Exposition au Musée historique de Berne sur les 50 ans du suffrage féminin

Une photo d’elle “toute nue”: la longue lutte des femmes en politique

À la veille du 14 juin, je vous invite à vous précipiter toutes affaires cessantes au Musée d’Histoire de Berne. L’exposition “Ja! Oui! Si! Des femmes au Palais fédéral! 50 ans de suffrage féminin en Suisse” est du genre décoiffant. Tant pis, Messieurs, pour votre brushing. Faisant la part belle au multimédia et aux témoignages vivants, cet expo rafraîchit la mémoire façon karcher. On en ressort revigoré·e, très en colère peut-être, plus savant·e certainement. Avec, en point de mire, un retour instructif sur l'”affaire” de la non élection de Christina Brunner. À voir jusqu’au 14 novembre 2021.

Cela se passe en 1993. D’accord, c’est au précédent millénaire, mais c’est aussi il y a moins de 30 ans. Depuis la démission d’Elisabeth Kopp, quatre ans auparavant, il y a zéro femme au Conseil fédéral. Le conseiller fédéral socialiste neuchâtelois René Felber annonce son départ du collège et, tout naturellement, la socialiste genevoise Christiane Brunner se porte candidate à sa succession. Mais les forces conservatrices se déchaînent contre la conseillère nationale. Syndicaliste, féministe et féminine, elle a, aux yeux des politiciens bourgeois qui règnent en seigneurs et maîtres, bien trop de tares. Mme Brunner est trainée dans la boue au-delà de l’entendement. Une lettre anonyme menace d’envoyer aux médias une photo d’elle “toute nue” (sic!) et elle est violemment prise à partie sur des questions d’avortement. J’avais à peine 18 ans au moment des faits et j’avoue que je ne me souvenais pas d’un tel déchaînement de hargne et de violence sexiste.

Exposition au Musée historique de Berne sur les 50 ans du suffrage féminin
Le scandale autour de Christiane Brunner en 1993 : l’exposition est l’occasion pour Christiane Brunner et Ruth Dreifuss, alors candidates au Conseil fédéral, de partager leur vision de ces événements turbulents qui ont bouleversé la Suisse. © Musée d’Histoire de Berne, Berne. Photo : Christine Moor

Attention spoiler – ou pour les allergiques aux anglicisme: je divulgâche: Christiane Brunner ne sera pas élue. Pour les femmes suisses de toutes appartenances, sa non élection de est la goutte qui fait exploser la cocotte minute. Les femmes en colère qui déferlent dans les rues de Suisse ne ressemblent en rien aux grévistes pacifiques de la Grève des femmes de 1991, manifestation bon enfant dont Mme Brunner a été une cheville ouvrière.

“Je demande une semaine de réflexion”

Le 3 mars 1993, donc, ces Messieurs du Parlement élisent le socialiste neuchâtelois Francis Matthey. Celui-ci restera célèbre pour avoir tenté de rouler à contre-sens sur l’autoroute de l’Histoire, déclarant à la tribune: “Je demande une semaine de réflexion”. Il s’en est fallu de peu pour qu’il accepte son élection. Il finit par se retirer à la condition que son parti nomme une deuxième candidate.

Après une semaine de crise politique et de contestation, un second tour a lieu, le 10 mars. Christiane Brunner et Ruth Dreifuss sont candidates désignées. Ce jour-là, plus de 10’000 personnes manifestent en faveur de Christiane Brunner devant le Palais fédéral, mais rien n’y fait. C’est Ruth Dreifuss qui est élue. Loyale à son parti et à la cause des femmes, Christiane Brunner annonce qu’elle se retire en faveur de sa colistière, également femme et syndicaliste. Rien que pour voir et entendre le témoignage de Ruth Dreifuss à propos de cette affaire, tout en finesse et teinté d’humour, il vaut la peine d’aller faire un tour au Musée historique de Berne.

La grande force de cet expo, c’est de faire la part belle aux témoignages de ces femmes politiques de la première heure, qui se sont battues et qui avaient une conscience très aiguë d’être des pionnières et d’avoir le devoir “d’ouvrir les portes aux suivantes”, comme le résume Ruth Dreifuss. Mais c’est aussi d’interroger les élues d’aujourd’hui.

Kopp, attendue au tournant

Elisabeth Kopp, première conseillère fédérale
© Musée d’Histoire de Berne, Berne. Photo : Christine Moor

À titre personnel, j’ai été touchée par les propos d’Elisabeth Kopp, première conseillère fédérale de l’Histoire, qui dépeint la dureté du collège à son égard. Bien sûr, il y a eu “l’affaire Kopp”, mais la Zurichoise savait qu’elle était attendue au tournant et que le moindre faux-pas ne lui serait pas pardonné, bien au contraire.  Et de confier que, chaque mercredi lors de la séance du Conseil fédéral, elle avait l’impression d’entrer dans un frigo. “Je devais être parfaitement préparée sur mes dossiers et être toujours d’apparence irréprochable”, explique-t-elle en substance. Sur ces deux points, les choses ont-elle vraiment changé?

J’emprunterai ma conclusion à Ruth Dreifuss: “Ce qui semble aller de soi aujourd’hui est le résultat d’un combat long et fastidieux. La nécessité de s’engager demeure, non seulement pour conserver les acquis mais aussi pour mettre en œuvre concrètement le principe de l’égalité.” Le 14 juin, nous avons plusieurs bonnes raisons de manifester.

 

 

 

 

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.