNN qui a porté l’affaire devant la justice, il récupérera son précieux badge plus tard. Pour la petite histoire, un journaliste de Playboy accrédité à la Maison-Blanche (si, si) a connu le même sort peu après. Il a lui aussi fini par récupérer son accréditation.

Les limites de la neutralité

Jim Acosta, que Donald Trump qualifiait encore de «beau gosse» (real beauty) en mai 2016, se défend d’être un provocateur. Il voit son rôle face à Donald Trump comme une «mission» et tant pis s’il est désormais parqué dans une case de journaliste pas vraiment objectif. Il incarne l’anti-Trump par excellence. On le soupçonnerait presque d’être fier d’être devenu le journaliste-ennemi numéro 1 du président. Il s’en explique: «La neutralité au nom de la neutralité ne nous sert pas vraiment à l’époque de Trump.»

Dans son livre, il raconte les menaces dont il fait l’objet, émanant soit directement soit indirectement de l’entourage de Donald Trump, et détaille les dysfonctionnements de la Maison-Blanche et les mensonges de ses occupants, qu’il juge dangereux pour la démocratie américaine. Jim Acosta a peut-être un côté fanfaron, mais il a de la bouteille. Il a couvert la guerre en Irak, l’ouragan Katrina et la campagne présidentielle de John Kerry pour CBS avant de passer à CNN et d’être muté à Washington pour couvrir le deuxième mandat de Barack Obama.

ll n’est ni le premier ni le dernier à raconter les «secrets» de la Maison-Blanche sous Donald Trump, et en ce sens, son livre vient un peu tard pour susciter un réel intérêt. Mais ce que Jim Acosta nous offre, c’est une plongée de l’intérieur des tentatives répétées de Donald Trump de décrédibiliser les médias. Et de ce que cela représente. «Des fans de Trump m’ont laissé de nombreux messages soulignant que je devrais être assassiné de toutes sortes de manières médiévales possibles», écrit-il dès la page 6. «Des commentaires postés sur mes comptes Instagram et Facebook suggéraient qu’on me castre, qu’on me décapite ou que l’on m’immole.» Il doit s’entourer de gardes du corps lors de certains meetings. C’est aussi ça être journaliste (américain) sous l’ère de Donald Trump. Le fait que le président soit désormais menacé par une procédure d’impeachment ne risque pas d’améliorer les choses.

 

Le «N-word», ce tabou américain

«Hey, nigga!» Je l’avoue, à chaque fois que j’entends des Afro-Américains s’apostropher de la sorte dans la rue, j’esquisse un petit sourire. Nigga, comme diminutif de nigger, pour «nègre». Le «Hey, nigga!» s’accompagne généralement immédiatement d’une bonne vieille accolade. C’est une marque d’amitié, de fraternité, très prononcée, mais qui peut surprendre. Les médias américains, eux, optent pour le tabou le plus absolu: c’est le fameux n-word.

Un marqueur identitaire

Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire à ce sujet, à force d’entendre les nigga ou nigger à chaque coin de rue. Mais j’hésitais. Comment l’aborder? Le thème est délicat, et le dérapage ou la maladresse involontaire vite là. Et puis, à force de faire quelques recherches, je suis tombée sur le rappeur Kendrick Lamar. Kendrick Lamar, donc, a fait un jour monter une fan sur scène lors d’un concert en Alabama, lui prêtant son micro. Delaney est restée très fidèle à ses paroles. Trop. Car lorsqu’elle a répété «nigga» à plusieurs reprises – c’est le texte de la chanson qui voulait ça –, Kendrick Lamar a vu rouge et l’a interrompue. Précision: Delaney est Blanche. Totalement hypocrite? L’actrice Gwyneth Paltrow ne peut que compatir. En 2012, à un concert de Kanye West qui chantait Niggas in Paris avec Jay-Z, elle a eu le malheur de tweeter le mot. Elle a reçu une avalanche de critiques.

Le n-word renvoie à l’esclavagisme et au racisme. Au dernier mot que des Noirs ont parfois entendu avant d’être lynchés. Un Blanc qui le prononce, même par simple imitation, passe pour un suprémaciste qui considère les Noirs comme des êtres inférieurs. Mais dans la communauté noire, chez les rappeurs plus spécifiquement, il devient un marqueur identitaire, une sorte de revendication pour souligner la fierté de ses racines. Même l’écrivaine noire Toni Morrison, récemment décédée, l’utilisait souvent. Pour relever la discrimination raciale qui prévaut aux Etats-Unis.

Le bruit d’un fouet

«Le débat sur le racisme aux États-Unis s’articule autour du n-word et du nombre de membres de la communauté blanche qui l’ont historiquement utilisé comme une arme verbale contre les Noirs américains. C’est un rappel aussi vivifiant que le coton, les chaînes et les souvenirs de la Confédération de ce que nos ancêtres ont enduré pendant des siècles», écrit le journaliste Jeremy Helligar dans Variety. «Même aujourd’hui, pour beaucoup d’entre nous, lorsqu’une personne blanche prononce le n-word, c’est comme le bruit d’un fouet qui tape dans le dos d’un esclave. En raison de son histoire chargée, il ne sera jamais acceptable que des Blancs utilisent le n-word (pas même si c’est Eminem, bien qu’il semble inexplicablement obtenir un laissez-passer de la communauté hip hop), peu importe les circonstances.»

Il ajoute: «Ces dernières décennies, des Noirs se sont emparés du mot que certains Blancs utilisent encore contre eux, et l’utilisent comme un terme presque affectueux pour leurs compatriotes afro-américains, le transformant souvent en «nigga», vraisemblablement pour le diluer et le rendre vainqueur. C’est une façon de prendre une arme qui a permis aux Afro-Américains de rester mentalement battus pendant des générations et de l’embrasser, lui ôtant ainsi son pouvoir destructeur». Mais Jeremy Helligar ne cache pas son scepticisme quant à cette utilisation-là.

Même Barack Obama

Lorsqu’il était président, Barack Obama a osé prononcer ce mot lors d’une interview à une radio de Los Angeles en 2015, dans le but de dénoncer le racisme ambiant. Cette phrase a déclenché la panique dans les rédactions: «Il ne s’agit pas seulement de ne pas dire «nègre» en public parce que c’est impoli.» Le quotidien USA Today n’a retranscrit que la première lettre du mot. Le New York Times a choisi de faire une exception, en l’expliquant: «Dans ce cas précis, une paraphrase ou l’usage d’un euphémisme aurait laissé les lecteurs dans la confusion et aurait ôté de la substance à l’article.» A la télévision, Fox News a prévu un «bip» et CNN a averti qu’un mot allait «beaucoup offenser».

Blancs et Noirs restent forcément inégaux face à l’utilisation de ce mot. Mais rien n’est simple. D’ailleurs, des Noirs eux-mêmes s’en offusquent, tant le terme, qu’il soit utilisé comme marque d’affection ou non, est dépréciatif. En 2007, nigger a eu droit à un enterrement officiel à Detroit, avec une procession funéraire mise sur pied par une grande organisation de défense des droits des Noirs américains. Et en 2011, raconte l’AFP, une maison d’édition de l’Alabama a même remplacé les 219 «nigger» dans Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain (1885) par «esclave».

Mais il a vite ressuscité. Est-ce finalement une bonne chose que de jeunes Blacks se réapproprient à leur manière un mot très chargé historiquement? On n’a pas fini d’en débattre.

 

Mourir noyés dans l’alcool: le triste sort des rats new-yorkais

Il paraît que les rats aiment jouer à cache-cache. C’est du moins ce qu’une équipe de neuroscientifiques allemands vient de découvrir. Les rongeurs auraient un réel plaisir à se cacher et à essayer de trouver d’autres rats tout autant farceurs. En jouant, ils font des petits bonds de joie et des cris ultrasoniques, signes de bien-être, nous apprend la revue Science.

Nez contre museau

Cela m’a fait penser à une drôle de rencontre, un soir d’hiver, vers minuit, dans une station de métro de Brooklyn. Je montais les escaliers, fatiguée. Et lui, les descendait, en fonçant à toute vitesse. Nous nous sommes retrouvés presque nez contre museau, aussi surpris l’un que l’autre. Il y a bien eu quelques cris ultrasoniques et des semblants de bonds. Mais c’était en l’occurrence plutôt les miens, et pas forcément lié à un plaisir jubilatoire. Le rat, lui, l’effet de surprise passé, a été très rapide à détaler.

Aujourd’hui, il aurait peut-être plus de peine. Car les autorités new-yorkaises, jamais en mal d’idées de dératisation, viennent de présenter une nouvelle méthode, testée précisément à Brooklyn: piéger les rats grâce à un mélange à base d’alcool. Le rat est censé être intrigué par un appât (des graines de tournesol et des noix), grimper sur un récipient Ekomille de près de 60 centimètres de haut pour assouvir sa faim et tomber dans une sorte de bain d’alcool. Sonné, ivre, il finit sa vie noyé.

Plutôt que de faire cela discrètement, le président de Rat Trap Inc. a tenu à montrer les résultats concrets aux journalistes. Et quand vous savez qu’un de ces récipients raticides importés tout droit d’Italie peut contenir jusqu’à 80 carcasses baignant dans un liquide verdâtre, vous pouvez vous imaginer à quoi ressemble le contenu de ces fameux pièges…

Deux millions à New York

En un mois, une centaine de rats auraient été attrapés dans le quartier. Le maire de Brooklyn jubile et va jusqu’à parler de procédé «humain, écologique, hygiénique et sans odeur». Il est permis d’en douter sérieusement. Qu’on les aime ou non, les rats sont plus de 2 millions à sévir à New York, ce qui fait grosso modo un rat pour quatre habitants. Pendant longtemps – jusqu’en 2014 en fait –, la légende urbaine voulait qu’ils y soient cinq fois plus nombreux que les humains, mais passons. Les autorités ont déjà dépensé des millions – le dernier plan remontant à 2017, le Rat Reduction Plan, a coûté 32 millions de dollars – pour faire en sorte que les bestioles soit ne se reproduisent plus, soit meurent avant même d’avoir songé à assurer une descendance. Brooklyn est visiblement l’arrondissement le plus touché (6500 plaintes en 2018). Sur l’ensemble de la ville, 17 353 personnes ont recouru l’an dernier à une hotline pour signaler la présence de rats.

Et si ces rongeurs, jugés plutôt intelligents, commençaient à jouer à cache-cache avec les dératiseurs en boudant leurs curieux engins d’Italie pour éviter de finir en bouillie? New York, finalement, tente d’éradiquer ses rats depuis plus de trois cent cinquante-cinq ans sans y parvenir… On ose à peine le suggérer, de peur d’être renvoyée à sa propre suissitude, mais quand même: si les New-Yorkais commençaient par mieux trier leurs déchets et éviter de laisser des poubelles béantes dans la rue pendant plusieurs jours, y compris en pleine canicule, peut-être que la «crise des rats» serait un peu moins préoccupante, non?

Ces sandwichs au poulet frit qui rendent fous

J’étais récemment en Louisiane et, forcément, goûter à la «bonne cuisine du Sud» a fait partie du programme. La cuisine du sud des Etats-Unis? Cajun ou créole, elle est bien plus exotique qu’ailleurs. Alors il a fallu goûter au jambalaya, au gombo ou encore aux shrimps and grits. Sans oublier le Po’ Boy, ce sandwich très lourd dont tout le monde semble raffoler, avec ou sans tabasco, autre spécialité du coin. J’ai eu le malheur de choisir celui aux huîtres frites. Avec une portion plus que généreuse, qui m’a non seulement empêchée de finir le plat mais fait sauter les deux repas suivants.

«Revoilà un poor boy»

Ce sandwich, avec du vrai pain croustillant (c’est si rare aux Etats-Unis), a d’ailleurs une belle histoire. Deux frères, conducteurs de trams, sentant les difficultés arriver dans leur secteur, ont décidé un jour d’ouvrir un restaurant. Lors d’une grande grève en 1929 contre l’entreprise qui gérait les trams de la Nouvelle-Orléans, ils ont distribué des sandwichs copieux à leurs anciens collègues, toujours plus nombreux à venir faire la queue. «Oh, revoilà encore un poor boy», aurait dit une fois l’un des frères. Le nom est resté. C’est en tout cas ce que veut la légende.

Les Po’Boy peuvent bien sûr être faits au poulet frit, autre «attraction» locale. Mais les histoires de 2019 sont moins belles que celles de 1929. Popeyes, la chaîne de fast-food de Louisiane qui ne jure que par le poulet frit épicé, vient de lancer un tout nouveau sandwich à 3,99 dollars, le 12 août dernier. Elle n’avait auparavant rien de tel à son menu. Dépassée par son succès, elle a rapidement dû faire face à une rupture de stock. Dans le Nevada, un restaurant avait même dû momentanément fermer, car l’afflux de consommateurs affamés gênait la circulation.

Fausse publicité?

Une redoutable stratégie marketing, pour donner encore plus envie? A la base, le but était bien de concurrencer Chick-Fil-A, une enseigne qui donnait déjà dans le sandwich au poulet frit. Rapidement, la guerre entre les deux a battu son plein. Le #Popeyesgate a fait rage sur les réseaux sociaux. D’autres fast-foods vendant des sandwichs au fried chicken sont entrés dans la danse après avoir constaté que le tweet de désapprobation de Chick-Fil-A et surtout la réponse de Popeyes étaient devenus viraux. C’est à partir de ce moment-là que Popeyes a été victime de son succès.

Depuis, les inconditionnels de poulet frit commencent sérieusement à perdre patience et dénoncent une pénurie organisée à des fins commerciales. Un habitant du Tennessee est allé jusqu’à porter plainte contre l’enseigne pour publicité mensongère..

Le 27 août, Jose Cil, le patron du groupe propriétaire de Popeyes, a dû venir s’expliquer sur CNN. «Nous avons fait quelque chose de faux. Nous ne nous attendions pas à cartonner ainsi sur internet», a-t-il admis. Désormais, vous le saurez: aux Etats-Unis, le poulet frit est capable de déchaîner les passions. Mais l’histoire, qui à la base fait sourire, a failli prendre une tournure dramatique le 2 septembre: un homme, à Houston, a pointé son arme sur des employés de Popeyes en apprenant que son sandwich tant convoité n’était toujours pas disponible. De quoi, de nouveau, provoquer des réactions enflammées sur les réseaux sociaux. On n’a pas fini d’entendre parler de poulet frit.

 

 

Perdre un enfant et être accusée d’homicide

C’est le genre d’histoire que l’on pense totalement impossible. Et pourtant, ça se passe aux Etats-Unis. Marshae Jones a vécu un calvaire. Et elle a le malheur de vivre en Alabama, un Etat conservateur. Son histoire? Enceinte, elle a perdu son bébé après avoir été victime d’une fusillade. Mais de victime, elle est très vite devenue coupable, accusée d’être responsable de la mort de son enfant pour l’avoir mis en danger.

Lire aussi: L’inquiétante mortalité des femmes enceintes aux Etats-Unis

«Que des perdants»

Récapitulons: la jeune femme noire de 27 ans a reçu cinq balles dans l’abdomen lors d’une bagarre avec une autre femme et très vite, alors qu’elle endurait encore de grandes souffrances, elle a reçu un coup supplémentaire: celui d’être accusée d’homicide. Le chef de la police locale trouve cela parfaitement normal. C’est Marshae Jones qui a provoqué la bagarre, alors qu’elle était à cinq mois de grossesse, n’a-t-il pas hésité à relever. Bien fait pour sa pomme, a-t-il probablement pensé.

L’affaire remonte au 4 décembre 2018. Il a fallu attendre le 3 juillet dernier pour que la justice de l’Alabama, qui ne voulait rien céder, finisse par abandonner les poursuites, sous pression. «Il n’y a aucun gagnant, que des perdants dans ce triste cas», a commenté la procureure devant les médias.

Dans son malheur, Marshae Jones a eu de la chance. Mais son histoire met en exergue à quel point des femmes enceintes risquent gros dans certains Etats quand elles perdent leur enfant dans des circonstances jugées «anormales». Une future mère sous l’emprise de la drogue peut également être accusée d’homicide si elle perd son bébé. C’est aussi le cas d’une femme enceinte qui maîtriserait mal le volant et provoquerait un accident de voiture.

«Produire un bébé vivant»

Très vite, les défenseurs du droit à l’avortement sont montés au front pour soutenir la jeune Afro-Américaine, alors que plusieurs Etats serrent la vis dans ce domaine. L’Alabama interdit d’ailleurs, depuis le mois de mai, l’avortement en toutes circonstances, même en cas de viol ou d’inceste. Une mobilisation qui brouille un peu le message, puisque Marshae Jones n’a pas délibérément avorté mais bien fait une fausse couche? Oui et non. Finalement, le Yellowhammer Fund, qui soutient financièrement les femmes souhaitant avorter, résume assez bien la situation dans un communiqué: «L’Etat de l’Alabama a prouvé une fois de plus que dès qu’une personne tombe enceinte, sa responsabilité est de produire un bébé vivant et en bonne santé, et qu’il considère comme un acte criminel toute action d’une personne enceinte qui pourrait empêcher cette naissance vivante.» Ça se passe comme ça en Alabama. Et c’est bien pour cela qu’il faut en parler.

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Tables à langer: New York a une longueur d’avance

Aux Etats-Unis, les pictogrammes qui figurent sur les portes des toilettes doivent être constamment revisités. On connaissait déjà «all gender restroom». Il faut maintenant en ajouter un nouveau: à New York, les tables à langer sont désormais obligatoires dans les toilettes pour hommes. C’est le maire de la ville, le démocrate Bill de Blasio, et le gouverneur de l’Etat, Andrew Cuomo, qui ont promulgué ce nouveau règlement, par souci de non-discrimination. Il est en vigueur depuis le 1er janvier. Ainsi donc, un père qui doit changer les couches de son bébé n’aura plus, gêné, à trouver un endroit inadéquat, pour le faire. Il ne devra pas non plus, honteux, pousser la porte des toilettes pour femmes, dans l’espoir d’être bien accueilli avec son rejeton.

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Image de tolérance pour le maire-candidat

Le maire, désormais officiellement candidat pour la présidentielle de 2020, peut ainsi renforcer son image de tolérance, tout comme le gouverneur de l’Etat. Pour l’instant, la loi ne s’applique qu’aux bâtiments neufs ou rénovés, mais c’est déjà un grand pas. L’an dernier, un père, Donte Palmer, avait publié une photo de lui par terre dans les toilettes avec son enfant sur les genoux, rapidement devenue virale. Il s’insurgeait contre l’absence de tables à langer, avec le hashtag #SquatForChange.

Autre option, une pièce ad hoc

En 2016, le fameux Babies Act a été signé par Barack Obama. Il oblige tous les bâtiments publics à disposer de tables à langer. Mais là, New York fait clairement un pas de plus, en pensant aux hommes. Les bâtiments qui disposent de toilettes «all gender» ou «neutral» ont une longueur d’avance. Ces toilettes permettent d’accueillir des personnes transgenres, non binaires, ou tout simplement celles qui n’aiment pas se voir enfermées dans des cases. Et bien évidemment, les tables à langer en font déjà partie. L’autre solution, si rajouter des tables à langer dans les toilettes pour hommes s’avère compliqué, est simplement d’avoir une petite pièce ad hoc, accessible à tous, pour langer les bébés.

Le démocrate new-yorkais Brad Hoylman, qui a rédigé le texte de loi, n’a pas cherché midi à 14 heures pour expliquer sa motivation: «Les pères doivent aussi faire leur part du sale boulot.» «Les pères gays comme mon mari et moi n’auront plus jamais besoin de changer des couches sur le sol d’une salle de bain!», précise-t-il surtout sur Twitter, photo à l’appui. On le voit, de dos, agenouillé sur des catelles, en train d’agrafer la grenouillère de sa fille.

Mediaslot: Twitter

Gay dads like my husband & me may never have to change diapers on a bathroom floor????again! @NYGovCuomo budget mirrors my legislation (S574) requiring new buildings to have baby changing tables in public restrooms for both women & men. #pottyparity pic.twitter.com/blQPy34OOw

— Senator Brad Hoylman (@bradhoylman) 23 janvier 2018

Original Tweet

La précédente chronique: La «treizième personne» de la fusillade

 

La «treizième personne» de la fusillade

ll est désormais connu comme le «tireur de Virginia Beach». Le 31 mai, un employé municipal qui venait de donner sa démission a provoqué un carnage dans une Amérique régulièrement endeuillée par des fusillades de masse. Il a abattu 12 personnes avant d’être tué par la police. C’est très ému que le maire de la ville a rendu compte du drame lors d’une conférence de presse. Il a surtout pris une décision: ne pas mentionner le nom du tueur. Pour lui, l’homme restera à jamais «la treizième personne».

Eviter l’«effet copycat»

Même attitude, ou presque, pour le chef de la police locale, James Cervera. «Nous ne mentionnerons son nom qu’une seule fois, ensuite il sera à jamais étiqueté comme «le suspect» car nous nous concentrons sur la dignité des victimes et de leurs familles», a-t-il averti. Leur but est de ne pas contribuer à une sorte de glorification posthume malsaine. Car des études l’ont démontré: les auteurs de ce type de fusillades agissent souvent dans le but de faire parler d’eux et s’inspirent de précédents fortement médiatisés. Or les autorités de Virginia Beach sont bien décidées à éviter tout «effet copycat».

Elles ne sont pas les premières à agir ainsi. Après la fusillade dans les locaux d’un journal d’Annapolis l’an dernier, le chef de la police s’était aussi refusé à donner le nom du tueur. Et en Nouvelle-Zélande, la Première ministre Jacinda Ardern s’est refusée à dévoiler l’identité du suprémaciste blanc responsable de la mort de 51 personnes dans deux mosquées. «C’est un terroriste. C’est un criminel. C’est un extrémiste. Mais quand je parlerai de lui, il restera sans nom», a-t-elle déclaré. Le New York Times rappelle qu’en 2012 déjà, lors d’une fusillade dans le Colorado, les parents d’une des victimes avaient lancé, sur les réseaux sociaux, le hashtag #NoNotoriety.

Des médias écartelés

Le débat, qui vaut aussi pour les attentats terroristes, prend de plus en plus et c’est tant mieux. Les médias ont aussi leur part de responsabilité, écartelés entre le besoin brut d’informer en récoltant le plus de détails possibles sur le background des tueurs et celui de s’autocensurer pour le bien du public. Même problème avec les photos. Faut-il montrer les visages des kamikazes floutés, ou pas du tout? A chaque fusillade ou attentat, on se pose les mêmes questions. A chaque fois, on hésite. Qu’est-ce qui est d’intérêt public? Est-ce que renoncer à donner le nom des tueurs risque d’alimenter des théories du complot? Il n’est pas toujours évident de trancher, surtout dans l’urgence.

Seek truth and minimize harm (rechercher la vérité et minimiser les préjudices), précise une des règles de déontologie de l’Association américaine des journalistes professionnels. Pas sûr que cela aide beaucoup. La police, elle, semble avoir tranché. L’anonymisation des tueurs de masse est une tendance qui prend de l’ampleur.

Quand basket et vasectomie vont de pair

Le cerveau fait parfois de drôles de raccourcis. En apprenant cette semaine que l’Alabama s’apprête, comme d’autres Etats américains avant lui, à rendre la castration chimique obligatoire pour toutes les personnes condamnées pour pédophilie sur le point d’être libérées, je me suis souvenue d’un article du New York Times qui m’avait intriguée. Il n’y était pas question de pédophiles forcés à suivre un traitement affectant leur libido, mais de stérilisation masculine par choix. Et de sports.

C’est la saison

Si, si, de sports. Car figurez-vous qu’il y a une saison pour les vasectomies aux Etats-Unis. Tant qu’à faire, lorsqu’il s’agit de joindre l’utile à l’agréable, les Américains visent surtout le mois de mars. Pour une raison très simple: ils peuvent profiter des matchs du Championnat NCAA de basketball, vautrés sur leur canapé la conscience parfaitement tranquille, avec leur paquet de petits pois congelés entre les jambes. Dans l’article, l’urologue Tobias Kohler, de la Mayo Clinic à Rochester (Minnesota), confirme que mars est bien un mois de folie, où les rendez-vous et opérations s’enchaînent à n’en plus finir. Aux Etats-Unis, ils seraient près de 500 000 chaque année à choisir de subir une vasectomie. Les stérilisations chez les femmes, bien que plus risquées, restent toutefois encore deux fois plus nombreuses.

A propos de la NCAA: Les basketteurs universitaires américains sont-ils des esclaves?  

L’alliance de la stérilisation et des journées patate de canapé

Basket et vasectomie iraient donc de pair dans le pays de l’Oncle Sam. Mais ce n’est pas fini. Et cette fois, c’est un article de The Post and Courier qui nous l’apprend. Le Buffalo Wild Wings, un bar sportif qui est un des principaux sponsors du tournoi NCAA, a pensé à tout. Cette année, il a fait la promotion, à New York et à Los Angeles, d’un tabouret de bar d’un genre un peu particulier, le «tabouret bijoux de famille». Même le très sérieux magazine Forbes en a parlé.

Ce tabouret comprend un système de refroidissement intégré qui procure le soulagement nécessaire à celui qui vient de subir une intervention entre les jambes. Le Jewel Stool propose aussi un porte-bières réfrigéré et un petit bouton lumineux «beer me» pour signaler au serveur quand il faut remplir le verre. Là, on comprend moins. Car sauf avis contraire, se remettre d’une vasectomie n’empêche pas de parler. Même aux Etats-Unis.

Un puissant lobby des armes pas si puissant

Rien ne va plus au sein de la National Rifle Association (NRA). Le très puissant lobby des armes, déchiré par des guerres de clans, ne serait, bonne nouvelle, plus si puissant que ça. Ces dernières semaines, directeur général et président se sont affrontés par courrier et noms d’oiseaux interposés. Le premier, Wayne LaPierre, a été accusé d’abus financiers par le deuxième, Olivier North, qui a réclamé sa démission. Mais au final, c’est Wayne LaPierre qui a été réélu à son poste et Olivier North qui a été remplacé.

Cette nouvelle lutte à sa tête va-t-elle nuire à l’organisation, qui revendique cinq millions de membres et refuse le moindre contrôle des armes à feu dans un pays régulièrement endeuillé par des fusillades de masse – vendredi encore, un employé municipal d’une station balnéaire de la côte est américaine a tué 12 personnes? Si elle cherchait à se tirer une balle dans le pied, elle ne ferait pas mieux. Car elle est déjà affaiblie par les révélations du rapport du procureur spécial Robert Mueller sur l’affaire russe: ses liens avec la Russie ont été mis en exergue.

Pour évaluer son réel pouvoir, le rôle de la NRA sera à observer avec une attention toute particulière ces prochains mois, dans le cadre de l’élection présidentielle. Car jusqu’ici, le lobby arrosait des politiciens à coups de millions de dollars, les rendant soudainement très dociles. Des membres du Congrès mangent dans la main de ses responsables.

Avant ces tensions, la NRA a connu de nombreux dérapages, plus ou moins volontaires. Et comme si elle était en manque de nouvelle polémique, elle s’est même attaquée à un dessin animé, sur sa NRATV. La coriace porte-parole Dana Loesch n’a pas trouvé mieux, pour se moquer de «Thomas & Friends», un programme pour enfants produit par Mattel, que de couvrir les locomotives qui parlent avec des cagoules du Ku Klux Klan. Elle l’a montré dans une émission qu’elle anime elle-même.

What in the heck is Dana talking about re: Thomas The Tank Engine?

Original Youtube Video

https://youtu.be/lMnTNphFCng

Le lien avec les armes? Aucun. La très conservatrice Dana Loesch voulait «juste» se moquer du dessin animé qui miserait à son goût un peu trop sur la tolérance entre ethnies et genres. Le programme avait décidé de faire voyager Thomas à la découverte de nouveaux pays et venait d’introduire des personnages-trains féminins, dont une locomotive venant du Kenya.

Lire aussi: Chez les pro-armes du New Jersey

La NRA peut toujours tenter de faire croire qu’elle ne protège pas les suprémacistes blancs qui se sont rendus coupables de fusillades dans des synagogues. Mais après l’épisode «Thomas & Friends» et l’affaire des cagoules, elle aura bien de la peine à se faire entendre.

Recherche grandes idées pour petits emplacements

De grandes idées pour de petits emplacements. Alors que le tout New York (ou presque) s’extasie devant son nouveau quartier de Hudson Yards, où le seul Vessel, une curieuse immense d’oeuvre d’art sous forme d’escaliers, a coûté 200 millions de dollars, la ville a lancé un concours d’architecture particulier. Son but: trouver des solutions pour combler certains «trous» entre vieilles maisons et buildings audacieux. Ou trouver la bonne pièce du puzzle. Vous ne me suivez pas?

Reprenons. Dans cette ville à l’énergie débordante, où les grattes-ciels poussent comme des champignons – j’y suis depuis un peu plus de deux ans, et la vue depuis ma fenêtre sur la skyline a déjà bien changé -, les défis architecturaux sont nombreux. Il existe des lots à l’abandon, ou squattés par des chats errants – la ville a un programme spécial pour eux. Des petits espaces de rien du tout, parfois le résultat d’un propriétaire resistant qui n’a pas voulu vendre son terrain à des promoteurs immobiliers avec des dollars plein les yeux.

Ce sont ces espaces pour lesquels la ville lance un concours, dans l’idée d’y bâtir des logements à loyers corrects. Ce concours s’inscrit dans un plan plus large lancé par le maire Bill De Blasio, pour promouvoir 300 000 logements abordables d’ici 2026, dans une ville où les loyers sont indécents.

Vingt-trois emplacements sur les 885 que possède aujourd’hui la ville sont concernés. Comme l’a raconté le New York Times, les plus petits espaces vacants font 7,6 mètres de large et 30 de profondeur, soit 230 mètres carrés. La ville est devenue propriétaire de milliers de lots dans les années 1960 et 1970, surtout à Brooklyn et dans le Bronx, des terrains généralement saisis à des promoteurs véreux.

Pour le concours, les architectes devront rivaliser d’imagination à propos d’un lot étroit à Harlem, sur la 136ème rue, coincé entre deux maisons de deux étages. Un quartier d’ailleurs toujours plus touché par le phénomène de la gentrification. Mais cette fois, ce sont d’abord les chats errants qui seront chassés.