La face cachée de Staten Island

«Bonne chance». C’est ce qu’un ami américain m’a dit quand je lui ai fait part de mes plans du weekend: explorer à fond Staten Island. Probablement parce qu’il est un démocrate convaincu et que l’île, qui représente l’un des cinq arrondissements de New York, est un repaire de trumpistes: en 2016, New York a voté à 79% en faveur de Hillary Clinton, et seule Staten Island s’est laissée séduire par Donald Trump (95612 voix contre 67561). Mais il n’y a pas que ça. Staten Island souffre d’une image qu’elle ne mérite pas.

Bien sûr, il y a des coins glauques, où des gens trompent l’ennuient en allant, la mine triste, en hoodie et pantalon de training chercher un bagel étouffe belle-mère ou un egg sandwich dégoulinant au Deli du coin. L’île renvoie aussi à Fresh Kills, cette immense décharge à ciel ouvert qui avait notamment accueilli les débris du 11-septembre, et dont la production de méthane a été la plus importante du monde. Mais l’île a ses petits bijoux. Comme la balade sous le pont Verrazano. A sa gauche, un étonnant fort historique. A droite, une jolie balade au bord de mer, vers South Beach. Et Fresh Kills d’ailleurs, a entamé une mue symbolique: la décharge polluante a été fermée pour faire place, dès 2036, à un nouveau poumon vert de New York, qui a l’ambition d’être trois fois plus grand que Central Park.

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Le ferry gratuit depuis Manhattan attire souvent des touristes ravis de pouvoir s’approcher de la Statue de la Liberté, sans payer. Et qui, à peine le pied posé sur Staten Island, le reprennent dans l’autre sens. Erreur. Le coeur de l’île est aussi intéressant. La ville historique de Richmond vous transporte par exemple à mille lieux de l’agitation de Manhattan. Et surtout 350 ans en arrière. Avec ses petites maisons en bois bien typiques, restaurées par la Société historique du coin.

Quatre jours après ma balade sur Staten Island, une photo dans le New York Times a attiré mon attention. On y voit une rue, de grands arbres et ces typiques maisons en bois. Une de ces rues si paisibles où je me suis promenée, me disant que décidément Staten Island ne méritait pas d’être boudée. Mais il y avait un détail sur la photo: la banderole jaune de la police «Crime scene». Cette rue, dans le quartier aisé de Todt Hill, avec des maisons qui valent 4 millions de dollars, c’est en fait celle où Francesco Cali, un parrain de la mafia, venait d’être tué devant son domicile, le corps criblé de balles. «Franky Boy», 53 ans, était le chef du clan Gambino, l’une des grandes familles mafieuses de New York. Le clan a longtemps été considéré comme le plus puissant des Etats-Unis, jusqu’à la condamnation à perpétuité, en 1992, du parrain John Gotti, mort en prison dix ans plus tard. Depuis, on disait la mafia sur le déclin, en raison notamment de la mainmise des cartels mexicains sur le trafic de drogue. Plusieurs règlements compte sanglants entre clans ont néanmoins eu lieu des dernières années.

Un homme a été arrêté pour l’assassinat de Francesco Cali. Ses mobiles sont encore peu clairs. Le dernier assassinat d’un parrain du clan Gambino remontait à 1985, avec Paul Castellano, tué en plein coeur de Manhattan, à la sortie d’un steak house. Lui aussi vivait à Staten Island. Pas bien loin d’ailleurs de la Longfellow Avenue, où Francis Ford Coppola a tourné des scènes du Parrain (2007). «Franky Boy», lui, était réputé pour sa vie discrète, dans un quartier discret… sur une île discrète. Ce crime rappelle de façon brutale une autre face cachée de Staten Island: avec le quartier de Howard Beach (Queens), près de l’aéroport de JFK, elle fait partie des deux lieux les plus prisés par la mafia new-yorkaise.

Valérie de Graffenried

Valérie de Graffenried est la correspondante du Temps aux Etats-Unis.

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