L’une a été “balancée” comme déléguée du CICR dans un Nicaragua en plein conflit armé, l’autre est passée sous un camion lors d’une virée à moto en Haute-Savoie: je partage le plaisir que j’ai eu à lire les récits très différents de deux femmes de caractère. Avec volonté, persévérance et humour, toutes deux ont fait face à une situation extrême qu’elles n’avaient pas choisie.
Dans Rio Wangki, paru chez Plaisir de lire il y a un an, Danielle Coquoz puise dans ses souvenirs pour raconter un épisode méconnu de la guerre civile au Nicaragua, entre 1979 et 1990. Avec un souffle digne d’un roman d’aventure et un humour délicieux, l’ancienne déléguée du CICR raconte une épopée folle, dans la forêt tropicale, à la frontière entre le Nicaragua et le Honduras: celle de la réinstallation de la population indienne Miskito sur les rives du rio Coco (“Wangki” en miskito).
Les premières pages du récit m’ont fait craindre un énième bouquin qui, sous prétexte de mémoires, étale des considérations politiques plus ou moins oiseuses: la mise en contexte de souvenirs est un exercice délicat et, disons-le, rarement réussi. Très vite, heureusement, le livre contourne l’écueil et plonge dans le vif du sujet. L’auteure nous entraîne alors à sa suite, avec fougue, dans une odyssée pleine de suspense et de rebondissements.
Humour et autodérision
Danielle Coquoz use d’un recours très efficace: la posture du “Candide”. Même si on suppose qu’elle en rajoute un peu dans l’autoportrait de la déléguée du CICR des années 80 débarquant au bout du monde, dans une situation inextricable dont elle ignore tout et qu’elle est censée résoudre, on frissonne avec elle de ses découvertes, on glisse dans la boue à sa suite et on se laisse emporter par son énergie communicative.
Son récit des moments sur le fleuve et ses délicieux portraits de femmes misikitos, croqués sur le vif, sont à lire absolument. On rit beaucoup, surtout quand tout paraît désespéré. À l’inverse de tant de personnes qui roulent des mécaniques et se gargarisent de leurs succès, l’auteure affiche une autodérision qui touche au sublime. Sa capacité à se relever de ses échecs, à reconnaître ses erreurs et à tirer parti de n’importe quelle situation la rendent profondément attachante. Même si j’avoue que j’aurais aussi aimé que d’autres émotions bien humaines transparaissent davantage derrière la cuirasse de la déléguée du CICR.
Récit rythmé, enlevé et très agréable à lire, Rio Wangki m’a évoqué, par certaines atmosphères, un autre livre, un roman, qui parle de fleuve et de forêt: La neige de l’amiral de l’écrivain colombien Alvaro Mutis.
Cette patiente impatiente
Changement de décor avec Impatiente, paru chez Guérin en été 2020, où Sylvie Samycia nous raconte une autre épopée, quasiment immobile, cette fois. Le récit s’ouvre avec une scène qui, d’habitude, est un clap de fin: une route de montagne, une moto, un camion, un accident. Mais ce qui aurait pu être un point final devient un point de départ.
Avec une sincérité tonique et impitoyable, cette skieuse accomplie raconte comment, amputée d’un bras et diagnostiquée paraplégique, elle décide dans sa tête qu’un jour elle gravira le Mont-Blanc.
Énergie contagieuse
L’auteure dit aussi comment “pour son bien”, la plupart des soignants font tout pour la décourager et la forcer à faire le deuil de sa mobilité. Mais Sylvie Samycia est une tête de mule de compétition. À peine sortie du coma, entourée par sa famille et son réseau d’amitiés, elle n’en démordra pas une seconde: elle remarchera!
Ce bouquin m’a donné des frissons. Son optimisme inaltérable et l’incroyable soif de vivre qu’il dégage sont aussi contagieux qu’un virus. Bien loin d’isoler, ils relient au contraire la lectrice ou le lecteur à la certitude que l’être humain est capable de déplacer des montagnes. Un livre à haute densité énergétique que je conseille chaleureusement.
Références:
Danielle Coquoz, Rio Wangki, Plaisir de lire, 2021, 236 p. (collection Aujours’hui)
Sylvie Samycia, Impatiente. Ma troisième vie commence au Mont-Blanc, Guérin, août 2020, 164 p. Prix du Livre de la montagne 2021 du FIFAD.