La «treizième personne» de la fusillade

ll est désormais connu comme le «tireur de Virginia Beach». Le 31 mai, un employé municipal qui venait de donner sa démission a provoqué un carnage dans une Amérique régulièrement endeuillée par des fusillades de masse. Il a abattu 12 personnes avant d’être tué par la police. C’est très ému que le maire de la ville a rendu compte du drame lors d’une conférence de presse. Il a surtout pris une décision: ne pas mentionner le nom du tueur. Pour lui, l’homme restera à jamais «la treizième personne».

Eviter l’«effet copycat»

Même attitude, ou presque, pour le chef de la police locale, James Cervera. «Nous ne mentionnerons son nom qu’une seule fois, ensuite il sera à jamais étiqueté comme «le suspect» car nous nous concentrons sur la dignité des victimes et de leurs familles», a-t-il averti. Leur but est de ne pas contribuer à une sorte de glorification posthume malsaine. Car des études l’ont démontré: les auteurs de ce type de fusillades agissent souvent dans le but de faire parler d’eux et s’inspirent de précédents fortement médiatisés. Or les autorités de Virginia Beach sont bien décidées à éviter tout «effet copycat».

Elles ne sont pas les premières à agir ainsi. Après la fusillade dans les locaux d’un journal d’Annapolis l’an dernier, le chef de la police s’était aussi refusé à donner le nom du tueur. Et en Nouvelle-Zélande, la Première ministre Jacinda Ardern s’est refusée à dévoiler l’identité du suprémaciste blanc responsable de la mort de 51 personnes dans deux mosquées. «C’est un terroriste. C’est un criminel. C’est un extrémiste. Mais quand je parlerai de lui, il restera sans nom», a-t-elle déclaré. Le New York Times rappelle qu’en 2012 déjà, lors d’une fusillade dans le Colorado, les parents d’une des victimes avaient lancé, sur les réseaux sociaux, le hashtag #NoNotoriety.

Des médias écartelés

Le débat, qui vaut aussi pour les attentats terroristes, prend de plus en plus et c’est tant mieux. Les médias ont aussi leur part de responsabilité, écartelés entre le besoin brut d’informer en récoltant le plus de détails possibles sur le background des tueurs et celui de s’autocensurer pour le bien du public. Même problème avec les photos. Faut-il montrer les visages des kamikazes floutés, ou pas du tout? A chaque fusillade ou attentat, on se pose les mêmes questions. A chaque fois, on hésite. Qu’est-ce qui est d’intérêt public? Est-ce que renoncer à donner le nom des tueurs risque d’alimenter des théories du complot? Il n’est pas toujours évident de trancher, surtout dans l’urgence.

Seek truth and minimize harm (rechercher la vérité et minimiser les préjudices), précise une des règles de déontologie de l’Association américaine des journalistes professionnels. Pas sûr que cela aide beaucoup. La police, elle, semble avoir tranché. L’anonymisation des tueurs de masse est une tendance qui prend de l’ampleur.

Valérie de Graffenried

Valérie de Graffenried est la correspondante du Temps aux Etats-Unis.

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