Le serpent qui se mord la queue. Ou comment gérer un président tweetophile qui en fait trop

On a beau décrocher (un peu) de l’actualité américaine pendant quelques semaines, le temps d’effectuer une série de reportages loin de New York et de Washington, en s’octroyant aussi quelques jours de vacances, le retour aux affaires a, il faut bien l’avouer, un peu un air de déjà-vu. Qu’a fait Donald Trump pendant ces dernières semaines? En allumant CNN ce weekend, on tombe sur la nouvelle «affaire» des tweets présidentiels enflammés: pendant notre absence, le président s’en est violemment pris aux présentateurs de l’émission «Morning Joe» de la NBC, allant jusqu’à offusquer des politiciens de son propre camp.

«Le fou Joe Scarborough et Mika (Brzezinski) bête comme ses pieds ne sont pas de mauvaises personnes, mais leur mauvaise émission est dominée par leurs patrons de NBC. Dommage!», a-t-il écrit samedi. Depuis jeudi, c’est le feuilleton qui semble tenir les Américains en haleine. Donald Trump, pas vraiment content de cette émission qui ose le critiquer, a lâché des scuds contre le couple de journalistes, «la folle Mika au faible QI» et «Joe le psychopathe», pour reprendre ses propres termes. Ces derniers ont dénoncé des «insultes de cour d’école», parlé d’un président «à la dérive» à «l’égo enfantin», et s’interrogent publiquement sur sa santé mentale.

Ca, c’était l’Acte I, analysé, décortiqué, interprété, en boucle et en boucle par les médias américains, CNN en tête. Jusqu’à donner le vertige au pauvre spectateur qui, probablement, aimerait aussi pouvoir s’échapper de cette spirale infernale, où l’ensemble des propos sexistes et grossiers de Donald Trump contre les femmes est remis en exergue. Bien sûr, il a une nouvelle fois franchi la ligne rouge, en osant s’en prendre de manière vulgaire et totalement déplacée à la journaliste qu’il dit avoir vu «saigner à cause d’un lifting facial». Avec la journaliste Megyn Kelly, il n’avait pas pu s’empêcher de faire des sous-entendus graveleux, en disant qu’elle «saignait de partout». Mais écouter pendant des heures des commentaires sur des tweets d’un homme dont l’état mental est sans cesse remis en question a quelque chose de fatiguant.

L’Acte II? Attaqué, Donald Trump réplique. Ca aussi, c’est du déjà vu. Accusé d’attitude non présidentielle, il rétorque, attaque, ne lâche pas prise. Samedi et dimanche, dans de nouveaux tweets, il s’en est une nouvelle fois pris aux grands médias américains qu’il accuse de provoquer et entretenir une «haine» à son égard. Encore une fois, CNN en prend pour son grade. Le président se dit «extrêmement heureux de voir que CNN a finalement été exposé pour (ses) #FakeNews et son journalisme de caniveau». Une allusion au fait que la chaîne a dû retirer un article mis en ligne le 22 juin qui affirmait que le Congrès enquêtait sur des liens entre son entourage et un fonds d’investissement russe. Trois journalistes ont dû démissionner.

Donald Trump ne lâche pas l’os. «Je réfléchis à la possibilité de remplacer le nom de #FakeNews CNN par #FraudNews CNN», écrit-il dans un nouveau tweet. Selon sa porte-parole Sarah Huckabee Sanders, Donald Trump «réplique au feu par le feu».

Cette guerre entre Donald Trump et les médias américains est inquiétante. Elle est aussi navrante et stérile. Donald Trump, qui semble succomber aux sirènes complotistes, nuit gravement à la crédibilité des médias en tonnant sans cesse que tout ce qui émane d’eux est du «fake news». Le journalisme de qualité est de plus en plus indispensable pour séparer le bon grain de l’ivraie; les médias américains ont d’ailleurs renforcé leurs équipes de facts checkers pour faire face au «phénomène Trump».

Mais s’attaquer sans nuance ni sens du dosage ou de la hiérarchie des informations à Donald Trump peut aussi, c’est le danger, passer pour de l’acharnement et pourrait bien, on l’a vu avec CNN, s’avérer contre-productif et leur revenir en pleine face, comme un boomerang. Et ça aussi, c’est dommageable pour la crédibilité des médias. Pourquoi accorder autant d’importance à des tweets jugés non présidentiels sur une émission de télévision alors que des dossiers bien plus importants, comme la réforme de santé, préoccupent les Américains? Tout est une question de dosage. Et trouver le bon dosage, avec le bon ton, est désormais le travail de Sisyphe des journalistes.

Un travail de plus en plus difficile car Donald Trump, lui, n’a pas peur des excès. Dans une vidéo postée dimanche, le président américain, va jusqu’à suggérer, dans une séquence qui se veut humoristique, d’être violent avec les médias.

 

Valérie de Graffenried

Valérie de Graffenried est la correspondante du Temps aux Etats-Unis.

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