Photo des 16 du CNR, photo tirée du site de la Fondation de la France libre

Les jours heureux

Pendant la période la plus sombre de l’Occupation, seize hommes d’horizons divers ont fait taire leurs différences pour créer le Comité national de la Résistance et, dans la clandestinité, penser l’après-guerre. Leur programme? Les jours heureux! À la veille des commémorations du 8 mai 1945, il est utile de se souvenir de ce que la France leur doit.

Liberté syndicale et de la presse, sécurité sociale, retraites: adopté le 15 mars 1944,  à l’unanimité – objet, donc, d’un consensus politique – le programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R), a façonné la France d’après-guerre jusqu’à nos jours. Et c’est une des forces de ce programme que d’avoir imaginé et prévu un avenir après la guerre.

Le CNR se réunit pour la première fois le 27 mai 1943, dans un appartement parisien. Au nez et à la barbe des Allemands, disent certains… À ceci près que le 16 membres du CNR ont vite mesuré le risque qu’ils prenaient à se réunir au même endroit. Jean Moulin, qui préside la réunion, est arrêté la même année. Arrêté à Lyon, torturé par la Gestapo de Klaus Barbie, il mourra durant son transfert vers l’Allemagne.

De la droite républicaine aux communistes

Avant sa capture, Jean Moulin a réussi le tour de force de réunir au sein du CNR des groupes aussi divers que des mouvements de résistance, les deux grandes confédérations syndicales de l’époque et, de la droite républicaine au parti communiste, les principaux partis politiques reconnaissant la France libre. Le texte fait donc l’objet d’un consensus – phénomène plutôt rare chez nos voisins d’outre-Jura.

L’histoire de l’élaboration du programme, tout en tâchant de déjouer la surveillance de l’occupant, vaudrait à elle seule la peine d’un récit (voir ci-dessous “A écouter”). Toujours est-il que le programme est adopté, à l’unanimité, le 14 mars 1944.

Photo des 16 du CNR, photo tirée du site de la Fondation de la France libre
Photo des 16 du CNR, photo tirée du site de la Fondation de la France libre

Résister, c’est prévoir

Publié clandestinement sous le titre “Les jours heureux”, le texte n’a rien d’une aimable poésie. Il commence en effet par un “Plan d’action immédiate” qui est un appel à la résistance armée.  Intitulée “Mesures à appliquer dès la libération du territoire”, la deuxième partie prévoit le “châtiment des traîtres et la confiscation de leur biens”. Mais ce qui fait sortir ce programme de la logique de guerre et qui le rend si singulier, c’est la suite: combattre d’abord, pour mieux construire ensuite. Le texte pose noir sur blanc les grands principes du rétablissement du suffrage universel, la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, la liberté d’association, de réunion et de manifestation, l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance, le respect de la personne humaine, l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi.

Sur le plan économique, le programme prévoit notamment “l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ; une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des Etats fascistes”.

Page de titre du programme, Musée de la Résistance en ligne, collection Fondation de la résistance DR

Retraites, droits politiques et éducation

Pour le volet social, l’histoire retient en particulier, “un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine; (…)  un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’état ; (…) une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours”.

On notera aussi l'”extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales” et “La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires.”
Lire la version intégrale du programme sur le blog de Laurent Mauduit, Médiapart
À écouter: France culture, “Mais où sont passés les jours heureux”et France Inter Affaires sensibles”
À voir: le film Les jours heureux (2013)
À visiter aussi: le site de l’Association nationale des anciens combattants et ami-e-s de la Résistance ANACR

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

2 réponses à “Les jours heureux

  1. J’aime beaucoup.

    Une seule remarque, Jean Moulin est mort vers Metz, dans le train qui le déportait en Allemagne. Mais on n’a jamais retrouvé son corps.

    1. Oui, vous avez raison. Il a été arrêté à Lyon et y a été torturé, puis a été transporté à Paris et vers l’Allemagne. Mon raccourci était un peu brutal.

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