Les «séquences émotions» du showman Trump

Beaucoup a été dit à propos du discours sur l’état de l’Union prononcé mardi soir par Donald Trump. Commenté, décrypté, soupesé, encensé, relativisé. Les minutes d’autoglorification sur la bonne santé économique du pays, l’appel à l’unité, les propos hués sur les clandestins indésirables, les piques contre les «régimes voyous». Les promesses, les belles phrases, celles qui dépotent, sonnent creux ou marquent les esprits. Mais il y a un aspect qui a été un peu mis de côté: le talent qu’a Donald Trump pour jouer avec l’émotion des gens.

Comme un habile chef d’orchestre, un redoutable metteur en scène, il avait pour la plupart des thèmes abordés, un exemple concret. Dans la salle. Avec à la clé, des applaudissements nourris et des yeux humides. Donald Trump et son équipe ont soigneusement sélectionné leurs invités. Le casting était redoutablement efficace.

Il y a d’abord eu les «héros». Comme l’officier Ashlee Leppert, qui a contribué, à bord de son hélicoptère, à sauver 40 vies lorsque l’ouragan Harvey s’est abattu sur Houston. Le pompier David Dahlberg était aussi là. Il a sauvé soixante enfants bloqués dans un camp lorsque la Californie a été dévastée par des incendies. Donald Trump les montre du doigt, applaudit, les remercie.

Place ensuite, aux patrons d’une entreprise florissante de l’Ohio qui, grâce aux effets de la réforme fiscale – on y arrive -, vont pouvoir engager des employés supplémentaires. L’un d’eux, d’ailleurs, était aussi présent. Un Afro-américain passé par la case chômage jusqu’à ce que les patrons blancs l’engagent. Trump a pensé à tout. Il veut donner du rêve aux Américains. Et il le fait à la manière d’un animateur d’une émission de téléréalité.

Plus le discours avance, plus les séquences émotions deviennent fortes. Tout est savamment étudié. Les précédents exemples? Oubliez-les. On arrive maintenant à Preston Sharp, un petit bonhomme de 12 ans qui se tient fièrement dans la tribune aux côtés de Melania Trump. Ce qu’il a fait? Le Californien a remarqué que des tombes de vétérans n’étaient pas décorées d’un drapeau américain lors du sacro-saint Veterans Day. Il y a remédié, en lançant un mouvement qui a permis de récolter 40 000 drapeaux. «Preston: a job well done!», lui a lancé Donald Trump, plus patriote que jamais.

Sur le front de l’immigration, le président a choisi d’inviter les parents de deux jeunes filles tuées en automne 2016 par des membres du gang MS-13. Torrents de larmes au moment où les caméras se braquent sur eux. Pour Donald Trump, ces familles sont les parfaites icônes pour incarner les ravages de gangs ultraviolents qu’il veut éradiquer. Un argument béton pour la construction de son mur entre les Etats-Unis et le Mexique, et le renforcement de mesures pour lutter contre la migration illégale et les trafics de drogue.

Les deux couples sont trop émus pour s’interroger sur leur éventuelle instrumentalisation. Donald Trump, avec le ton suave et paternaliste d’un prédicateur qui aurait avalé trop de calmants, sait leur parler: «Je veux que vous sachiez que 320 millions de coeurs battent en ce moment pour vous. On vous aime. Merci. Nous ne pouvons pas nous imaginer l’intensité de ce type de peine, mais nous pouvons faire en sorte que d’autres familles n’aient pas à le subir».

Le tableau n’aurait pas été complet sans la présence de l’agent spécial Celestino Martinez, CJ pour les intimes, qui, bien que menacé de mort par le MS-13, a mené une opération à Long Island qui a permis l’arrestation de plus de 220 membres du gang.

Donald Trump n’a pas fini. Ses invités sont, qu’ils le veuillent ou non, là pour appuyer ses propos. Sur la crise des opioïdes aussi, où il est pourtant accusé de ne pas faire grand chose, il a soigné son casting: il a invité la famille Holets qui a récemment fait les grands titres de journaux. Policier, Ryan Holets a eu le coeur brisé en tombant sur une toxicomane qui se faisait une injection alors qu’elle était hautement enceinte. Il a décidé d’adopter l’enfant. La petite fille, Hope, était là, à quelques centimètres de la First Lady, sagement emmaillotée dans un linge rose fuchsia.

Le président des Etats-Unis aurait pu s’arrêter là. Mais il lui fallait encore incarner la lutte contre le terrorisme et l’Etat islamique, en faisant venir un soldat qui a combattu à Raqqa. Un soldat qui a failli perdre la vie et a surtout sauvé celle d’un camarade. Mais le sommet a été atteint en toute fin de discours, quand Donald Trump a fustigé le régime nord-coréen. Il lui fallait des images fortes. Il n’a pas eu de peine à en trouver. La terrible histoire d’Otto Warmbier, détenu pendant dix-huit mois en Corée du Nord, hante encore les Américains. Libéré en juin dernier, rapatrié dans un coma aux origines suspectes, il est décédé quelques jours plus tard.

Mardi soir, ses parents, accompagnés de leurs deux autres enfants, n’étaient pas simplement émus lorsqu’ils ont été ovationnés, ils étaient effondrés. Des images presque insoutenables. Là encore, Donald Trump, qui les a fait se lever deux fois sous les applaudissements, a pensé qu’il fallait aller plus loin dans la scénographie de son discours, par ailleurs plutôt creux, sans annonces ni vista politique. Il a réussi à mettre la main sur un déserteur nord-coréen, aujourd’hui réfugié à Séoul.

Donald Trump a raconté les souffrances de Ji Seong-ho, qui a perdu une main et un pied dans un accident de train, et a fui son pays en 2006. «Aujourd’hui il vit à Séoul, où il aide d’autres transfuges, et diffuse vers la Corée du Nord ce que le régime craint le plus: la vérité», a insisté le président des Etats-Unis. «Il a une nouvelle jambe, mais Seong-ho, je crois que vous gardez vos béquilles (de vieux modèles en bois, ndlr) comme symbole de votre parcours. Votre grand sacrifice est un exemple pour nous tous», a ajouté Donald Trump.

Le discours est arrivé à sa fin. Il peut fermer les rideaux, satisfait du spectacle qu’il a donné. Des larmes ont coulé. Mission réussie.

C’était ça aussi, le premier discours sur l’état de l’Union de Donald Trump.

Valérie de Graffenried

Valérie de Graffenried est la correspondante du Temps aux Etats-Unis.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *