Les leçons de Jim Acosta

Aux Etats-Unis, personne n’ignore qui il est. Il suscite autant d’admiration qu’il agace. Jim Acosta est ce journaliste de CNN, désormais responsable de la cellule du média à Washington, aux faux-airs de George Clooney, qui aime se frotter à Donald Trump jusqu’à provoquer des étincelles. Et comme l’on sait, les étincelles peuvent déclencher un incendie. C’est un peu «grâce à lui» que le président des Etats-Unis a traité les journalistes d’«ennemis du peuple». Un peu grâce à lui aussi que Donald Trump qualifie les médias de «fake news».

Privé de son accréditation

Jim Acosta donc, a écrit un livre, «L’ennemi du peuple. Une époque dangereuse pour raconter la vérité aux Etats-Unis». Il raconte, sur un ton très personnel, ses contacts difficiles avec Donald Trump, qui remontent à bien avant sa présidence, mais qui se sont fortement détériorés depuis. Tenace, insistant, n’en fait-il pas un peu trop en se donnant en spectacle? En conférence de presse, personne ne peut passer à côté de Jim Acosta, incarnant à lui tout seul la détestation de Donald Trump pour les médias. Surtout depuis une scène qui a provoqué la polémique, lors d’un point presse en novembre 2018.

Jim Acosta insiste pour poser une nouvelle question. Debout, il ne lâche pas son micro. Donald Trump veut passer à un autre journaliste. Jim Acosta insiste. Donald Trump refuse. Une collaboratrice tente alors de lui arracher le micro et le journaliste la frôle avec sa main. Même quand un autre journaliste pose une question, Jim Acosta se lève à nouveau, prêt à en découdre. S’ensuivra une polémique qui se solde par le retrait de l’accréditation de Jim Acosta à la Maison-Blanche, son fameux hard pass. Soutenu par CNN qui a porté l’affaire devant la justice, il récupérera son précieux badge plus tard. Pour la petite histoire, un journaliste de Playboy accrédité à la Maison-Blanche (si, si) a connu le même sort peu après. Il a lui aussi fini par récupérer son accréditation.

Les limites de la neutralité

Jim Acosta, que Donald Trump qualifiait encore de «beau gosse» (real beauty) en mai 2016, se défend d’être un provocateur. Il voit son rôle face à Donald Trump comme une «mission» et tant pis s’il est désormais parqué dans une case de journaliste pas vraiment objectif. Il incarne l’anti-Trump par excellence. On le soupçonnerait presque d’être fier d’être devenu le journaliste-ennemi numéro 1 du président. Il s’en explique: «La neutralité au nom de la neutralité ne nous sert pas vraiment à l’époque de Trump.»

Dans son livre, il raconte les menaces dont il fait l’objet, émanant soit directement soit indirectement de l’entourage de Donald Trump, et détaille les dysfonctionnements de la Maison-Blanche et les mensonges de ses occupants, qu’il juge dangereux pour la démocratie américaine. Jim Acosta a peut-être un côté fanfaron, mais il a de la bouteille. Il a couvert la guerre en Irak, l’ouragan Katrina et la campagne présidentielle de John Kerry pour CBS avant de passer à CNN et d’être muté à Washington pour couvrir le deuxième mandat de Barack Obama.

ll n’est ni le premier ni le dernier à raconter les «secrets» de la Maison-Blanche sous Donald Trump, et en ce sens, son livre vient un peu tard pour susciter un réel intérêt. Mais ce que Jim Acosta nous offre, c’est une plongée de l’intérieur des tentatives répétées de Donald Trump de décrédibiliser les médias. Et de ce que cela représente. «Des fans de Trump m’ont laissé de nombreux messages soulignant que je devrais être assassiné de toutes sortes de manières médiévales possibles», écrit-il dès la page 6. «Des commentaires postés sur mes comptes Instagram et Facebook suggéraient qu’on me castre, qu’on me décapite ou que l’on m’immole.» Il doit s’entourer de gardes du corps lors de certains meetings. C’est aussi ça être journaliste (américain) sous l’ère de Donald Trump. Le fait que le président soit désormais menacé par une procédure d’impeachment ne risque pas d’améliorer les choses.

 

Valérie de Graffenried

Valérie de Graffenried est la correspondante du Temps aux Etats-Unis.

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